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Joseph-Félix Le Blanc de La Combe (1790-1862), collectionneur tourangeau


par Brice Langlois
Université François-Rabelais de Tours - Master I Histoire de l'art 2016
  

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C. « Faire connaître à la France un de ses plus dignes enfants... » L'ambition du colonel de la Combe pour la mémoire de Charlet.

En ce milieu du XIXe siècle où une bonne part de la population française ne sait ni lire, ni écrire, l'ouvrage du colonel de La Combe n'est à l'évidence pas destiné à toutes les couches de la société. Priant son lecteur de l'excuser de son « insuffisance, car [il n'est] ni littérateur, ni critique, ni artiste »281, La Combe s'adresse néanmoins à un public éclairé dans le domaine des beaux-arts, à l'exemple d'Eugène Delacroix qui semble avoir connaissance de l'ouvrage dès la

279 PETIT, Francis, op. cit., p. 34.

280 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 5

281 Ibidem.

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fin de l'année 1856282, ou encore de François Parguez qui possède un exemplaire de Charlet sa vie ses lettres comme en atteste le catalogue de la vente de sa collection283.

Suivant l'exemple de la biographie de Léopold Robert par Feuillet de Conches et celle de Pierre Augustin Caron de Beaumarchais (1732-1779) par Louis de Loménie (1815-1878)284, le colonel de La Combe paraît amorcer en France la mode de la biographie par la publication d'un corpus de lettres. Né en Angleterre au début du siècle comme semble l'indiquer La Combe dans une lettre à Henri de Saint-Georges285, ce parti narratif se développe considérablement autour des années 1860-1870 et remporte un certain succès jusqu'au début du XXe siècle. Ainsi, le récit se présente comme une alternance entre la contextualisation des événements par l'auteur, la citation ou publication de lettres entières en rapport avec les circonstances préalablement exposées et les commentaires de ces dernières. La Combe justifie sa probité intellectuelle en confirmant l'authenticité des lettres de Charlet et en reconnaissant qu'il a dût en omettre quelques parties : « Si parfois, et à notre grand regret nous avons dû y faire des suppressions commandées par divers motifs, jamais nous ne sommes permis d'en modifier la forme ou l'expression »286.

L'introduction de l'ouvrage semble débuter par un court bilan historiographique sur Charlet, dans lequel La Combe montre que jusqu'à présent l'artiste n'a pas été apprécié à sa juste valeur, hormis par un petit nombre d'amateurs.

[É] ce grand artiste a été mal jugé, nous pourrions dire méconnu. Quoique son souvenir soit encore dans toutes les mémoires, on le regarde comme un artiste d'un ordre secondaire, sauf un bien petit nombre de juges d'élites qui, l'ayant vu et étudié de plus près, ont su découvrir en ses ouvrages le sceau du génie. Pour les autres, Charlet est un homme d'esprit, sans aucun doute, mais ce n'est qu'un faiseur de caricature [É]287.

Le colonel de La Combe revient rapidement sur la réception de l'oeuvre de Charlet en distinguant deux opinions : celle des défenseurs, qui voient en Charlet un artiste

282 DELACROIX, Eugène, Journal 1855-1863, t. III, Paris, imp. Plon-Nourrit et Cie, 1895, p. 187.

283 DELBERGUE-CORMONT, Victorien Louis Jean-Baptiste, VIGNIÈRES, Jean-Eugène, op. cit., p. 14.

284 LOMÉLIE, Louis de, Beaumarchais et son temps : études sur la société en France au XVIIIe siècle d'après des documents inédits, Paris, Michel-Lévy Frères, 1855.

285 SAINT-GEORGES, Henri de, « Charlet et son historien », Revue des provinces de l'ouest, n°4, 1856, p. 215.

286 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. p. 5.

287 Ibid., p. 3.

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pluridisciplinaire de talent, et celle des détracteurs, qui au contraire ne retiennent que ses épreuves lithographiques, mais ne les considèrent pas comme des oeuvres d'art. À l'évidence, La Combe cherche à palier l'incompréhension de l'oeuvre de Charlet par la publication de son ouvrage. La présentation de la formation de l'artiste est l'occasion d'insister sur le fait qu'il est distingué très tôt des autres élèves par son maître. Gros ne lui impose pas en effet un enseignement strict et académique, comme il le fait avec Bonington288 : « Charlet seul, suivant une route à part, fut dès le premier jour jugé et apprécié dignement par son maître, qui prédit son avenir. Aussi avec lui ne fut-il jamais question de grands prix, de concours, de voyages à Rome »289. Dans ce sens, La Combe semble appliquer à la carrière de Charlet une forme de prédestination pour la lithographie. De fait, La Combe cite non sans hasard, les félicitations de Gros à Charlet pour ses premières lithographies qu'il fait éditer chez Delpech : « «J'ai vu tel de vos compositions» lui disait-il, «c'est bien, très bien, continuez...» »290. L'auteur souligne également l'avant-garde des épreuves de jeunesse de Charlet, puisqu'appréciées par les artistes de la jeune génération, à l'instar de Géricault. Avec ce dernier, Charlet partage en 1820 un voyage en Angleterre pour la présentation du Radeau de la Méduse. Au cours de ce séjour Charlet paraît avoir initié son compagnon à la lithographie.

Les premières études lithographiques de Géricault prouvent qu'il avait peu l'usage du crayon sur la pierre ; il a dû consulter Charlet, qui maintes fois lui a apporté sa collaboration. Deux pièces à la plume, entre autres, lui appartiennent presque entièrement, quoiqu'elles soient classées dans l'oeuvre de Géricault, dont, il est vrai, elles en portent pas le nom291.

Pour preuve du talent précoce de lithographe de Charlet, La Combe donne en exemple son enseignement de la technique à Géricault. Néanmoins, il semble difficilement concevable que Charlet ait eu une grande influence sur la maîtrise de la technique lithographique de cet artiste292. En effet, Géricault livre déjà avant son départ pour l'Angleterre des pièces de grande qualité, à l'instar des Boxeurs (fig. 37) en 1818, dont le colonel de La Combe possède par ailleurs une épreuve. Aussi, La Combe protège l'oeuvre lithographique de Charlet en constituant son catalogue, qui recense mille quatre-vingt neuf épreuves. De cette manière, le catalogue vise

288 Ibid., p. 11.

289 Ibid., p. 12.

290 Ibid., p. 12.

291 Ibid., p. 18.

292 JOBERT, Barthélémy, « Charlet. Une carrière de peintre de la Restauration à la Monarchie de Juillet », in BOCHER, Nathalie, FOUCART, Bruno, JAGOT, Hélène (éd.), op. cit., p. 31-32.

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à « réveill[er] chez les uns des souvenirs et donn[er] aux autres le désir de connaître »293. En somme, La Combe recherche le consensus entre les défenseurs et les détracteurs des lithographies de Charlet.

La Combe présente aussi les autres médiums dans lesquelles s'est illustré Charlet. S'il passe presque sous silence les quelques dessins à l'eau-forte réalisés en 1828294 ; qui semblent d'ailleurs ne pas avoir été un franc succès, l'auteur s'intéresse particulièrement aux sépias et aux aquarelles de Charlet : « En effet, dans ces magnifiques aquarelles, dans ces sépias si vigoureuses et si transparentes, indépendamment du mérite du procédé, du dessin, de la couleur, se trouve celui de la pensée, à un degré aussi éminent que dans l'oeuvre lithographique »295. Quand il s'intéresse à un autre médium, La Combe ne peut s'empêcher de les comparer aux lithographies. Il insiste notamment sur les thèmes communs des lithographies et des aquarelles de l'artiste. Pourtant les premières sont davantage dépréciées que les secondes, qui au contraire remportent un large succès comme le fait remarquer La Combe296. La manière de valoriser les oeuvres dessinées, aquarelles et sépias paraît finalement assez proche de celle que La Combe emploie pour revaloriser la lithographie. Il fait effectivement de Charlet l'un des grands protagonistes, si ce n'est le plus important, du dessin aquarellé en France de la première moitié du XIXe siècle.

[É] Schroth, un des marchands qui les premiers comprirent si bien le commerce des dessins, fit connaître en France les aquarellistes anglais, presque tous paysagistes, il est vrai. Néanmoins les artistes français eurent à gagner dans ces importations ; ils virent que, même avec de l'aquarelle, on pouvait être vigoureux et coloriste ; alors ils ont osé. Mais déjà Charlet, lui avait osé tout seul : on a pu apprendre beaucoup de lui, il n'a eu à apprendre de personne ; et on peut même dire qu'il a inventé les couleurs à l'eau, il a inventé la véritable aquarelle, et ouvert un chemin dans lequel tant d'autres se sont précipités sans pouvoir l'atteindre297.

