Conclusion
Si la biographie posthume du colonel de La Combe livrée
par Henri de Saint-Georges en 1862 s'est révélée
être une source très utile pour l'exécution de ce travail,
elle résulte toutefois partiellement de l'épanchement du coeur de
son auteur. Dans ce sens, Joseph-Félix Le Blanc de La Combe ne
bénéficiait pas jusqu'à ce jour d'une étude
impartiale. C'est dans l'objectif de remettre en lumière les
qualités et les caractéristiques de cet individu que nous avons
entrepris cette étude monographique. À l'évidence, ce
n'est pas la carrière militaire du colonel de La Combe qui ici a
été la plus documentée. À l'avenir, des historiens
pourrons peut-être s'intéresser à la question. Pour notre
part, nous avons orienté notre étude sur les relations de La
Combe avec l'élite tourangelle et les milieux artistiques parisiens -
beaux-arts et musique - ainsi que sur sa pratique de la collection, sa
qualité d'écrivain et la vente posthume de sa collection.
Il nous semble que le réseau dans lequel est inscrit le
colonel de La Combe à Tours a été bien mis en valeur. En
Touraine, La Combe semble nouer des liens solides avec les notables, qu'ils
soient scientifiques comme c'est le cas du docteur Pierre-Fidèle
Bretonneau, acteurs politique et économique à l'instar d'Alfred
Mame ou encore héritiers de familles nobiliaires à l'exemple de
son beau-père le comte Louis-Hector de Mons d'Orbigny. Notre travail
s'inscrit finalement - à une échelle plus modeste
évidemment - dans la même démarche que le projet Orhibio
lancé sous la direction de Marc de Ferrière le Vayer et
Hervé Wattier, professeur des universités et praticien
hospitalier au Centre Hospitalier Régional Universitaire (CHRU) de
Tours, qui outre le fait de retracer l'histoire de l'Institut Vaccinal de la
ville, a permis d'apporter de nombreuses connaissances sur des acteurs
médicaux, qui pour certains étaient jusqu'alors oubliés,
et retracer l'un des réseaux de l'élite locale du XIXe
siècle. Nous avons présenté en effet des relations
qu'avaient pu avoir le colonel de La Combe en Touraine et
particulièrement à Tours, où il est reconnu par les
notables pour sa collection, ses liens avec les artistes parisiens et son
ouvrage sur Charlet. Il semblerait que tous ces éléments soient
favorables à son rayonnement social.
Si à l'évidence Joseph-Félix Le Blanc de
La Combe disposait d'un cercle plus étendu que celui exposé dans
le cadre de ce travail, les protagonistes cités semblent
représentatifs du réseau de connaissance qu'il avait à sa
disposition. Ce serait donc une entreprise intéressante que de continuer
à retracer de la manière la plus complète possible le
rayonnement social du colonel
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de La Combe en Touraine. Cela permettrait probablement de
redécouvrir des personnages qui ne sont pas passés à la
postérité et peut-être d'importants collectionneurs
à l'instar de La Combe, qui malgré sa réputation au
XIXe siècle n'avait été guère
cité dans les travaux universitaires s'intéressant à
l'histoire du collectionnisme et du marché de l'art en Touraine à
cette période383.
Aussi, en prenant l'exemple de Joseph-Félix Le Blanc de
La Combe cette étude se voulait de répondre à
l'idée que l'on peut se faire d'un collectionneur de province et de sa
collection. Riche de plus de mille oeuvres, la collection du colonel de La
Combe n'est en effet pas moins fournie que les plus importantes collections
parisiennes de la même époque. Toutefois, pour comprendre comment
une telle collection avait pu être formée à Tours, nous
avons présenté les différents moyens d'approvisionnement
que le colonel de La Combe avait à sa disposition à l'exemple des
ventes aux enchères, des magasins et des ateliers d'artistes. S'il est
possible que La Combe ait acquis une partie de ses oeuvres à Tours, nous
avons conclu qu'il semble plus probable que le marché de l'art parisien
répondait davantage à ses exigences. Si nous avons
déjà relevé un certain nombre de lieux du marché de
l'art parisien que le colonel de La Combe a pu fréquenter, il serait
intéressant de les confirmer en consultant les registres et les livres
de compte des galeries et marchands de couleurs encore conservés.
Ce champ de recherches nous a permis finalement de tisser des
liens entre Paris et Tours, tout comme la question des interactions du colonel
de La Combe avec les artistes de la génération romantique qu'il
semble fréquenter à partir du début des années
1820. Nicolas-Toussaint Charlet est probablement l'artiste par lequel La Combe
s'est introduit dans le cercle des enfants du siècle. Son amitié
avec ces artistes se traduit par une correspondance abondante dont nous avons
connaissance grâce aux transcriptions publiées dans Charlet sa
vie, ses lettres384 et L'historien de Charlet peint par
lui-même385. Aussi serait-il intéressant de
retrouver la trace d'autres lettres conservées s'il en est dans des
archives privées, peut-être même en possession des
descendants du colonel de La Combe ou d'Henri de Saint-Georges. Cette
correspondance inédite serait une découverte importante pour
enrichir les connaissances que
383 AUGOUVERNAIRE, Martine, op. cit. PELTIER, Anne,
op. cit.
384 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op.
cit.
385 SAINT-GEORGES, Henri de, op. cit.
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nous avons des relations qu'entretenait Joseph-Félix Le
Blanc de La Combe avec les artistes et les amateurs. Elles permettraient de
confirmer sinon réfuter certains points sur lesquels nous avons
seulement émis des hypothèses. Outre notre sujet d'étude,
on peut imaginer que cette correspondance soit aussi essentielle pour
l'enrichissement des connaissances sur les artistes du cercle de Charlet, ainsi
que pour l'histoire du collectionnisme et particulièrement des
collections d'estampes qui comme le fait remarquer Barthélémy
Jobert « est un domaine encore à peu près vierge, et
peut-être plus s'agissant du XIXe siècle
»386.
Si elle comprend des tableaux anciens des écoles
étrangères et des tableaux et dessins des artistes vivants
français, c'est particulièrement les estampes françaises
contemporaines qui caractérisent la collection du colonel de La Combe,
dont l'oeuvre lithographique complet de Charlet participe à sa
reconnaissance. En dehors des pièces de cet artiste, il collectionne
également les lithographies des maîtres les plus importants de
l'école française à l'exemple de Delacroix,
Géricault, Vernet ou Raffet. Dans ce sens, la collection de La Combe se
présente comme une sélection des lithographies artistiques les
plus représentatives du mouvement romantique. La Combe accorde de
surcroît une importance considérable à la qualité
des pièces qui forme sa collection. Il n'est donc pas anodin de
retrouver de nombreuses pièces de premier état et quelques
pièces uniques, qui entretiennent le rapport du collectionneur
d'estampes avec le collectionneur de tableaux et d'oeuvres sur papier. Si nous
avons utiliser une méthode quantitative pour présenter dans sa
globalité la collection de La Combe et proposer des axes de
réflexion, il semble qu'il serait aussi intéressant - bien que la
tâche peut paraître aride - de constituer un recueil sous forme de
catalogue raisonné d'un ensemble d'oeuvres provenant de cette
collection. À l'évidence ce travail permettrait de mieux
appréhender cette réunion d'oeuvres d'artistes vivants dont le
nombre conséquent nous a empêché un traitement exhaustif au
cours de cette année de master.
Par ailleurs, c'est dans un contexte relativement
défavorable à la production de lithographies que La Combe
constitue sa collection. En effet depuis son invention et installation en
France la lithographie souffre d'un perpétuel désaccord entre ses
protecteurs et ses contradicteurs, dont les premiers reconnaissent ses
qualités esthétiques et les seconds l'envisagent uniquement comme
un moyen de reproduction à bas coût. La publication de
386 JOBERT, Barthélémy, « Collections et
collectionneurs d'estampes en France de 1780 à 1880, d'après les
catalogues de vente », in PRETI-HAMARD, Monica (éd.),
SÉNÉCHAL, Philippe (éd.), op.
cit., p. 243.
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Charlet sa vie, ses lettres est alors pour La Combe
un moyen de faire entendre sa voix sur le sujet. Il semble qu'en prenant
l'exemple de Charlet, le colonel défend l'ensemble de la production de
l'estampe artistique.
Toutefois, Charlet sa vie, ses lettres est aussi
l'occasion pour le colonel de La Combe de présenter un artiste dont les
critiques ont parfois été sévères et dont la
carrière paraît confuse pour un certain nombre de ses
contemporains. Nous avons donc cherché à établir un bilan
de la popularité de Charlet avant la publication du colonel de La Combe.
Ainsi, nous avons constaté que Charlet se présente comme un
artiste ayant eu à la fois un succès populaire grâce
à ses lithographies de genres mettant particulièrement en
scène les soldats de l'Empire, mais également une carrière
officielle en tant que peintre au Salon et professeur à l'École
polytechnique. Dans ce sens, il était question de mettre en
évidence la façon dont son biographe s'emploie à
revaloriser son oeuvre et sa carrière. Nous nous sommes donc
intéressés en amont aux sources que le colonel de La Combe avait
à sa disposition pour rédiger sa monographie : correspondance de
Charlet et des amateurs, bibliographie et oeuvres d'art provenant de sa
collection. C'est donc à un travail d'historien que La Combe
s'attèle dès 1849. Si l'auteur semble insister autant sur la
carrière de dessinateur lithographe que de peintre alors même que
cette dernière est relativement mineure, il présente
également le talent d'écrivain de l'artiste par la publication de
ses lettres. La transcription des lettres est aussi l'occasion pour La Combe de
brosser le portrait psychologique de Charlet et présenter à ses
lecteurs le comportement de l'artiste avec ses amis et ses protecteurs. Cette
présentation semble susciter la bienveillance et la sympathie du
lecteur. Mais la défense de l'oeuvre de Charlet passe également
par la rédaction du catalogue raisonné de son oeuvre
lithographique pour lequel La Combe a eu principalement recours à sa
collection d'estampes.
Charlet sa vie, ses lettres suivi d'une description
raisonnée de son oeuvre lithographique reçoit un bon accueil
de la part des critiques qui reconnaissent à son auteur des
qualités littéraires et félicitent sa probité
intellectuelle. L'ensemble des commentaires recueillis dans la presse rend
compte également de la nouveauté que représente la
publication de lettres pour servir la biographie d'un personnage et salue au
passage ce parti narratif. Dès lors, La Combe est à
appréhender comme le spécialiste de l'artiste. Il se distingue de
fait de la majorité des amateurs par la publication de son livre,
puisqu'il ne se présente plus seulement comme un collectionneur mais
acquiert un statut d'érudit. Cet ouvrage est donc
bénéfique pour la réputation de son auteur comme pour la
renommée de Charlet. C'est en effet à la suite de sa
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publication que Charlet semble profiter d'un mouvement de
revalorisation faisant atteindre à ses oeuvres des prix jusqu'alors
inégalés.
La vente de la collection du colonel de La Combe paraît
profiter également de la réputation de son propriétaire.
En effet, si les objets d'art proposés sont pour l'ensemble de
première qualité, la provenance est à l'évidence un
paramètre à prendre en compte dans la réussite de cette
vente. De surcroît, la médiatisation dont elle profite dans la
presse confirme le caractère inédit de la collection et le statut
privilégié qu'a obtenu La Combe dans le champ artistique depuis
ses premières relations avec les artistes jusqu'à la publication
de son ouvrage. Enfin la présence de ses amis artistes à sa vente
posthume confirme combien Joseph-Félix Le Blanc de La Combe était
un personnage investi dans le monde de l'art.
À son échelle, cette monographie sur le colonel
de La Combe a permis de redécouvrir un personnage quelque peu
oublié de l'historiographie en général et des tourangeaux
en particulier. Notre étude s'inscrit dans le champ de l'histoire
sociale de l'art en montrant un certain nombre d'interactions entre les
artistes et les collectionneurs ainsi que les marchands. De manière
relativement modeste, nous avons réussi à proposer quelques
exemples de transferts entre la province et la capitale, à l'instar de
la correspondance que La Combe entretenait avec Charlet, Delacroix ou encore
Bellangé. C'est aussi par l'intermédiaire du colonel que d'autres
personnages importants de la scène artistique ont fait le
déplacement en Touraine. Plus spécialement ce travail cherchait
à définir les comportements du marché de l'art et du
collectionnisme locaux en s'appuyant sur ce personnage précis, qui plus
est joue ponctuellement un rôle pour la municipalité.
Dans une suite logique à cette première
étude, il serait peut-être envisageable de mener des recherches
sur un commerce de l'art tourangeau, à l'exemple du bazar turonien
auquel nous avons fait référence dans le développement de
notre étude. En effet cette boutique inqualifiable tant les
activités sont diverses, ne semble pas bénéficier
jusqu'à ce jour d'une étude particulière. Pourtant au vu
des caractéristiques qui ont été présenté,
ce magasin joue à l'évidence un rôle dans le commerce de
l'art à Tours mais certainement aussi dans l'attraction culturelle de la
ville. Dans un même objectif de présentation de la vie culturelle
de Tours au XIXe siècle, il pourrait être
intéressant également d'étudier le comportement de
l'élite locale dans l'organisation d'expositions. Si des études
ont été déjà mené sur les
sociétés des beaux-arts en
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province, à l'exemple de la société des
amis des arts de Nantes387, il nous semble que la ville de Tours n'a
bénéficié que de très rares études à
ce sujet. Ces deux hypothétiques sujets de recherche se
présentent comme le prolongement logique de notre présente
étude, puisqu'elles pourraient confirmer ou contester pour le premier
l'approvisionnement du colonel de La Combe au bazar turonien et pour le second
comprendre davantage le dynamisme culturel dans lequel vivait La Combe.
387 BONNET, Alain, « La société des amis
des arts de Nantes : l'action sur le marché de l'art local », in
HOUSSAIS, Laurent (éd.), LAGRANGE, Marion (éd.), MOULIN, Raymonde
(éd.) et alii, Marché(s) de l'art en province, actes de
colloque, Bordeaux, Bibliothèque municipale, 30 janvier et 1er
février 2008, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2010, p.
31-42.
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