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Joseph-Félix Le Blanc de La Combe (1790-1862), collectionneur tourangeaupar Brice Langlois Université François-Rabelais de Tours - Master I Histoire de l'art 2016 |
B. Charlet sa vie, ses lettres. Quels apports pour la réputation du colonel de La Combe et la renommée de Charlet ?Les années suivants la parution de Charlet sa vie, ses lettres semblent décisives pour la réputation du colonel de La Combe et celle de Charlet. C'est à partir de cette période en effet que l'on retrouve les premières notices biographiques sur La Combe dans les dictionnaires et encyclopédies, à l'instar de celle publiée dans le Dictionnaire des contemporains de Gustave Vapereau (1819-1909) en 1861331. Dans celle-ci, La Combe est autant présenté pour sa récente carrière d'écrivain, sinon plus que pour sa carrière militaire. Dans ce sens, les contemporains du colonel de La Combe paraissent l'associer irrévocablement à Charlet depuis la publication de son ouvrage. De cette manière, il serait intéressant d'étudier la façon dont se traduit la parution de Charlet sa vie ses lettres sur la réputation du colonel de La Combe de son vivant et sur la renommée de Charlet. 327 Ibid., p. 38. 328 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 4. 329 SAINT-GEORGES, Henri de, op. cit., p. 39. 330 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 5. 331 VAPEREAU, Gustave, « LACOMBE (Joseph-Félix LEBLANC DE) », Dictionnaire des contemporains, Paris, Hachette, 1861, p. 996. 95 « Le moment où son mérite fut le plus exalté coïncide avec la publication du catalogue de son oeuvre lithographié »332 écrit Henri Béraldi en 1886. En effet, il semble que les critiques et les amateurs soient nombreux à se ré-intéresser à Charlet. Pour preuve, la cote de ses lithographies paraît remonter considérablement pour atteindre des prix jusqu'alors inégalés. Pour exemple, rappelons seulement qu'en 1839 la collection de lithographies de Charlet appartenant à Bruzard est acquise pour 1600 francs par la Bibliothèque du roi 333 . En comparaison les lithographies de Charlet provenant de la collection Parguez sont vendues 2 700 francs334, soit près du double en l'espace de vingt ans, mais surtout peu de temps après la publication de Charlet sa vie, ses lettres. Néanmoins l'intérêt pour Charlet depuis la parution de cet ouvrage paraît irriter certains critiques, à l'instar de Charles Baudelaire (1821-1867) qui reste sévère envers l'artiste. En résumé : fabricant de niaiseries nationales, commerçant patenté de proverbes politiques, idole qui n'a pas, en somme, la vie plus dure que toute autre idole, il connaîtra prochainement la force de l'oubli, et il ira, avec le grand peintre [Horace Vernet] et le grand poète [Pierre-Jean de Béranger], ses cousins germains en ignorance et en sottise, dormir dans le panier de l'indifférence, comme ce papier inutilement profané qui n'est plus bon qu'à faire du papier neuf335. Ce n'est probablement pas de manière innocente que Baudelaire publie un réquisitoire cinglant contre Charlet, un an précisément après la parution de l'ouvrage du colonel de La Combe. Cela montre que l'opposition perdure entre les défenseurs et les protecteurs de Charlet. À l'inverse Charlet sa vie, ses lettres paraît susciter chez quelques critiques de l'intérêt pour la carrière de l'artiste. Tel est le cas d'Émile Cantrel, qui en août 1859, publie une chronique sur Charlet dans L'Artiste336. Après avoir introduit son sujet en défendant le renouvellement de l'art, Cantrel donne à Charlet une place considérable dans l'histoire de l'art, peut-être sous l'influence de La Combe et en réponse à Baudelaire : « Dans une histoire raisonnée de la peinture, c'est donc à lui, l'homme de l'Empire et de la révolution de Juillet qu'appartiendrait 332 BÉRALDI, Henri, Les graveurs du XIXe siècle. Guide l'amateur d'estampes modernes, t. IV, Paris, L. Conquet, p. 112. 333 GRIVEL, Marianne, op. cit., p. 131. 334 DELBERGUE-CORMONT, Victorien Louis Jean-Baptiste, VIGNIÈRES, Jean-Eugène, Collection Parguez, op. cit., p. 12. Exemplaire de la Bibliothèque nationale de France, [en ligne] : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k380103z. 335 BAUDELAIRE, Charles, « Quelques caricaturistes français », Présent, octobre 1857. Consulté in : BAUDELAIRE, Charles, OEuvres complètes de Charles Baudelaire, Paris, Michel Lévy frères, 1868, p. 397. 336 CANTREL, Émile, « Artiste contemporain : Charlet », L'Artiste, nouvelle série, t. VII, 1859, p. 230-236. 96 la première place »337. Il est probable que la lecture de l'ouvrage du colonel de La Combe ait influencé quelque peu son jugement. En effet, avant la publication de cette première monographique sur Charlet, l'artiste souffrait finalement de son manque d'image et de l'ambivalence de sa carrière. Cantrel poursuit son étude sur Charlet en citant de longs extraits de l'ouvrage du colonel de La Combe et particulièrement la correspondance de Charlet. Le critique semble privilégier en ce sens la présentation de la vie personnelle de l'artiste et sa qualité d'écrivain, plus que sa carrière de peintre et de dessinateur. Il débute en effet son étude biographique par la lettre à Ludovic Vitet, dit Louis (1802-1873) dans laquelle Charlet demande un logement à l'école des beaux-arts, avant de poursuivre par la réponse aux renseignements biographiques demandés par Feuillet de Conches338. Ce n'est finalement qu'à la fin de son article que Cantrel donne la source de ses informations : Un des amis de Charlet, que je n'ai eu qu'une fois l'occasion de nommer, M. de la Combe, ancien colonel d'artillerie, a publié un livre intitulé : Charlet sa vie, ses lettres ; suivi d'une description raisonnée de son oeuvre lithographique. [É] J'ai fait plus d'un emprunt à ce livre, j'aurai voulu le citer tout entier, - mais M. de la Combe ne peut m'en vouloir : - Il sait que l'on emprunte qu'aux riches339. Depuis la publication de son ouvrage La Combe se présente comme l'historien et le spécialiste indiscutable de Charlet. Outre la chronique d'Émile Cantrel, un autre article sur Charlet citant aussi longuement l'ouvrage du colonel de La Combe est publié dans le Magasin pittoresque en 1858340. Cependant cet article se distingue par l'intégration d'illustrations d'oeuvres inédites de Charlet conservées dans la collection du colonel de La Combe : Charlet dans son atelier (fig. 5), L'Hôpital (fig. 6), Le Cinq Mai (fig. 38) et Le Paganini de la Grande-Pinte (fig. 39). Si l'article du Magasin pittoresque ne propose pas une analyse stylistique ni même une description de chaque oeuvre, il semble néanmoins que les images n'aient pas été choisies au hasard, puisqu'elles sont caractéristiques de la vie et de la production de Charlet. Ainsi, la première illustre les conditions précaires dans lesquels vivait Chalet et fait écho à la lettre du général de Rigny adressée à La Combe, dans laquelle il raconte sa visite dans le 337 Ibid., p. 231. 338 Ibidem. 339 Ibid., p. 236. 340 Anonyme, « Quatre dessins inédits de Charlet », Magasin Pittoresque, t. XXVI, octobre 1858, p. 321-327. 97 modeste atelier de l'artiste341. L'Hôpital ou La mort du cuirassier342 (fig. 6) fait à l'évidence référence à l'attachement de Charlet à la grande armée napoléonienne, à l'instar du Cinq mai (fig. 38) qui représente un vétéran assis dans son fauteuil apprenant à la lecture de son journal la mort de Napoléon à Sainte-Hélène. Placé au dessus du texte présentant la mort de Charlet343, le Paganini de la Grande-Pinte ou Le musicien344 (fig. 39) interprète probablement un requiem à la mémoire de l'artiste. Le fait de présenter des oeuvres ayant un rapport direct avec les éléments exposés dans le texte entretient finalement l'idée du colonel de La Combe, à savoir la proximité entre l'oeuvre et la vie de Charlet. Aussi, il est probable qu'il ait eu un échange - direct ou épistolaire - entre le rédacteur de l'article et le colonel de La Combe pour publier des illustrations d'oeuvres de sa collection. À l'évidence la publication de Charlet sa vie ses lettres a profité à la réputation de la collection du colonel de La Combe, puisque présentée à l'intérieur de ce livre, mais aussi dans les différents articles faisant la critique de l'ouvrage, à l'instar de ceux d'Auguste de Belloy345, de Louis Clément de Ris346, d'Henri de Saint-Georges347 et même d'Eugène Delacroix348. C'est probablement l'importante médiatisation de la collection dans la presse qui incite Adrien Dauzats (1804-1869), peintre mais aussi jury pour l'admission des oeuvres d'art à l'Exposition universelle de Londres en 1862349, à contacter vers la fin de l'année 1861 le colonel de La Combe pour le prêt de plusieurs oeuvres de Charlet350. À l'évidence, la demande de Dauzats se présente comme une reconnaissance officielle pour La Combe, puisque de cette manière il est consacré comme le spécialiste de Charlet mais aussi comme son plus important collectionneur. La demande de prêt de quelques oeuvres de Charlet se présente également comme une consécration pour l'artiste, car à l'occasion de l'Exposition universelle Charlet 341 Ibid., p. 321 in LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 22. 