3. Rapports au soin
Le rapport au soin nous renseigne quant aux pratiques et
expériences de soins de l'individu, ainsi que sur son rapport à
la santé et à la maladie. Les pratiques et les
représentations des soins sont très variées selon les
participantes, qu'il s'agisse du recours à l'homéopathie,
à la gemmothérapie, à une médicamentation chimique,
aux antibiotiques ou à la phytothérapie. Malgré ces
variations dans les pratiques, on retrouve des perceptions communes avec une
valorisation des traitements naturels en théorie, mais un recours aux
traitements médicamenteux lorsque le problème rencontré
est « urgent », « grave »,
« douloureux », ou lorsqu'on ne peut « pas faire
autrement ». Pour la sphère gynécologique, le soin est
particulièrement tourné vers la promotion de la santé,
avec de l'auto-observation et surtout la capacité de
s'auto-diagnostiquer. Cela représente du
« self-care » (Charlotte), de la
« sérénité » (Magali), ou de
manière plus générale, une
« réappropriation de sa santé » (Florence).
On retrouve un schéma typique de soin
gynécologique autour de l'auto-observation (visuelle ou
tactile, régulière ou ponctuelle), l'auto-diagnostic (via des
échanges entre profanes ou par reproduction d'un diagnostic
déjà rencontré), et l'auto-soin (huiles essentielles,
huiles végétales, yaourt, vinaigre, ail, plantes...).
Le discours des participantes sur le recours aux soins est en
fait tourné autour du pouvoir que permet le savoir sur
sa santé. Il s'agit de savoir, de comprendre, pour avoir le choix sur la
manière d'envisager le soin, et ne pas se « donne[r]
l'entière responsabilité de [s]e soigner » (Clara), et
« connaître [s]es limites » d'autosoin (Alice). C'est
ainsi que s'expliquent les pratiques variées ; malgré les
choix différents que font les participantes face aux possibilités
de soin, leur point commun est d'être au courant de ce panel de choix et
d'être consciente d'en faire un.
Magali : « s'autonomiser c'est aussi pouvoir
dire non en fait, c'est aussi pouvoir... pouvoir savoir ce dont on a
besoin »
4. Rapports au savoir
Le rapport au savoir traite de la place du savoir, de ses
sources, de sa conception, de ses formes ainsi que de sa transmission. Il
s'agit d'une catégorie importante dans le discours des participantes,
qui est assimilée à une véritable pratique de
l'auto-gynécologie à part entière.
En effet, les fondements de l'auto-gynécologie semblent
résider dans le savoir autour de la gynécologie. Les
interrogées évoquent un réel intérêt, voire
une « passion » (Prune, Lola, Mélissa) pour la
gynécologie, l'anatomie, les cycles menstruels. Elles décrivent
une « réappropriation du savoir
gynécologique » (Charlotte, Amandine, Alice, Eve,
Clara, Magali, Maud, Mélissa) et regrettent un cruel manque
d'informations à ce sujet de manière générale. Ce
savoir est souvent décrit comme appartenant autrefois aux femmes
non-professionnelles, qui le transmettaient aux femmes de leur entourage. Cette
représentation du savoir gynécologique est alors associée
à la figure de la sage-femme, de la sorcière, de la
guérisseuse ancestrale, dont le savoir a été
récupéré par l'institution médicale.
Ces premières considérations sont
également liées à un pan important du savoir, le
savoir expérientiel. Être concernée,
ressentir, expérimenter un vécu apporte une
légitimité dans le savoir, que le ou la professionnelle de
santé ne peut pas remettre en question.
Eve : « C'est la réappropriation du
pouvoir. De son pouvoir. De la connaissance de soi, et de bah voilà on
gère, et on a pas besoin d'écouter quelqu'un extérieur
à soi qui, qui nous fait croire qu'il sait mieux que
nous. »
Caroline : « ouais puis `y a ce côté
aussi `fin c'est mon corps, je le vis tous les jours alors je veux bien que `y
ait des personnes qui connaissent un grand spectre des symptômes, qui ont
un savoir plus élargi, mais mon corps c'est quand même moi qui le
vis, quoi. »
Dans certains discours, cette légitimité à
savoir tend à un naturalisme et un essentialisme des capacités de
« la » femme à gérer la sphère
gynécologique.
Eve : « Moi j'ai vraiment cette confiance que
le corps de la femme est fait pour enfanter etc., et plus on lui laisse faire
sa vie tranquillement, à partir du moment où on laisse la femme,
où elle est détendue, où on lui fait confiance où
on l'encourage à se faire confiance, à s'écouter, et
euh... voilà quoi, le corps il a tout ce qu'il faut là où
il faut pour que ça fonctionne bien »
Les sources de savoir sont variées, sur un
continuum de profane à scientifique. Ainsi, des
participantes reconnaissent avoir recours à des livres de
médecines (Eve : « des bouquins de médecins, des
trucs un peu costauds quoi »), d'articles scientifiques (Lola :
« j'essaie de chercher en anglais, et puis j'essaie de passer par
Google Scholar et des sites un peu scientifiques des fois pour trouver vraiment
des articles »), de vulgarisation scientifique (Prune :
« Et après j'ai plein d'ouvrages de vulgarisation, sur la
gynéco, sur la contraception »), mais également
beaucoup d'échanges de conseils entre personnes concernées
(Charlotte : « l'échange, c'est vraiment pour moi une
encyclopédie, c'est mon Wikipédia à moi, [rires], `y a
toujours des gens plein de bon sens et plein de bons conseils »). Il
est intéressant de noter que les professionnel.les de santé
peuvent également constituer une source de savoir -ce qui n'est plus
tout à fait surprenant compte tenu de la collaboration possible
évoquée dans le rapport à la gynécologie. Ainsi,
poser des questions à sa gynécologue et échanger davantage
avec elle permet aussi de développer des connaissances en
gynécologie, et favorise donc la pratique de l'auto-gynécologie.
De même, la transmission du
savoirgynécologiquese développe autourdes
échanges et des conseils entre personnes concernées, dans des
groupes spécialisés (virtuels ou des ateliers ponctuels) ou entre
proches. Les femmes interrogées mettent l'accent sur l'importance de
transmettre ces savoirs aux plus jeunes, via l'éducation, et de le
démocratiser.
En définitive, le savoir est un élément
clé de l'auto-gynécologie, puisqu'il est compris comme
outil de pouvoir -face à sa santé, face à
son corps, face à l'institution médicale- et reconnu comme une
forme de « self-empowering » (Florence).
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