WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Joseph-Félix Le Blanc de La Combe (1790-1862), collectionneur tourangeau


par Brice Langlois
Université François-Rabelais de Tours - Master I Histoire de l'art 2016
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

C. La postérité de Charlet et du colonel de La Combe.

En 1856 le colonel de La Combe semblait avoir bon espoir pour la postérité de Charlet : « Nous nous trompons fort, ou Charlet grandira dans la postérité : Il aura transmis la figure vraie, si poétique qu'elle soit, du soldat-héros de cette grande épopée militaire de la République et de l'Empire »365. C'est peut-être justement cela qui peu de temps après la mort du colonel de La Combe participe au désenchantement des amateurs pour la production artistique de Charlet, ajouté à un désintérêt collectif pour la lithographie. Si les représentations de l'épopée napoléonienne héritières du vocabulaire esthétique de Charlet perdurent notamment sous le pinceau d'Hippolyte Bellangé, il semble néanmoins que sous le Second Empire, les peintres

363 BURTY, Philippe, « Nouvelles », Chronique des arts et de la curiosité, n° 17, 23 mars 1862, p. 4.

364 Inventaire après décès de Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, op.cit. f° 33.

365 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 3.

100

soient emprunts à de plus hautes ambitions lorsqu'ils illustrent Napoléon Ier, comme le fait remarquer François Robichon366. Ainsi il nous semble intéressant de conclure ce chapitre sur la postérité de Charlet et du colonel de La Combe qui lui est toujours associée.

Peu de temps après la mort de La Combe la popularité de Charlet fléchit, comme semblait le pressentir Louis Clément de Ris dans sa critique sur Charlet sa vie, ses lettres en novembre 1856 :

Charlet, comme artiste, grandira-t-il dans la postérité, ainsi que le dit son biographe ? Je ne le pense pas ; mais il se pourrait qu'ici l'amitié se fût trompé de terme. [É] Charlet est avant tout un artiste sincère, et, c'est, je crois, ce mérite qui le distinguera aux yeux de ce juge sévère invoqué par M. De Lacombe. Il ne grandira pas, du moins je le crois, mais il se séparera de la foule, il aura une place bien à lui, et qui, pour ne pas être au premier rang, n'en sera que plus tranchée dans la foule plus nombreuse qui l'entoure. Charlet a créé un type : il a fait revivre à nos yeux, sous une forme aussi héroïque que vraie, ces hommes de fer qui, pendant vingt ans, ont promené nos drapeaux victorieux sur les routes de trois mondes. Le soldat de la république et de l'empire, le grognard, ce bourru bienfaisant militaire, est un personnage qui, grâce à lui, ne périra plus367.

La pondération de Clément de Ris semble justifiée. En effet, La Combe n'est à l'évidence pas impartial lorsqu'il fait publier Charlet sa vie, ses lettres, dans lequel il présente longuement la vie de Charlet et défend vivement son oeuvre. Toutefois, Clément de Ris reconnaît l'apport de Charlet dans la représentation des soldats et particulièrement des grognards, faisant de ces sujets les thèmes privilégiés de la carrière de l'artiste. En 1865, soit près de dix ans après la publication de l'ouvrage du colonel de La Combe, les soldats de Charlet semblent souffrir également de l'évolution des goûts, comme en témoigne cet extrait de l'Histoire des peintres de l'école française de Charles Blanc.

Ah ! sans doute, il est dans l'oeuvre de Charlet bien des choses qui n'ont point survécu aux circonstances, bien des beautés relatives au temps qui passe, aux idées qui changent, aux sentiments qui se modifient ; et nous même nous n'avons plus ; il s'en faut pour ses grognards et leurs aphorismes que nous n'en avions dans les premières années de notre jeunesse [É] mais il est dans cet oeuvre de Charlet d'une portée humaine, d'une moralité profonde, des traits de satire

366 ROBICHON, François, « Fortunes et infortunes de Charlet », in BOCHER, Nathalie, FOUCART, Bruno, JAGOT, Hélène (éd.), op. cit., p. 117.

367 CLÉMENT DE RIS, Louis, op. cit., p. 263.

101

impérissables, des paysages ravissants, des façons de voir la nature très originales et très vraies, des beautés enfin que l'on peut dire absolues, car elles ne passeront point368.

À l'évidence l'oeuvre de Charlet n'est plus regardé du même oeil par Charles Blanc et ses contemporains. En effet, les grognards qui ont accompagné toute une génération paraissent quelque peu désuets au moment où Blanc rédige sa notice sur l'artiste. Le critique reconnaît alors des qualités à l'oeuvre de Charlet, qui, hormis le colonel de La Combe, n'avaient été relevé par aucun autre commentateur à l'instar du traitement du paysage. Il semble bien toutefois que ce soit les soldats et les grognards qui permettent à Charlet d'entrer dans la postérité, comme le faisait justement remarquer le colonel de La Combe dès les premières lignes de son introduction. À la chute du Second Empire, l'oeuvre militaire de Charlet est effectivement regardée par la nouvelle génération de peintres de bataille, à l'exemple d'Édouard Detaille (1848-1912) ou d'Alphonse de Neuville (1835-1885) comme une source documentaire importante pour la retranscription de la vie du soldat. Si comme le fait remarquer François Robichon l'ouverture de la Troisième République n'est pas favorable à la légende napoléonienne, les soldats de Charlet retrouvent leur public grâce au fort sentiment nationaliste qu'ils dégagent, faisant la « place plus belle au conscrit plutôt qu'au général »369.

Pourtant peu de temps après les débuts de la Troisième République, la popularité de Charlet diminue. À l'occasion de l'Exposition universelle de 1878, Gustave Goetschy propose le premier l'association de Charlet à son élève Raffet370. Cette filiation devient rapidement un lieu commun qui perdure jusqu'au début du XXe siècle au détriment de Charlet. En effet, la comparaison des deux artistes fait fortune et se voit reprise en 1888 par Henri Béraldi dans son Dictionnaire des graveurs du XIXe siècle écrit à l'intention des amateurs d'estampes modernes : « Les Raffet sont merveilleux, pour ceux qui savent regarder. Les Charlet sautent aux yeux »371. Le caractère populaire et les aphorismes des soldats de Charlet semblent jouer une nouvelle fois au détriment de sa postérité. Ainsi, l'Exposition générale de la lithographie de 1891 montée sous la direction d'Henri Béraldi réserve une place plus importante à Raffet qu'à Charlet.

368 BLANC, Charles, op. cit., p. 225-226.

369 ROBICHON, François, op. cit., p. 119.

370 GOETSCHY, Gustave, Les jeunes peintres militaires, Paris, Ludovic Baschet éditeur, 1878.

371 BÉRALDI, Henri, op. cit., p. 101.

102

Soixante-quinze estampes de Raffet sont présentées contre vingt-sept de Charlet372. Une seconde exposition sur Raffet est proposée l'année suivante à la Galerie Georges Petit373. En privilégiant Raffet, les commissaires de ces expositions éveillent l'opposition des défenseurs de Charlet qui s'efforcent de rendre justice à l'oeuvre de cet artiste. C'est ainsi qu'en 1893 s'ouvre une double exposition sur Charlet et les lithographes contemporains sous l'impulsion de la Société des Artistes lithographes français à la Galerie Durand-Ruel (fig. 40), dans l'objectif de récolter des fonds pour la réalisation d'une statue à la mémoire de Charlet. À cette occasion, des estampes, des aquarelles et des tableaux de Charlet sont présentés. Il semblerait que certaines pièces réunies pour l'exposition proviennent de la collection de La Combe, à l'instar de la Belle Françoise et du Cinq Mai (fig. 38) prêtés par Auguste Cain374 (1822-1894) et qui avaient été acheté par Pierre-Jules Mêne en 1863375. Cette exposition est secondée par la publication d'une monographie sur Charlet écrite par Armand Dayot (1851-1934). Dans celle-ci l'auteur interpelle les détracteurs de Charlet :

Jamais artiste ne méritera mieux que Raffet la publique glorification qu'on lui prépare. Mais ne vous semble-t-il pas qu'en cette circonstance il eût été possible, qu'il eût été juste, de joindre au nom de ce grand artiste celui de Charlet, l'auteur du Grenadier de Waterloo et de la la Retraite de Russie... le peintre si gaulois du soldat français, le spirituel humoriste, le profond observateur qu'Eugène Delacroix, un de ses plus fervents admirateurs, place à côté de Molière et de La Fontaine ? L'occasion était belle pour rendre du même coup un public hommage à ces deux glorieux frères d'armes, dont l'un fut le maître et souvent l'inspirateur de l'autre, et qui vouèrent également leur vie entière au culte passionné du même idéal376.

Si Dayot plaide pour l'association des deux artistes et reconnaît incontestablement la qualité de l'oeuvre de Raffet, il semble néanmoins qu'il concède à Charlet une supériorité faisant de Raffet un suiveur. Dans ce sens il répond à François Lhomme qui avait consacré un an auparavant un ouvrage à Charlet, dans lequel il se montrait moins enthousiaste : « Charlet n'est plus aujourd'hui le maître de la lithographie d'art. Comme peintre des armées il est loin d'égaler Raffet ; il dessine le soldat, non la bataille ; il sait admirablement le métier, mais il n'est pas

372 BÉRALDI, Henri, Exposition générale de la lithographie au bénéfice de l'oeuvre l'Union Française pour le sauvetage de l'enfance, op. cit., in ROBICHON, François, op. cit., p. 122.

373 Exposition de l'oeuvre de Raffet, cat. exp., Paris, Galerie Georges Petit, Lille, Imp. De L. Danel, 1892.

374 Société des Artistes lithographes, Charlet et la lithographie moderne, cat. exp., Paris, Galerie Durand-Ruel, s. l., 1893, in BOCHER, Nathalie, FOUCART, Bruno, JAGOT, Hélène (éd.), op. cit., p. 149.

375 Procès-verbal de la vente de la collection de La Combe, op. cit., f 13.

376 DAYOT, Armand, Charlet et son oeuvre, Paris, Librairies-imprimeries réunies, 1893, p. 11.

103

poète ; il satisfait le goût et il contente l'esprit, mais il n'ébranle pas l'imagination »377. Cependant un élément rassemble l'une et l'autre publication : le colonel de La Combe. Dayot comme Lhomme prennent pour source Charlet sa vie, ses lettres pour la rédaction de leur ouvrage, dans laquelle ils trouvent la correspondance de Charlet et en empruntent quelques passages. Il semble également que le catalogue des lithographies de Charlet constitué par le colonel de La Combe soit resté une référence à cette époque, puisque Lhomme le reproduit sommairement en annexe de son ouvrage378 tout comme Béraldi, qui quatre ans plus tôt, le reproduisait entièrement379.

Le passage entre le XIXe et le XXe siècle est décisif pour la réputation de Charlet et du colonel de La Combe. Si Charlet est présent à l'Exposition universelle de 1900, à l'Exposition centennale de l'art français et à l'Exposition rétrospective internationale des armées de terre et de mer, l'artiste tombe rapidement dans l'oubli du grand public, à l'instar de son biographe dont la célébrité ne survit que par son ouvrage, comme en témoigne sa notice biographique de l'Encyclopédie universelle du XXe siècle dans laquelle il n'est présenté que très brièvement380. Seul les amateurs d'estampes paraissent porter de l'attention à Charlet et au colonel de La Combe, à l'exemple de LoØs Delteil dans son Manuel de l'amateur d'estampes, où il fait de Charlet l'un des plus importants lithographes du XIXe siècle et présente La Combe comme « l'auteur enthousiaste du Catalogue de l'oeuvre de Charlet, de nos jours encore consulté »381. En 1962, Claude Roger-Marx fait aussi référence au colonel de La Combe, mais cette fois à travers la vente de sa collection, ce qui prouve le succès retentissant qu'elle a pu avoir pour que des auteurs la cite un siècle plus tard dans le cadre d'une présentation générale de la lithographie382.

En somme comme le montre François Robichon, Charlet n'est étudié qu'à de rares reprises au XXe. Ce n'est que beaucoup plus récemment, en 2008 précisément, que Charlet bénéficie d'un travail monographique complet réalisé à l'occasion de deux expositions qui lui

377 LHOMME, François, Charlet, Paris, L. Allison et Cie, 1892, p. 110-111.

378 Ibid., p. 117-118.

379 BÉRALDI, Henri, op. cit., p. 116-134.

380 Anonyme, « LACOMBE, Joseph-Félix LEBLANK [sic.] DE », Encyclopédie universelle du XXe siècle, t. VIII, Paris, Librairie Nationale, 1912, p. 26.

381 DELTEIL, LoØs, op. cit., p. 92.

382 ROGER-MARX, Claude, op. cit., p. 80-81.

104

ont été consacrées au musée municipal de la Roche-sur-Yon et à la bibliothèque Paul-Marmottan de Boulogne-Billancourt. Ces deux expositions ont donné lieu à un catalogue sur lequel nous nous sommes souvent reportés. Si ces expositions et ce catalogue avaient pour ambition de remettre en lumière l'oeuvre d'un artiste trop souvent négligé, les auteurs semblent s'être régulièrement appuyés sur l'ouvrage de référence du colonel de La Combe. Ainsi en ce début du XXIe siècle, Joseph-Félix Le Blanc de La Combe se présente toujours comme « l'historien de Charlet » comme l'avait surnommé son ami Henri de Saint-Georges.

105

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry