CONCLUSION GÉNÉRALE
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Dans ce sujet qui s'intitule « Le motif du retour
au pays natal dans le roman de l'immigration : l'exemple de Ces
âmes chagrines de Léonora Miano et Voici
venir les rêveurs d'Imbolo Mbue », nous nous sommes
attardé aux mécanismes concourant à favoriser la
décision de retourner au pays natal qui naît chez les personnages
immigrés, sa mise en exécution et les enjeux qu'il revêt.
Nous sommes parti du constat que le phénomène de l'immigration
prend de plus en plus de l'ampleur ces dernières décennies et
revient sans cesse au-devant de la scène. Les candidats à
l'immigration sont de plus en plus nombreux, et les données froides
autour du phénomène s'accentuent. Des naufrages des bateaux
transportant les migrants pour l'Occident font la une des journaux au
quotidien. Devant ce phénomène, la littérature n'est pas
restée à l'écart. En effet, depuis la fin des
années soixante-dix, ce phénomène est devenu un
thème majeur de la littérature contemporaine. De nombreux
romanciers se sont appropriés le phénomène, et le
décrivent dans leurs oeuvres, chacun à sa
manière.
Ce qui a particulièrement retenu notre
attention est le fait que la plupart de ces romans présentent le
phénomène de façon unilatérale. Les personnages
qu'ils mettent en scène partent de l'Afrique pour l'Occident à la
recherche du bonheur. Cet Occident devient le théâtre de leurs
misères, souffrances et abus de toutes sortes. Pourtant, on observe
très peu des personnages qui prennent la résolution de rentrer
chez eux. Les quelques retours que l'on note se conjuguent en termes
d'expulsion.
Or les deux romans de ce corpus s'inscrivent en marge
de cette logique et mettent en scène des personnages qui prennent la
décision, après un séjour passé en Occident, de
rebrousser chemin. Cette rupture d'avec la logique classique présentant
les migrations africaines tel un mouvement à sens unique, de
manière exclusive, nous a interpellé et nous avons voulu
investiguer sur la construction de ce retour, ses formes, ses enjeux, bref,
l'état d'esprit qui anime le personnage qui opère ce choix. Le
séjour en Occident n'étant pas toujours teinté de bonheur,
de réussite et de plaisirs auxquels l'immigré s'attendait, il va
des soi que son départ soit perçu telle une aventure
risquée capable de le réduire à l'esclavage sous plusieurs
formes. Si donc le départ et le séjour en terre d'accueil peuvent
être vus comme un enfer, le retour s'oppose et se veut libération.
C'est dans cette logique que s'inscrit la question centrale qui a sous-tendu
notre analyse, celle de savoir en quoi le retour au pays natal constitue-t-il
une redéfinition de la personne de l'immigré dans le roman de
l'immigration.
Pour mener à bien cette investigation, nous
avons eu recours à la critique thématique, dans les orientations
de Jean pierre Richard et Starobinski. Celle-ci visait à mettre en
évidence des images et de thèmes privilégiés par
tel ou tel auteur, de sorte à décrire et à analyser
un
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monde imaginaire unique à chaque
écrivain ou écrivaine, une forme particulière d'expression
littéraire. Si le premier voit en cette critique une tentative de
dévoiler l'implicite derrière l'explicite, le latent
derrière le manifeste, le second y voit un mode de lecture qui s'efforce
de déceler l'ordre ou le désordre interne des textes qu'elle
interroge, le symbole et les idées selon lesquels la pensée de
l'écrivain s'organise. Toutefois, notre analyse s'est faite dans une
démarche comparative. Les outils de l'analyse comparée tels
l'image, l'écart et la distance quelquefois, nous ont permis de marquer
la frontière dans les perceptions de ces auteures sur le
phénomène de l'immigration en général et le retour
au pays natal en particulier.
Ainsi, nous avons structuré le travail en deux
parties, chacune constituée de deux chapitres. La première partie
intitulée « Naissance du sentiment du retour » a
analysé la manière dont le retour prend forme dans l'esprit des
immigrés. Le premier chapitre a été consacré aux
conditions de vie de l'immigré : entre marginalité et
intégration. Nous y avons établi que le séjour de
l'immigré en terre d'accueil n'est pas toujours un long fleuve
tranquille ; car ce dernier, en plus d'être inconfortablement
épanoui aussi bien sur les plans socioéconomique
qu'administratif, est en proie aux préjugés et au regard de
l'autre. Cela développe en lui un sentiment d'étrangeté et
d'angoisse profonde, tout cela constituant une entrave à une possible
intégration de sa part. Il se retrouve en marge de la
société, et nourrit quelques fois des regrets en se posant un
certain nombre de questions.
