B. Les sources à disposition pour le colonel de La
Combe.
Les publications du colonel de La Combe ; d'abord en 1854,
ensuite en 1856, interviennent près de dix ans après la mort de
Charlet et ne sont donc pas les premières à présenter la
carrière de l'artiste. Jusqu'alors, aucun document ne semble proposer
une étude aussi complète que Charlet sa vie, ses lettres,
suivie d'une description raisonnée de son oeuvre lithographique
dont l'auteur travaille au plus tard depuis 1849261. La Combe
consacre en effet à l'artiste un ouvrage de quatre cents pages, quant
auparavant Charlet ne faisait l'objet que de courts articles publiés
dans la presse spécialisée. Dans ce sens, Joseph-Félix Le
Blanc de La Combe exploite plusieurs sources matérielles pour
l'écriture de sa monographie sur Charlet. Outre l'évocation de
souvenirs et la transcription de certaines conversations qu'il a pu avoir avec
son sujet, le biographe paraît entreprendre une démarche
d'historien en tirant parti de la bibliographie, d'un corpus de lettres et des
oeuvres de l'artiste pour rédiger son ouvrage. Il sera
258 SOLVET. A., « Charlet », Écho de la
littérature et des beaux-arts, 1847, p. 34-36 in Recueil
factice de pièces sur Nicolas-Toussaint Charlet, ibid.
259 JANIN, Jules, « Charlet », L'Artiste, IVe
série, t. V, 4 janvier 1846, p. 154.
260 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit.,
p. 5.
261 SAINT-GEORGES, Henri de, op. cit., p. 28-29.
79
question ici de nous intéresser à l'ensemble des
moyens qu'avait à disposition le colonel de La Combe pour la
rédaction de Charlet sa vie, ses lettres.
Il semble que la volonté de La Combe à consacrer
un ouvrage à Charlet, lui soit venu de la correspondance qu'il
possédait de l'artiste262. Aussi comme semble l'indiquer le
titre, l'auteur accorde une place importante dans son ouvrage au recueil de
lettres de Charlet, comme sa lettre du 23 février 1849 adressée
à Hippolyte Bellangé le confirme : « Dans l'ouvrage dont je
m'occupe, la partie la plus intéressante, sans doute, et très
originale, sera le recueil de lettres et de documents sortis de la plume de
notre ami »263. À cette date, le colonel de La Combe ne
paraît pas encore avoir constituer son recueil, mais détient
déjà probablement un corpus important de lettres de Charlet,
conséquence de la correspondance qu'il entretenait avec ce dernier.
Marianne Grivel estime à soixante le nombre d'autographes de Charlet que
possédait le colonel de La Combe264. Toutefois, celle-ci ne
mentionne pas la source de son information. Pour notre part, nous avons
relevé dans l'ouvrage du colonel une dizaine de lettres de Charlet lui
étant adressées. S'il est probable que La Combe en détient
davantage, sa seule correspondance ne lui permet certainement pas de rendre
compte de la biographie complète de l'artiste.
Le colonel de La Combe a ainsi récolté des
lettres de Charlet auprès de la famille de l'artiste, de ses amis et de
ses protecteurs. C'est dans ce sens que La Combe fait part à
Bellangé de son intention de faire participer tous ceux qui ont
entretenu une correspondance avec Charlet265. Visiblement, La Combe
semble avoir remporté l'adhésion du cercle de l'artiste, puisque
nous avons distingué au moins vingt-sept destinataires
différents. Ce recensement doit probablement être inférieur
au nombre d'individus qui ont participé à l'entreprise du colonel
de La Combe, puisqu'il semble que l'auteur conserve l'anonymat de certains
protagonistes. Les noms les plus récurrents sont sans conteste ceux des
protecteurs de Charlet, à l'instar d'Alexandre de Rigny, dont nous avons
relevé quatorze lettres ou encore de Musigny, un riche amateur, qui
envoie au moins huit lettres de l'artiste au colonel. Au regard de l'ouvrage de
La Combe, il semble que Charlet entretenait une correspondance plus dense avec
ses amis
262 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit.,
p. 4.
263 SAINT-GEORGES, Henri de, op. cit., p. 33.
264 GRIVEL, Marianne, « On demande en vain... »,
op. cit., p. 132.
265 SAINT-GEORGES, Henri de, op. cit., p. 34.
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collectionneurs qu'avec les artistes. Bellangé est
semble-t-il l'artiste qui fournit le plus de lettres. En outre, celui-ci livre
un portrait de Charlet (fig. 36) pour illustrer l'ouvrage de La Combe, comme il
le fera plus tard pour la biographie d'Henri de Saint-Georges en 1862.
Eugénie Charlet266, la veuve de l'artiste, est
également sollicité par La Combe. Elle lui envoie en effet,
quatre lettres de son époux écrites avant leur mariage, ce qui
confirme la proximité du colonel avec la famille de Charlet. La Combe
transcrit également quelques lettres lui étant adressées
par les amis de Charlet, à l'exemple de celle du général
de Rigny, dans laquelle celui-ci présente sa rencontre avec
l'artiste267. La publication de cette correspondance démontre
l'amitié qui lie La Combe aux autres amateurs de l'artiste. Aussi,
montre-elle l'effervescence de l'entreprise du colonel autour de la
revalorisation de l'oeuvre de Charlet. Si elle est à l'évidence
plus modeste, la manière dont procède Henri de Saint-Georges
lorsqu'il rédige la biographie posthume du colonel de La Combe
paraît analogue. Hippolyte Bellangé, Alexandre de Rigny et
François-Joseph Régnier (1807-1885) de la Comédie
Française, lui envoient les lettres qu'ils détenaient de La
Combe. Néanmoins, c'est principalement les lettres du colonel
adressée à Saint-Georges qui sont publiées dans
L'historien de Charlet peint par lui-même.
Il est évident que le colonel de La Combe utilise de la
bibliographie en plus des informations réunies grâce aux archives
manuscrites et à la connaissance des notices publiées
précédemment sur Charlet268. Si à l'instar de
la grande majorité de ses contemporains, La Combe ne propose pas la
liste des ouvrages consultés dans le cadre de ses recherches sur
Charlet, il connaît les récentes publications de la
littérature artistique en citant ponctuellement quelques
références bibliographiques. Il est possible qu'il ait eu usage
pour mener ses recherches de la Bibliographie de la France : ou Journal
général de l'imprimerie fondé en 1811, qui recense
l'ensemble des livres, revues et estampes publiés en France. Plus que
pour y trouver des informations sur Charlet, il semble que son utilisation de
la bibliographie lui sert à nourrir son propos, en complétant le
corps de texte par des citations en note de bas de page. Ainsi, La Combe cite
à propos de l'enseignement de Gros, fondé sur la copie des
maîtres anciens et placé sous l'autorité de David, la
monographie de Feuillet de Conches consacrée à Léopold
Robert, dans laquelle l'auteur revient sur la formation de son sujet : «
Et cependant David disait à ses élèves : «on peut
étudier les grands maîtres ; mais c'est la nature seule qu'il
266 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit.,
p. 39.
267 Ibid., p. 22-23.
268 Ibid., p. 6.
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faut suivre : on se fait toujours soi-même. Je veux vous
préparer pour vous, pour votre nature, et non contre nature»
»269. La citation de cet ouvrage est à
appréhender comme un contre argument à l'obstination
académique de Gros avec certains de ses élèves, à
l'exemple de Bonington, que présente le colonel de La Combe quand il
s'intéresse à la formation de Charlet dans l'atelier de Gros. En
effet, La Combe utilise le texte de Feuillet de Conches pour justifier la
contradiction de Gros avec les préceptes de l'enseignement de David.
Le colonel de La Combe semble s'aider également de la
bibliographie pour organiser la description raisonnée de l'oeuvre
lithographique de Charlet. Dans ce sens, il ne paraît pas vouloir
reproduire le classement adopté par Bruzard dans le Catalogue
raisonné de l'oeuvre lithographique de Mr J. E. Horace
Vernet270.
Ce n'était pas chose facile que de classer un oeuvre
aussi considérable. Il y a quelques années, M. Buizard [sic.],
connu par un malencontreux catalogue de l'oeuvre lithographique d'Horace
Vernet, l'avait essayé. Son travail est resté inédit. Il
avait adopté un espèce d'ordre par matière. Toutes les
suites, toutes les pensées du maître se trouvaient perdues dans
telle ou telle catégorie ; les militaires, les bourgeois, les enfants ;
puis les militaires et les bourgeois réunis, etc. etc. ; il faisait
même figurer dans ces cadres de simples croquis contenant à peine
quelques indications271.
Il est probable que le colonel de La Combe ait consulté
cet ouvrage en préparation du catalogue de l'oeuvre lithographique de
Charlet. En effet, il est un modèle à ne pas reproduire pour La
Combe, puisque paraît-il séparant trop les thèmes de
représentation et par conséquent ne rendant pas compte de
l'oeuvre lithographique complet de Vernet. Ainsi, préfère-il
réaliser un catalogue divisé en dix sections, qu'il classe
notamment par genre, imprimeur et période de création. À
l'intérieur de ces grandes parties, La Combe propose une
appréciation de la rareté des épreuves lithographiques,
s'inspirant visiblement de la Description des médailles antiques
grecques et romaines, avec leur degré de rareté et leur
estimation de Théodore-Edme Mionnet (1770-1842), dont les
publications s'étendent de 1806 à 1838272. Indiquant
cette source bibliographique en préambule273, La Combe
cherche vraisemblablement à légitimer son travail
269 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op.
cit., p. 11 in FEUILLET DE CONCHES, Félix-Sébastien,
Léopold Robert, sa vie, ses oeuvre et sa correspondance, Paris,
Bureau de la Revue des Deux Mondes, 1848, p. 16.
270 BRUZARD, L. M., op. cit.
271 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit.,
p. 134.
272 MIONNET, Théodore-Edme, Description des
médailles antiques grecques et romaines, avec leur degré de
rareté et leur estimation, t. I, Paris, impr. De Testu, 1806.
273 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit.,
p. 203.
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en s'appuyant sur un ouvrage de référence.
Ainsi, il utilise les signes déjà en usage pour indiquer le
degré de rareté de ces diverses pièces : « R
désigne une pièce rare ; RR - une pièce plus rare encore ;
RRR - une pièce très-rare »274. À
l'évidence, l'échelle d'appréciation utilisée par
le colonel de La Combe résulte de son expérience de
collectionneur. Par ailleurs, elle n'est pas aussi précise que celle
employée par Mionnet cinquante ans plus tôt. Ce dernier distingue
« jusqu'à R8, qui est la plus grande Puissance,
qu'[il a] donné à cette lettre, et qui indique par
conséquent que la Médaille est d'une extrême rareté
»275. Peut-être que le classement des lithographies de
Charlet ne demande pas une échelle de précision aussi
fragmentée ou bien le colonel de La Combe ne souhaite pas s'attirer
l'ironie de la critique ? La trop grande minutie des amateurs d'estampes pousse
notamment Jules Champfleury à se moquer de leur comportement dans
l'Hôtel des commissaires-priseurs en 1867276.
Comme Mionnet, La Combe entreprend la constitution de son
catalogue à partir de sa propre collection de lithographies de Charlet.
Il semble être l'un des rares amateurs à posséder l'oeuvre
lithographique complet de l'artiste, ce qui lui permet de l'appréhender
dans sa globalité. Néanmoins, la collection du colonel de La
Combe est complète à quelques exceptions, comme l'atteste
Philippe Burty dans la préface du catalogue de vente de la collection de
La Combe : « Et s'il y manquait quelques-unes de ces pièces dont on
ne connaît qu'une épreuve, M. de La Combe obtenait de son heureux
possesseur la permission d'en faire prendre un calque fidèle par l'un
des plus habiles élèves de Charlet, M. L. Canon
»277. À l'évidence, le colonel de La Combe jouit
d'un réseau de sociabilité assez important pour que les autres
amateurs l'autorisent à faire exécuter par Canon, des
fac-similés de leurs épreuves les plus rares. Cette pratique
semble relativement courante dans le cercle d'amateurs que fréquente La
Combe. En effet, François Parguez dispose également de calques de
lithographies de Charlet réalisées par son ami le
général Pierre Claude Pajol278. De surcroît,
certains calques à l'exemple du Jeune garçon qu'on suppose
être le fils de M. Vivant Denon (fig. 10), ont
été réalisé par Canon sous la direction même
de Charlet, comme le confirme Louis Clément dans le catalogue de vente
la
274 Ibidem.
275 MIONNET, Théodore-Edme, op. cit., p. ix.
276 CHAMFLEURY, Jules, op. cit., p. 11. Voir p. 66 de
notre mémoire.
277 BURTY, Philippe, « Préface », in PETIT,
Francis, op. cit., p. X.
278 DELBERGUE-CORMONT, Victorien Louis Jean-Baptiste,
VIGNIÈRES, Jean-Eugène, op. cit., p. 12.
83
collection de La Combe279. Ainsi, nous avons
relevé quatorze fac-similés de lithographies de Charlet dans la
collection d'estampes du colonel de La Combe, à partir du catalogue de
vente. Dans son intérieur tourangeau où il conserve l'oeuvre
complet de Charlet, La Combe peut donc travailler à son catalogue
raisonné de l'oeuvre lithographique de Charlet, sans avoir besoin de se
déplacer régulièrement puisque conservant l'ensemble des
pièces.
Il semble que La Combe se sert également de sa
collection de peintures, aquarelles et dessins de Charlet, pour
présenter certaines anecdotes dans sa monographie consacrée
à l'artiste. On relève en effet dans Charlet sa vie, ses
lettres, au moins quatre oeuvres de Charlet faisant partie de la
collection du colonel de La Combe : Une classe en insurrection, Les vieux
souvenirs, Un paysage, et La voiture du cantinier. Au travers de
ces quatre oeuvres, La Combe présente davantage le caractère et
les méthodes de travail de Charlet qu'il ne propose une analyse
stylistique. À l'exemple de la Classe en insurrection, La Combe
montre la manière dont Charlet lui a fait don de cette oeuvre. Il semble
ainsi mettre en lumière son importante collection en
s'intéressant ponctuellement à quelques oeuvres lui appartenant
et sur lesquelles il peut également livrer à son lecteur une part
de l'intimité de Charlet.
À l'évidence, la proximité du colonel de
La Combe avec Charlet a facilité son travail de recherche biographique,
puisque possédant déjà de nombreuses informations.
Toutefois à l'instar d'un historien, le colonel de La Combe semble
multiplier les sources d'informations, pour rédiger son ouvrage sur
Charlet et « faire connaître à la France un de ses plus
dignes enfants »280.
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