Joseph-Félix Le Blanc de La Combe (1790-1862), collectionneur tourangeaupar Brice Langlois Université François-Rabelais de Tours - Master I Histoire de l'art 2016 |
II. Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, un amateur de l'estampe contemporaine.A. Une collection représentative de la production de l'estampe artistique au XIXe siècle. Le mot « estampe » a un sens générique qui désigne toute reproduction d'une image sur papier. Étymologiquement, l'estampe implique l'idée de reproduction par pression d'une matrice sur une feuille quelle que soit la technique employée, gravure en creux, lithographie ou sérigraphie193. Si Joseph-Félix Le Blanc de La Combe collectionne toutes les formes d'estampes, c'est principalement les lithographies qui semblent retenir son attention au vu de leur nombre important. Après avoir rappelé brièvement l'origine de cette technique d'estampe et présenté comment elle devient de plein droit un médium artistique, nous nous focaliserons sur quelques exemples de lithographie de la collection de La Combe. Nous nous emploierons ainsi à montrer comment cette collection est représentative de la production lithographique de la première moitié du XIXe siècle. Le passage entre le XVIIIe et le XIXe siècle se présente comme une période charnière pour la production de l'estampe en France. L'invention de la lithographie en 1796 est décisive, bien que les premiers essais du munichois AloØs Senefelder (1771-1834) n'aient aucune vocation artistique. Auteur dramaturge, Senefelder cherche un moyen peu coûteux pour imprimer et diffuser sans intermédiaire ses propres écrits. Si la légende veut que la découverte se soit opérée à la suite d'une reproduction involontaire d'une note de blanchisserie sur une pierre calcaire194, l'exécution, bien qu'un peu plus délicate, est somme toute relativement simple. La création d'une lithographie ne demande que trois étapes. D'abord l'auteur dessine à l'encre grasse sur une pierre calcaire parfaitement lisse. Il la plonge ensuite dans un bain d'acide pour fixer le dessin. Enfin, il ne lui reste qu'à encrer la planche pour imprimer la composition. 193 BEDEL, Jean, Dictionnaire des antiquités, Paris, Larousse, 1999, p. 238. 194 ROGER-MARX, Claude, La Gravure originale au XIXe siècle, Paris, Éditons Aimery Somogy, 1962, p. 37. 57 Cette nouvelle technique ne tarde pas à s'implanter en France, mais connaît un début difficile. Ayant l'ambition de faire commerce de ce nouveau moyen d'impression, Friedrich André, l'un des associés de Senefelder installe en 1802 à Paris une imprimerie lithographique. Si cette première tentative ne remporte pas l'adhésion du public, elle a toutefois réussi à susciter de l'intérêt et des vocations chez quelques protagonistes. En 1804, Pierre-Nolasque Bergeret (1782-1863) établit à Paris la première imprimerie lithographique française qui ferme cependant rapidement ses portes à cause du peu d'intérêt des amateurs195. Le général Louis-François Lejeune (1775-1848) conseille à Napoléon de participer au développement de la lithographie. Lejeune se rend dans l'atelier de Senefelder en 1806, à l'instar des imprimeurs français Charles Philibert de Lasteyrie (1759-1748), François Séraphin Delpech (1778-1825) et Godefroy Engelmann (1788-1839). À la chute de l'Empire, ce trio installe presque simultanément en 1815 des imprimeries lithographiques à Paris. Ils participent à la démocratisation du procédé, mais surtout invitent les artistes à s'intéresser davantage à la lithographie. Par la possibilité de diffusion offerte par les imprimeurs et les éditeurs ainsi que par l'enthousiasme des artistes, la lithographie devient un médium artistique, qui tend à se développer en cette première moitié du XIXe siècle. L'année 1815 peut être considérée comme l'avènement de la lithographie d'art. À partir de l'intérêt des artistes peintres, la lithographie s'envisage comme un médium artistique et non plus seulement comme un moyen de reproduction économique. De surcroît, les lithographies de reproduction ne doivent pas être perçues comme des copies formelles, mais bien comme des oeuvres de réinterprétation dont le colonel de La Combe extrait quelques pièces à la fin des numéros de l'Artiste, comme son épreuve de Delacroix représentant un jeune tigre jouant avec sa mère196. Il arrive par ailleurs, que les artistes réinterprètent eux-mêmes les oeuvres qu'ils ont déjà réalisées, à l'instar de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), qui revoit en 1825 (fig. 15) la composition de sa Grande Odalisque, réalisée en 1814 et présentée au Salon en 1819. Il modifie ici quelque peu la composition en remplaçant le fond sombre par des cousins à motifs floraux. La Grande Odalisque semble l'influencer durablement durant sa carrière, puisqu'il la traite une nouvelle fois en grisaille entre 1824 et 1834197. 195 DELTEIL, LoØs, Manuel de l'amateur d'estampes des XIXe et XXe siècles, Paris, Dorbon-Ainé, 1925. 196 PETIT, Francis, op. cit., p. 90. 197 Jean-Auguste Dominique Ingres, La Grande Odalisque, grisaille, 1824-1834, huile sur toile, New-York, Metropolitan Museum of Art. 58 L'atelier d'Antoine-Jean Gros est un foyer effervescent de la génération romantique. Une partie des élèves fréquentant son atelier font émerger la technique de la lithographie. Le maître d'ailleurs ne s'y montre pas insensible, en livrant deux épreuves orientalistes ; Un chef mamelouk à cheval et l'Arabe dans le désert (fig. 16), que le colonel de La Combe possède toutes les deux198. La seconde imprimée en 1817, représente un chef guerrier assis à l'ombre de son cheval et donnant de l'eau à un soldat. Elle témoigne de l'intérêt de Gros pour cette technique d'estampe nouvelle. Son élève Charlet, manifeste encore davantage de l'intérêt à la lithographie. Il s'intéresse très tôt à ce nouveau médium, puisqu'il semble correspondre à sa pratique artistique. La lithographie permet en effet, d'obtenir rapidement un résultat à la différence de la peinture ou même de la gravure, qui demandent davantage de travail et de temps. Bénéficiant de la bienveillance de son maître, Charlet impose dès sa formation la figure du dessinateur lithographe. La Combe collectionne les premières lithographies de Charlet, comme en témoigne cette représentation d'un Hussard à cheval (fig. 17), sortie de la presse de l'imprimeur Lasteyrie en 1817. Charlet se présente dès lors, comme l'un des artistes qui favorise le développement de la lithographie en France. Il semble influencer toute une génération d'artistes lithographes intéressés par les scènes militaires. De tous les sujets d'illustrations compris dans la collection d'estampes du colonel de La Combe, les représentations militaires sont à l'évidence le thème qui ressort le plus abondamment. Les épreuves d'Hyppolite Bellangé ou Auguste Raffet reflètent l'héritage de Charlet. L'un comme l'autre illustrent dans leurs albums des scènes de batailles contemporaines et représentent les costumes des différents corps militaires. Néanmoins, les oeuvres de ces deux artistes ont à l'évidence une valeur plus documentaire que ne le sont celles de Charlet. La Garde de Tranchée (fig. 18) de Raffet conservée dans la collection de La Combe et extraite de l'album du Siège de Rome de 1850 représente l'assaut français de la nuit du 4 au 5 juillet 1849. Allongés au sol, les soldats attendent la charge. Cette scène a manifestement un caractère moins anecdotique que les représentations militaires de Charlet. Celui-ci s'attache généralement davantage à représenter le soldat de façon licencieuse dans ses albums lithographiques, que de montrer une forme vraisemblable de bataille. Le colonel de La Combe collectionne également les représentations militaires d'Horace Vernet, 198 PETIT, Francis et alii, op. cit., p. 100. 59 bien qu'il semble attacher une préférence à celles de Charlet, comme semble le signaler cette citation d'une lettre du colonel de La Combe adressée à Bellangé le 29 avril 1849. J'en suis fâché pour M. VÉ ; mais je suis obligé de dire que lui, comme la plupart des autres, il ne sait pas faire un soldat. Il est spirituellement dessiné, habillé, ficelé ; mais c'est un soldat à la façon d'un Scribe, un comédien en soldat. S'il a mieux réussi dans le troupier moderne, c'est qu'il n'y a plus là de caractère. Notre jeune armée est surtout remarquable dans la régularité de sa tenue199. Support intéressant pour diffuser à grande échelle les scènes de bataille contemporaine et entretenir la ferveur bonapartiste, la lithographie est également un moyen adapté pour s'amuser des moeurs des contemporains. Le colonel de La Combe possède en effet quelques exemples de caricature sur les moeurs, la politique ou les Beaux-Arts. Outre l'illustration des rapports courtois, La promenade aux Tuileries (fig. 19) de Dominique Bosio (1768-1845) est une critique humoristique envers les petits bourgeois et leurs mondanités. Elle représente des hommes en redingote coiffés de chapeau haut de forme et accompagnés de leurs épouses. Comme l'indique le titre, ils se promènent dans le jardin des Tuileries. Mais seuls la sculpture et le vase permettent de situer la scène. L'homme bedonnant placé au centre de la composition semble observer attentivement la nature dans sa lunette. Cette caricature de la bourgeoisie fait écho à La promenade au bois de Vincennes (fig. 20) de Philibert Louis Debucourt (1755-1832) dont une épreuve est aussi conservée dans la collection du colonel de La Combe. Le thème de la promenade est un sujet aisé pour la critique des loisirs et de la mode bourgeoise. Si la série des Souvenirs d'un flâneur (fig. 21) d'Eugène Forest (1808-) est postérieure de quinze ans, elle rit aussi des loisirs des contemporains, à l'instar du collectionnisme et particulièrement de la bibliomanie. D'autres encore comme Henri Monnier (1799-1877) avec les planches des Six quartiers de Paris ou Jean-Jacques Granville (1803-1847) avec la série Le Dimanche d'un bon bourgeois ou Les tribulations de la petite propriété, s'amusent des moeurs de leurs contemporains. Elles correspondent en somme aux études littéraires des auteurs réalistes, tel la Comédie humaine de Balzac. Si de ces trois exemples nous pouvons retenir une forme de caricature convenue se focalisant sur les moeurs, d'autres lithographies présentes dans la collection du colonel de La Combe se montrent plus féroces. Sensible à l'épopée napoléonienne et fréquentant des personnalités aux sympathies politiques variées, le colonel de La Combe ne semble pas exprimer d'affection particulière pour 199 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien..., op. cit. p. 33. 60 les régimes politiques successifs. C'est en ce sens qu'il paraît collectionner les caricatures lithographiées des maîtres contemporains, dont Alexandre Decamps, Paul Gavarni (18041866), ou plus modestement Honoré Daumier. Le colonel de La Combe réunit ainsi des caricatures contre Charles X (1757-1856 ; 1824-1830), qui supporte en effet une production de caricature soutenue au cours de ses six années de règne. Comme le souligne Annie Duprat, le visage de Charles X est multiforme200. Libertin quand il n'était encore que comte d'Artois, il semble se convertir et devenir puritain une fois couronné roi. Charles X ne cesse en effet de s'entourer de jésuites. Decamps choisit ainsi de le représenter sous sa forme bigote dans sa caricature intitulée Le pieu monarque (fig. 22). Jouant sur les mots, Decamps déguise un pieu en souverain couronné portant deux épaulettes et une épée. Roi des Français, Louis-Philippe (1773-1850 ; 1830-1848) condamne le genre en censurant, puis interdisant le 27 août 1835 la publication du journal La Caricature, fondé seulement cinq ans plus tôt par Charles Philippon (1800-1861). C'est dans ce journal que Daumier fait publier le portrait de Louis-Philippe sous les traits de Gargantua. À la suite de cette publication, Daumier est emprisonné. Le souvenir de Sainte-Pélagie (fig. 23) présente dans la collection de La Combe est une illustration de son emprisonnement. Publiée une première fois dans le Charivari, le 14 mars 1834, cette planche représente trois détenus dans une cellule, dont un lit à haute voix le journal républicain La Tribune. La lithographie entre alors au service de la presse et de l'écrit pour s'opposer au régime politique. Le colonel de La Combe dispose d'une importante bibliothèque, dont les rayonnages sont composés de plus de cinq cent cinquante ouvrages. À l'évidence, La Combe est un amateur de livres. La bibliophilie semble finalement très proche de son intérêt pour la lithographie. Le bibliophile collectionne les livres soit pour la reliures en maroquin précieux, soit pour les illustrations, qui mettent le texte en images. Plus que les reliures, se sont manifestement les illustrations qui nous intéressent dans le cadre de cette partie. Autour de 1815, la lithographie connaît un développement grâce à l'enthousiasme des artistes, mais aussi grâce à l'intérêt de certains éditeurs et écrivains, qui voient en elle un moyen de diffusion à bas coût ainsi qu'une technique d'illustration de bonne qualité. Les recueils de lithographies qui paraissent annuellement ont un lien direct avec le format codex du livre. Le colonel de La Combe en 200 DUPRAT, Annie, « Le roi a été chassé à Rambouillet », Société et représentation, n 12, 2001, p. 37. 61 possède quelques exemplaires de Charlet ou Théodore Gudin201. De ce dernier, il détient deux recueils de marine de 1821 et 1828. Le colonel de La Combe possède des lithographies de paysages extraites des Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France du baron Isidore Justin Taylor (17891879)202. Entouré des écrivains Charles Nodier (1780-1844) et Alphonse de Cailleux (17881876), Taylor entreprend la description de la province française. Ce succès éditorial débute par la publication en 1820 du premier tome consacré à la Normandie. En tout, ce sont vingt-trois volumes qui paraissent jusqu'à 1878. Dans la collection de La Combe, une grande majorité des estampes de Bonington proviennent de cet ouvrage, à l'instar de la Tour du gros horloge d'Evreux (fig. 24) ou une Vue d'une rue des faubourgs de Besançon (fig. 25). Peintre et dessinateur de paysages anglais, Bonington propose des vues urbaines d'où émergent une expression sentimentale en introduisant notamment de nombreux personnages habillés de costumes traditionnels. Cherchant à mettre en lumière la beauté de ces villes normandes, Bonington applique par exemple dans la Rue du Gros Horloge une atmosphère vaporeuse, qui semble préserver le passé médiéval. D'autres artistes présents dans la collection de La Combe participent aussi à la représentation des villes de provinces décrites par Taylor, Nodier et Cailleux, comme Géricault qui illustre l'Église Saint-Nicolas de Rouen (fig. 26), ou le baron Louis-Baptiste-Jean-Marie Atthalin (1784-1856) qui dessine La maison des Templiers203. Le colonel de La Combe possède d'autres lithographies illustrant des ouvrages littéraires, à l'instar des épreuves de Delacroix. La carrière d'illustrateur de Delacroix débute en 1826. Il commence à cette date l'illustration de la traduction de Faust par Albert Stapfer, qui est publiée en 1828204. Bien que la critique pointe du doigt la physionomie des personnages, ces premières vignettes sont suivies de l'illustration de l'histoire de Goetz de Berlichen en 1836 et de l'histoire d'Hamlet en 1843. Il possède aussi les lithographies d'Horace Vernet qui illustrent Les fables de la Fontaine205, ainsi que des épreuves tirées de La vie politique et militaire de Napoléon d'Antoine-Vincent Arnault publié en 1822. 201 PETIT, Francis et alii, op. cit., p. 100. 202 TAYLOR, Isidore Justin, NODIER, Charles, CAILLEUX, Alphonse de, Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France, t. I-XXIII, Paris, Gide fils, 1820-1878. 203 PETIT, Francis et alii, op. cit., p. 26. 204 GOETHE, Johann Wolfgang von, Faust, [1808, trad. De l'allemand par Albert Stapfer], Paris, Motte, 1828. 205 PETIT, Francis et alii, op. cit., p. 120. 62 S'il n'était pas possible de décrire ou seulement faire allusion à toutes les lithographies de cette collection, il nous paraît toutefois que ces quelques pages ont permis de mieux situer et appréhender la collection d'estampes du colonel de La Combe. La plus vieille lithographie de la collection date de 1816. Elle est une représentation d'un lancier de l'ex-garde impériale en vedette par Horace Vernet206. À l'évidence, les plus récentes sont datées de la fin de la décennie 1840. Sa collection répond alors à des barrières chronologiques très strictes. Elle commence au moment de l'appropriation par les artistes de la technique lithographique et se conclut à l'époque de la mise au rebut de la lithographie par les artistes de la génération suivante. C'est la production d'une génération, celle des enfants du siècle, que le colonel de La Combe collectionne assidument. En dépit de l'hétérogénéité du nombre d'épreuves en fonction des artistes, Joseph-Félix Le Blanc de La Combe semble s'efforcer à réunir les estampes les plus représentatives de cet échantillon d'artistes. C'est en ce sens qu'il est possible d'appréhender la collection du colonel de la Combe comme un recueil de la production lithographique de la première moitié du XIXe siècle, puisque témoignant des courants, des modes et des genres de la création estampée de la période romantique. B. Collection d'estampes ou collection de dessins ? L'originalité de la collection du colonel de La Combe. Si d'un côté Joseph-Félix Le Blanc de La Combe s'efforce de former une collection représentative de la production lithographique des artistes du mouvement romantique, de l'autre il paraît attacher un intérêt particulier à la qualité des épreuves qu'il collectionne. La collection de Monsieur de La Combe était formée à un tout autre point de vue que celle de M. Parguez ; Celui-ci avait essayé de réunir les matériaux figurés d'une histoire de la lithographie ; M. de La Combe n'avait donné droit de séjour dans ses casiers, qu'aux pièces intéressant l'art véritable207. En comparant la collection de lithographies du colonel de La Combe à celle de François Parguez, payeur de la caisse de Poissy, Philippe Burty souligne dans le catalogue de vente, combien la collection de La Combe est rare et originale. Cette collection de lithographies, qui porte presque exclusivement sur les épreuves réalisées par les artistes de l'école romantique, comprend un peu moins d'une centaine d'artistes - quatre-vingt-seize précisément. À la 206 Ibid., p. 117. 207 BURTY, Philippe, op. cit. p. XIII. 63 différence, la collection Parguez est beaucoup plus étendue. Elle se compose des estampes de cent soixante-dix-huit artistes, soit quatre-vingt-deux artistes de plus que dans la collection de La Combe. Seulement quarantaine d'artistes sont identiques entre les deux collections, à l'instar de Charlet, Delacroix, Vernet ou Géricault pour ne citer que les plus connus. S'il manifeste de l'intérêt aux artistes de la génération romantique, Parguez à la différence de La Combe semble constituer une collection représentative de l'ensemble de la production lithographique depuis l'invention de la technique par Senefelder208. Il dispose d'ailleurs d'un autoportrait lithographié par l'inventeur. Il collectionne aussi les lithographies dessinées par les imprimeurs Bergeret, Engelmann et Lasteyrie209, par l'architecte Victor Baltard (1805-1874) ainsi que les illustrations d'artistes secondaires, qui sont diffusées profusément chez les marchands d'estampes. La collection du colonel de La Combe n'est donc pas à appréhender de la même manière et n'a à l'évidence pas la même valeur financière et artistique. Le produit de l'ensemble des vacations de la vente Parguez s'élève à 10 302 francs210. Pour rappel, la vente de la collection de La Combe réalise un produit total de 40 237 francs - en comptant les tableaux et les dessins211. De surcroît, la collection d'estampes romantiques du colonel de La Combe n'est pas seulement à envisager comme un ensemble représentatif d'une partie de l'histoire de la lithographie. Elle est aussi une réunion des meilleures épreuves des artistes de la génération de la décennie 1800. Joseph-Félix Le Blanc de La Combe se distingue ainsi de François Parguez, par l'intérêt qu'il porte aux lithographies d'artistes et par la qualité des épreuves qui forment sa collection. Le colonel de La Combe semble s'efforcer à rassembler les plus belles épreuves de lithographie, dont des épreuves tirées sur Chine et des premiers états. En effet, la collection de La Combe concentre une proportion importante d'estampes publiées avant l'inscription de la lettre. Cet état ne fait pas mention du nom du dessinateur, de celui de l'éditeur et de l'adresse de l'imprimeur. Par exemple, sur la planche illustrant Méphistophélès dans les airs (fig. 27) de Delacroix conservée dans la collection de la Combe, aucune des informations présentes dans le deuxième état, à savoir en bas à gauche « Delacroix invt et Lithog », en bas à droite « Lith. de Charles Motte Paris », et dans la marge « De temps en temps j'aime à voir le vieux Père, Et je 208 DELBERGUE-CORMONT, Victorien Louis Jean-Baptiste, VIGNIÈRES, Jean-Eugène, op. cit., p. 65. 209 Ibid., p. 5, p. 30, p. 52. 210 Procès-verbal de la vente de lithographies de la collection Parguez les 22, 23 et 24 avril 1861, Paris, Archives municipales, cote D60E3 9. 211 Procès-verbal de la vente de La Combe, op. cit. 64 me garde bien de me rompre en Visière... » 212 ne viennent perturber la lecture de la composition. [...] la reproduction exacte du dessin du maitre ne peut se retrouver que dans de premières épreuves pures, transparentes, et non dans celles que donne une pierre fatiguée, usée, sur laquelle un crayon a bavé, et ne rend plus la finesse et la couleur du dessin, en supposant même que quelques parties de ce dessin n'aient pas disparu213. Les épreuves publiées avant la lettre sont aussi et surtout des estampes de très bonne qualité. La pierre n'étant pas usée à cause des impressions répétées, la qualité d'impression des lithographies de premier état n'a pas de comparaison avec celle des épreuves tirées en grande série de deuxième, troisième voire quatrième ou cinquième état. Il arrive également, que le colonel de La Combe possède plusieurs états d'une même représentation, à l'instar du Siège de Saint-Jean d'Acre (fig. 28 et 29) de Charlet214. La Combe détient en effet les trois états différents de la première pierre et les quatre états distincts de la seconde. Le colonel de La Combe peut ainsi fractionner les différentes étapes d'une même représentation. En outre, certaines épreuves rendent compte du travail préparatoire de l'artiste avant la publication, comme les illustrations de Delacroix pour le Faust conservées dans la collection du colonel de La Combe. En marge de la vignette de Faust et Méphistophélès dans les montagnes du Harz (fig. 30) de premier état, Delacroix fait des « croquis de chevaux, de barque à voile, de lézard, etc »215. Ces esquisses renforcent l'impression d'immédiateté et témoignent de la réflexion de l'artiste. Le serpent placé dans la marge se perçoit comme une esquisse préparatoire à celui se tenant dans la scène principale. Les premières épreuves semblent en somme assez proches de l'art du dessin. La pièce unique est le mirage perpétuel de l'amateur d'estampes. Une pièce unique devient un tableau. Le rêve mille fois caressé du fanatique d'estampes, c'est d'anéantir le tirage entier de toutes les gravures, sauf une seule et unique épreuve, celle qu'ils possèdent bien entendu216. Joseph-Félix Le Blanc de La Combe détient également quelques épreuves uniques. Selon les auteurs du catalogue de l'exposition Charlet aux origines de la légende napoléonienne, La 212 DELTEIL, LoØs, Eugene Delacroix, op. cit., p. 150. 213 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 133. 214 PETIT, Francis, op. cit., p. 41. 215 PETIT, Francis, op. cit., p. 88. 216 ROCHEFORT, Henri, op. cit., p. 225. 65 Combe rassemble une collection de dix unica de l'artiste217, à l'instar de la Charge de chevaux légers218. En dehors de cette pièce, nous n'avons pas relevé dans le catalogue de vente d'autres épreuves uniques de Charlet. Selon Louis Clément, il paraîtrait que le colonel de La Combe affirmait qu'il possédait de Géricault la seule épreuve du Cheval franchissant une barrière : « La pierre originale de Géricault aurait cassé au second tour de la presse, et la pièce aurait été copiée immédiatement par M. Léon Cogniet. Il suffit de la comparer avec celle que l'on rencontre ordinairement pour être frappé par l'inimitable science du modelé dont elle est empreinte »219. Il semble néanmoins que le colonel de La Combe ou les auteurs du catalogue de vente exagèrent quelque peu sur l'unicité de la pièce. En 1924, LoØs Delteil affirme dans le catalogue raisonné de l'oeuvre graphique de Géricault, qu'après quelques impressions la pierre originale s'est brisée et que Courtin en aurait fait une copie à la demande de l'éditeur Charles Villain 220. Il paraît donc vraisemblable que la pierre originale a imprimé plus de deux lithographies contrairement à ce que prétendait le colonel de La Combe et le marchand d'estampes. La collection d'épreuves de premier état et plus encore d'unica semble paradoxale au regard des spécificités du médium. Par essence, une estampe relève de l'art du multiple, puisque destinée à être imprimée en de nombreux exemplaires. La posture intellectuelle des amateurs d'estampes, paraît finalement ambivalente en connaissance des caractéristiques du format. Ils s'efforcent en effet, à récolter les pièces les plus rares et les moins diffusées d'un format qui au contraire se veut populaire. Cela pousse Henri Rochefort à écrire dans son ouvrage qu'il consacre à l'hôtel des ventes de Paris : L'amateur d'estampes n'était, dans le principe, qu'un diminutif de l'amateur de tableaux ; il se contentait de la menue monnaie des jouissances artistiques de celui-ci et se résignait au rôle de doublure. Mais peu à peu les ailes lui ont poussé, l'ambition est venue, et, à force de découvrir dans 217 GRIVEL, Marianne, op. cit., p. 132. 218 Ibid, p. 51. 219 PETIT, Francis, op. cit., p. 97-98. 220 DETEIL, Loys, Le peintre graveur illustré : Théodore Géricault, t. XVIII, Paris, Frazier-Soye, 1924, n° 69. Information recueillie sur : http://www.britishmuseum.org/research/collection online/collection object details.aspx?objectId=1429290&par tId=1&people=104143&peoA=104143-2-61&page=1 consulté le 01/05/2016. 66 les estampes des beautés qu'il n'y soupçonnait pas d'abord, il s'est posé peu à peu en rival du tableaumane221. En recherchant l'estampe originale, le colonel de La Combe présente des analogies avec les collectionneurs de tableaux et de dessins - collectionneur que La Combe est également. - comme le fait remarquer Henri Rochefort. De surcroît, quelques épreuves lithographiques de premier état atteignent des prix équivalents, parfois même supérieurs, à des dessins ou des tableaux. Ainsi la lithographie de Géricault, représentant deux chevaux gris pommelés se mordant au cou et se cabrant au milieu d'une écurie, est adjugée à l'expert Louis Clément pour 220 francs à la vente de la collection du colonel de La Combe222. L'expert indique d'ailleurs dans le catalogue de la vente de La Combe, qu'une seconde épreuve du même état avait été vendu en 1861 à la vente Parguez pour 560 francs223. Il semblerait que François Parguez, selon une note manuscrite dans le catalogue de la vente de sa collection conservé à la BNF, aurait acheté cette épreuve 1 500 francs224. Ces prix considérables s'expliquent parce que « la pierre de cette admirable composition aurait été, suivant l'attestation formelle de l'imprimeur Motte à M. Parguez brisée après la seconde épreuve. »225. Joseph-Félix Le Blanc de La Combe se présente comme un collectionneur de lithographies d'artistes portant un intérêt particulier à la qualité des épreuves formant sa collection. De dix-huit artistes, La Combe collectionne de nombreuses épreuves de premier état et quelques exemples de pièces uniques. Son comportement est relativement proche de celui d'un collectionneur d'oeuvres originales, tels les tableaux ou les dessins, en cherchant à réunir les estampes les plus rares et les moins publiées. Cette quête de l'épreuve unique amène les auteurs satiriques du XIXe siècle à plaisanter sur l'attitude des collectionneurs d'estampes. Champfleury écrit en 1867 dans L'hôtel des commissaires-priseurs : « La furie de la collection mène fatalement à des aberrations, et à des tics. Un amateur de gravures montrant ses portefeuilles, pousse un cri : rre. Il veut dire que l'épreuve est rare. Une estampe plus rare encore amène un : rrrrre. Il passe à une épreuve très rare : rrrrrrrre. L'épreuve est unique : 221 ROCHEFORT, Henri, op. cit., p. 221. 222 PETIT, Francis, op. cit., p. 95. Exemplaire de la BNF. 223 Ibidem. 224 DELBERGUE-CORMONT, Victorien Louis Jean-Baptiste, VIGNIéRES, Jean-Eugène, op. cit., p. 36. Exemplaire de la BNF. 225 PETIT, Francis, op. cit., p. 95 67 rrrrrrrrrrrrre ! » 226 . Si Champfleury tourne en dérision le comportement des amateurs d'estampes, d'autres plus virulents s'opposent à la qualification même de la lithographie comme médium artistique. Ainsi naît un débat autour de la lithographie dans lequel le colonel de La Combe semble s'immiscer. |
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