A. La richesse des normes de contrôle ou normes de
référence
Les normes de référence sont par
hypothèse toutes des normes constitutionnelles104 ou ayant
une valeur constitutionnelle105. Il s'agit des normes « mettant
en oeuvre la Constitution »106, des normes sur le fondement
desquelles le juge constitutionnel opère son
contrôle107 notamment celui a posteriori. Ce sont les
normes faisant partie du bloc de constitutionnalité. En effet, les
juridictions constitutionnelles en général et le juge
constitutionnel burkinabè en particulier apprécient la
validité des normes qui leur sont soumises en référence au
bloc de constitutionnalité108.
Ainsi, au plan national, comme normes de
référence, il y a en premier lieu, les dispositions et les
principes à valeur constitutionnelle109 et en deuxième
lieu, les lois organiques110. Si les premiers ne posent pas de
difficultés quant à leur insertion dans le bloc de
constitutionnalité, les deuxièmes peuvent susciter un
débat dans la mesure où toutes les juridictions
constitutionnelles n'ont pas les mêmes normes de
référence111. Toutefois, au Burkina Faso, le
problème ne se pose pas ou du moins, ne devrait pas se poser dans la
mesure où le juge intègre la loi organique comme une norme de
référence pour le contrôle de
103 Eric NGANGO YOUMBI, La justice constitutionnelle au
Bénin, Paris, l'Harmattan, 2016, p. 400.
104 Francis HAMON et Michel TROPER, Droit constitutionnel,
Paris, Montchrestien, 2014, 35ème édition, p. 745
et Ss.
105 Ibidem.
106 Eric NGANGO YOUMBI, La justice constitutionnelle au
Bénin, Op.cit., p. 400.
107 Fatima DIALLO, Le juge constitutionnel de l'Etat de
droit, Mémoire de DEA, Op.cit., p. 35.
108 Djibrihina OUEDRAOGO, « Le contrôle de
constitutionnalité des Règlements des Assemblées
parlementaires dans les Etats de l'Afrique de l'ouest francophone »,
Revue Française de Droit Constitutionnel, n°117, 2019/1,
pp. 119-143.
109 Un principe à valeur constitutionnelle est un
principe dégagé par le Conseil constitutionnel et dont le respect
s'impose au législateur comme aux organes de l'Etat. Il est une norme
juridique à part entière.
110 Il s'agit des lois votées par le Parlement pour
préciser ou compléter la Constitution. V°. Serge GUINCHARD,
Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 2014,
21ème édition, p. 574.
111 La Cour constitutionnelle du Bénin par exemple
tient compte, dans une certaine mesure, des règlements des
Assemblées comme normes de référence.
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constitutionnalité, nous apprend Djibrihina
OUEDRAOGO112. En effet, le juge constitutionnel burkinabè,
dans sa décision rendue en date du 04 juillet 2007 a affirmé que
« Considérant qu'il est de principe que toute violation d'une
loi organique par d'autres dispositions législatives même de
nature organique et n'ayant pas le même objet, est une violation de
l'article de la Constitution qui renvoie à cette loi organique
»113. De ce raisonnement du Conseil constitutionnel
burkinabè, il ressort que la loi organique est un prolongement de
l'article de la Constitution qui l'a prévu. Dès lors, la
violation de cette loi organique serait une violation « médiate
»114 de la Constitution. Par voie de conséquence, la loi
organique reste potentiellement une norme de référence pour le
juge constitutionnel burkinabè.
En outre, au plan international, les normes et instruments
internationaux auxquels le préambule de la Constitution burkinabè
renvoie expressément font partie du bloc de constitutionnalité et
donc logiquement, des normes de référence du juge
constitutionnel. En effet, c'est seulement lorsque le préambule renvoie
à ces normes internationales qu'elles intègrent le bloc de
constitutionnalité. Du reste, la valeur constitutionnelle du
préambule n'est aujourd'hui plus contestable. En effet, la Constitution
burkinabè elle-même consacre la valeur constitutionnelle de son
préambule115. En outre, le juge constitutionnel
burkinabè, dans son avis consultatif n°2003-08 sur le statut de la
CPI, a affirmé que « dans le préambule, partie
intégrante de la Constitution, le Burkina Faso a souscrit à la
DUDH et aux instruments internationaux »116. A travers cet
avis, le Conseil constitutionnel burkinabè a considéré le
préambule comme une norme supérieure, car ayant valeur
constitutionnelle pouvant servir de référence au juge
constitutionnel. D'ailleurs, comme son homologue français117,
le juge constitutionnel burkinabè s'est déjà
référé au préambule de la Constitution, plus
précisément à l'article 14 du Pacte International Relatif
aux Droits Civils et Politiques dans sa décision rendue sur exception
112 Djibrihina OUEDRAOGO, « Le contrôle de
constitutionnalité des Règlements des Assemblées
parlementaires dans les Etats de l'Afrique de l'ouest francophone »,
Op.cit., pp. 119-143.
113 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
décision n°2007-03/CC du 04 juillet 2007 sur la conformité
avec la Constitution du 02 juin 1991 de la loi organique n°033-2006/AN du
21 décembre 2006 portant modification de la loi organique
n°014-2000/AN du 16 mai 2000 portant composition, organisation,
attributions et fonctionnement de la Cour des comptes et procédure
applicable devant elle.
114 Ibidem.
115 V°. La dernière phrase du préambule de
la Constitution du 2 juin 1991 qui est libellée comme suit : «
ADOMPTONS ET APPROUVONS la présente Constitution dont le présent
préambule fait partie intégrante ».
116 V°. Avis juridique n°2003-08/CC sur le Statut de
Rome de la Cour Pénale Internationale adopté le 17 juillet 1998
in Augustin LOADA, Avis et décisions commentés de la
justice constitutionnelle burkinabè de 1960 à nos jours,
CGD, 2009, p. 49.
117 V°. Conseil constitutionnel français,
décision n°71-44/CC du 16 juillet 1971, Liberté
d'association.
17
d'inconstitutionnalité en date du 09 juin
2017118. Ainsi, à l'instar de Dominique CHAGNOLLAUD, nous
pouvons affirmer que le contrôle de la conformité à la
Constitution, soit-il par voie d'action ou par voie d'exception, « ne
s'exerce pas seulement par rapport au seul texte constitutionnel
»119, mais plutôt à tout le « bloc de
constitutionnalité »120 dont le Conseil constitutionnel
se trouve être le garant121. Abdoulaye SOMA qualifie
d'ailleurs le contrôle de constitutionnalité d'un examen des actes
pris sous la juridiction de l'Etat aux normes du bloc de
constitutionnalité122. Maria Nadège SAMBA-VOUKA elle,
définira même le contrôle de constitutionnalité comme
un mécanisme qui permet au juge de vérifier la conformité
de la loi à la Constitution et au bloc de
constitutionnalité123. Ainsi, les normes internationales,
après avoir été au départ exclues124,
font aujourd'hui partie du bloc de constitutionnalité qui est en
perpétuelle extension125.
En somme, la Constitution burkinabè reconnaît la
valeur constitutionnelle de son préambule, lequel énonce son
attachement à un certain nombre de normes et de conventions
internationales formant ainsi le bloc de constitutionnalité. Outre ces
normes de référence, il est tout aussi important de
connaître la nature exacte de la norme pouvant être
contestée sur exception d'inconstitutionnalité.
B. La nature de la norme
contrôlée
Il s'agit pour l'essentiel de la norme pouvant être
attaquée par le mécanisme de l'exception
d'inconstitutionnalité. Le Burkina Faso, dans sa première
consécration de l'exception d'inconstitutionnalité126,
n'avait pas du tout précisé la nature de la norme contre laquelle
ce grief pouvait être opposé. En effet, à la lecture
combinée des articles 25 de la loi organique n°011-2000/AN
précitée et 58 du règlement intérieur du Conseil
constitutionnel, il
118 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
décision n°2017-013/CC du 09 juin 2017 précédemment
citée.
119 Dominique CHAGNOLLAUD, Droit constitutionnel
contemporain, Paris, Dalloz, 2013, 7ème édition,
p. 74.
120 Cette notion désigne, à tort ou à
raison, l'ensemble des règles et principes à valeur
constitutionnelle sur lesquels s'exerce le contrôle de conformité
du juge constitutionnel.
121 Bernard CHANTEBOUT, Droit constitutionnel et science
politique, Paris, Dalloz, 1999, 16ème édition, p.
607.
122 Abdoulaye SOMA, « Modélisation d'un
système de justice constitutionnelle pour une meilleure protection des
droits de l'Homme : trans-constitutionnalisme et droit constitutionnel
comparé », RTDH, 2009, Vol.20, n°78, pp. 437-466.
123 Maria Nadège SAMBA-VOUKA, « La saisine des
juridictions constitutionnelles dans le nouveau constitutionnalisme en Afrique
: les cas du Bénin et du Congo », Op.cit., pp. 54-71.
124 V°. Conseil constitutionnel français, DCC
n°74-54 D.C du 15 janvier 1975.
125 Bachir YELLES CHAOUCHE, Le Conseil constitutionnel en
Algérie, Alger, OPU, 1999, p. 72.
126 Article 25 de la loi organique n°011-2000/AN du 27 avril
2000 sur le Conseil constitutionnel.
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n'y a aucune clarté sur la nature véritable de
la norme contrôlée. Il ressort de ces dispositions que «
Lorsqu'une exception d'inconstitutionnalité est soulevée par un
justiciable devant une juridiction, quelle qu'elle soit, celle-ci est tenue de
surseoir à statuer et de saisir le Conseil constitutionnel qui doit se
prononcer sur la constitutionnalité du texte en litige dans le
délai d'un (1) mois qui court à compter de sa saisine par la
juridiction concernée »127. Ainsi, l'expression
« texte en litige » employée par ces articles peut
être perçue comme un « fourre-tout » pouvant englober
tout texte quelle qu'en soit la nature. Mais, depuis 2012, le champ des actes
soumis au contrôle de constitutionnalité par voie d'exception en
droit burkinabè est particulièrement réduit et
précis. Hans KESLSEN recommandait à ce titre une grande prudence
avant de faire rentrer dans le champ des actes soumis à la justice
constitutionnelle « un acte public »128. Il
fallait, selon lui, veiller à éviter une confusion entre
constitutionnalité et légalité129.
Enclin à cette prudence, le Burkina Faso a
désormais cantonné l'exercice de l'exception
d'inconstitutionnalité uniquement aux dispositions de nature
législative130. Autrement dit, l'exception
d'inconstitutionnalité ne peut être dirigée que contre une
loi. Le Conseil constitutionnel n'est que « juge de la loi
»131. Cela est notable avec l'article 157, alinéa 2 de
la Constitution qui prévoit que « En outre, tout citoyen peut
saisir le juge constitutionnel sur la constitutionnalité des lois
»132. Seule la loi peut donc être attaquée
suivant la voie de l'exception d'inconstitutionnalité au Burkina Faso.
Par ailleurs, les ordonnances peuvent être attaquées en exception
d'inconstitutionnalité. En effet, dans le cadre de la
règlementation constitutionnelle133, les ordonnances donnent
lieu à la production d'actes normatifs équivalant à la
loi134, aussi bien en ce qui concerne leur force active et passive
qu'en ce qui concerne le
127 L'article 25 de la loi organique n°011-2000/AN du 27
avril 2000 portant composition, organisation, fonctionnement, attributions et
procédure suivie devant le Conseil constitutionnel et l'article 58 du
règlement intérieur du Conseil constitutionnel sont
libellés dans les mêmes dispositifs.
128 L'acte public est mis ici pour qualifier tous les actes de
nature règlementaire, c'est-à-dire les actes administratifs au
nombre desquels se trouvent les décrets et les arrêtés.
129 Hans KELSEN, « La garantie juridictionnelle de la
Constitution », RDP, 1928, p. 230.
130 Article 157 al.2 de la loi constitutionnelle
n°033-2012/AN du 11 juin 2012 portant révision de la Constitution
utilise l'expression « disposition législative ».
131 Philippe BLACHER, Le droit constitutionnel, Paris,
Hachette, 2015, 3ème édition, p. 39.
132 Loi constitutionnelle n°072-2015/CNT du 5 novembre 2015
portant révision de la Constitution.
133 Luis-Maria DIEZ-PICAZO, « Actes législatifs du
Gouvernement et rapports entre les pouvoirs : l'expérience espagnole
», RFDC, n°32/1997, pp. 727-744.
134 Livio PALADIN, « Actes législatifs du
gouvernement et rapports entre les pouvoirs : l'expérience italienne
», RFDC, n°32/1997, pp. 693-711.
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régime de leur contrôle135. Ces actes
restent dans le champ d'action du juge constitutionnel136. C'est ce
qui ressort notamment dans la décision du Conseil constitutionnel
burkinabè du 15 mars 2019 sur le recours en inconstitutionnalité
d'une ordonnance137. Dans cette décision, le juge
constitutionnel a certes rejeté la requête du requérant
mais n'a pas exclu la possibilité de formuler une exception
d'inconstitutionnalité contre une ordonnance.
Certes, par principe, la justice constitutionnelle n'est pas
chargée de contrôler la constitutionnalité des actes
administratifs138, car l'inverse aboutirait à la
dénaturation des droits des contentieux constitutionnel et
administratif139. Cependant, la justice constitutionnelle,
étant en dehors des pouvoirs étatiques traditionnellement connus,
doit pouvoir assurer le respect de la Constitution dans tous les domaines. Quoi
qu'il en soit, au Burkina Faso, l'article 152 de la Constitution a clairement
limité le domaine de compétence de la juridiction
constitutionnelle en disposant que « Le Conseil constitutionnel est
l'institution compétente en matière constitutionnelle et
électorale. Il est chargé de statuer sur la
constitutionnalité des lois, des ordonnances ainsi que la
conformité des traités et accords internationaux avec la
Constitution »140. Dès lors, le contrôle des actes
administratifs est exclu de ses compétences. Tout de même, le
constituant burkinabè aurait pu accorder ce pouvoir au Conseil
constitutionnel, car, qui d'autre qu'un juge constitutionnel pour dire le droit
constitutionnel ? Encore faut-il que le contrôle de
constitutionnalité par voie d'exception soit véritablement
opérant au Burkina Faso.
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