B. Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, ami des arts et
des artistes.
Joseph-Félix Le Blanc de La Combe manifeste un double
intérêt pour la musique et les arts plastiques. Mais à la
différence de nombreux amateurs, il participe pleinement de la
scène artistique en entretenant des relations amicales avec nombre
d'artistes.
S'il ne semble pas avoir une pratique de la peinture, du
dessin ou de la gravure, le colonel de La Combe est musicien. En effet,
Saint-Georges mentionne la participation du colonel dans les salons de
Mme Orfila (-1853) et de Camille Erard (1813-1889), épouse du
facteur d'instrument Pierre Erard (1794-1855)75. Toutes deux
participent de la vie musicale parisienne, en invitant des musiciens
professionnels ou amateurs à venir jouer dans leurs salons76.
La pratique musicale du colonel de La Combe est confirmée par
l'inventaire après décès (ann. 1.2.2). Il possédait
en effet deux cors d'harmonie et une collection importante de partitions de
« musique vocale et instrumentale contenant diverses partitions pour piano
seul : Don Juan, Figaro, Freschoutz, Gazza-Ladra, Barbier, Osthelle, Marguerite
d'Anjou et autres - des trios, des quatuors et de quinttets : de Mozart,
Cremont, Reicha, Fescha, Weber, Dauprat, Beethowen et autres
»77. Par ailleurs, Paul Scudo (1806-1864) fait
référence à la qualité de musicien du colonel de La
Combe dans sa revue musicale du 1er novembre 1858 de la Revue
des Deux Mondes.
Un de ces hommes de goût et de coeur comme il y en a peu
malheureusement, un ami de Charlet, qui a raconté la vie du peintre en
un livre plein de faits intéressants et d'une émotion
communicative,
M. de Lacombe, ancien colonel d'artillerie, dont le beau
talent sur le cor est connu et apprécié depuis longtemps, me
disait, en parlant des Noces de Figaro : «Si la musique des plus
beaux opéras que nous connaissons est l'oeuvre du génie, celle de
Mozart est l'inspiration d'un Dieu»78.
Le colonel de La Combe semble porter un intérêt
particulier à la musique de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791).
Néanmoins, ce sont surtout les relations qu'il entretient avec les
artistes contemporains qui sont intéressantes. Il fréquente
notamment Anton Reicha (17701836) et Eugène Vivier (1817-1900), deux
personnalités importantes de la scène musicale de ces
années, aujourd'hui en grande partie oubliées. Reicha entame son
éducation musicale à
75 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien de
Charlet, op. cit., p. 50.
76 CHANTAVOINE, Jean, GAUDEFROY-DEMONBYNES, Jean,
Le Romantisme dans la musique européenne, Paris,
Éditions Albin Michel, p. 523.
77 Inventaire après décès des
biens de Joseph-Félix Le Blanc de la Combe, op. cit., f27.
78 SCUDO, Paul, « Revue musicale », Revue des Deux
Mondes, t. 18, Paris, imp. J. Claye, livraison du 1er novembre 1858, p.
225.
24
partir de 1781 à Bonn, où il a pour condisciple
Ludwig van Beethoven (1770-1827). Il rejoint Paris en 1808 après
s'être établi à Hambourg, puis à Vienne. C'est
à l'évidence entre 1808 et 1818, que Reicha fait la connaissance
du colonel de La Combe, qui semble devenir sinon son mécène, au
moins son protecteur.
Il m'est arrivé pour l'un d'eux de faire quelque chose
d'analogue à ce que je fais pour Charlet. Quand je fis sa connaissance,
et que je pus apprécier son immense mérite, il était bien
malheureux. Successivement, je l'ai fait nommer professeur d'harmonie au
Conservatoire [É] Enfin, je l'ai conduit jusqu'à
l'Institut79.
Reicha est nommé professeur au Conservatoire en 1818,
puis il est élu à l'Institut en 1829 en remplacement de
François-Adrien Boildieu (1775-1834)80. En remerciement pour
son soutien, Reicha aurait dédié au colonel de La Combe l'un de
ses vingt-quatre quintettes à vent81. Malheureusement
l'intervention de La Combe n'est pas confirmée par un document
d'archives, hormis la lettre publiée dans la biographie de Saint-Georges
précédemment citée. Eugène Vivier ne
bénéficie pas quant à lui d'une réputation aussi
positive, comme en témoigne la notice de la Biographie universelle
des musiciens et bibliographie générale de la musique, dans
laquelle il est mentionné comme un « virtuose excentrique et
bruyant »82. Joueur de cor, Vivier est invité
à Tours par le colonel de La Combe qui « voul[ait] l'entendre et le
juger à [son] aise »83. À l'évidence, La
Combe en a fait profiter ses amis Tourangeaux, qui l'élisent ensuite
à la tête de la société philharmonique de
Tours84.
Si le colonel de La Combe est un mélomane
éclairé entretenant des relations avec les musiciens de sa
génération, il ne donc pas un hasard qu'il loue sa maison du 12,
rue Buffon au compositeur et violoncelliste parisien Auguste
Franchomme85. En grande partie oublié de nos jours,
Franchomme est pourtant un personnage important de la scène musicale de
la génération romantique. Premier prix de violoncelle au
Conservatoire de Paris en 1826, puis professeur
79 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien de
Charlet, op. cit., p. 53.
80 HONEGGER, Marc, Dictionnaire de la musique,
Paris, Bordas, 1993, p. 1042.
81 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien de
Charlet, op. cit., p. 52.
82 FÉTIS, F.-J., « Vivier Albert-Joseph
», Biographie universelle des musiciens et bibliographie
générale de la musique, Mesnil, Firmin-Didot, 1837, p. 632.
L'auteur présente la biographie d'Albert-Joseph Vivier (1816-1903), mais
fait référence à Eugène Vivier par ce
commentaire.
83 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien de
Charlet, op. cit., p. 53.
84 Ibidem.
85 Inventaire des biens de Joseph-Félix Le
Blanc de La Combe, op. cit., f 3 et 43.
25
vingt ans plus tard, Franchomme entretient également
une riche correspondance avec Frédéric Chopin (1810-1849) avec
qui il passera en 1833 un séjour à la Croix-en-Touraine chez ses
mécènes les Forest. Franchomme et Chopin donnent à
l'occasion de leur venue en Touraine un concert à la chapelle des
Capucines à Tours, auquel il est probable que le colonel de La Combe ait
assisté.
Si la musique rythme le quotidien du colonel de La Combe, les
arts plastiques lui sont davantage associés. Par ses correspondances
épistolaires et ses voyages à Paris, La Combe entretient de
véritables amitiés avec les artistes de l'école
romantique, et particulièrement avec Nicolas-Toussaint Charlet. Avec ce
dernier, il partage un certain nombre de points communs, à l'instar de
sa carrière militaire et son affection pour l'épopée
napoléonienne. Les raisons et motivations de leur rencontre sont
inconnues, et il est difficile de confirmer à partir de quelle
année Charlet et La Combe se fréquentent. Toutefois leur
rencontre doit intervenir entre 1824 et 1830. En effet, Francis Petit fait
remarquer dans le catalogue de vente, que Charlet avait offert au colonel de La
Combe en 1824 l'aquarelle du Chasseur au Moyen-Âge86.
Saint-Georges propose pour sa part l'année 1830, en s'appuyant sur une
lettre du colonel de La Combe.
Ceci est pour vous faire sentir que j'ai le coeur assez bien
placé pour comprendre Charlet, homme de coeur avant tout. Quoique je
l'aie connu seulement depuis 1830, et que nos relations aient même
été interrompues pendant son paroxysme de juste
milieu87.
Né le 20 décembre 1792 d'un père dragon
de la République et d'une mère fervente bonapartiste, Charlet
étudie au lycée Napoléon avant d'être
embauché comme commis dans une mairie de Paris. Licencié pour
bonapartisme, il entreprend une formation artistique dans l'atelier de
Charles-Jacques Lebel (1772-1830), un ancien élève de
Jacques-Louis David (17481825). Il intègre en 1817 l'atelier
d'Antoine-Jean Gros (1771-1835) - une pépinière d'artistes
romantiques - et y rencontre notamment Paul Delaroche (1797-1856), Richard
Parkes Bonnington (1802-1828), Hippolyte Bellangé (1800-1866), Robert
Fleury (1797-1890), Camille Roqueplan (1800-1855), Eugène Lami
(1800-1890), ou encore Antoine-Louis Barye (1797-1875), qui tous sont
représentés dans la collection du colonel de La Combe. Bien que
placé sous la tutelle de David, l'atelier de Gros fait émerger
les jeunes talents de la génération
86 PETIT, Francis et alii, Catalogue des tableaux
anciens & modernes, op. cit, p. 5.
87 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien de
Charlet, op. cit., p. 31.
26
des enfants du siècle88. Charlet semble
avoir présenté à La Combe l'ensemble des protagonistes de
son cercle artistique. Ainsi, La Combe se lie d'amitié avec une partie
de ces artistes. Il est particulièrement proche de Bellangé, ce
qui ressort de la correspondance publiée en partie par Henri de
Saint-Georges. Le portrait du colonel par Bellangé (fig. 1)
publié dans l'historien de Charlet peint par lui-même
témoigne également de leur amitié. Manifestement
l'artiste le réalise à titre posthume, puisqu'il est
imprimé chez Aubry en 1862. Cherchant à rendre hommage à
son ami, Bellangé met en lumière dans ce portrait
l'érudition du colonel de La Combe. Il le représente
accoudé sur un livre, qui est probablement un exemplaire de la
biographie de Charlet. De surcroît le spécimen de L'historien
de Charlet peint par lui-même conservé à l'INHA est
dédicacé à l'épouse de
Bellangé89, ce qui confirme les liens qui unissaient La Combe
à la famille de l'artiste. Rappelons-le, ce livre est avant tout
dédié à ceux qui ont partagé l'intimité du
colonel de La Combe.
Joseph-Félix Le Blanc de La Combe entretient aussi des
liens avec les artistes de la génération suivante et
principalement avec les élèves de Charlet. Il les rencontre
probablement dans l'atelier du maître lors de ses voyages à Paris.
Il fréquente notamment François-Hippolyte Lalaisse (1812-1884) et
Jean-Louis Canon (1809-1892). Ces derniers deviennent à la suite de leur
formation les amis de Charlet, mais également ses adjoints à
l'École polytechnique où il enseigne le dessin depuis 1838. Une
certaine complicité semble unir La Combe à ces jeunes artistes.
Lalaisse envoie par exemple au colonel de La Combe des lithographies illustrant
la Bretagne, qui font probablement allusion aux origines du
collectionneur90 . De surcroît, l'épisode du «
sauvetage » d'une toile de Charlet rend compte également de la
complicité de La Combe et des jeunes artistes : « en même
temps que Charlet me présentait le résultat de son coupable
enthousiasme, Canon me faisait signe, et me montrait un tableau achevé
sur le chevalet du maître, puis me tirant à part : "Emportez-le,
me dit-il, car ce soir il n'existerait plus", et je me mis le conseil à
profit »91. Il serait trop fort de parler de relation filiale
entre les élèves de Charlet et La Combe. Néanmoins il faut
considérer que le colonel de La Combe porte une attention
particulière à la carrière de Canon. De 1833 à
1835, La Combe accueille Canon en
88 GARCIA, Clémentine, « Jacques-Louis
David, Antoine-Jean Gros, Paul Delaroche et Charles Gleyre une
généalogie d'atelier ? », in NERLICH, France (éd.),
BONNET, Alain (éd.), Apprendre à peindre les ateliers
privés à Paris 1780-1863, Tours, Presse Universitaire
François-Rabelais, 2013, p. 209-217.
89 Ibid. p.1. Exemplaire conservé
à l'INHA sous la cote 8Y253.
90 PETIT, Francis et allii, p. 104.
91 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op.
cit. p. 76-77.
27
Touraine et informe Charlet des travaux et des progrès
de son élève92. Au moins sept oeuvres de Canon -
datées, localisées et signées - faisant partie de la
collection du colonel de La Combe témoignent de ce séjour en
Touraine. Canon continue d'y suivre l'exemple de son maître en
réalisant des scènes de genre, à l'instar du
Pouilleux, de La mendiante, de L'escalier, et de
La prière93. Il s'adonne également à
la copie d'oeuvres conservées au musée des Beaux-Arts de Tours,
à l'exemple de La vierge tenant l'enfant Jésus dans ses
bras94. Néanmoins son activité de copiste ne peut
être vérifiée, puisque le musée des Beaux-Arts de
Tours ne conserve pas de registre de copistes. Enfin, Canon semble
s'intéresser au dessin de paysage sur le motif, en représentant
les bords du Cher et de la Loire à la sépia et à
l'aquarelle95.
C'est aussi dans le cercle des amateurs de Charlet que La
Combe va trouver des amitiés durables, à l'instar de celle qui le
lie à Henri de Saint-Georges. Auteur prolifique, Saint-Georges partage
avec La Combe des origines bretonnes, mais surtout son goût pour la
collection des oeuvres de Charlet. L'origine de leur relation remonte
manifestement à l'année 1856, date de la publication de
Charlet sa vie, ses lettres suivies d'une description raisonnée de
son oeuvre lithographique, comme le rappelle de manière quelque peu
emphatique l'auteur du catalogue de vente après décès
d'Henri de Saint-Georges :
Quelques trente ans plus tard, un livre paraît, sans
bruit, sans réclames, dont un exemplaire vient tomber dans ses mains. Il
le lit ; non il le dévore, prend aussitôt la plume et écrit
à l'auteur : - Ò Monsieur, en vous lisant, j'ai senti redoubler
l'admiration, je devrais dire le culte, que depuis plus de trente ans je
professe pour notre grand, pour notre bon Charlet. [É] Combien d'un
autre côté, sous cette écorce rabelaisienne, sous cette
sève du vieil esprit gaulois, respire de bonté, de franchise, de
sensibilité vraie ! ...» - Cette déclaration à
brûle-pourpoint, adressée à M. De La Combe, ne pouvait
manquer d'être payée de retour. Dès lors s'établit
entre ces deux coeurs une correspondance intime, dont la correspondance par
lettres n'était que l'épanchement naturel96.
L'amitié entre La Combe et Saint-Georges paraît
presque fraternelle, bien qu'elle soit relativement tardive. Ensemble, ils
entreprennent à partir de 1860 la réalisation de la seconde
92 Ibid, p. 69.
93 N°59, 61, 69, 70, in PETIT, Francis et alii,
Catalogue des tableaux anciens & modernes, op. cit, p. 8 et 9.
94 N°54, ibid., p. 7.
95 N°55 et 87, ibid., p. 7 et 11.
96 DELBERGUE-CORMONT, Victorien Louis
Jean-Baptiste, CLÉMENT, Louis, Catalogue des dessins et aquarelles,
quelques tableaux, lithographies et eaux fortes moderne, OEuvre de Charlet,
Estampe ancienne et portrait composant le cabinet de feu M. Henri de
Saint-Georges, Paris, 1865, p. 7-8.
28
édition de l'ouvrage sur Charlet. Par ailleurs, c'est
à l'évidence par l'intermédiaire de Saint-Georges, que le
colonel de La Combe est présenté au peintre Eugène
Delacroix. Le colonel de La Combe et Delacroix semblent entretenir une courte
correspondance à partir de la fin de la décennie 1850. Delacroix
partage en effet l'intérêt de La Combe pour les oeuvres de
Charlet. Ainsi, il rend honneur à l'ouvrage du colonel de La Combe dans
un article sur Charlet, publié dans la Revue des Deux Mondes en
janvier 186297. À l'annonce du décès du colonel
de La Combe, Delacroix répond ainsi à Saint-Georges.
Mes relations encore récentes avec M. de la Combe ne me
donneraient pas le droit de me dire son ami, et il me semble pourtant que je
sens briser un de ces liens qui nous attachent au monde. C'est qu'il ne fallait
qu'un instant pour apprécier cette riche nature, dans laquelle le coeur
et l'esprit allaient de pair. Hier encore, je m'occupais de chercher une
pièce rare qui lui manquait et que j'eusse été si heureux
de lui offrir : je l'ai trouvé enfin, voilà que ses yeux ne
s'ouvriront plus98 !
Si l'on ne peut confirmer le fait que Delacroix ait
trouvé la pièce dont le colonel de La Combe était à
la recherche, il est intéressant néanmoins de noter que la
proximité du collectionneur avec les artistes lui permettait de les
missionner pour compléter sa collection ou l'aider dans la constitution
de la seconde édition de son catalogue raisonné de l'oeuvre
lithographique de Charlet, comme le fait Henri de Saint-Georges depuis Nantes.
De surcroît la participation de Delacroix - qui est alors à
l'apogée de sa carrière et considéré comme l'un des
grands maîtres de l'art vivant - dans la quête du colonel de La
Combe confirme le statut important de celui-ci et montre que La Combe se
distingue de la majorité des autres amateurs.
Si le colonel de La Combe apparaît comme un personnage
intéressant pour la vie musicale du XIXe siècle,
l'historiographie retient principalement ses relations avec les artistes du
cercle de Charlet. En effet, c'est par l'intermédiaire de cet artiste
que La Combe est introduit dans ce milieu artistique, dans lequel il semble
s'investir profondément. Il entretient en effet une correspondance
importante avec les artistes, qui nous est connue grâce à la
transcription d'une partie de ses lettres dans Charlet sa vie, ses lettres
et dans L'historien de Charlet peint par lui-même. Il
rencontre aussi régulièrement les peintres à Paris.
Personnage de confiance, La Combe devient pour certain un véritable
mécène et protecteur, en suivant leur carrière et les
invitant dans sa demeure tourangelle. La Combe tisse ainsi des liens entre
Tours et Paris : Tours profite
97 DELACROIX, Eugène, « Charlet »,
Revue des Deux Mondes, t. XXXVII, 1er janvier 1862, p. 234-242.
98 DELACROIX, Eugène, lettre du 21 mars
1862 adressée à M. Henri de Saint-Georges, in BURTY,
Philippe, Lettres de Eugène Delacroix, Paris, A. Quintin, 1878,
p. 353.
29
du rayonnement social du colonel de La Combe et les
édiles locaux lui confient des missions dans les affaires culturelles de
la ville. La Combe entre de cette manière au service de la
communauté.
C. Un amateur d'art au service de la communauté. La
participation du colonel de La Combe dans les affaires culturelles de Tours.
Il semble que le colonel de La Combe soit connu pour ses
relations avec les collectionneurs et les artistes de la capitale. Sa
collection - dont l'élite tourangelle a manifestement connaissance - lui
donne la qualité d'amateur éclairé dans le domaine des
Beaux-Arts. Aussi, la municipalité n'hésite-t-elle pas à
lui confier des responsabilités, pour apporter une nouvelle dynamique
culturelle.
En 1852, le colonel de La Combe est
dépêché à Paris par la municipalité
tourangelle pour participer à l'affaire du legs de la collection Clarke
de Feltre. Cette collection de soixante-dix-sept tableaux des grands
maîtres de l'école française, à l'instar d'Hippolyte
Flandrin (18091864) et Paul Delaroche, de quatre dessins et trois bustes en
marbre, a été constituée par les frères Alphonse
(1806-1850) et Edgar Clarke de Feltre (1799-1852). Fils d'Henry Jacques
Guillaume Clarke de Feltre (1765-1818), duc de Feltre et ministre de la guerre
de Napoléon Ier de 1807 à 1814, Alphonse et Edgar ainsi que leur
frère Arthur (1802-1829) avaient entamé une carrière
militaire. À la mort d'Arthur, ses deux frères décident de
prendre congé de l'armée et entreprennent ensemble la
constitution d'une collection de peinture. Avec leur ami le colonel de La
Combe, qu'ils fréquentent depuis leurs carrières militaires
passées, ils partagent ce goût pour les oeuvres des artistes
vivants. Ils décident qu'à leur mort la collection sera
léguée entièrement à un musée pour ne pas la
disperser aux enchères. Le comte Alphonse Clarke de Feltre meurt en
1850. Edgar décède deux ans plus tard, le 30 mars 1852. Ils
lèguent dans un premier temps leur collection au musée du
Louvre.
Conformément au désir que nous avons toujours
eu, mon frère et moi, d'éviter la dispersion de notre collection
de tableaux, je donne et lègue au Musée national du Louvre, tous
les tableaux, sans exception [É] Ce legs n'est fait par moi qu'à
la condition expresse pour ledit Musée du Louvre de réunir ces
tableaux dans une seule et même salle, ou dans deux salles attenant et
bien éclairées, convenables, et jugées comme telles par
mon exécuteur testamentaire, et portant l'inscription de Collection
Clarke de Feltre. En cas de non-acceptation de la part du dudit Musée de
ce legs, ou de non-exécution par lui des conditions ci-dessus, je charge
mon exécuteur testamentaire de disposer de tous les tableaux composant
le legs ci-dessus en faveur de telle autre collection de tableaux (collection
publique) qu'il choisira, soit en France, soit même à
l'étranger, pourvu qu'elle accepte
30
ce legs avec les conditions formelles et absolues que j'y
attache, et les remplisse, sous peine de nullité pour elle du
legs.99.
Les dons d'oeuvres d'art faits aux musées de France
sont encouragés par la politique culturelle du XIXe
siècle. Ils permettent d'enrichir les collections et montrer la
vitalité des musées100. Toutefois les exigences des
collectionneurs, poussent certains musées à refuser ces legs,
à l'instar du musée du Louvre dans le cas de la collection Clarke
de Feltre. Le choix de ce musée n'est pourtant pas anodin. Premier
musée de France et d'Europe, le Louvre symbolise pour les donateurs la
reconnaissance de leur goût, et les pose comme l'élite des
collectionneurs d'oeuvres d'art101. Refusée par
l'administration du musée, le legs Clarke de Feltre est proposé
à l'ensemble des musées de France à partir du 7 juin 1852.
Les villes de Nantes, Tours et Nancy se portent volontaires. Malgré les
nombreuses exigences du testateur, ce legs est pour ces musées de
province une aubaine pour leur réputation et l'enrichissement de leurs
collections. Le musée de Nantes conserve déjà un nombre
important d'oeuvres de qualité. Il a effectivement
bénéficié d'envois de l'État depuis 1801
grâce à l'arrêté Chaptal. Le fonds a également
été augmenté par le legs de la collection
Fournier102.
Le musée des Beaux-Arts de Tours semble jouir d'une
réputation mitigée comme le rappelle Paul Mantz dans ses articles
consacrés aux musées de France qui paraissent dans L'Artiste
: « malgré tant de fortunes heureuses, le musée ne
possède que quelques échantillons des maîtres des
écoles étrangères. Seules, l'école française
y montre une série de tableaux qui, s'il étaient disposées
dans un ordre plus logique, pourraient donner aux Tourangeaux quelques notions
sur l'histoire de l'art dans notre pays »103. Sous la direction
de Jean-Charles Henri Raverot (1793-1869), conservateur du musée de 1841
à 1859, l'accrochage demeure serré et ne paraît pas suivre
un ordre chronologique, malgré l'espace important dont dispose le
musée depuis son installation sur les quais de Loire depuis 1828. De
surcroît, la municipalité tourangelle ne débourse
annuellement que 1 400 à 2 500 francs pour le fonctionnement du
99 Testament d'Edgar Clarke de Feltre du 12
février 1852, in SAINT-GEORGE, Henri de, « Notice historique sur le
musée de peinture de la ville de Nantes d'après des documents
officiels et inédits », Revue des Provinces de l'Ouest,
n°5, 1857, p. 525.
100 BERTINET, Arnaud, Les musées de Napoléon
III une institution pour les arts (1849-1872), Paris, Mare et Martin,
2015, p. 473.
101 LONG, Véronique, « Les collectionneurs
d'oeuvres d'art et la donation au musée à la fin du XIX
siècle : l'exemple du musée du Louvre »,
Romantisme, n° 112, 2001, p. 45.
102 CLÉMENT DE RIS, Louis, « Le musée de
Nantes », L'Artiste, 5ème série, t. III, 1849, p.
180.
103 MANTZ, Paul, « Les musées de France. Tours
», L'Artiste, t. II, 15 novembre 1857, p. 170.
31
musée, ce qui apparaît relativement peu et
n'incite probablement guère sa direction à améliorer le
parcours des visiteurs104.
Quant au musée de Nancy, il est jugé très
rapidement trop éloigné de Paris pour recevoir cette donation.
Les villes de Tours et de Nantes reçoivent chacune les exécuteurs
testamentaires : le marquis de Cubières et M. Aubry. Ils sont accueillis
à Tours par la comtesse Louise-Mathilde de Flavigny (1811-1883),
nièce du testateur, et par le colonel de La Combe105.
À l'issue cette visite, la ville de Tours est favorite.
Néanmoins, Alphonse François, le président de la
Commission de surveillance du musée de Nantes, est missionné
à Paris pour retourner la situation. Il obtient le legs en faveur de son
musée. M. de Cubières envoie les explications de ce choix au
colonel de La Combe dans une lettre du 15 août 1852.
Je viens d'adresser à M. le Maire une lettre par
laquelle je lui donne avis de la décision prise relativement à la
collection de Feltre, décision qui, malheureusement, n'est pas favorable
à la ville de Tours. Cette déclaration n'est
irrévocablement arrêtée que depuis quelques jours, c'est
à dire depuis que la ville de Nantes et le Préfet de la
Loire-Inférieure ont déclaré accepter les conditions dont
je leur avais envoyé la note détaillée. L'attachement que
vous aviez voué à mes excellents amis, la bienveillance si grande
dont vous avez bien voulu m'honorer moi-même, me font un devoir,
Monsieur, de vous expliquer les raisons qui m'ont fait donner la
préférence à la ville de Nantes ; et cela, je puis le
dire, tout fait contre mon attente, j'ajouterai même contre mon
inclinaison personnelle. Ceci est tellement vrai, que j'avais
déjà annoncé ma décision en faveur de Tours
à M. Aubry, et que j'étais occupé à écrire
dans ce sens à M. le Maire de votre ville, et à rédiger la
série des conditions auxquelles j'attachais mon choix en faveur de
Tours. [É] En effet, la ville de Nantes s'engageait (entre autres
choses, car il serait trop long de tout énumérer) à faire
exécuter en marbre les bustes d'Edgar et d'Alphonse de Feltre, qui
seraient placés dans la salle destinée à recevoir la
collection. La ville donnera tous les ans un grand concert de bienfaisance,
dont le programme sera composé en notable partie d'oeuvres d'Alphonse de
Feltre, dont le buste sera placé, en outre, dans la salle de concert de
la Société des Beaux-Arts, etc., etc.106.
Cette donation au musée des Beaux-Arts nantais a
manifestement bénéficié de l'influence du comte
Émilien de Nieuwerkerke (1811-1892), directeur des Musées
impériaux, comme le tend à prouver sa réponse au maire de
Nantes au sujet de l'envoi d'un reliquaire d'Anne de
104 BENÂTRE, Nathalie, Un musée de Province
au XIXème : le musée des Beaux-Arts de Tours des origines
à 1910, mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine,
sous la direction d'Alain Corbin, Université François Rabelais de
Tours, 1988, p. 51.
105 BENÂTRE, Nathalie, ibid. p. 113.
106 Lettre de M. Cubières au colonel de La Combe en
date du 15 août 1852, in SAINT-GEORGES, Henri de. « Notice
historique sur le musée... », op. cit., p. 531-532.
32
Bretagne pour l'aménagement des salles de la colonnade
en 1852 : « je vous engage à plaider la cause du musée des
souverains comme j'ai plaidé celle du musée de Nantes à
propos de la collection Feltre »107. La salle consacrée
à la collection de Feltre est inaugurée à Nantes le 15 mai
1854. L'ensemble reçoit un accueil en demi-teinte de la part des
Nantais. Le coût considérable de 36 402 francs consacré
à l'aménagement de la salle108, l'absence de
chefs-d'oeuvre des écoles anciennes et la comparaison avec le don de la
collection Urvoy de Saint-Bedan qui intervient deux plus tard, contribuent
à jeter une lumière - injustement - défavorable sur la
collection Clarke de Feltre.
Plus tard, le colonel de La Combe semble avoir
participé à la vie culturelle de Tours en présidant la
Société philharmonique à partir de 1858. Un temps
inactive, cette société fondée en 1838 est
ressuscitée à l'initiative de plusieurs habitants sous la
direction de La Combe.
Le besoin se faisait sentir ici de la reconstitution d'une
société philharmonique ; et comme on ne l'avait pas satisfait
encore, il y a eu comme une émeute musicale. Le peuple s'est
rassemblé sur la place publique, et, par acclamation et à
l'unanimité, m'a nommé dictateur, me confiant tous les
109
pouvoirs d'organisation, de nominations, de commissions, etc.
De manière quelque peu déclamatoire, La Combe
fait part à Bellangé de sa nouvelle activité au sein de la
cité tourangelle. Il est en effet peu probable que le peuple se soit
réuni sur la place publique pour le nommer directeur de la
société, comme il l'indique. Néanmoins, hormis cette
lettre reproduite dans l'ouvrage de Saint-Georges, aucune archive ne peut
confirmer cette déclaration. Ni la bibliothèque musicale de
Touraine, ni la société archéologique, ni même les
archives départementales d'Indre-et-Loire ne conservent de documents
relatifs à cette société110. Seules les
Archives municipales de Tours détiennent un règlement de
1870111. Toutefois, il est probable que le colonel de La Combe ait
joué un rôle dans cette société savante de Tours,
tant sa qualité de musicien devait être connue des amateurs de la
ville.
107 Lettre de Ferdinand Fabre à Nieuwerkerke,
1er juillet 1852, note manuscrite de Nieuwerkerke pour
réponse dans l'angle en haut à gauche. (AMN, MS2 Administration
du musée et restitutions après sa suppression, 18521892, 14 juin
1871, inventaire des envois de 1852) in BERTINET, Arnaud, op. cit, p.
213.
108 SAINT-GEORGES, Henri de. « Notice historique sur le
musée... », p. 539.
109 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien de Charlet, op.
cit., p. 54-55.
110 Sociétés savantes de Tours, Tours, Archives
départementales d'Indre-et-Loire, cartons T1250 et T1488.
111 Règlement de 1870 de la Société
philharmonique de Tours, Tours, Archives municipales, série 2R5 AM.
33
À l'évidence, le colonel de La Combe joue un
rôle important dans le paysage culturel de Tours. Son caractère
dévoué, son réseau et sa connaissance du monde artistique
engagent les édiles et les notables de la ville à lui confier des
responsabilités. Ses missions semblent participer à
accroître sa reconnaissance sociale en Touraine. Cependant, à
l'exception de la société philharmonique, La Combe n'est membre
d'aucune autre société savante qui pourtant animent la vie
intellectuelle de Tours à l'exemple de la société
archéologique de Touraine fondée en 1840 à l'initiative de
l'abbé Manceau (1805-1855), Noël Champoiseau (1795-1859), Henri
Gouïn (1782-1861) et Ernest Giraudet, ou encore la Société
d'agriculture, sciences, arts et Belles Lettres créée en 1799. Il
semblerait que les préoccupations de ces sociétés ne
convergent pas avec les intérêts du colonel de La Combe qui le
portent à collectionner l'art vivant et fréquenter les artistes
de son temps.
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