342 PETIT, Francis, op. cit., p. 12. 343 Anonyme, « Quatre dessins inédits de Charlet », op. cit., p. 327. 344 Ibid., p. 17. 345 BELLOY, Auguste de, op. cit., p. 27. 346 CLÉMENT DE RIS, Louis, op. cit., p. 278. 347 SAINT-GEORGES, Henri de, op. cit., p. 215-216. 348 DELACROIX, Eugène, « Charlet », op. cit., p. 234. 349 Commission impériale, Rapport de l'administration de la commission impériale sur la section française de l'Exposition universelle de Londres de 1862, Paris, Imprimerie de J. Claye, p. 174. 350 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien de Charlet, op. cit., p. 40. 98 défend les couleurs de l'art français aux yeux de l'ensemble des européens. La Combe entretient Saint-Georges de cette récente proposition dans sa lettre du 4 janvier 1862 : « il m'en coûtera beaucoup de me séparer de mes dessins pendant huit ou dix mois ; mais puis-je me refuser à la gloire de Charlet ! »351. Il semble que la section française à l'Exposition universelle de Londres réserve en effet une place relativement importante à l'artiste, puisque La Combe prévoit d'envoyer une grande composition de seize aquarelles et dessins352 en plus des Soldats jouant aux cartes dans une auberge sous Louis XV prêtés par « M. Ad. Henee »353 et d'une série de treize lithographies354. Quinze oeuvres de la collection de La Combe sont retenues par la commission officielle pour être exposées dans un même cadre sur la muraille est de l'Albert's Road355 : L'officier invalide et ses deux enfants (Le cinq mai356) (fig. 38), Un paysage, Deux soldats blessés (Les deux convalescents357), Les petits Savoyards, Paysage, La Maitresse d'école358, Le Cuirassier mourant (La mort du cuirassier359) (fig. 6), Dragon d'élite360, Le Mémoirier, Le Cuirassier à pied (Cuirassier à pied en grande tenue361), Un paysage, Les deux ivrognes (Les amis en goguette362), Le Paralytique , La Prière, Le vieux Pâtre. Ce sont manifestement les oeuvres les plus importantes de Charlet qui sont envoyées à Londres. En effet, la majeure partie de ces pièces font partie des oeuvres vendues les plus chers à la vente de la collection du colonel de La Combe, à l'instar de La mort du cuirassier (510 francs) (fig. 6), du Dragon d'élite (1105 francs) ou du Cinq mai (410 francs) (fig. 38), bien qu'il faut considérer également que leur présentation à l'Exposition universelle a probablement eu une influence sur leur cote. La consécration officielle du colonel de La Combe intervient finalement à titre posthume, puisqu'il décède peu de temps avant l'envoi de ses oeuvres à l'Exposition universelle 351 Ibid., p. 41. 352 Ibidem. 353 Commission impériale, Catalogue officiel de la section française à l'Exposition universelle de 1862, Deuxième partie, Paris, Imprimerie Impériale, 1862, p. 24. 354 Ibid., p. 41. 355 Commission impériale, Ibid., p. 30 356 PETIT, Francis, op. cit., p. 13. 357 Ibidem. 358 Ibidem. 359 Ibid., p. 12. 360 Ibidem. 361 Ibid., p. 13. 362 Ibid., p. 17. 99 de Londres. Philippe Burty informe les lecteurs de la Chronique des arts et de la curiosité du décès du colonel de La Combe en faisant référence à l'envoi de plusieurs aquarelles de Charlet à l'exposition londonienne. Une lettre que nous recevons de Tours au moment de mettre sous presse, nous annonce la mort subite de M. le colonel de La Combe. Par une singulière et touchante coïncidence, c'est pendant qu'il s'occupait de l'artiste auquel il avait voué un véritable culte, que l'historien de Charlet a été frappé par la mort : il disposait dans des cadres des aquarelles de Charlet, choisies parmi les plus belles de sa collection, pour les envoyer à l'Exposition de Londres363. L'expéditeur tourangeau informant Philippe Burty est probablement aussi un amateur d'art. Toutefois à l'inverse de ce que Burty avance, il semble que le colonel de La Combe n'avait pas encore encadré les oeuvres qu'il devait envoyer, puisque elles sont retrouvées dans sa chambre, rangés dans un carton, comme en témoigne l'inventaire de ses biens364. Les oeuvres seront envoyées à Londres par les héritiers du colonel de La Combe. À l'évidence, Joseph-Félix Le Blanc de La Combe tient sa réputation de la publication de sa monographie sur Charlet qui se présente comme la référence incontestable sur l'artiste. À l'inverse, Charlet doit son ressaut d'intérêt au colonel de La Combe par la parution de sa biographie. En somme, il semble que les deux hommes soient redevables l'un de l'autre de leur succès. Toutefois, on peut s'interroger sur la postérité des deux amis une fois le colonel de La Combe décédé. |
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