A. Un mécanisme assurant la
supériorité de la Constitution
En consacrant l'exception d'inconstitutionnalité, la
Constitution burkinabè « crée une arme contre la
déviation des parlementaires »429. En effet, la loi
n'est plus l'arche sainte qu'elle était430. Pour le doyen
HAURIOU, le pouvoir législatif reste le dernier pouvoir dangereux
pour
428 Laurent ECK, L'abus de droit en droit constitutionnel,
Paris, l'Harmattan, 2010, p. 71.
429 Frédéric ROUVILLOIS, « Michel Debré
et le contrôle de constitutionnalité », RFDC,
n°46-2001, pp. 227-235.
430 Jean GICQUEL et Jean-Eric GICQUEL, Droit constitutionnel
et institutions politiques, Op.cit., p. 209.
62
les libertés431. Ce qui constitue un
renversement du « mythe Rousseauiste »432 selon lequel
« la loi ne peut mal faire »433. Selon Jean RIVERO, cela
conduit irrésistiblement au passage d'une « protection de la
liberté par la loi » à une « protection des
libertés contre la loi »434. C'est dans ce cadre que la
constitutionnalité a remplacé la légalité dans sa
fonction de véhicule des valeurs essentielles435. Le principe
de constitutionnalité surclasse de ce fait celui de
légalité. Par voie de conséquence, la Constitution est
supérieure à la loi et à toute autre règle de droit
dans l'ordre interne. Désormais, la loi « n'est plus un tout mais
une part du droit »436. Alors, si dans un système
juridique la Constitution est la norme suprême, une loi contraire
à la constitution n'est pas du droit437. Le cas
échéant, la loi ne sera pas non plus l'expression de la
volonté générale, absolument pas. D'ailleurs, le Conseil
constitutionnel français a eu à affirmer dès 1985 que
« La loi votée n'exprime la volonté générale
que dans le respect de la Constitution »438. Pour assurer ce
respect, il fallait mettre en place un contrôle de
constitutionnalité. Ce qui fut effectivement fait au Burkina
Faso439.
Il ressort du manuel de Jean BOUDON que « Le
contrôle de constitutionnalité établit une césure
radicale entre la Constitution et tous les autres actes juridiques (...). Le
contrôle de constitutionnalité a donc pour premier objectif de
protéger la Constitution contre toutes les normes juridiques fatalement
inférieures »440. Dès lors, la Constitution
étant supérieure à toute autre règle de droit
étatique441, le contrôle de constitutionnalité
demeure la sanction juridique du non-respect de cette norme
suprême442. Ainsi, en plus de la protection des droits de
l'Homme, le but de la justice constitutionnelle est de défendre les
principes de la suprématie de
431 Hauriou cité par Jean GICQUEL et Jean-Eric GICQUEL,
Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, LGDJ, 2015,
29ème édition, p. 227.
432 Mahamadou Mounirou SY, La protection constitutionnelle
des droits fondamentaux en Afrique, Paris, l'Harmattan, 2007, p. 463.
433 Ibidem.
434 Jean RIVERO cité par Marie-Claire PONTHOREAU,
Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), Op.cit., p. 370.
435 Louis FAVOREU cité par Bertrand de LAMY, « Les
principes constitutionnels dans la jurisprudence judiciaire. Le juge
judiciaire, juge constitutionnel ? », RDP, n°3-2002, pp.
780-820.
436 Marie-Claire PONTHOREAU, « Réflexions sur le
pouvoir normatif du juge constitutionnel en Europe continentale sur la base des
cas allemand et italien », Cahiers du Conseil Constitutionnel,
n°24/2008, 8 p.
437 Michel TROPER, « Marshall, Kelsen, Barak et le
sophisme constitutionnaliste », in E. ZOLLER (dir.), Marbury
v. Madison : 1803-2003. Un dialogue franco-américain, Paris,
Dalloz, 2003, pp. 215-228.
438 V°. Conseil constitutionnel français,
Décision n°85-197 DC du 23 août 1985.
439 Articles 152 al.1, 155 et 157 de la Constitution du 02 juin
1991.
440 Julien Boudon, Manuel de droit constitutionnel,
Op.cit., p. 99.
441 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, Droit
constitutionnel, Op.cit., p. 73.
442 Michel VERPEAUX, La Constitution, Paris, Dalloz,
2008, p. 68.
63
la constitution443. De ce point de vue, le
contrôle de constitutionnalité prend un caractère objectif.
Or, l'exception d'inconstitutionnalité est une approche exceptionnelle
qui permet d'assurer le contrôle de la Constitution444. Ce
mécanisme permet « « une protection circonstanciée
» de la Constitution »445. Dès lors, le
caractère objectif du contentieux constitutionnel est valable tant pour
le recours direct446 que pour le recours indirect qu'est l'exception
d'inconstitutionnalité447. A ce titre, Thierry SANTOLINI
écrivait que « Le contentieux de constitutionnalité
possède à la fois des implications subjectives et objectives
»448. De sorte que « le procès constitutionnel
apparaît comme le lieu d'une protection médiatisée de la
Constitution où les préoccupations individualistes des parties se
trouvent mêlées à la défense du bien commun.
Naturellement, les premiers concernés par cette dualité sont les
particuliers. Leur action est d'abord destinée à protéger
des intérêts personnels, mais elle offre également, au juge
constitutionnel, l'occasion d'assurer la défense objective de
l'ordonnancement »449. De ce fait, l'action des particuliers se
trouve, en quelque sorte, captée par l'effet attractif de
l'intérêt général450 qu'est de garantir
la supériorité de la Constitution451. Pour asseoir
définitivement cette supériorité de la Constitution dans
l'ordre interne, l'exception d'inconstitutionnalité s'avère
être la voie la plus rapide452. Dans un tel schéma, la
mission du juge constitutionnel « va apparaître comme étant
fondamentalement objective, dans la mesure où elle va s'exercer dans
l'intérêt du droit »453.
En tout état de cause, l'exception
d'inconstitutionnalité se préoccupe, en quelque sorte, de
garantir le respect de la hiérarchie des normes. Cette hiérarchie
des normes « est une donnée
443 Arslan ZÜHTÜ, « L'accès de
particuliers à la justice constitutionnelle en Turquie »,
Communication lors du 2ème séminaire international de la
Conférence des Juridictions Constitutionnelles Africaines tenue à
Alger du 24 au 27 novembre 2017.
444 Ibrahim David SALAMI, « Exception
d'inconstitutionnalité et principe d'égalité au
Bénin et au Congo », RBD, n°51-2ème
semestre, 2016, pp. 9-41.
445 Ibidem.
446 Célestin Keutcha TCHAPNGA, « Le juge
constitutionnel, juge administratif au Bénin et au Gabon ? »,
RFDC, n°75-2008/3, pp. 551-583.
447 Ibidem.
448 Thierry SANTOLINI, « Les parties dans le
procès constitutionnel en droit comparé », Cahiers du
Conseil Constitutionnel, n°25/2008, 10 p.
449 Ibidem.
450 Ibidem.
451 Michel VERPEAUX, « Le contrôle de la loi par la
voie d'exception dans les propositions parlementaires sous la IIIème
République », RFDC, n°4-1990, pp. 688-698.
452 Valérie BERNAUD et Marthe Fatin-Rouge STEFANINI,
« La réforme du contrôle de constitutionnalité une
nouvelle fois en question ? », RFDC, n°2/2008, pp.
169-199.
453 Mame Ndiaga WADE, Accès au juge constitutionnel
et constitutionnalisation du droit, Thèse de Doctorat en droit
public soutenue à l'Université d'Aix-Marseille, le 18
décembre 2015, p. 48.
64
objective »454. Au Burkina Faso comme dans
tout système francophone de justice constitutionnelle, l'exception
d'inconstitutionnalité se présente comme un « renouveau
»455 de la Constitution. Avec ce « renouveau », la
Constitution prend la figure du phénix456 qui renaît de
ses cendres. Ainsi, grâce à l'exception
d'inconstitutionnalité457, « sa majesté
»458 la Constitution retrouve sa couronne. Celle-ci lui
permettrait de pénétrer toutes les branches du droit.
B. Un mécanisme facilitant la
constitutionnalisation des branches du droit
Le contrôle de constitutionnalité permet de
vérifier la conformité des textes infra constitutionnels
à la norme fondamentale. Il peut s'opérer soit par voie
d'action459, soit par voie d'exception460. Dans la mesure
où, ce contrôle de constitutionnalité peut être
provoqué par toute personne partie à un
procès461 quel que soit le litige, la Constitution devient le
ciment, ou dira-t-on le fondement de tout le système juridique de
l'Etat. Cela s'explique par le fait qu'elle « informe,
pénètre et saisit l'ensemble des branches du droit
»462. Ainsi se dévoile un autre côté
objectif de l'exception d'inconstitutionnalité en ce qu'elle facilite la
constitutionnalisation463 des branches du droit. En effet, cette
constitutionnalisation des branches du droit ne peut que se percevoir de
manière objective. Il s'agit là d'un regain
d'intérêt du droit constitutionnel. Le pan du contentieux est en
train de prendre le dessus sur le pan institutionnel du droit de la
Constitution. Cette dernière devient la référence dans
l'ordre juridique étatique. C'est donc grâce à l'exception
d'inconstitutionnalité que le droit constitutionnel s'offre une
bouffée d'oxygène et retrouve son souffle de vie. En effet, pour
Louis FAVOREU, si le droit constitutionnel doit « investir » toutes
les branches du droit, l'exception d'inconstitutionnalité
454 Michel TROPER et Dominique CHAGNOLLAUD, Traité
international de droit constitutionnel. Tome 1. Théorie de la
Constitution, Paris, Dalloz, 2012, p. 744 et Ss.
455 Francis DELPERE, « Le renouveau du droit constitutionnel
», RFDC, n°74-2008/2, pp. 227-237.
456 Ibidem.
457 Christian STARCK, La Constitution, cadre et mesure du
droit, Paris, Economica, 1994, p. 25.
458 Adama KPODAR cité par Karim DOSSO, « Les
pratiques constitutionnelles dans les pays d'Afrique noire francophone :
cohérences et incohérences », RFDC,
n°92-2012/2, pp. 57-85.
459 Article 155 de la Constitution burkinabè du 02 juin
1991.
460 Article 157 al.2 de la Constitution burkinabè du 02
juin 1991.
461 Ibidem.
462 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel,
Paris, Montchrestien, 2006, 7ème édition, p.
455.
463 La constitutionnalisation du droit est le processus qui,
par le moyen du principe de constitutionnalité, concourt à
assurer l'unité du droit ou de l'ordre juridique en donnant un socle
commun à l'ensemble des branches du droit.
65
serait la meilleure manière d'y parvenir464.
Cela est une aubaine pour le droit constitutionnel notamment celui
burkinabè dans la mesure où cette constitutionnalisation est,
pour le Conseil constitutionnel, l'occasion d'harmoniser les
actes465 et/ou les normes du droit positif burkinabè. Telle
qu'elle a été conçue, l'exception
d'inconstitutionnalité permet d'assurer la cohérence du
système normatif466 afin de parvenir à une unification
de l'ordre juridique467. Par ce mécanisme, le juge
constitutionnel procède à « l'expurgation...des normes
pathogènes et à l'anéantissement des normes viciées
»468.
Au Burkina Faso, l'exception d'inconstitutionnalité a
déjà eu à concerner un certain nombre de domaines et de
branches du droit. Il en est ainsi du droit de la fonction
publique469, du domaine de la magistrature470, du droit
civil471 ou encore du droit pénal472. Dans ce
dernier cas, le juge constitutionnel burkinabè, en déclarant
l'inconstitutionnalité de l'article 497-3° du code de
procédure pénale, a entendu, contrairement à son homologue
français473, reconnaître un droit d'appel à la
partie civile dans un procès pénal. Selon le raisonnement du
Conseil constitutionnel burkinabè, la non-reconnaissance de ce droit
à la partie civile constitue une violation du principe
d'égalité d'accès au juge. Même si la doctrine
burkinabè critique cette décision en y voyant notamment «
une admission en clair-obscur du droit d'appel de la partie civile
»474, nous nous contenterons du constat qu'il y a là
« un accroissement du poids des normes constitutionnelles en raison de
leur incidence directe sur diverses catégories de relations
464 Louis FAVOREU, « L'exception
d'inconstitutionnalité est-elle indispensable en France ? »,
Op.cit., pp. 11-22.
465 Marie-Pauline DESWARTE, « Droit sociaux et Etat de droit
», RDP, n°4-1995, pp. 951-986.
466 Elena-Simina TANASESCU, « L'exception
d'inconstitutionnalité qui ne dit pas son nom ou la nouvelle
sémantique constitutionnelle roumaine », RIDC, Vol.65,
n°4/2013, pp. 905-939.
467 Guillaume DRAGO, Contentieux constitutionnel
français, Op.cit., p. 61.
468 Joseph DJOGBENOU, « Les parties dans le procès
constitutionnel », extrait du cours de Théorie
générale du procès, Université d'Abomey
Calavi, Master 2 Droit privé fondamental et droit des institutions
judiciaires, 20192020, pp. 29-43.
469 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
décision n°2019-001/CC du 12 février 2019 sur l'exception
d'inconstitutionnalité de l'article 166 de la loi portant statut
général de la fonction publique.
470 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
décision n°2018-007/CC du 20 mars 2018 sur l'exception
d'inconstitutionnalité de la loi portant statut de la magistrature.
471 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
décision n°2007-04/CC du 29 août 2007 sur l'exception
d'inconstitutionnalité de la société EROH.
472 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
décision n°2016-08/CC du 12 juillet 2016 sur l'exception
d'inconstitutionnalité de l'article 497°3 du code de
procédure pénale.
473 V°. Conseil constitutionnel français,
décision n°2013-363 QPC du 31 janvier 2014 sur la
constitutionnalité de l'article 497 du code pénal
français.
474 Séni Mahamadou OUEDRAOGO, « L'admission en
clair-obscur du droit d'appel de la partie civile en matière
pénale : à propos de la décision n°2016-08/CC sur
l'exception d'inconstitutionnalité de l'article 497-3° du code de
procédure pénale », RBD, n°52-1er
semestre/2017, pp. 245-255.
66
juridiques »475. La machine est ainsi
lancée pour qu'il se produise une constitutionnalisation des branches du
droit burkinabè. Ou pour le dire autrement en reprenant les termes de
Dominique ROUSSEAU, « le droit privé et le droit public sont
aujourd'hui « branchés » sur les principes
énoncés dans la Constitution »476. Comme l'a si
bien détaillé Georges VEDEL, « Le droit constitutionnel est
formé...par des « têtes de chapitres » qui se prolongent
dans les autres branches du droit... »477.
Par ailleurs, on assiste à l'effacement des
frontières entre les branches du droit, le droit constitutionnel servant
de fil conducteur reliant les unes aux autres. En effet, pour Louis FAVOREU,
« la jurisprudence constitutionnelle est en train de remettre en cause la
distinction classique entre droit public et droit privé, en imposant
comme soubassement commun à toutes les branches du droit, un droit
constitutionnel qui retrouve ses fonctions originelles de droit fondamental
»478. Les différentes branches du droit voient se
dessiner leurs dimensions constitutionnelles479, car selon Bernard
CUBERTAFOND, le droit constitutionnel est devenu englobant480.
Toutefois, cela semble tout à fait dérisoire au
Burkina Faso dans la mesure où le recours en exception
d'inconstitutionnalité n'est toujours pas encore une pratique vraiment
rependue. La constitutionnalisation véritable des branches du droit au
Burkina Faso devra alors encore attendre. Quoi qu'il en soit, il s'avère
qu'en perspective, l'exception d'inconstitutionnalité soit
potentiellement un puissant moyen pour la constitutionnalisation du droit au
Burkina Faso. En effet, ce mécanisme permettra de purger le
système juridique de ses normes inconstitutionnelles et d'assurer, par
la même occasion, la suprématie de la Constitution. C'est
justement en cela que l'exception d'inconstitutionnalité présente
un caractère objectif. Toutefois, cet élément n'est pas le
seul à pouvoir plébisciter le caractère objectif de
l'exception d'inconstitutionnalité. En poussant un peu loin la
réflexion, nous remarquerons que l'exception
d'inconstitutionnalité peut également servir à asseoir une
bonne démocratie au Burkina Faso.
475 Antoine JEAMMAUD et Antoine LYON-CAEN, «
Suprématie de la Constitution et droit social » in Michel
TROPER et Dominique CHAGNOLLAUD, Traité international de droit
constitutionnel. Tome 3. Suprématie de la Constitution, Paris,
Dalloz, 2012, p. 665.
476 Dominique ROUSSEAU, La Question Prioritaire de
Constitutionnalité, Op.cit., p. 3.
477 Georges VEDEL, Manuel élémentaire de droit
constitutionnel, Paris, Dalloz, 2002, p. 6.
478 Louis FAVOREU, « La justice constitutionnelle en
France », Les Cahiers de Droit, Vol.26, n°2/1985, pp.
301337.
479 Ibidem.
480 Bernard CUBERTAFOND, Le nouveau droit constitutionnel,
Op.cit., p. 20.
67
§2 : Un mécanisme revalorisant le principe
démocratique
La revalorisation de la démocratie au Burkina Faso
à travers le mécanisme de l'exception
d'inconstitutionnalité peut s'analyser sur deux points. Le premier
consiste à constater que, d'une certaine manière, l'exception
d'inconstitutionnalité est une voie pour la participation du peuple au
pouvoir (A). Le second consiste à observer
l'avènement de ce qu'il convient d'appeler démocratie
constitutionnelle (B).
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