CHAPITRE I : UNE CONSECRATION INSUFFISANTE DE
L'EXCEPTION D'INCONSTITUTIONNALITE
La consécration de l'exception
d'inconstitutionnalité fait naître une nouvelle ère, celle
de la reconnaissance d'un droit d'accès du citoyen au prétoire du
juge constitutionnel70. Au Burkina Faso, force est de constater que
l'exception d'inconstitutionnalité a une valeur constitutionnelle
(Section I). Toutefois, il y a lieu de remarquer que
malgré sa consécration expresse, l'exception
d'inconstitutionnalité peine à être effective, car ayant
longtemps été un mécanisme inopérant en droit
burkinabè (Section II).
Section I : Un fondement constitutionnel de
l'exception d'inconstitutionnalité
L'exception d'inconstitutionnalité au Burkina Faso fait
l'objet d'une reconnaissance et d'une garantie constitutionnelle71.
Cependant, cela n'a pas toujours été le cas. En effet, cette
constitutionnalisation de l'exception d'inconstitutionnalité a
été relativement tardive (§1). Par
ailleurs, il faut noter que l'exception d'inconstitutionnalité est
dotée d'un référentiel normatif assez fourni en droit
burkinabè (§2).
§1 : Une consécration constitutionnelle
tardive
Le caractère tardif de la consécration est
relatif au fait que l'exception d'inconstitutionnalité n'a d'abord
longtemps été prévue que par une loi organique (A)
avant de faire ensuite l'objet d'une consécration
constitutionnelle expresse (B).
70 Marilisa D'AMICO, « Juge constitutionnel,
juge du fond et justiciables dans l'évolution de la Justice
constitutionnelle italienne », Op.cit., pp. 79-96.
71 Article 157 al.2 de la Constitution
burkinabè du 02 juin 1991.
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A. Un mécanisme longtemps prévu par la seule
loi organique
Longtemps réservée à des
requérants privilégiés72 ou
politiques73, la saisine du juge constitutionnel pour le
contrôle de la constitutionnalité des lois connaîtra un
tournant décisif avec le vent démocratique qui souffla sur les
Etats africains dans les années 199074. Pour
déclencher le contrôle de constitutionnalité de la loi,
« la solution la plus démocratique consiste à ouvrir au
maximum cette compétence en la remettant à tout citoyen »
disait Philippe ARDANT75. Véritable sentinelle
démocratique76, l'exception d'inconstitutionnalité a
pu ouvrir la voie à la compétence citoyenne pour le
déclenchement d'un contrôle de constitutionnalité des lois.
Ainsi, le Burkina Faso, attaché aux valeurs et aux idéaux
démocratiques, a institué le mécanisme de l'exception
d'inconstitutionnalité. Cette dernière a été
affirmée pour la toute première fois dans la loi organique
n°011-2000/AN du 27 avril 2000 portant composition, attributions,
organisation, fonctionnement et la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel77. Cette loi à son article 25 dispose que
« Lorsqu'une exception d'inconstitutionnalité est
soulevée par un justiciable devant une juridiction, quelle qu'elle soit,
celle-ci est tenue de surseoir à statuer et de saisir le Conseil
constitutionnel qui doit se prononcer sur la constitutionnalité du texte
en litige dans le délai d'un mois qui court à compter de sa
saisine par la juridiction concernée ». Une disposition
manifestement inconstitutionnelle, car selon Augustin LOADA et Luc Marius
IBRIGA, « une lecture de la Constitution autorise à dire que le
constituant originaire n'entendait accorder aucun droit de saisine aux
citoyens, ni directement, ni indirectement. Il y a là une
révision de la Constitution qui ne dit pas son nom »78.
Il est de ce fait étonnant que cette disposition ait pu passer le test
de constitutionnalité79. Pour
72 L'article 157 al.1 de la Constitution
burkinabè prévoit que le Conseil constitutionnel peut être
saisi par le Président du Faso ; le Premier ministre ; le
Président de l'Assemblée Nationale ; un dixième (1/10) au
moins des membres de l'Assemblée Nationale.
