II. Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, collectionneur
d'art vivant à
Tours.
A. Tours, un terreau fertile pour la constitution d'une
telle collection ?
À Tours qui fut capitale sous le règne des
Valois au XVe siècle puis sous le règne d'Henri III
entre 1584 et 1588, l'histoire semble régir l'évolution et la vie
des habitants. Malgré ce passé glorieux, Tours souffre en ce
milieu du XIXe siècle de la comparaison avec Paris, le
siège du pouvoir gouvernemental mais surtout la capitale artistique
internationale. Ainsi, à Tours les artistes et les institutions
culturelles sont à l'évidence moins nombreux, à l'instar
du marché de l'art qui y est moins dynamique. Les moyens
d'approvisionnement pour les amateurs y sont en effet moins abondants. En ce
sens, il est possible de se demander si cette ville permettait de constituer
une collection aussi importante que la collection de La Combe ? Il peut
être intéressant de relever ici l'ensemble des pôles
d'activités du marché de l'art de la ville que le colonel de La
Combe avait à disposition pour alimenter sa collection.
Il est probable que le colonel de La Combe ait
fréquenté les ventes aux enchères des
commissaires-priseurs tourangeaux. Officiers ministériels, ils sont
habilités à tenir la police de leurs ventes directement au
domicile des vendeurs, dans les salles des ventes, sur les places publiques ou
dans diverses salles pouvant accueillir un public nombreux. Toutefois, le lieu
de la vente est révélateur des objets mis aux enchères. En
effet, le linge ou les bestiaux sont vendus presque exclusivement en place
publique, tandis que les objets d'art sont proposés en salle des ventes.
Aucun document ne permet de connaître la date d'installation de la salle
des ventes de
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Tours. Néanmoins, sa création est soumise
à l'autorisation du procureur du Roi près du tribunal
d'instance112. La salle des ventes tourangelle se situe au 3, rue de
la Harpe (aujourd'hui rue des Halles, ann. 3.1). Elle est partagée par
les trois études de commissaires-priseurs de la ville113. Si
la salle des ventes de Tours accueille les objets d'art des notables et des
collectionneurs tourangeaux, elle ne peut tenir la comparaison avec
l'hôtel des ventes de Paris. Anne Peltier remarque effectivement que les
tableaux à Tours ne dépassent que très rarement les 100
francs, et que les grandes ventes réalisant un montant supérieur
à 5 000 francs sont minoritaires114. De surcroit, le
goût des Tourangeaux semble se porter principalement sur la peinture
ancienne des écoles hollandaise et flamande. Bien qu'il en conserve
quelques exemples dans sa collection, La Combe s'oriente davantage vers l'art
vivant. Chez les commissaires-priseurs tourangeaux, La Combe a pu
compléter sa bibliothèque et meubler sa maison. Les bibliomanes
sont effectivement nombreux en Touraine. Ils représentent selon Martine
Augouvernaire près d'un cinquième des collectionneurs, soit 17%
des amateurs qu'elle a recensé dans le cadre de son étude sur les
collectionneurs tourangeaux115. Les meubles en acajou que La Combe
possède sont aussi assez proches de ceux recensés par Anne
Peltier116. Par ailleurs, c'est à Tours et non à Paris
que les héritiers de La Combe décident de vendre le mobilier.
Me Félix-Alexandre Duboz, qui a réalisé
l'inventaire après décès de La Combe, vend en plusieurs
sessions de novembre à décembre 1862, les meubles pour une somme
totale de 11 908,07 francs117. Vendre le mobilier à Paris
n'avait à l'évidence que peu d'intérêt, puisqu'il
correspondait finalement au marché tourangeau et que son transport
aurait entrainé des coûts importants au contraire de sa collection
d'art pour laquelle le marché parisien semblait plus pertinent.
La Combe a cependant acquis à Tours une partie des
oeuvres de sa collection, à l'exemple des cinq dessins et aquarelles de
l'artiste tourangeau, Gaëtan Cathelineau (1787-1859.) Après des
études à Paris sous la direction de David et des expositions au
Salon à partir de 1819, Cathelineau était revenu à Tours
en 1828, où il enseigna le dessin et la peinture de 1835 à
1848
112 PELTIER, Anne, op. cit, p. 65.
113 Annuaire historique, statistique et commercial du
département d'Indre et Loire 1831, Tours, Ad. Mame, 1831, Paris, BNF, 8
LC30-199, p. 178.
114 PELTIER, Anne, op. cit., p. 37.
115 AUGOUVERNAIRE, Martine, op. cit. p. 131.
116 PELTIER, Anne, op. cit. p. 73.
117 Double répertoire des actes reçus par Me
Félix Alexandre Duboz commissaire priseur à Tours, au cours de
l'année mil huit cent soixante deux, Tours, Archives
départementales d'Indre-et-Loire, série 8U154.
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au Collège Royal. À Tours, Cathelineau
réalise nombre de portraits de notables comme en témoigne le
Portrait du docteur Louis-Eugène Giraudet (1827-1887) (fig. 2)
conservé au musée des Beaux-Arts de Tours. Cette pratique du
portrait bourgeois lui rapporte des commandes et un revenu régulier. Il
s'illustre par ailleurs dans les portraits des classes sociales les plus basses
comme en témoigne la Vieille paysanne, le Jeune
garçon vêtu de bleu, et les Petits orphelins
conservés dans la collection de La Combe118. Il est
probable que le colonel de La Combe ait acheté ses cinq oeuvres de
Cathelineau directement à Tours dans l'atelier de l'artiste. Il est en
effet aussi probable que Cathelineau et le colonel de La Combe se soient connus
à Tours, voire qu'ils aient entretenu une relation suivie. Cathelineau
est un acteur important des manifestation culturelles locales, à
l'instar de l'Exposition des produits des arts et de l'industrie de 1841, ou de
l'exposition de tableaux et objets d'art qui se tient dans l'église des
Minimes en 1847119. Par ailleurs, Cathelineau tout comme La Combe
est collectionneur, même s'il s'intéresse davantage aux
maîtres anciens et qu'il fait don de sa collection en 1858 au
musée des Beaux-Arts de Tours, à la différence du colonel
dont la collection est vendue aux enchères à sa mort.
Peut-être que le colonel de La Combe n'avait pas pris la
précaution de rédiger un testament à son
décès ? À l'évidence, ses héritiers
décident de vendre les biens de leur père pour combler les dettes
qu'il avait contracté comme semble l'indiquer l'inventaire après
décès120.
Parmi d'autres objets de sa collection, le colonel de La Combe
a très probablement acheté à Tours son Plat de
reptiles de Charles-Jean Avisseau (1796-1861)121. D'origine
tourangelle, Avisseau installe son propre atelier rue Saint-Maurice à
Tours en 1843 (aujourd'hui rue Lavoisier). Il reçoit malgré les
attaques parfois violentes des critiques, de très nombreuses commandes
de la part des habitants de la ville mais aussi des souverains
européens, à l'exemple de la princesse de Talleyrand (1762-1834)
qui lui passe la commande d'une large assiette pour le roi de Prusse,
Frédéric-Guillaume IV (1795-1861).
Les amateurs tourangeaux peuvent compter également sur
les quelques boutiques de marchands de couleurs, dont le plus connu est sans
conteste le bazar turonien tenu par Jacques
118 PETIT, Francis et alii, op. cit., p. 11.
119 MIOCHE, Laura, Gaëtan Cathelineau (1787-1859) :
Artiste, collectionneur et donateur tourangeau, mémoire de master
d'histoire de l'art contemporaine, sous la direction de France Nerlich,
Université François-Rabelais de Tours, 2010, p. 24.
120 Inventaire après décès des biens de
Joseph-Félix Le Blanc de la Combe, op. cit., f 42-45.
121 Ibid., f 8.
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Delahaye. Situé au 6, rue neuve Saint-Martin (ann. 3.1)
- aujourd'hui rue des Halles, le magasin est bâti sur les ruines de
l'ancienne abbaye de Saint-Martin démolie en 1797122. Le
bazar turonien mêle vente de fournitures pour les artistes et commerce de
« quelques centaines de tableaux qui se renouvellent fréquemment,
et parmi lesquels les amateurs sont toujours assurés d'y trouver des
maîtres des meilleures écoles ; une réunion
d'antiquités et de curiosités dans tous les genres, tels que
meubles de boule, sculptures en bois, marbres, bronzes, médailles,
toutes les productions des trois règnes de la nature, livres, manuscrits
et gravures »123. Le magasin semble aussi diversifier ses
activités, en proposant des ateliers pour les travaux de restauration,
dorures et sculptures sur marbre, en plus d'un théâtre pouvant
accueillir jusqu'à 250 spectateurs. La multiplicité des
activités de ce magasin s'inscrit dans le courant de diversification des
fonctions des marchands de couleurs qui résulte de l'abolition des
corporations en 1793. À l'exemple d'Alphonse Giroux (1776-1848) qui se
forme dans l'atelier de David, des individus ayant reçu une formation
artistique ouvrent des échoppes de fournitures pour les
peintres124. Plus que des marchands de couleurs, ils deviennent de
véritables galeristes avant l'heure qui développent le commerce
de l'art, mais aussi sa location. S'il ne semble pas fournir d'oeuvres à
la location, le bazar turonien apparaît néanmoins comme une
véritable institution culturelle de Tours, comme en témoigne les
quelques références dans la France
pittoresque125 ou dans la Suite aux lettres
vendéennes ou relation du voyage de S. A. R. Madame la Duchesse de Berry
: « S. A. R., accompagnée de M. Giraudeau, maire de la ville,
de MM. Bellanger-Cartau et Viot-Prudhomme, ses adjoints, et de plusieurs
membres du conseil municipal, est allée visiter le bazar Turonien.
Là, S. A. R. a tout examiné avec l'intérêt et
l'amour éclairé des arts qui la caractérise ; son
attention s'est surtout fixée sur les beaux tapis de la manufacture de
MM. Duboy-Bellanger » 126.
122 KILIAN, A.-J., Dictionnaire géographique
universel contenant la description de tous les lieux du globe
intéressants sous le rapport de la géographie physique et
politique, de l'histoire, de la statistique, du commerce, de l'industrie, etc,
t. X, Paris, A.-J. Kilian et Ch. Picquet éditeurs, 1833, p. 119.
123 Annuaire historique, statistique et commercial du
département d'Indre et Loire 1831, op. cit., p. 179.
124 ROTH-MEYER, Clothilde, « Le phénomène
de la location de tableaux par les marchands de couleurs parisiens au XIX
», Histoire de l'art, n°58, 2006, p. 58.
125 HUGO, Abel-Joseph, France pittoresque ou Description
pittoresque, topographique et statistique des départements et colonies
de la France..., t. II, Paris, Delloye, 1835, p. 103.
126 WALSH, Joseph-Alexis, Suite aux lettres
vendéennes ou relation du voyage de S. A. R. Madame Duchesse de Berry
dans la Touraine, l'Anjou, la Bretagne, la Vendée et le Midi de la
France, Paris, L. F. Hivert, 1829.
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En connaissance de ces quelques exemples, le marché de
l'art tourangeau semble finalement insuffisant pour entreprendre une collection
aussi importante que celle du colonel de La Combe. De plus, la majorité
des objets vendus en cette ville ne correspondent vraisemblablement pas au
goût de ce collectionneur. Si La Combe trouve à Tours quelques
oeuvres auprès des artistes, des commissaires-priseurs et des marchands
de couleurs locaux, il est plus probable qu'il complète en
majorité sa collection lors de ses déplacements à
Paris.
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