![]() |
Joseph-Félix Le Blanc de La Combe (1790-1862), collectionneur tourangeaupar Brice Langlois Université François-Rabelais de Tours - Master I Histoire de l'art 2016 |
B. Le nécessaire approvisionnement à Paris.Distant de 205 kms à vol d'oiseau de Tours, Paris reste relativement accessible pour le colonel de La Combe. Il peut effectuer ses déplacements grâce à un service de diligences qui relie quotidiennement les deux villes à raison de deux trajets par jour au départ de Tours, tandis qu'au départ de Paris la liaison est assurée une seule fois tous les deux jours127. En vue de moderniser les transports, l'État finance l'ouverture d'une ligne de chemins de fer entre Tours et Orléans à partir de 1830. Après des tensions liées aux expropriations et un désintérêt presque général de la part des Tourangeaux, la ligne est inaugurée le 26 mars 1846. L'embarcadère est construit en bordure des boulevards Heurteloup et Béranger par la compagnie des chemins de fer d'Orléans. L'apport de ce nouveau moyen de locomotion est bénéfique, puisque le temps de déplacement entre Tours et Paris est largement réduit. Il passe en effet de plusieurs jours à une moyenne contenue entre 6h40 et 8 heures128. De surcroît, la gare est facilement accessible pour le colonel de La Combe. Elle se trouve à proximité de son habitation. Comme il le fait probablement à Tours, Joseph-Félix Le Blanc de La Combe complète sa collection en recourant aux différents acteurs du marché de l'art : les artistes, les marchands et les commissaires-priseurs. Les ateliers des artistes sont effectivement une source importante d'approvisionnement pour La Combe, puisqu'il peut y trouver des oeuvres inédites, qui ne sont encore jamais passées sur le marché. C'est à l'évidence de cette manière que le colonel de La Combe s'est procuré des esquisses et dessins préparatoires des artistes contemporains. En effet, du vivant des artistes ces croquis sont davantage perçus comme des outils de travail que des oeuvres destinées à la vente. Il est possible de citer entre autres la Portière dans sa loge lisant 127 Annuaire historique, statistique et commercial du département d'Indre et Loire 1831, op. cit., p. 199. 128 LAURENCIN, Michel, op. cit., p. 235. 38 son journal de Canon129, la Tête d'un vieux paysan de Charlet130 ou encore le Vieux premier de Lalaisse131. Si La Combe a vraisemblablement acheté dans les ateliers une partie de sa collection, aucune preuve d'achat ne peut à ce jour corroborer cette hypothèse. Il est cependant possible de constater que ce collectionneur reçoit des dons de ses amis artistes à l'occasion de ses déplacements à Paris. Charlet est sans nul doute celui qui a le plus donné au colonel de La Combe. Si le don du Chasseur au Moyen-Âge a déjà été cité précédemment, d'autres oeuvres sont offertes par Charlet au colonel de La Combe. Artiste prolifique, Charlet semble se désintéresser rapidement des oeuvres en cours d'exécution pour se consacrer aux suivantes. C'est probablement ainsi qu'il donne plusieurs oeuvres inachevées au colonel de La Combe, à l'instar de la Voiture du cantinier qu'il lui offre en 1841 : « Tenez, me dit-il, rendez-moi le service de me débarrasser de ceci. Vous le mettrez dans un de vos cartons de rebut. C'eût été un dessin d'artiste, si j'avais pu le terminer. Je vous le donne pour ces enfants et ces arbres du fond » 132. La nonchalance de Charlet pour certaines oeuvres non terminées semble profiter à la collection du colonel de La Combe. En effet, La Combe à l'instar de la Voiture du cantinier conserve quelques oeuvres préparatoires de l'artiste. Le don de Charlet illustre également l'amitié des deux hommes. S'il est un collectionneur de tableaux et de dessins, le colonel de La Combe est avant tout un amateur d'estampes et particulièrement de lithographies. Ce medium demande la participation d'au moins deux individus : l'artiste et l'imprimeur. La Combe semble avoir noué des liens avec les imprimeurs de Charlet, comme le rappelle Philippe Burty dans le catalogue de la vente de La Combe : « Lié personnellement, non-seulement, avec les artistes et les éditeurs, mais encore avec les imprimeurs, Villain, Motte, Bry, etc., M. de La Combe a pu recueillir de ces pièces qui, par un caprice du maître ou les hasards du tirage, n'ont quelques fois qu'une épreuve »133. Toutefois nous n'avons aucun exemple attesté de ses achats ou « récupérations » chez les imprimeurs. Il paraît probable pourtant qu'une partie des épreuves les plus rares, puisqu'éditées avant la lettre et en petit nombre, proviennent directement de cette source, à l'exemple des Consignés prenant les armes. En effet, ces pièces n'ont été tirées qu'en 129 PETIT, Francis et alii, op. cit., p. 11. 130 Ibid. p. 18. 131 Ibid. p. 24. 132 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 177. 133 BURTY, Philippe, op. cit., p. XII. 39 quelques épreuves d'essai selon La Combe dans sa Description raisonnée de l'oeuvre lithographique de Charlet134, et n'ont donc pas reçu une diffusion importante chez les marchands. Ne pouvant manifestement pas recueillir l'ensemble des pièces de sa collection auprès des sources primaires - les artistes et les imprimeurs -, La Combe a dû probablement se rendre régulièrement chez les marchands et les galeristes parisiens. Les boutiques d'objets d'art sont nombreuses et leur nombre ne fait qu'accroître entre 1830 et 1860 comme le montre Nicholas Green en s'appuyant sur l'Annuaire général du commerce : en 1821, 37 marchands sont répertoriés, alors qu'en 1850 ils sont 67135. En douze ans leur nombre a presque doublé, ce qui explique que le marché de l'art soit en pleine expansion. Installées dans les quartiers bourgeois de la capitale, les boutiques ressemblent à celles de la rue Lafitte décrites par Théophile Gautier en 1858136. Le colonel de La Combe a sans doute fréquenté les magasins d'Alphonse Giroux, des frères Susse, ou de Jean-Marie Fortuné Durand-Ruel (-1865). Ces marchands s'intéressent en particulier à l'école française contemporaine. Ils vendent ainsi des oeuvres de Nicolas-Toussaint Charlet et de ses élèves, mais aussi d'Eugène Delacroix, Honoré Daumier ou encore Antoine-Louis Barye. En sus, ils participent à la diffusion des artistes étrangers, à l'exemple des aquarellistes anglais comme Bonington. La maison Durand-Ruel s'intéresse très tôt à ces artistes qui représentent une manne financière importante, puisque leurs oeuvres se vendent facilement et attirent un large public. En 1845, Durand-Ruel fait publier un Recueil des spécimens les plus brillants de l'école moderne pour montrer le dynamisme de son jeune commerce et confirmer sa réputation137. Ainsi, nous retrouvons dans ce catalogue un certain nombre des artistes de la collection de La Combe. Charlet est représenté notamment par Le maître d'école, Alexandre Gabriel Decamps (1806-1860) par les Mendiants, et Denis Auguste Marie Raffet (1804-1860) par Napoléon en 1813. De surcroît, ce recueil comporte des illustrations que l'on retrouve dans la collection d'estampes du colonel de La Combe, à l'instar d'Hamlet de Delacroix et de la Suissesse (fig. 3) de Léopold Robert (1794-1835). Ainsi, il est 134 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 225. 135 GREEN, Nicholas, « Circuits of Production, Circuits of Consumption: The Case of Mid-Nineteenth-Century French Art Dealing », Art Journal, vol. 48, n° 1, Nineteenth-Century French Art Institutions, 1989, p. 30. Cette information est reprise dans MARTIN-FUGUIER, Anne, La vie d'artiste au XIXe siècle, Paris, Louis Audibert, 2007, p. 173. 136 GAUTIER, Théophile, « La rue Laffitte », L'Artiste, 3 janvier 1858, p. 10. 137 Galerie Durand-Ruel, Spécimens les plus brillants de l'école moderne, Paris, Imprimerie Paul Renouard, 1845. 40 fortement probable qu'il ait acquis une partie de sa collection chez les marchands parisiens. Il serait donc intéressant de vérifier si le nom de La Combe apparaît dans les registres et livres de compte de ces marchands pour confirmer ou infirmer les hypothèses que nous venons de proposer. À Paris, le colonel de La Combe fréquente manifestement l'hôtel des commissaires-priseurs, qui est implanté en différentes localités au cours de la première moitié du XIXe siècle. Les ventes aux enchères se déroulent en l'hôtel Bullion de 1817 à 1832, puis de 1832 à 1854 dans un nouveau bâtiment construit à l'angle de la rue de la Bourse et de la rue Notre-Dame-des-Victoires. L'hôtel des ventes finit par investir sa localisation actuelle en 1852, en raison de l'augmentation constante du public et de l'accroissement des affaires138. La Compagnie des commissaires-priseurs réalise en effet un capital de 16 millions de francs d'adjudication en 1853139. Il est pour les amateurs un pôle capital du marché de l'art, puisqu'il brasse un flux considérable de marchandises. À l'évidence, La Combe suit depuis Tours les ventes parisiennes, grâce aux articles publiés dans la presse, et notamment dans l'Artiste auquel il semble être l'un des plus anciens abonnés comme l'indique Pierre Dax dans son article sur la vente posthume de la collection de La Combe en 1863140. Il est probable que le colonel de La Combe se rende à Paris pour les ventes importantes dans lesquelles il peut compléter sa collection. Il achète par exemple en décembre 1840 à la vente de dessins anciens et modernes de la collection Poterlet, trois sépias de Delacroix représentant l'histoire de Faust : Faust et Wagner devisant assis dans la campagne, Le duel de Faust et de Valentin, et Marguerite à l'église141. Le colonel de La Combe participe également à la vente posthume de l'atelier de Charlet qui se déroule à l'hôtel Drouot en quatre vacations les 30 et 31 mars et 1er et 2 avril 1846 sous la police de Me Bonnefons de Lavialle (1806-) et Me Valéry Auguste Rollin (1816)142. La Combe semble avoir joué à cette occasion un rôle important pour faire monter les 138 ROUGE-DUCOS, Isabelle, op. cit. p. 49-50. 139 BURTY, Philippe, « L'hôtel des ventes et le commerce des tableaux », Paris guide par les principaux écrivains et artistes de la France, t. II, Paris, Librairie internationale/ Bruxelles, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie éditeurs, 1867, p. 954. 140 DAX, Pierre, op. cit. p. 95. 141 PETIT, Francis et alii, op. cit., p. 19. 142 BONNEFONDS DE LAVIALLE, ROLLIN, Valéry Auguste DEFER, Pierre, Catalogue des tableaux, esquisses peintes, dessins, aquarelles croquis de M. Charlet, Paris, Imprimerie et lithographie de Maulde et Renou, 1846. 41 enchères et défendre l'oeuvre de son ami Charlet143. Il achète également plusieurs oeuvres parmi lesquelles le Pont de pierre de Charlet pour la somme de 17 francs144, mais aussi des croquis aquarellés de Piotr Michalowsky (1800-1855) pour 25 francs145. Francis Petit fait référence dans le catalogue de vente de la collection de La Combe de ces achats par le colonel à la vente de l'atelier de Charlet146. D'autres oeuvres de la collection de La Combe proviennent peut-être de cette vente à l'instar des Brigands espagnols ou du Philosophe lisant. Toutefois, il n'est pas possible de le confirmer avec certitude puisque le catalogue de 1846 ne livre que des descriptions lacunaires. De surcroît, les titres de ces oeuvres sont souvent génériques et leurs sujets sont fréquemment traités par Charlet et ses élèves. En effet dans la collection de La Combe deux aquarelles de Charlet sont intitulées La drogue147. Le colonel de La Combe enrichit nécessairement sa collection à Paris. En effet, les moyens d'acquisitions sont plus abondants, les flux plus importants et les opportunités plus récurrentes qu'à Tours. Les ateliers des artistes et les imprimeries sont des sources à ne pas négliger pour La Combe. Il doit y trouver en effet des oeuvres inédites que les artistes réservent à leurs meilleurs collectionneurs. Les marchands sont nombreux et proposent quant à eux une large gamme de marchandises susceptible de plaire au colonel. Enfin, chez les commissaires-priseurs, La Combe peut trouver des oeuvres importantes au noble pedigree lorsqu'elles proviennent de collections fameuses. Ses déplacements à Paris sont pour lui l'occasion d'entretenir son réseau et sa réputation. Il se lie ainsi avec d'autres collectionneurs de Charlet. Il paraît probable que le colonel de La Combe ait effectué des échanges, mais aucune preuve ne permet de corroborer cette hypothèse. À la dispersion de sa collection en 1863, les collectionneurs importants et les amis du colonel de La Combe semblent cependant répondre présents. Cela confirme l'importance du colonel de La Combe dans le domaine de la collection de l'art vivant. 143 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien de Charlet, op. cit., p. 41-42. 144 BONNEFONDS DE LAVIALLE, ROLLIN, Valéry Auguste, DEFER, Pierre, op. cit., p. 13. Exemplaire consulté sur Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58428205.r=catalogue%20vente%20Charlet , le 10/04/2016. 145 Ibid, p. 18. 146 PETIT, Francis et alii, op. cit., p. 17 et p. 25. 147 Ibid., p. 14. 42 |
|