73 Jean-Paul VALETTE, Droit constitutionnel,
Paris, l'Harmattan, 2013, p. 60.
74 Oumarou NAREY (dir.), La justice
constitutionnelle, Paris, l'Harmattan, 2016, p. 146.
75 Philippe ARDANT et Mathieu BERTRAND,
Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 2013,
25ème édition, p. 94.
76 Julien BONNET et Pierre-Yves GAHDOUN, La
question prioritaire de constitutionnalité, Paris, PUF, 2014, p.
38.
77 Loi organique n°011-2000/AN du 27 avril
2000 portant composition, attributions, organisation, fonctionnement et
procédure applicable devant le Conseil constitutionnel modifiée
par la loi organique n°034-2000/AN du 13 décembre 2000.
78 Augustin LOADA et Luc Marius IBRIGA, Droit
constitutionnel et institutions politiques, Ouagadougou, coll.
Précis de droit burkinabè, PADEG, 2007, p. 422.
79 V°. Chambre constitutionnelle de la Cour
suprême, décision n°02-2000/CS/CC du 31 août 2000 sur
la Constitutionnalité de la loi organique n°011-2000/AN du 27 avril
2000 relative au Conseil constitutionnel.
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Relwendé Louis Martial ZONGO, il s'agit là d'une
« anomalie » juridique80. Quoi qu'il en soit, la
toute première mise en oeuvre de l'exception
d'inconstitutionnalité est intervenue sur la base de cette loi. Il
s'agit de l'affaire de la Société Etudes et Réalisation
des Ouvrages Hydrauliques jugée par le Conseil constitutionnel dite
décision EROH81. Avec cette loi, le Burkina Faso a
jeté les bases de l'exception d'inconstitutionnalité dans son
ordre juridique.
Cette consécration de l'exception
d'inconstitutionnalité au Burkina Faso est tant originale que salutaire
d'autant plus qu'en France, la possibilité pour le citoyen de contester
la constitutionnalité d'une loi n'a été admise qu'avec la
révision constitutionnelle de 200882, soit huit (8) ans
après le Burkina Faso. Par ailleurs, contrairement au Burkina Faso,
plutôt que de retenir l'appellation exception
d'inconstitutionnalité, la France a baptisé ce
mécanisme Question Prioritaire de Constitutionnalité
(QPC)83. Ainsi, l'article 61-1 de la Constitution française
dispose « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant
une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte
atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil
constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil
d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai
déterminé ».
Il est vrai que la France a innové le mécanisme
avec une qualification originale de QPC. Mais, il n'en demeure pas moins qu'il
s'agit d'une procédure instaurant un contrôle de
constitutionnalité sur les lois déjà promulguées et
sur initiative des citoyens-justiciables au même titre que l'exception
d'inconstitutionnalité prévue en droit
burkinabè84. D'ailleurs, en Afrique de l'Ouest, cette
possibilité avait déjà été offerte par le
constituant sénégalais à ses citoyens depuis
199285. De ce point de vue, nous sommes bien loin du «
mimétisme global »86 destiné à permettre aux pays
africains de se conformer87 au système français. Pour
une fois, le mimétisme juridique semble avoir pris un sens inverse.
Toutefois, force est de constater que la
80 Relwendé Louis Martial ZONGO, «
L'accès de l'individu au juge constitutionnel burkinabè »,
Revue Burkinabè de Droit, n°59-1er semestre,
2020, pp. 139-164.
81 V°. Conseil constitutionnel
burkinabè, DCC n°2007-04/CC du 29 août 2007 sur l'exception
d'inconstitutionnalité de la société EROH.
82 Loi constitutionnelle n°2008-724/AN de
modernisation des institutions de la Vème République
adoptée le 9 juillet 2008 et promulguée le 23 juillet 2008 en
France.
83 Loi Organique n°2009-1523 du 10
décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la
Constitution.
84 Il faut tout de même préciser que
cela ne suffit pas pour parler d'une exception d'inconstitutionnalité
proprement dite pour des raisons que nous aurons à développer
dans le chapitre suivant de ce même titre.
85 Loi n°92-22 du 30 mai 1992 portant
révision de la Constitution au Sénégal.
86 Sama W. Jacob Marie-CONSTANTIN, La
protection des droits fondamentaux par le juge constitutionnel,
Mémoire de recherche pour l'obtention d'un Master 2 en droit public
fondamental, UO2, 2012, p. 5.
87 Kader HAMIDOU GARBA, La protection des
droits fondamentaux par le juge constitutionnel : cas du Burkina Faso et du
Niger, Mémoire de recherche pour l'obtention d'un Master 2 en droit
public fondamental, UO2, 2019, p. 6.
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consécration de l'exception
d'inconstitutionnalité au Burkina Faso a longtemps reposé sur
cette loi organique n°011-2000/AN du 27 avril 200088.
Même si une telle consécration est admirable, nous lui
préférerions une consécration constitutionnelle
formelle.
B. Une récente constitutionnalisation
expresse du mécanisme
Dans l'ensemble des Etats d'Afrique francophone, les
constituants ont opéré une consécration constitutionnelle
stimulante du contrôle par la voie d'exception89, corrigeant
ainsi les faiblesses de la justice constitutionnelle90. Tout
particulièrement, le Burkina Faso a bien assez tôt réussi
à prévoir la possibilité d'un contrôle de
constitutionnalité des lois après leur promulgation. Cela
notamment depuis la loi organique n°011-2000/AN du 27 avril
200091. Mais selon nous, au regard de l'importance de ce
mécanisme, il aurait mieux fallu lui donner une importance plus notoire
notamment en le consacrant dans la Loi Fondamentale. En réalité
l'exception d'inconstitutionnalité bénéficierait
d'un caractère sacré si elle avait été
prévue par la Constitution. D'ailleurs, Delphine Emmanuel ADOUKI ne
disait-elle pas que c'est la garantie constitutionnelle qui permet aux
juridictions constitutionnelles de faire preuve de plus d'audace ?92
En effet, dans la mesure où c'est la Constitution elle-même qui
est mise en litige93, l'exception d'inconstitutionnalité doit
être prévue par cette même Constitution.
Certes, il convient de rappeler que les articles 3 de la
Constitution de la IIème République et 5 de la
Constitution de la IIIème République au Burkina Faso
disposaient : « (...) toute loi, tout acte contraire à ses
dispositions sont nuls et non avenus. En conséquence, tout citoyen a le
droit de se pourvoir devant la Cour suprême contre les lois et actes
inconstitutionnels »94. Cependant, la Constitution de la
IVème République a pour sa part restreint
l'étendue de la saisine du juge constitutionnel en la réservant
aux seuls politiques. Il a fallu attendre la révision constitutionnelle
de 201295, soit douze (12) ans après la loi organique, pour
que ce mécanisme soit inscrit dans le texte de la Constitution
burkinabè. Cette dernière, après la révision de
2012,
88 Article 25 de la loi organique n°011-2000/AN
du 27 avril 2000 relative au Conseil constitutionnel.
89 Oumarou NAREY, La justice constitutionnelle,
Paris, l'Harmattan, 2016, p. 152.
90 Eric NGANGO YOUMBI, La justice
constitutionnelle au Bénin, Paris, l'Harmattan, 2016, p. 347.
91 Loi Organique n°011-2000/AN du 27 avril
2000 portant composition, attributions, organisation, fonctionnement et
procédure applicable devant le Conseil constitutionnel.
92 Delphine Emmanuel ADOUKI, « Contribution
à l'étude des décisions du juge constitutionnel en Afrique
», Revue Française de Droit International,
n°95-2013/3, pp. 611-638.
93 Denis BARABGER, Le droit constitutionnel,
Paris, PUF, 2013, 6ème édition, p. 25.
94 Augustin LOADA et Luc Marius IBRIGA, Droit
constitutionnel et institutions politiques, Op.cit., p. 420.
95 Loi constitutionnelle n°033-2012/AN du 11 juin
2012.
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prévoyait, quoique non expressément, à
son article 157 alinéa 2, l'exception d'inconstitutionnalité. Cet
article est libellé ainsi qu'il suit : « Si, à
l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu
qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et
libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut
être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour
de cassation. Le Conseil constitutionnel se prononce dans un délai
déterminé par la loi ». Ce même article 157
alinéa 2 fut reconduit avec le même dispositif dans la
Constitution révisée en 201396. Le constituant
burkinabè reprenait ainsi quasi in extenso, la formulation
française97 si bien que l'on serait tenté d'affirmer
que le Burkina Faso venait également de consacrer la QPC
française. Mais en réalité, il n'en est rien. En effet, la
loi organique n°011-2000/AN précitée maintient toujours
l'expression exception d'inconstitutionnalité. C'est avec la
révision constitutionnelle récente de 201598 que la
Constitution burkinabè va consacrer expressément l'exception
d'inconstitutionnalité. En effet, cette Constitution prévoit :
« En outre, tout citoyen peut saisir le Conseil constitutionnel sur la
constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la
procédure de l'exception d'inconstitutionnalité invoquée
dans une affaire qui le concerne devant une juridiction. Celle-ci doit surseoir
jusqu'à la décision du Conseil constitutionnel qui doit
intervenir dans un délai maximum de trente jours à compter de sa
saisine »99. Avec cette affirmation expresse du
mécanisme dans le texte de la Constitution, l'exception
d'inconstitutionnalité est sacralisée au Burkina
Faso100. Dès lors, le constitutionnalisme ne peut que se
réjouir « lorsque le prétoire de la justice
constitutionnelle n'est plus réservé aux seuls gouvernants,
lorsqu'il ouvre ses portes aux citoyens »101, disait Francis
DELPERE.
A ce titre, la justice constitutionnelle, à travers ce
mécanisme de l'exception d'inconstitutionnalité, devient
l'épine dorsale de l'organisation étatique102
burkinabè. Pour mettre en oeuvre l'exception
d'inconstitutionnalité, le juge constitutionnel burkinabè dispose
d'un référentiel normatif assez conséquent.
96 Loi constitutionnelle n°035-2013/AN du 12
novembre 2013.
97 Agnero Privat MEL, « La saisine du juge
constitutionnel en Afrique francophone », RBD,
n°52-1er semestre/2017, pp. 104-144.
98 Loi constitutionnelle n°072-2015/CNT du 5
novembre 2015.
99 Article 157 al.2 de la Constitution
burkinabè du 2 juin 1991 révisée par la loi de
révision constitutionnelle n°072-2015/CNT.
100 Le caractère sacré du mécanisme
repose sur le simple fait qu'il est prévu par la loi fondamentale qu'est
la Constitution.
101 Francis DELPERE, Le recours des particuliers devant le
juge constitutionnel, Paris, Economica, 1991, p. 18.
102 Fatima DIALLO, Le juge constitutionnel dans la
construction de l'Etat de droit au Sénégal, Mémoire
de DEA soutenu à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis, 2007,
p. 35.
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§2 : Les référentiels normatifs de
l'exception d'inconstitutionnalité
L'exception d'inconstitutionnalité, comme n'importe
quel autre moyen d'ailleurs, doit se référer à un certain
nombre de normes. Ainsi, il convient de distinguer les normes de contrôle
ou normes de référence103 (A) et les
normes contrôlées (B).
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