Ces questions sont examinées de fond en comble
dans le deuxième chapitre portant sur « L'entre deux : les
pièges culturels et identitaires ». Ne parvenant pas à
saisir les codes de la nouvelle société dans laquelle il se
trouve, l'immigré devient un être en quête
perpétuelle de repères. Il porte en lui une marque - celle de son
lieu d'origine - qui n'est pas toujours compatible avec les habitudes de son
pays d'accueil. Il est une fois de plus marginalisé,
déchiré, et ne peut être mieux défini qu'au regard
de ce que nous avons nommé "les identités éclairs" ;
expression qui explique les postures qu'adopte l'immigré en fonction des
situations. Afin que l'immigré puisse échapper à ces
pièges qui, eux aussi, constituent une entrave à son
intégration, il a été établi qu'il devrait se
considérer tel un homme sans culture, intériorisant à
chaque fois celle du lieu où il se trouve, faisant fi des cultures qui
l'habitent. Difficile pour l'immigré d'adopter cette posture, son
séjour n'est pas gai, et la volonté de renouer avec ses racines
s'accroît.
Dans la deuxième partie intitulée «
Retours et perspectives : construction, contraintes, enjeux et vision »,
nous avons interrogé le retour proprement dit, notamment les
mécanismes de sa mise en oeuvre et l'orientation que les auteures du
corpus suggèrent au phénomène de l'immigration. Le premier
chapitre, « Les processus de construction du retour :
volontés,
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contraintes et enjeux », s'attarde sur les
retours des personnages vers la terre natale. Nous avons remarqué que
bien que cette volonté anime les immigrés à un moment
donné, celle-ci se heurte à des difficultés dans son
exécution. Cependant, les personnages mis en scène dans le corpus
parviennent à braver ces difficultés et à rentrer chez
eux, fiers et ambitieux, convaincus de ce qu'un jour il fera jour dans leurs
pays ; fiers d'avoir été libérés des servitudes
auxquels l'ailleurs les a soumis durant leur séjour. Afin que cela ne se
reproduise plus, Miano et Mbue questionnent l'immigration et lui donnent une
nouvelle orientation.
Cette nouvelle orientation, nous l'avons
explorée dans le deuxième chapitre, « Intention narrative et
projet argumentatif : plaidoyer contre l'immigration clandestine ». Nous
avons mis en lumière le projet argumentatif qui sous-tend les romans du
corpus. Mbue et Miano dénoncent, conscientisent et mettent en garde
contre des pratiques relatives à l'immigration, dans sa dimension
clandestine surtout. En effet, selon elles, l'immigration devrait être
non pas une quête du bonheur, une poursuite effrénée du
gain, mais quelque chose de bien plus important. Elles voient en l'immigration
un moyen de consolidation des liens familiaux et amicaux, une ouverture
d'esprit, un moyen d'expression et de revendication d'une citoyenneté
universelle ; et les retours, qui se veulent un impératif, sont le seul
moyen de renouer avec le terroir et d'apporter sa contribution à la
construction de son pays.
Au regard de tout ceci, nous notons que le retour au
pays natal est effectivement un moyen de redéfinition du sujet
immigré. À travers le retour, celui-ci a enfin le sentiment
d'être une personne et d'être considéré à sa
juste valeur. En somme, il a tout ce que l'ailleurs lui refuse ; il est un
être affranchi de toutes les peines que cet ailleurs lui inflige. Tel que
nous l'avons dit, partir ne constitue un problème en soi. Mais
seulement, si on veut le faire, cela doit être dans la dignité. Il
faut partir non pas dans l'intention de faire fortune, mais un simple tour au
détour duquel l'immigré se forgera et reviendra grandi,
prêt à participer au développement de son pays. Il importe
désormais de nuancer le regard porté sur les migrations
africaines dans ses deux dimensions, les départs et les retours. Car on
voit déjà, et ce à travers les deux romans du corpus,
l'entrée d'une forme particulière de retour dans la
littérature de l'immigration : les retours volontaires, salutaires et
heureux.
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