La Combe semble attribuer à Charlet le mérite de la rénovation de l'aquarelle en France en le présentant comme le pionnier du dessin aquarellé. Le colonel n'hésite donc pas à le comparer aux aquarellistes anglais, qui développent largement le médium à l'exemple de Bonington ou Samuel Prout (1783-1852), qu'il collectionne également. Charlet manifeste

293 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 135.

294 Ibid., p. 46.

295 Ibid., p. 85.

296 Ibid., p. 90.

297 Ibid., p. 86.

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comme eux un goût pour le paysage. Cependant La Combe accorde aux dessins de Charlet une supériorité dans la précision et dans le rendu du paysage, qui l'incite à les comparer aux oeuvres de Jacob van Ruysdael (1628-1682) à l'évidence pour le légitimer298. Enfin, La Combe fait de Charlet le précurseur des artistes peignant sur le motif299.

Joseph-Félix Le Blanc de La Combe semble accorder une place non négligeable à la carrière picturale de Charlet. Il lui consacre en effet deux chapitres et y fait ponctuellement référence dans les différentes parties de son ouvrage. Néanmoins, le colonel fait remarquer le manque d'expérience et les difficultés de l'artiste dans ce médium.

« Il attribuait principalement son manque d'adresse dans l'exécution, à ce que d'abord chez son maître Gros il avait fait peu d'études peintes d'après nature. Puis il était trop impatient d'arriver immédiatement à un résultat, gâté qu'il était par des procédés de la lithographie, de la sépia et de la l'aquarelle »300.

Il est évident que la pratique de la peinture à l'huile demande de la patience et de la concentration, que Charlet n'a pas à l'évidence. Pourtant La Combe insiste sur le fait que Charlet a du talent dans ce médium, et le justifie principalement dans le chapitre qu'il consacre presque entièrement à la réception de la Retraite de Russie (fig. 34) au Salon de 1836, dans lequel il cite en intégralité l'article élogieux d'Alfred de Musset301. Aussi, La Combe cherche semble-il à montrer la manière dont Charlet envisage la pratique de la peinture à l'huile. C'est dans ce sens que La Combe cite une lettre de Charlet écrite pendant la création de la toile qui l'a rendu célèbre, et dans laquelle il s'interroge sur ses motivations : « «Pourquoi Charlet veut-il faire de la peinture ? il devrait s'en tenir à ses lithographies. Mon coeur se brise à une idée pareille» »302. On comprend dès lors que sa pratique picturale se présente comme un défi. Charlet cherche probablement aussi la reconnaissance officielle de ses contemporains.

L'ouvrage du colonel de La Combe est autant destiné à faire connaître l'oeuvre de Charlet, que sa vie personnelle. En effet, pour l'auteur la vie de son sujet est une perspective aussi intéressante que son oeuvre, puisque les deux semblent finalement s'influencer directement.

298 Ibid., p. 87.

299 Ibid., p. 88.

300 Ibid., p. 74.

301 MUSSET, Alfred de, op. cit., in LE BLANC DE LA COMBE, Josep-Félix, op. cit., p. 91.

302 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 92.

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On a dit à raison que la meilleure biographie d'un artiste était l'histoire de son oeuvre et que c'était là qu'il fallait l'étudier et apprendre à la connaitre. Et, cependant, on peut croire que pour l'artiste qui procède de lui-même, sa vie est un commentaire utile de ses ouvrages. Puis on veut des détails intimes, des anecdotes, des lettres, etc. etc. ; si tout cela se demande pour les autres, à plus forte raison doit-on l'exiger pour Charlet303.

L'oeuvre et la vie de l'artiste sont effectivement très liées. L'ouvrage du colonel de La Combe donne également la possibilité de connaître le contexte de création de certaines oeuvres, mais surtout permet de rendre compte des relations qu'entretenaient Charlet avec ses amis. De nombreux amateurs sont alors cités, à l'exemple de ses plus fidèles protecteurs, dont le général de Rigny, François Parguez, Auguste Moufle, Feuillet de Conches, Hippolyte Lalaisse et évidemment le colonel de La Combe. Le biographe semble de cette façon rendre hommage à l'ami plus qu'au peintre, en évoquant le souvenir de leur amitié par la publication des lettres de Charlet. Cette volonté justifie finalement le parti narratif adopté par le colonel de La Combe. En effet les lettres retranscrivent le comportement de l'artiste avec ses amis et participent à la connaissance de sa personnalité. Grâce au vaste corpus de lettres réuni par La Combe, Charlet est présenté en différentes émotions et sous différents angles. Elles le montrent en effet comme un personnage attentif à ses amis, parfois mélancolique, mais plus souvent volubile, comme en témoigne les quelques vers extraits de la lettre du 7 octobre 1833 adressée au colonel de La Combe lorsque Canon est à Tours.

Pour des rillettes,
Et caetara,
De mauvaises lettres
On écrira ;
Et puis je recevrai tout ça (les rillettes).
Alleluia304.

Par la publication de ces vers en particulier et par l'édition de ses lettres, La Combe présente le caractère de son ami. La publication des lettres de l'artiste est aussi l'occasion pour La Combe de confirmer la qualité d'écrivain de Charlet, qu'il défend dans son introduction305. Il s'appuie également sur la citation d'une partie de l'ouvrage de Charlet écrit à partir de 1839, La Plume causerie artistique, « en guise de préface à son cours de cinquante-deux dessins à la

303 Ibid.., p. 5.

304 Ibid., p. 70.

305 Ibid, P. 4.

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plume »306. L'auteur de Charlet sa vie, ses lettres se distingue ainsi des autres biographes de l'artiste, puisqu'en effet aucun ne l'avait envisagé comme tel auparavant. La forme et l'expression de Charlet semblent lui être effectivement caractéristique. La Combe légitime ainsi le registre de langue avec lequel s'exprime l'artiste. En effet, les lettres de Charlet sont souvent rédigées dans un niveau de langue familier. Pourtant « si c'est être écrivain que de trouver des tours neufs, des formes originales, des expressions incisives, pittoresques, qui enrichissent la langue ; si c'est être écrivain que de créer des proverbes, cette sagesse des nations ; certes à tous ses titres, Charlet peut prendre rang parmi les hommes qui ont écrit »307. Charlet apprécie en effet les jeux de mots et les calembours. Néanmoins, cette tonalité familière se retrouve davantage dans sa correspondance, que dans la Plume ; écrit à destination de ses élèves de l'école Polytechnique, ce qui démontre que ses lettres n'étaient pas vouées à être publiées. À l'évidence, elles relèvent de son intimité.

Charlet sa vie, ses lettres se présente comme l'oeuvre d'un ami consacrée à la mémoire d'un ami. L'auteur paraît avant tout rendre hommage à l'oeuvre, la carrière et au caractère de Charlet. Dans ce sens, la démarche de La Combe est relativement similaire à celle du poète Auguste Moufle, qui en 1839, publie un Épitre à Charlet. L'auteur narre avec solennité l'oeuvre et la vie de Charlet depuis son enfance jusqu'à sa carrière de peintre d'histoire, mais salue aussi le tempérament de l'artiste. En guise de conclusion, Moufle rédige ces quelques vers :

En écrivant ces vers j'ai formé qu'un voeu : Puisses-tu les trouver dignes de ton aveu, Applaudir aux effets de ma muse inquiète, Et du titre d'ami décorer le poète 308!

Si Moufle fait honneur à son sujet en reconnaissant sa qualité d'artiste et d'ami, il semble par ailleurs avoir pour ambition d'obtenir la reconnaissance publique de Charlet et probablement aussi celle de ses lecteurs. Les relations amicales avec les artistes sont en effet valorisantes pour les amateurs. En publiant les lettres de Charlet qui lui étaient adressées, La Combe présente ostensiblement leur amitié. La proximité que révèle leur correspondance permet ainsi à La Combe de se poser comme le biographe incontestable de Charlet, ce qui lui donne la possibilité de garantir au lecteur l'authenticité et la valeur des propos qu'il exprime.

306 Ibid., p. 109.

307 Ibid. p. 4.

308 MOUFLE, Auguste, Épître à Charlet, Paris, Imprimerie de E. Duverget, 1839, p. 24.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote