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Joseph-Félix Le Blanc de La Combe (1790-1862), collectionneur tourangeau


par Brice Langlois
Université François-Rabelais de Tours - Master I Histoire de l'art 2016
  

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II. Joseph-Félix Le Blanc de La Combe et Nicolas-Toussaint Charlet, deux destins indissociablement liés.

A. La réception critique de Charlet sa vie, ses lettres.

Lorsque le colonel de La Combe envoie son manuscrit à deux éditeurs parisiens en vu de sa publication, il semble que ces mots lui aient été renvoyés: « Cela n'a aucune valeur, n'aura aucun succès, et ne fera pas ses frais »309. Ce refus de faire éditer son ouvrage à Paris, paraît inciter La Combe à entreprendre la publication à ses frais310 chez l'imprimeur tourangeau, J. Bouserez. Toutefois à l'inverse de ce que prévoyait les éditeurs, le livre connaît un succès éditorial dès sa parution en octobre 1856311. En effet, cette publication est fortement médiatisée dans la presse spécialisée, puisqu'au minimum sept articles lui faisant référence sont publiés312. À travers l'ensemble des commentaires parus à l'occasion de la sortie du livre du colonel de La Combe, il serait intéressant de présenter la réception critique de Charlet sa vie, ses lettres pour appréhender dans la suite de la partie, son influence sur la réputation de La Combe et la renommée de Charlet.

L'ensemble des critiques reconnaît la valeur de Charlet sa vie, ses lettres et salue à l'unanimité la démarche de son auteur. Ainsi, Auguste de Belloy écrit dans son article publié dans La Revue Française que cette publication est « l'une des plus intéressantes, des plus neuves, des mieux conduites que l'on ait vues depuis longtemps »313, tandis qu'Henri de Saint-

309 SAINT-GEORGES, Henri de, op. cit., p. 35.

310 Ibid., p 35.

311 Bibliographie de la France ou Journal général de l'imprimerie et de la librairie, n° 43, 25 octobre 1856, p. 1079.

312 BELLOY, Auguste de, « Charlet sa vie, ses lettres », Revue Française, s. l. n. d., p. 18-27, in Anonyme, Recueil factice de pièces sur Nicolas-Toussaint Charlet, S. l. n. d.. Conservé à la BnF, cote YB3-601-8.

CLÉMENT DE RIS, Louis, « Toussaint Charlet. Charlet sa vie, ses lettres par M. De Lacombe », L'Artiste, 6ème série, t. II, 2 novembre 1856, p. 262-265.

CLÉMENT DE RIS, Louis, op. cit., 9 novembre 1856, p. 275-278.

DELACROIX, Eugène, « Charlet », Revue des Deux Mondes, seconde période, vol. 37, 1er janvier 1862, p. 234242.

GRANDMAISON, Charles de, « Charlet artiste et écrivain », La correspondance littéraire, n° 5, s. l. n. d., p. 101103, in Anonyme, Recueil factice de pièces sur Nicolas-Toussaint Charlet, S. l. n. d.. Conservé à la BnF, cote YB3-601-8.

SAINT-GEORGES, Henri de, « Charlet et son historien », Revue des provinces de l'ouest, n°4, 1856, p. 193-216.

313 BELLOY, Auguste de, op. cit., p. 19.

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Georges dans la Revue des provinces de l'ouest s'efforce de faire « connaître le puissant intérêt de cette attrayante étude biographique et le remarquable talent de son auteur »314. Si Louis Clément de Ris, le premier à commenter La Vie de Charlet, apprécie le style « simple et naturel »315 du colonel de La Combe, il reconnaît aussi son travail d'historien. Ainsi, le critique semble apprécier le mode de narration épistolaire de l'ouvrage pour l'impartialité qu'elle induit et pour l'apport « d'une masse de faits assez solides pour permettre d'y baser une appréciation équitable »316. Il semble que la transcription de la correspondance de Charlet suscite un intérêt particulier chez tous les critiques, qui découvrent alors le caractère et la vie personnelle de Charlet, mais surtout s'étonnent de sa qualité d'écrivain que La Combe cherchait à mettre en lumière dès son introduction. Tous font référence à ce talent caché et s'attardent plus ou moins longuement à ce sujet, comme Clément de Ris qui lui consacre une partie importante de son étude.

Ce pieux monument révèle un talent caché de Charlet d'autant plus intéressant qu'il était à peu près inconnu jusqu'à ce jour. Je veux dire l'écrivain. Oui, Charlet était un écrivain, un écrivain de talent original. Incorrect, débraillé, plein de taches que le goût réprouve, son style n'est certes pas académique, et je ne le recommande pas aux faiseurs de cours de littérature ; mais il est doué d'une personnalité qui n'a rien de bizarre, et n'en est que plus vive ; il est clair, coloré, non surchargé, animé, rapide. [É] Oui, j'ai pris un vif plaisir à lire ces lettres. Ça a été une heureuse surprise dans un genre où les surprises sont si souvent malheureuse, et à un moment où la pauvre langue française reçoit de si triste accrocs317.

Comme en témoigne cette citation, le critique semble particulièrement sensible à la qualité d'écrivain de Charlet, en défendant ardemment son style littéraire et l'intelligence de ses tournures. Peut-être que dans le contexte de simplification de la langue française, Clément de Ris voit en la verve de Charlet « l'esprit gaulois »318 auquel le colonel de La Combe faisait référence. Si cela venait à être confirmé, il serait probablement envisageable d'appréhender la sensibilité pour le style de Charlet comme une forme de patriotisme.

Dans une majorité des critiques parus à propos de cet ouvrage, il semble que la qualité de peintre, graveur et lithographe de Charlet soit paradoxalement moins retenu que son intimité,

314 SAINT-GEORGES, Henri de, « Charlet et son historien », op. cit., p. 215.

315 CLÉMENT DE RIS, Louis, op. cit., p. 262

316 CLÉMENT DE RIS, Louis, op. cit., p. 262

317 Ibid., p. 262-263.

318 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 5.

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comme en témoigne ce court passage de l'article de Charles de Grandmaison (1824-1903) publié dans La correspondance littéraire : « On se plaît à étudier ainsi Charlet dans ses lettres, à connaître ses habitudes et ses goûts, et vraiment nous avons été charmé de voir qu'il adorait le bric à brac »319. On constate que ce sont ses activités en marge de sa carrière d'artiste, ici le collectionnisme, qui sont principalement mises en exergue. Dans ce sens, il est possible de s'interroger sur l'ambition du colonel de La Combe à travers la publication de son ouvrage. L'auteur préférait-il revaloriser l'oeuvre ou plutôt mettre en évidence le caractère et la vie quotidienne de Charlet ? Il semble qu'Eugène Delacroix confirme la seconde hypothèse dans son journal à la date du 26 janvier 1859.

Je ne suivrai pas l'auteur de la Vie de Charlet dans la partie anecdotique de son histoire. Cette partie y occupe une grande place ; ami du grand artiste, il a connu une foule de particularités, et il a fait ressortir comme il le doit les parties honorables de son caractère. Il s'en est fait en quelque sorte un pieux devoir, et on ne peut que lui donner des éloges à cet égard, comme pour les parties de son ouvrage où il fait ressortir les qualités de l'illustre dessinateur. Telle n'est pas la tâche d'un contemporain de Charlet, artiste comme lui, qui entreprend de ramener le public à une estime de ses ouvrages égale à leur mérite. En étalant aux yeux la partie intime de sa vie, il se trouve en contradiction avec cette opinion dans laquelle il n'a fait que s'affermir de plus en plus320.

Delacroix reconnaît à l'évidence le travail important mené par le colonel de La Combe et l'en félicite. Mais la « foule de particularités » sur la vie de Charlet proposée par La Combe, paraît polluer quelque peu la valorisation de l'oeuvre de l'artiste et semble entretenir selon Delacroix l'ambivalence de sa carrière et son statut de faiseur de caricature. En 1865, Charles Blanc (1813-1882) rejoint Delacroix sur ce point en reconnaissant également que la première partie de l'ouvrage du colonel de La Combe est à l'évidence trop complète et que les trop nombreuses lettres de Charlet « écrites dans un style qui n'est jamais sérieux, et qui ne sort pas ou presque du jargon des ateliers et de l'argot du soldat, finissent par fatiguer le lecteur, et nuisent à l'idée qu'on se fait de l'esprit du maître »321. Les réflexions de Delacroix interviennent en amont de son article sur Charlet publié le 1er janvier 1862 dans la Revue des Deux Mondes, dans lequel il s'intéresse particulièrement aux questions de la carrière et de l'oeuvre de Charlet. Delacroix met à l'évidence moins de sentiment et paraît plus distant que ne l'était le colonel de

319 GRANDMAISON, Charles de, op. cit., p. 103.

320 DELACROIX, Eugène, Journal 1855-1863, op. cit., p. 371.

321 BLANC, Charles, « Charlet », Histoire des peintres de toutes les écoles. École française, t. III, Paris, Jules Renouard Libraire-Éditeur, p. 210.

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La Combe, puisque ne citant à aucune reprise la correspondance de Charlet. Il insiste sur la qualité de dessinateur et sa facilité à l'exécution, et attire particulièrement l'attention sur le réalisme des physionomies des personnages, peut-être pour trouver l'affection de ses contemporains baignés dans le mouvement réaliste.

À l'instar des autres critiques, Delacroix fait référence dans son article au « catalogue consciencieux et parfaitement raisonné »322 de l'oeuvre lithographique de Charlet dressé par le colonel de La Combe. Tous reconnaissent en effet la qualité du travail et félicitent notamment la « description méthodique aussi claire et bien réussie qu'elle était difficile à mener »323. Toutefois Charles de Grandmaison et Louis Clément de Ris conseillent à La Combe de compléter la seconde partie de son ouvrage. Grandmaison propose par exemple au colonel de La Combe de réaliser le catalogue de l'oeuvre dessiné de Charlet pour compléter son travail remarquable324. Si cette tâche semble difficile à mener en conséquence de la grande dispersion des oeuvres de Charlet, le conseil de Clément de Ris paraît quant à lui plus objectif et plus facilement réalisable, en incitant La Combe à rajouter dans son catalogue les pièces gravées d'après Charlet et une table chronologique qui permettrait « l'étude comparée des débuts, des modifications et des progrès de Charlet »325. Il semble que La Combe ait entrepris cette démarche l'année suivant la publication de la première édition en collaboration avec son ami Henri de Saint-Georges. Ainsi La Combe écrit à Saint-Georges peu de temps avant son décès, le 27 février 1862 :

Je viens de refondre ma première section, les Portraits. J'adopte décidément l'ordre alphabétique. Ceci fait, il ne me reste plus grand'chose [sic.] à dire. Ma table chronologique est terminée. Dans la table des matières, j'ai peu de choses à changer. Ainsi, quoi que vous disiez, j'espère que dans cinq ou six mois je serai prêt, et pourrait commencer l'impression du livre326.

La Combe semble appliquer les conseils de Clément de Ris en modifiant d'une part l'organisation de la première section de son catalogue des lithographies de Charlet, de l'autre en proposant une table chronologique. À cette occasion, il paraît revoir également la partie

322 DELACROIX, Eugène, op. cit., p. 240.

323 BELLOY, Auguste de, op. cit., p. 27.

324 GRANDMAISON, Charles de, op. cit., p. 103.

325 CLÉMENT DE RIS, Louis, op. cit., p. 278.

326 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien de CharletÉ, op. cit., p. 39.

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biographique327. Peut-être que la première édition a permis de découvrir d'autres lettres comme l'espérait La Combe en introduction de son ouvrage328. L'édition revue et corrigée de Charlet sa vie, ses lettres devait probablement être imprimée chez Mame sous la direction d'Henri Fournier (1800-1888), comme semble l'indiquer une lettre du colonel adressée à Saint-Georges329. Cependant cette seconde édition ne sera jamais publiée, puisque le colonel décède le 18 mars 1862, sans que l'ensemble des corrections n'ait été terminé.

Il semble qu'au travers de la publication de Charlet sa vie, ses lettres, le colonel de La Combe gagne son pari de : « faire connaître à la France un de ses plus dignes enfants »330. Les critiques favorables que reçoivent l'ouvrage et son auteur montrent qu'en effet un intérêt particulier pour Charlet est en train d'émerger. Par ailleurs si l'ouvrage avait l'ambition de faire partager la qualité d'écrivain de Charlet, il semble de surcroît que sa publication à fait découvrir également celle du colonel de La Combe, en plus de son talent d'historien et sa pratique de la collection.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore