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Joseph-Félix Le Blanc de La Combe (1790-1862), collectionneur tourangeau


par Brice Langlois
Université François-Rabelais de Tours - Master I Histoire de l'art 2016
  

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I. Un monument à la mémoire de Charlet. L'ouvrage du colonel de La Combe.

A. La popularité de Charlet avant la publication de sa biographie par le colonel de La Combe.

La carrière et l'oeuvre de Charlet sont ambivalentes et reflètent en quelque sorte la personnalité de l'artiste. Peintre, lithographe, graveur, aquarelliste et même imprimeur, Charlet se présente comme le « touche à tout » de l'art du XIXe siècle. Cependant l'historiographie semble retenir principalement de sa carrière, son oeuvre lithographique dans laquelle il représente le folklore français et exprime son patriotisme. Pourtant Charlet connaît aussi une carrière officielle, qui aujourd'hui - peut-être en son heure également - est davantage négligée. Ainsi, nous nous intéresserons dans cette partie à la popularité de Charlet avant la publication de l'ouvrage du colonel de La Combe en nous appuyant sur sa biographie, son oeuvre mais aussi sur quelques exemples de texte qui lui sont consacrés avant 1854.

Charlet débute sa formation artistique sur le tard en 1817, à l'âge de vingt-cinq ans. Très vite cependant, il trouve sa voie et entreprend la publication d'abord chez Lasteyrie, ensuite chez Engelmann, puis Delpech, Motte, Villain, Bry et les frères Gihaut, d'épreuves lithographiques. Si les débuts sont difficiles, il rencontre avec la publication du Grenadier de Waterloo (fig. 31) en mars 1818, son premier succès, attesté par la livraison d'une seconde pierre chez l'imprimeur Lasteyrie 246 . Charlet impose l'iconographie du soldat et particulièrement du grognard, ce qui fait dire à Félix-Sébastien Feuillet de Conches en 1833 que :

C'est lui, en effet, qui a le mieux ravivé cette tradition perdue du grognard de l'empire bronzé sous le soleil d'Egypte, d'Italie et d'Espagne, type du héros à cinq sous par jour, maraudeur par

246 GRIVEL, Marianne, « La modernité de Charlet lithographe », in BOCHER, Nathalie, FOUCART, Bruno, JAGOT, Hélène (éd.), op. cit, p. 39.

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excellence, goguenard, spirituel, insouciant, fier surtout et dominateur, et au demeurant, à ses heures, bon compagnon » 247.

Le grognard est en effet très présent dans l'oeuvre de Charlet en général et dans l'oeuvre lithographique en particulier, conséquence de son attachement à l'empereur Napoléon. Mais très vite l'artiste semble s'intéresser également aux représentations de scènes de genre pour toucher un plus large public. Les publications annuelles d'albums de croquis lithographiques entre 1822 et 1840 confirment cette nouvelle orientation. Prenant la forme de livre à l'italienne, ils sont composés de suite de planches sans texte. Le premier album sort le 9 février 1822 chez Villain, sous le titre de Recueil de croquis, à l'usage des petits enfants, par Charlet. Cette suite de huit planches semble s'adresser aux enfants comme aux parents. Dans cet univers enfantin, Charlet propose d'un côté des représentations bienveillantes pour les enfants où se mêlent les générations, à l'instar de L'école du soldat, de l'autre il propose des images au service de leur éducation comme Le croquemitaine. Charlet devient le dessinateur des familles françaises de la classe moyenne et remporte l'affection des enfants comme celle des parents. Il vise donc un double public, ce qui est confirmé par le titre de l'album de 1835 : Alphabet moral et philosophique, à l'usage des petits et des grands enfants. Charlet s'inscrit dans le contexte de production des livres abécédaires à destination des enfants et des adultes, dont le nombre croît considérablement entre 1830 et 1835, conséquence de l'application de la censure en septembre 1835248. Outre la représentation des mots qui forment son abécédaire, les images suivent un ordre symbolique. Au centre de l'alphabet, Charlet représente « Napoléon » à la lettre N. Il est entouré de « Misères de la guerre » et « Ouragan », suivi de « Regrets » puis « Souvenirs »249. À l'évidence, Charlet fait référence au retour de la campagne de Russie, qui a provoqué pour l'Europe un ouragan géopolitique, ainsi que le retour de la royauté en France et les regrets et souvenirs des anciens soldats.

Charlet trouve son public en représentant Napoléon. Il destine manifestement ses dessins à la population nostalgique de l'Empire et aux anciens soldats de l'empereur, tel le colonel de

247 FEUILLET DE CONCHES, Félix-Sébastien, « Charlet », Encyclopédie des gens du monde répertoire universel des sciences, des lettres et des arts : avec des notices sur les principales familles historiques et sur les personnages célèbres, morts et vivants, par une société de savants, de littérateurs et d'artistes, français et étrangers, t. V, Paris, Treuttel et Würtz, 1833, p. 535.

248 LE MEN, Solène, « Les albums de Charlet et la genèse du réalisme », in BOCHER, Nathalie, FOUCART, Bruno, JAGOT, Hélène (éd.), op. cit, p. 69.

249 FOUCART, Bruno, « Charlet, premier et primaire imagier de la légende napoléonienne », in BOCHER, Nathalie, FOUCART, Bruno, JAGOT, Hélène (éd.), op. cit, p. 92.

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La Combe et le général Alexandre de Rigny (1790-1873). Le Napoléon illustré par Charlet est loin des canons esthétiques qu'ont développé avant lui David, Gros ou Vernet250. Celui de Charlet est traité de manière plus simple, peut-être plus populaire, manifestement pour plaire aux amateurs à qui il destine ses épreuves. À l'exemple de Napoléon en campagne, Charlet n'hésite pas à le représenter ; en pied certes, mais seul, de manière statique, le regard baissé et les bras croisés sur le champ de bataille. Charlet remporte l'affection du public en jouant manifestement avec sa sensibilité. Aussi, il n'hésite pas à représenter l'empereur dans un environnement domestique ou de manière populaire, tout en accordant également une place non négligeable à ceux qui le soutiennent. Dans Sire c'est à Austerlitz que j'ai été démoli (fig. 32) Charlet s'intéresse davantage à présenter le courage et la fidélité des soldats à Napoléon, qu'à mettre en lumière la bravoure de ce dernier. Il ravive ainsi les mémoires des anciens grognards de l'empereur et remportent leur affection.

Le fait de représenter l'empereur sous la Restauration induit fatalement à entretenir le souvenir de l'âge d'or de l'épopée napoléonienne. Il se présente également comme un acte de résistance, puisque remettant en cause l'hégémonie du pouvoir royal. Dans ce sens Charlet est aussi connu en son temps, comme un artiste engagé. Élevé dans le culte de l'Empire, Charlet n'hésite pas à se rattacher dès 1815 aux idées de l'opposition et détracter par la caricature le régime de Louis XVIII. Si au début, ses attaques sont discrètes en se focalisant plus aux personnalités qui entourent le souverain qu'au souverain lui-même, Charlet finit par s'en prendre directement à la figure du roi, à l'exemple de Mes chers enfants je vous porte tous dans mon coeur (fig. 33)251. Charlet s'emploie par ailleurs à représenter les combats de la Révolution de 1830, qui opposent les civils et les militaires. Cela aurait incité Decamps à écrire dans la Revue républicaine en 1835 : « Prud'hon, Géricault, Charlet, Béranger, Delacroix, tels sont les noms sur lesquels nous appuyons nos doctrines ; ce sont les artistes de la nation, ceux qui ont parlé au peuple et que le peuple a compris »252. Il semblerait que Decamps inscrit Charlet dans le mouvement libéral qui s'oppose au régime de Louis-Philippe. Pourtant, Charlet ne désavouera jamais son attachement à l'Empire. Il profite de surcroît de certains avantages sous le gouvernement du « roi des Français ».

250 Ibid, p. 89.

251 BOUDON, Jacques-Olivier, « Caricature et politique à l'époque de la monarchie constitutionnelle », in BOCHER, Nathalie, FOUCART, Bruno, JAGOT, Hélène (éd.), op. cit., p. 75-77.

252 Ibid, p. 82, in TOUCHARD, Jean, La gloire de Béranger, t. II, Paris, A. Colin, 1968, p. 106.

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C'est effectivement à cette période que Charlet embrasse une originale carrière de peintre. Outre ses nombreuses aquarelles, qui remportent un certain succès du fait de la « fureur aquarello-monomanique » 253 du moment et ses quelques tableaux de petites dimensions, Charlet se présente pour la première fois au Salon, à l'âge de quarante-quatre ans, en 1836 avec La retraite de Russie (fig. 34). Grâce à sa grande composition historique, Charlet reçoit honneur et distinction. Presque à l'unanimité, les critiques s'accordent sur la qualité du tableau, à l'instar d'Alfred de Musset qui lui consacre un long paragraphe dans son article sur le Salon de 1836 de la Revue des Deux Mondes.

La Retraite de Russie, de M. Charlet, est un ouvrage de la plus haute portée. Il l'a intitulé épisode, et c'est une grande modestie ; c'est tout un poème. En le voyant on est d'abord frappé par une horreur vague et inquiète. Que représente donc ce tableau ? Est-ce la Bérésina est-ce la retraite de Ney ? Où est le groupe de l'état-major ? Où est le point qui attire les yeux, et qu'on est habitué à trouver dans les batailles de nos musées ? Rien de tout cela ; c'est la grande armée, c'est le soldat ou plutôt l'homme ; c'est la misère humaine toute seule, sous un ciel brumeux, sur un sol de glace, sans guide, sans chef, sans distinction. [É] C'est bien une oeuvre de ce temps-ci, claire, hardie et originale. Il me semble voir une page d'un poème épique écrit par Béranger254.

Alfred de Musset semble mettre en valeur le réalisme de la scène proposée par Charlet en attirant l'attention sur le traitement du soldat en faisant l'analogie aux poèmes de Béranger. Le succès est attesté par l'achat du tableau par l'État, qui l'envoie au musée des Beaux-Arts de Lyon. Malgré la réussite de cette peinture d'histoire au Salon de 1836, Charlet ne parvient pas à se faire accepter à l'Institut de France cette même année, conséquence sans doute de l'ambivalence de sa carrière. Du gouvernement de Louis-Philippe, Charlet reçoit néanmoins la commande du Passage du Rhin pour le musée historique de Versailles. S'il ne rencontre manifestement pas le même succès que La Retraite de Russie (fig. 34) présentée deux ans auparavant, ce tableau rend compte du caractère officiel qu'aurait pu prendre la carrière de Charlet, si celui-ci avait persévéré dans cette veine. Charlet revient une dernière fois au Salon en 1843, avec le Ravin, qui reçoit une critique favorable.

En comparaison à son oeuvre lithographique innombrable, c'est paradoxalement ce corpus de seulement trois peintures qui permet à Charlet d'obtenir la plus grande reconnaissance de la critique et de l'administration des beaux-arts. En effet, l'État prend conscience de son talent de

253 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 86.

254 MUSSET, Alfred de, « Salon de 1836 », Revue des Deux Mondes, t. VI, 15 avril 1836, p. 153-154.

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peintre en lui confiant en 1838, la charge de professeur à l'école Polytechnique. De surcroît, les succès de Charlet au Salon participent à revaloriser son oeuvre lithographique, qui jusqu'à présent avait été dénigrée, puisqu'aucune épreuve n'était conservée dans les collections nationales. Ainsi, la bibliothèque du roi fait l'acquisition à la vente de la collection Bruzard, en avril 1839, de huit cent dix-neuf lithographies de Charlet pour la somme de 1 600 francs255.

À cette période, Charlet est à l'apogée de sa carrière. Il est aussi populaire auprès du peuple que de l'État, ce qui incite des auteurs à s'intéresser à la question de sa biographie. Néanmoins, la carrière de Charlet est difficile à appréhender, puisque contradictoire. D'un côté, il semble s'efforcer à remporter l'attachement des classes populaires, de l'autre il participe par intermittence à la vie artistique officielle et en obtient quelques succès. À l'évidence, cela induit ses biographes à prendre position pour l'une ou l'autre partie de son oeuvre. Feuillet de Conches semble être l'un des premiers à rédiger une notice individuelle sur Charlet en 1833256. Dans cette dernière, l'auteur s'attarde longuement sur la biographie de l'artiste en présentant sa formation et sa rencontre avec Géricault. Il rend compte également du talent de dessinateur lithographe et d'aquarelliste de Charlet, mais à l'inverse, ne renseigne pas le lecteur sur sa pratique picturale. Si celle-ci reste mineure à cette période, son oubli montre que déjà à cette date l'oeuvre de Charlet est difficile à appréhender. Il semble que l'ambiguïté de son oeuvre s'accentue après sa mort, qui survient le 30 octobre 1845. Si la revue l'Illustration lui consacre le 10 janvier 1846, un frontispice (fig. 35) qui résume exclusivement son oeuvre lithographique en convoquant les thèmes qui lui sont chers ; le maître d'école, les grognards ou Napoléon, d'autres préfèrent à l'inverse s'orienter vers sa carrière d'artiste peintre, comme l'auteur anonyme du Journal des Beaux-Arts et de la littérature, qui titre son article « M. Charlet (Nicolas-Toussaint) peintre d'histoire »257. D'autres encore, à l'instar de A. Solvet préfèrent

255 GRIVEL, Marianne, op. cit., p. 131.

256 FEUILLET DE CONCHES, Félix-Sébastien, « Charlet », Encyclopédie des gens du monde répertoire universel des sciences, des lettres et des arts : avec des notices sur les principales familles historiques et sur les personnages célèbres, morts et vivants, par une société de savants, de littérateurs et d'artistes, français et étrangers, t. V, Paris, Treuttel et Würtz, 1833, p. 532-535.

257 Anonyme, « Biographie des artistes. M. Charlet (Nicolas-Toussaint). Peintre d'histoire », Journal des Beaux-Arts et de la littérature, 1853, p. 121-124, in Anonyme, Recueil factice de pièces sur Nicolas-Toussaint Charlet, S. l. n. d.. Conservé à la BnF, cote YB3-601-8.

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prendre le parti du consensus, en présentant à la fois son parcours de lithographe et de peintre d'histoire258.

« Sa bonté l'a rendu populaire et son talent l'a fait aimer » écrit Jules Janin dans les colonnes de L'Artiste le 4 janvier 1846, quelques mois après la mort de Charlet259. Pourtant, Charlet ne semble pas remporter sa popularité si facilement. Par ailleurs, celle-ci paraît pouvoir s'envisager en deux temps. D'abord, l'artiste est apprécié par les classes populaires pour ses albums et ses caricatures, ainsi que pour ses représentations de Napoléon, qu'il diffuse par la lithographie, ensuite il devient un artiste reconnu par l'État et une grande majorité de la critique, grâce aux grandes compositions historiques qu'il présente au Salon. Finalement c'est après sa mort que sa popularité semble la plus importante et que l'ensemble de son public se rejoint, en reconnaissant la valeur de ses épreuves lithographiques et son talent de peintre d'histoire. Charlet suscite alors une littérature importante. C'est dans ce contexte effervescent autour de la figure de Charlet, que le colonel de La Combe rédige la biographie de l'artiste en opposition « aux idées étroites qui ont dominé ses contemporains »260.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon