C. Les représentations sociales,
lien entre pensée et pratique sociales
Comme développé dans les parties
précédentes, les représentations sociales sont une forme
de pensée sociale, caractérisée par le savoir de sens
commun, ayant une visée pratique. Selon l'approche
socio-génétique, ces deux éléments, la connaissance
sociale et la pratique, sont les deux faces d'une même pièce qu'il
convient ici d'approfondir.
D'une part, l'objet de la théorie des
représentations sociales -voire de la psychologie sociale (Moscovici,
2001), est le sens commun. Il s'agit de savoir comment la science, en
pénétrant la société, se transforme en connaissance
ordinaire, en sens commun. Ce dernier s'oppose au savoir scientifique, et
revêt une assise sociale et culturelle ; en ce sens, elle fait
consensus au sein d'un groupe, elle est collective et partagée.
Dirigé vers la maîtrise de l'environnement et
caractérisé par l'oralité, il précède la
science et l'éducation pour former ce que Moscovici appelle les
« protosciences populaires » (Moscovici, 2001,
p.25). La communication et la diffusion de la science peuvent contribuer au
développement de la science en la transformant en un nouveau sens
commun, qu'il nomme post-sciences populaires. Cette considération pour
le savoir populaire n'est pas sans rappeler une évolution des paradigmes
en santé ; depuis les années 1970, l'approche paternaliste
des sciences médicales s'est effacée suite aux insuffisances du
modèle biomédical et aux mobilisations des associations de
malades, conférant une nouvelle place aux patient·e·s et le
développement de la démocratie sanitaire. L'attention
est désormais portée sur les savoirs et connaissances, non pas
vers les producteurs·ices de la science, mais vers ses
utilisateurs·ices. Comme le modèle des représentations
sociales, cette vision rompt avec une approche asymétrique et
hiérarchique de la transmission du savoir, outil de pouvoir.
D'autre part, les représentations sont des guides pour
l'action, elles orientent les pratiques. Abric, qui s'est notamment
attaché à les étudier, en propose la définition
suivante ; « elles sont des systèmes d'action
socialement structurés et institués en relation avec des
rôles » (1994, p.263). En 1971, il en propose une
illustration à travers une situation expérimentale. Deux
tâches sont proposées à des groupes d'individus, soit de
résolution de problème, soit de créativité. En
fonction de la présentation de la tâche à réaliser,
congruente ou non, les performances ne sont pas les mêmes, ce qui montre
ainsi que les représentations influent sur les comportements sociaux. En
fait, les représentations et les pratiques entretiennent une relation
dialectique, et l'analyse de toute pratique sociale nécessite la prise
en compte du contexte socioculturel et matériel dans lequel elle se
développe, ainsi que son mode d'appropriation par l'individu ou le
groupe concerné. De plus, pour qu'elle continue d'exister et qu'elle se
maintienne, une pratique doit nécessairement s'inscrire et
s'intégrer dans un cadre de pensées préexistant, un
« système de valeurs, de croyances et de
normes » (Abric, 1994, p. 288).
En définitive, la théorie des
représentations socialespropose une approche contextuelle,
compréhensive et phénoménologique des comportements et
pratiques sanitaires, eten tant que concept, une double fonction de perception
et de guide d'action ; en ce sens, elle se présente comme cadre
théorique pertinent pour l'analyse des phénomènes de
santé. Une dernière partie sera alors consacrée à
la présentation d'un phénomène sanitaire et de son
contexte sociopolitique, l'auto-gynécologie.
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