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Joseph-Félix Le Blanc de La Combe (1790-1862), collectionneur tourangeau


par Brice Langlois
Université François-Rabelais de Tours - Master I Histoire de l'art 2016
  

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C. Joseph-Félix Le Blanc de La Combe défenseur de la lithographie.

La rédaction de la biographie de Charlet est une bonne occasion pour le colonel de La Combe de participer au débat sur la lithographie. Né presque concomitamment au développement de la technique en France par les artistes et imprimeurs autour de 1815-1817, le débat repose principalement sur la destination matérielle et la valeur esthétique, voire morale, de ce nouveau médium artistique. Il convient dès lors de rappeler succinctement l'origine de ce débat sur la lithographie pour mieux saisir par la suite, la participation publique du colonel de La Combe.

Si la lithographie connaît un développement rapide en France, grâce au bon accueil des artistes de la jeune génération ; Charlet et Vernet en tête, elle est parallèlement dans la presse un objet de discussion. Comme pour toutes nouveautés des interrogations subviennent et des doutes se posent, quant à l'utilité et la destination de cette nouvelle technique d'estampe. Les rédacteurs se demandent si la lithographie doit véritablement être considérée comme un nouveau support de création pour les artistes, ou plutôt, s'appréhender comme une nouvelle technique de reproduction et publication économique. Cette question est induite par le double visage de la lithographie autour de 1820. D'un côté, les artistes de la jeune école romantique commencent à réaliser leurs premiers dessins lithographiés, de l'autre « une foule d'écoliers, séduits par l'idée de voir leurs oeuvres imprimées et étalées dans les rues, se [mettent] à griffonner sur la pierre tout ce qui leur pass[e] par la tête » 227. Ces derniers incitent finalement les commentateurs à discréditer la lithographie, puisque recherchant davantage le profit commercial que la maîtrise de la technique. Néanmoins, les observateurs ne reconnaissent pas davantage le travail des artistes, qui au contraire envisagent la lithographie comme un support artistique favorable et qui participent à son développement. Effectivement, les thèmes populaires abordés par les dessinateurs tels Charlet, Vernet et Géricault ; les scènes de vie quotidienne et l'évocation d'un souvenir agréable de l'Empire déchu, amènent les critiques à

226 CHAMPFLEURY, Jules, op. cit., p. 11.

227 Anonyme, « Beaux-Arts », Le Journal des Débats, 6 février 1823, p. 1.

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dévaloriser la portée artistique du médium. Au contraire, la lithographie semble soutenue et approuvée par les artistes de la génération néoclassique qui ont acquis un statut important, à l'instar d'Antoine-Jean Gros et Anne-Louis Girodet (1767-1824). Ces derniers s'essaient en effet à la pratique de ce récent procédé créatif. En somme, la lithographie est en quelque sorte victime de sa popularité en 1820228.

« La lithographie n'est point de la gravure, en tant que ce dernier mot indique des traits entaillés en creux »229. Malgré l'article de Quatremère de Quincy publié en 1817 à l'occasion de la présentation de la lithographie par Engelmann à l'Institut de France, il semble que dès le début de la production de ce nouveau médium, une confusion s'installe quant à son appartenance au genre de la gravure. Cette erreur est induite par les ressemblances esthétiques des épreuves des deux techniques. À l'instar de la gravure, la majorité des lithographies sont tirées en noir et blanc. Néanmoins, les commentateurs les plus aguerris ne manquent pas de remarquer des différences entre les deux médiums. De surcroît, certains s'emploient à mettre en lumière la supériorité plastique de la gravure sur la lithographie.

Genre de crayon, esquisses légères, et surtout écritures, plans, géographie et tracés à la plume, voilà le vrai domaine de la lithographie : dans ce cercle très vaste, elles peut avoir des succès bien mérités ; mais si l'amour-propre ou l'ambition l'en font sortir, ce sera pour se discréditer, se perdre sans retour et se noyer dans les ruisseaux, avec les caricatures230.

La spontanéité du dessin rendu possible par l'évolution de la lithographie ne paraît pas remporter la complète adhésion des commentateurs. La lithographie est alors perçue comme un médium artistique de second plan, ne pouvant avoir d'utilité que pour les genres les moins nobles, à l'exemple de la caricature. À l'évidence, cela s'explique par l'ignorance de la technique, mais surtout au conservatisme et à la peur de la mise au rebut de la gravure, comme en témoigne cette citation tirée de La Pandore du 16 février 1824 : « Vous allez ruiner la

228 BROUWERS, Gervaise, « La lithographie passée en revue : entre controverses politiques et enjeux esthétiques », Sociétés et Représentations, n° 40, 2015, p. 188.

229 QUINCY, Quatremère de, « De la lithographie ou Extrait d'un Rapport fait à l'Académie des beaux-arts, par une Commission spéciale, sur un recueil de dessins lithographiés par M. Engelmann », Le journal des sçavants, janvier 1817, p. 23.

230 JOUBERT, François-Étienne, Manuel de l'amateur d'Estampes, Paris, l'auteur, 1821, p. 107-108, in BROUWERS, Gervaise, op. cit., p. 191.

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gravure, disaient les uns; [..] vous empoisonnez le monde de prétendus artistes à qui vous aurez donné trop de facilités, disaient ceux-là »231.

« On ne peut pas dire que la lithographie soit négligée en France »232 écrit un journaliste anonyme dans les colonnes de l'Artiste en 1837, en réponse à la lettre ouverte du lithographe Léon Noël (1807-1884) dans laquelle il se plaint du peu de faveur du public pour la lithographie. Si le rédacteur de la revue se montre bienveillant dans la suite de son article et acquiesce finalement les propos de Noël, il semble néanmoins qu'à cette époque rien ne change et que se poursuit dans la presse un débat autour des qualités et des défauts de la lithographie, qui se prolonge à l'évidence au moment de la rédaction du premier article du colonel de La Combe sur Charlet. Dans cette étude publiée en 1854 dans la Revue Contemporaine, La Combe consacre un chapitre entier à la lithographie, en plus des évocations morcelées dans l'ensemble du texte233. Il reprend et complète ce chapitre dans la première édition de sa biographie sur Charlet en 1856234.

Les propos du colonel de La Combe arrivent à une période charnière et dans une actualité brûlante pour la lithographie. D'un côté la production lithographique romantique s'est essoufflée depuis une dizaine d'années, laissant derrière elle un corpus innombrable d'épreuves, de l'autre les amateurs, les collectionneurs et les critiques semblent prendre conscience de la valeur esthétique et artistique de ces estampes. Les propos sur la lithographie du colonel de La Combe sont prodigués de manière constante à travers la figure de Charlet. Retraçant la carrière de l'artiste, le colonel de La Combe met en évidence son caractère avant-gardiste par son utilisation de la lithographie. La Combe adopte tout d'abord une posture d'historien en cherchant à revaloriser les premières impressions de Charlet, et par conséquent l'art de la lithographie.

Cette oeuvre a pris naissance en quelques sorte avec l'invention de la lithographie. Les pierres alors étaient rares, souvent défectueuses, les procédés incomplets, les tirages imparfaits. Cependant, malgré l'absence de toute encouragement et en dépit du défaut d'intelligence de ses éditeurs et de la

231 La Pandore, journal des spectacles, des lettres, des arts, des moeurs et des modes, 16 février 1824, in BROUWERS, Gervaise, op. cit., p. 196.

232 Anonyme, « De la lithographie », L'Artiste, n° 13, 1837, p. 15.

233 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, « Charlet, sa vie, ses lettres et ses oeuvres », Revue Contemporaine, 31 janvier et 15 février 1854, chp. XXVII, p. 1-54.

234 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit. chp. XXXI, p. 131-135.

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froideur qui accueille toujours les noms nouveaux dans les arts, Charlet a su produire des chefs-d'oeuvre. Peu lui importait qu'il vendît ou ne vendît pas. Pour lui la question n'était pas là235.

Entonnant un ton presque lyrique, le colonel de La Combe s'efforce de montrer combien Charlet a été bénéfique pour la lithographie. Il participe alors en retraçant la micro-histoire de la carrière de dessinateur-lithographe de Charlet, à l'écriture de l'histoire plus large de la lithographie originale. En ce sens, la défense de la lithographie par le colonel de La Combe passe par une revalorisation du médium au regard de l'histoire. Il évoque ainsi l'âge d'or de la lithographie romantique. D'autres avant La Combe ont défendu la lithographie, en publiant notamment des catalogues raisonnés, à l'exemple de Bruzard, qui dès 1826 recense les lithographies d'Horace Vernet236. La Combe s'inscrit néanmoins dans cette démarche de valorisation, que reprend Henri Delaborde (1811-1899) en 1863237, ou plus tardivement Henri Béraldi (1849-1931) en 1901238.

Le colonel de La Combe répond aussi aux critiques de ceux qui regarde la lithographie comme un moyen de reproduction à bas coût et un support artistique de médiocre qualité. Reconnaissant que la production secondaire à polluer l'ensemble de la lithographie, il considère toutefois qu'elle est à envisager comme un véritable médium artistique permettant aux artistes de diffuser plus massivement leurs dessins, bien qu'elle ne puisse rivaliser avec l'eau-forte. La Combe fait donc un consensus en reconnaissant la supériorité de la gravure sur la lithographie.

[É] ne soyons point injustes envers la lithographie. On a eu pour elle beaucoup trop d'engouement à sa naissance ; on en a usé, abusé ; mais comme toujours la réaction a dépassé les bornes. Certes, la lithographie ne peut avoir la prétention de lutter avec l'eau-forte, ni avec le burin, ni même avec la gravure sur bois ; mais elle a l'avantage de mettre à la portée de tous de premières pensées échappées au maitre, et qui souvent n'auraient plus la même énergie, la même naïveté, si elles avaient été réservées pour des oeuvres plus châtiées. Voila la mission artistique de la lithographie. Le reste appartient au commerce. Et félicitons-nous que ce procédé ait pu nous conserver ces dessins si remarquables de Géricault, de Charlet et de quelques autres dont nous eussions été privés si ces grands artistes n'avaient eu ce moyen de transmettre immédiatement leurs pensées.

235 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, « Charlet, sa vie, ses lettres et ses oeuvres », op. cit., p. 36.

236 BRUZARD, L. M., Catalogue raisonné de l'oeuvre lithographique de Mr J. E. Horace Vernet, Paris, Imprimerie de J. Gratiot, 1826.

237 DELABORDE, Henri, « La Lithographie dans ses rapports avec la peinture », Revue des deux Mondes, t. 46, 1863, p. 554-631.

238 BÉRALDI, Henri, Propos d'un bibliophile, Lille, L. Danel, 1901.

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Les propos du colonel de La Combe semblent recueillir l'adhésion des amateurs d'estampes, puisque Delaborbe et Béraldi arrivent en somme aux mêmes conclusions. Au moment de l'écriture de l'ouvrage du colonel de La Combe, la lithographie ne paraît plus recueillir l'affection des artistes, ce qui amène Henri Béraldi à conclure a postiori que : « plus les peintres l'abandonnent, plus les amateurs d'art, les collectionneurs et les critiques s'y attachent »239. Ce dernier a le recul nécessaire pour affirmer que « la situation de la lithographie en 1860 est très compromise »240. Ce désintérêt est à expliquer du fait de la renaissance de la gravure sur cuivre et de la concurrence de la photographie et l'héliogravure sur la lithographie de reproduction241. Il est donc probable qu'en revenant au travers de la biographie de Charlet, sur l'histoire et les progrès du dessin sur pierre, ainsi que sur ses qualités et avantages, le colonel de La Combe cherche à prévenir en 1856 de « l'agonie de la lithographie »242. Peut-être que La Combe s'emploie à susciter l'intérêt des jeunes artistes pour ce médium ? En tout état de cause, les publications de catalogues raisonnés sur les artistes lithographes de la génération romantique - comme le fait le colonel de La Combe - et les expositions de la fin du siècle sur la lithographie participent à redynamiser le médium.

Une première exposition est montée en 1887 à la galerie Georges Petit, suivie d'une deuxième à l'Exposition universelle de 1889 et d'une troisième à l'école des Beaux-Arts de Paris en 1891243. Toutes les trois historicisent la lithographie en présentant la chronologie depuis la production des premiers dessinateurs sous la Restauration, jusqu'aux productions contemporaines. Il est donc possible de penser, que comme le faisait modestement le colonel de La Combe, les commissaires de ces expositions cherchent à redynamiser la production. Cela apparaît encore plus vrai, quand nous savons que la dernière exposition est réalisée à l'initiative de la Société des Artistes lithographes français244. Cela semble porter ses fruits, puisque la lithographie est de nouveau adoptée à la fin du XIXe siècle par des artistes tels Odilon Redon

239 BÉRALDI, Henri, op. cit., p. 18.

240 Ibidem, p. 16.

241 ROGER-MARX, Claude, op. cit., p. 62.

242 BURTY, Philippe, « La gravure et la photographie en 1867 », La Gazette des Beaux-Arts, t. XXIII, 1867, p. 253.

243 BÉRALDI, Henri, Exposition générale de la lithographie au bénéfice de l'oeuvre l'Union Française pour le sauvetage de l'enfance, cat. exp., Paris, École des Beaux-Arts, Paris, typ. De G. Chamerot, 1891.

244 ROBICHON, François, « Fortunes et infortunes de Charlet », in BOCHER, Nathalie, FOUCART, Bruno, JAGOT, Hélène (éd.), op. cit., p. 122.

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(1840-1916) ou Jules Chéret (1836-1932). Ainsi, les propos de Clément de Ris sont confirmés : « Je ne vois pas que la lithographie, pas plus que la gravure, aient beaucoup à redouter du voisinage de la photographie. [É] Graveurs, lithographes et photographes peuvent donc vivre en paix à côté les uns des autres »245.

La production lithographique subit la mode artistique lancée par les artistes, mais également les critiques et les amateurs. Si elle connaît une réception rapide par les artistes, elle supporte une critique virulente dans la presse. C'est à contrecoup, après que le mouvement romantique se soit essoufflé que la lithographie est historicisée, puis institutionnalisé grâce aux expositions. Ainsi, la démarche du colonel de La Combe s'inscrit dans un mouvement général de prise de conscience pour la protection et la valorisation de l'oeuvre de ces artistes romantiques. En défendant l'oeuvre de Charlet, Joseph-Félix Le Blanc de La Combe se porte comme un défenseur de la lithographie originale de toute une génération.

245 CLÉMENT DE RIS, Louis, « Salon de 1859. Gravure et lithographie », L'Artiste, nouvelle série, t. VII, 12 juin 1859, p. 100.

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Chapitre troisième : Joseph-Félix Le Blanc de La Combe « l'historien de Charlet ».

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld