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Religion et société au temps des Lumières: l'exemple des religieuses de la Congrégation de Notre-Dame à  Paris

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par Caroline Cornu
Université Paris Nanterre - Master 2 Sciences humaines et sociales, mention Histoire, parcours Histoire des civilisations méditerranéennes, européennes et moyen-orientale 2018
  

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Chapitre 3 : Les religieuses du couvent de la Congrégation de Notre-Dame, rue Neuve-Saint-Etienne-du-Mont, pendant la période révolutionnaire

A l'origine, les couvents devaient prouver leur utilité à la société : il n'est pas question de les fermer mais de les rationaliser201(*). Or la Révolution modifie cela : de 1789 à la fermeture des couvents de femmes le 1er octobre 1792, les communautés de religieuses connaissent une série de propositions et de lois qui aboutissent à leur suppression. Parmi elles nous pouvons citer, la proposition du 23 septembre 1789 de rassembler les religieuses en communautés de douze à quinze femmes ou la date du 2 novembre 1789 qui marque la nationalisation des biens ecclésiastiques et la suspension des voeux en religion avant leur suppression le 13 février 1790. A partir du 8 décembre 1790, les soeurs converses sont autorisées à élire la supérieure de leur communauté. Les costumes religieux sont interdits le 6 avril 1792 et un décret supprime tous les couvents de femmes le 18 août 1792.
Dès la suspension des voeux monastiques, certaines religieuses se plaignent de ces décisions. Elles mettent en avant leur utilité sociale et notamment leur rôle dans l'instruction des filles. Cependant ces plaintes, au nombre de 5 000, ne reflètent pas l'opinion individuelle de ces femmes car l'initiative revient aux supérieures et aux abbesses202(*).
L'histoire des religieuses sous la Révolution se déroule donc en deux temps : tout d'abord la vie en communauté, jusqu'en 1792 puis la vie après la fermeture du monastère. Pour la Congrégation de Notre-Dame à Paris, des documents rédigés pendant la vie en communauté de 1789 à 1792 sont conservés aux Archives Nationales sous la côte S4639, d'autre part, elles élisent une supérieure jusqu'en janvier 1792. Dans un second temps, la fermeture du couvent oblige à quitter les archives ecclésiastiques pour retrouver les parcours des religieuses notamment à partir des archives du Tribunal révolutionnaire. Ces documents peuvent renseigner sur la vie de la communauté durant cette période et éventuellement donner des indications sur les parcours et opinions individuelles des religieuses.
Nous verrons donc l'histoire des religieuses dans le monastère de 1789 à sa fermeture à l'automne 1792 puis ensuite leur trajectoires après la sortie du couvent.

X De 1789 à l'automne 1792 : avant la fermeture de la communauté

X.A La continuité provisoire de la vie en communauté : ses difficultés

Le couvent est tout d'abord touché par la Révolution dans ses revenus. La nationalisation des biens du clergé votée en novembre 1789 les prive notamment des revenus obtenus par la location de leurs biens immobiliers. En contrepartie, elles doivent recevoir une pension qui se révèle insuffisante. Elles sont également privées des secours qu'elles avaient l'habitude de recevoir aussi bien de la Commission des réguliers que de l'archevêque de Paris : elles obtiennent de la Commission des réguliers 6 000 livres en quatre ans en 1779 et 24 000 livres en six ans en 1786. De plus, l'archevêque de Paris leur donne 7 200 livres en 1784-1786. En 1784-1785, la totalité de leurs revenus s'élevait à au moins 38 305 livres et à 26 202 livres en 1786203(*). Ces revenus sont cependant moins élevés que les revenus moyens des couvents de la Visitation à Paris pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle : 68 935 livres rue Saint-Antoine, 57 383 livres livres au faubourg Saint-Jacques et 49 574 livres rue du Bac204(*).
A partir de décembre suite au décret du 13 novembre 1789 sanctionné le 8 par le roi, les couvents doivent fournir une déclaration de biens, de revenus et de charges, document que les religieuses produisent en mars 1790. Leurs revenus ne sont plus alors que de 12 360 livres et 4 sols sous la forme de rentes perpétuelles (4 639 livres), foncières et sur particuliers (271 livres et 4 sols) et de revenus immobiliers (7 450 livres)205(*).
La Constituante vote le décret du 20 mars 1790 qui ordonne une visite détaillée des couvents par des officiers municipaux. Les religieuses reçoivent cette visite le 7 juin de la même année pendant laquelle un recensement des religieuses ainsi qu'une enquête206(*) sur leurs intentions est réalisée. Ils demandent également les livres de compte, les titres et vérifient la conformité de l'inventaire. Le 11 juin 1791, le Bureau de liquidation de la Commission des bien nationaux procède à l'enlèvement des titres.
D'autre part, le décret du 8-14 octobre 1790 octroit des pensions cependant, les communautés vouées à la charité et à l'éducation sont épargnées et l'Assemblée ne prévoit pas de pension, elle les laisse disposer de leur revenus207(*). Malgré ce traitement particulier, les sources témoignent de difficultés financières car si elles semblent toujours conserver le bénéfice de leurs rentes, elles semblent privées de leurs revenus immobiliers. Ainsi, une lettre datée du 28 août 1791 et signée du ministre des contributions publiques dit :

« Elles présentent que depuis qu'elles n'ont plus l'administration de leurs biens, leurs revenus qui leur sont comptés en entier, attendu qu'elles sont occupées de l'éducation publique, ne s'élèvent qu'à 6 060 livres, déduction faite des rentes qu'elles sont obligées de payer. Cette communauté étant composée de 22 religieuses et de sept converses, il s'ensuit que la somme de 6 060 livres, à répartir sur 29 têtes, ne donne qu'environ 200 livres pour chacune d'elles.
Antérieurement à l'ordre actuel des choses, cette même communauté recevoit des secours annuels qui ne lui ont pas été conservés. Comme elle avoit l'administration de ses revenus, elle jouissoit de la faculté de louer à vie, moyennant des sommes une fois payées, les maisons et terrains qu'elle possedoit et il paroit qu'elle trouvoit dans cet arrangement des moyens de rembourser des capitaux ou même de payer les fournitures faites à la communauté dans le cas d'insuffisance des revenus.
Vous verrez qu'elle demande, Messieurs, que l'État se charge de ses dettes. [...] Mais la communauté de la Congrégation de Notre-Dame peut être dans le cas d'obtenir un secours à raison de la diminution de ses revenus et ce secours, d'après la loi du 14 octobre 1790 et celle du 27 mars 1791, peut être porté par vous Messieurs jusqu'à la concurrence de la somme qui sera nécessaire pour qu'étant unie aux revenus libres de la maison, elle compose celle de 300 livres par chaque religieuses et de 150 livres par chaque soeur converse »
.

Enfin, le ministre ajoute :

« Les religieuses de la Congrégation de Notre-Dame, se rendant très utile pour l'éducation publique et leur situation paroissant fâcheuse, il n'est pas impossible de ne pas y prendre une véritable intérêt ».
Des difficultés sont également observées dans de nombreux couvents. Ainsi, les Ursulines du faubourg Saint-Jacques reçoivent la visite de la municipalité le 7 juillet 1790208(*) mais en 1791, les religieuses attendaient toujours leurs pensions209(*).
Les Bénédictines du prieuré de Notre-Dame de Consolation habitant rue du Cherche-Midi se plaignaient également d'être sans ressource en attendant de toucher leurs pensions à partir du 1er janvier 1791. Le 17 octobre, elles écrivaient aux Bien nationaux qu'une allocation annuelle de 14 450 livres ne pouvait suffire à assurer la subsistance de vingt-neuf religieuses car elles ne disposaient plus que de 9 sols et 3 deniers à dépenser par jour et par religieuse210(*).
D'autre part, en mars 1790, les supérieures des communautés reçoivent un questionnaire à remplir pour préciser la règle et l'objet de l'institut et l'état de toutes les religieuses. Les supérieures des couvents enseignants en profitent pour mettre l'accent sur ce rôle éducatif, notamment à la lumière du décret du 13 février 1790 qui épargne provisoirement les couvents voués à l'éducation comme la Congrégation de Notre-Dame et comme la lettre citée précedement semble le faire. Par exemple, Mme de Baynac, l'abbesse de l'abbaye de Maubuisson espère un délai car elle se voue « à l'éducation et l'instruction des jeunes personnes du sexe ». Certains monastères craignent d'être réunis à d'autres monastères et là encore, les supérieures tentent de se sauver grâce à l'enseignement. La prieure des Augustines de Picpus offre d'ouvrir une école pour le quartier si son monastère est conservé mais sans se prononcer pour les autres communautés211(*).

X.B Les résistances au changement

X.B.1 Les résistances collectives

Le serment constitutionnel du 17 avril 1791 était imposé aux religieuses chargées de l'instruction publique donc celles enseignant dans les écoles paroissiales et les grands hospices. Les religieuses appartenant à des ordres voués à l'éducation, c'est-à-dire les Ursulines et la Congrégation de Notre-Dame ne sont pas concernées mais elles ont souvent souhaité exprimer leur opposition. Si aucun document exprime cette opposition pour le couvent de la Congrégation à Paris, les religieuses du même ordre à Corbeil écrivaient le 17 mai 1791 à Avoine, évêque jureur de Versailles, qu'elles ne prêteraient jamais serment si celui-ci leur était demandé, qu'elles ne reconnaissent que les prêtres nommés par Mgr de Juigné, l'archevêque de Paris et qu'elles ne voulaient ni quitter leur couvent ni recevoir de religieuses provenant d'autres communautés212(*).

Il est peu aisé, sans témoignages, de dire quel accueil a été réservé aux différentes mesures adoptées au sujet des couvents à la Congrégation de Notre-Dame à Paris. Au-delà de la nationalisation des biens et des mesures concernant les voeux monastiques, les autorités laïques tentent de régir la vie intérieure du couvent et notamment les élections de la supérieure. Ainsi, le décret du 8-14 octobre 1790 demandait aux religieuses de se réunir sous la présidence d'un officier municipal pour élire une supérieure et une économe lors de la première semaine de l'année 1791213(*). Or le registre des élections de la Congrégation214(*) ne présente aucune élection à cette date. Une supérieure et son conseil sont élus le 12 juillet 1790 et le 30 janvier 1792 sans qu'aucune élection ne soit mentionnée en 1791. D'autre part, le résultat de ces élections est consigné de la manière habituelle, sans mentionner la présence d'un officier municipal et la procédure reste présidée par le supérieur de la communauté, Gayet de Sansale.
Au couvent de Notre-Dame de Charité, l'élection s'est faite selon les règles canoniques sans officier municipal puis, le jour de l'élection, selon le nouveau décret, les religieuses sont appelées chacune leur tour dans une chambre où étaient les commissaires qui les a ensuite félicité pour leur union215(*). Une situation identique aurait pu se produire à la Congrégation de Notre-Dame mais les registres ne reflètent que le résultat d'élections faites de la manière usuelle.
D'autre part, nous savons, grâce au recensement daté du 7 juin 1790216(*), que le couvent est encore composé de vingt religieuses de choeur, deux religieuses venant de Corbeil, une venant de Popincourt et de huit converses. Or le registre des élections217(*) présente l'élection d'une supérieure le 30 janvier 1792 à laquelle dix-neuf religieuses ont participé. Il semble donc que les soeurs converses n'aient pas participé à cette élection malgré la loi du 8 décembre 1790 qui les autorise à voter. Le couvent a donc conservé, à ce sujet au moins, l'ancien usage ce qui démontre une certaine résistance, collective au moins, au changement.
Les sources ne permettent pas de dire si les religieuses de la Congrégation de Notre-Dame à Paris se sont collectivement et ouvertement exprimées contre la sortie de leur cloître mais les Carmélites de Paris et de Saint-Denis ont publié un plaidoyer dans ce sens dans le mémoire présenté à l'Assemblée par Mgr de Bonald. Les Visitandines de Paris, pourtant enseignantes et donc plus en faveur que les contemplatives, déclarent elles aussi qu'elles souhaitent « vivre et mourir dans l'état saint et heureux que nous avons embrassé sans contraintes, que nous exerçons avec zèle et qui fait l'unique bonheur de nos jours ». De même, les Clarisses Capucines déclarent leu attachement à leurs voeux et à leur règle.218(*) Jean Boussoulade remarque également que ces témoignages de fidélité sont bien plus fréquents chez les religieuses que chez les religieux, ce qui atteste d'une plus grande ferveur chez les femmes219(*).

X.B.2 Quitter le cloître : un choix individuel mais également une exception

Si les sources ne témoignent pas d'une déclaration collective d'attachement au cloître, elles permettent une approche des opinions individuelles. Elles attestent notamment de deux départs : un document du Bureau de Liquidation de la Commission de l'administration des biens nationaux, daté du 13 juin 1792 nous informe que deux religieuses, Marie-Anne Gosmond et Catherine Dozemback, ont quitté la communauté. Une déclaration des revenus et des dettes du couvent auprès du Bureau de liquidation de la Commission de l'administration des biens nationaux du 23 novembre 1793 le confirme : « deux religieuses professes [sont] sorties en mars 1790 en vertu du décret »220(*). En effet, le décret du 13 février 1790, en plus de supprimer les voeux monastiques, autorise la sortie des religieux et des religieuses de leur monastère en faisant un déclaration devant la municipalité. Ce décret leur garanti également une pension. La raison de ces départs n'est cependant pas précisée : il n'est pas possible d'affirmer si cela a été décidé par les événements ou si la religieuse échappe ainsi à une vocation et un état qui lui a été imposé.
Cependant, dans son étude des religieuses sous la Révolution dans le diocèse de Poitiers, Gwenaël Murphy constate que l'origine sociale et les possibilités de retour dans la famille jouent un rôle important dans ces sorties221(*), nous ne pouvons observer ce phénomène pour les deux religieuses de la Congrégation de Notre-Dame à Paris sans documents attestant de la vie de ces femmes après leur sortie. On peut cependant remarquer que le contrat de profession de Marie-Anne Gosmond est signé de son père mais également de deux oncles dont un venu de province. Cette religieuse semble donc entourée d'une famille qui aurait pu faciliter son retour dans la société.
On observe des départs dans d'autres couvents. Par exemple, dès mars 1790, chez les Clarisses Urbanistes, ou Cordelières de la rue de Lourcine à Paris, trois religieuses viennent revendiquer leur liberté auprès de la municipalité, probablement parce qu'elles étaient malades. Au moment de l'enquête du 14 juin, une seule religieuse sur les dix présentes voulait profiter de la liberté alors que d'autres hésitaient222(*). L'examen d'un grand nombre d'enquêtes d'intention des quatre-vingt communautés de la ville de Paris permet d'affirmer que les religieuses optent unanimement pour la vie cloîtrée et qu'on observe peu d'abandons223(*).
De même, cinquante-et-une religieuses issues de vingt couvents poitevins, soit un peu moins de 5 % des religieuses présentes en 1790, quittent leur monastère entre avril 1790 et septembre 1792 et notamment entre juin 1790 et octobre 1791 où trente-six d'entre elles choisissent de partir224(*). Dans les diocèses de Langres, Auxerre et Dijon en 1791, seules 4 % des religieuses de choeur et 3 % des converses quittent volontairement leur couvent225(*) Les deux sorties du couvent de la Congrégation de Notre-Dame à Paris confirment donc qu'il s'agit d'un phénomène exceptionnel.
Les documents ne permettent pas d'observer de conflits à l'intérieur du couvent de la Congrégation ou l'influence d'individus extérieurs sur ce choix individuel. Pourtant, à l'abbaye de Montmartre, si trente-neuf religieuses déclarent vouloir rester dans leur communauté avec l'abbesse, onze Bénédictines déclarent vouloir partir et en être empêchées par le « despotisme » de l'abbesse et les manoeuvres des Jésuites226(*).

X.B.3 Le choix de la vie en communauté

Les recensements des religieuses de 1790 et 1792 précisent les intentions de chacune, ce qui permet de passer à l'échelle individuelle : dès 1790, six d'entre elles, dont la supérieure Marie-Anne Bobusse, se déclarent indécises ou prendront une décision quand à leur avenir « selon les événements ». En revanche, les 25 autres religieuses déclarent souhaiter rester en religion ou en communauté. En 1792, à part la supérieure, décédée le 23 janvier 1792227(*) et des religieuses provenant d'autres couvents, les listes des soeurs composant le monastère sont identiques Il semble donc que ces femmes choisissent, pour une majorité d'entre elles, la vie en communauté dans leur monastère, seuls les événements semblent en faire hésiter quelques unes. Si leurs réponses sont libres et ne subissent aucune influence, il ne s'agit probablement pas de vocations forcées. D'après Marie-Claire Tihon, les religieuses de la Congrégation Notre-Dame de Versailles sont encore plus résolues car lors du recensement d'intention de 1790, les soeurs déclarent unanimement qu'elles souhaitent conserver leur état228(*). De même, à Paris, les Augustines cloîtrées de l'hôpital Saint-Gervais, les Augustines de l'Hôtel-Dieu, les Clarisses Capucines de la place Vendôme, les religieuses de Notre-Dame de Charité de la rue des Postes, les Carmelites du faubourg Saint-Jacques, de la rue de Grenelle et de Saint-Denis déclarent unanimement vouloir conserver leur état. Il en est de même à la décadente abbaye de Longchamp, par désir de tranquillité229(*). Cette volonté de conserver leur style de vie cloîtré est également présente chez les Carmélites de Compiègne qui refusent de quitter leur couvent en 1790230(*), les Carmélites de Pontoise déclarent toutes (vingt-six religieuses de choeur et sept soeurs de voile blanc) «leur « intention de rester, vivre et mourir dans la maison de leur ordre »231(*). De même à Langres, quasiment toutes les religieuses, y compris les novices, restent dans leur couvent en 1790. Les soeurs du Refuge à Dijon renouvellent même solennellement leurs voeux en février 1792 dans leur chapelle ouverte au public232(*).
En revanche, un couvent parisien accueille favorablement la liberté offerte. Il s'agit du monastère de Sainte-Madeleine, connu sous le nom de Madelonnettes, situé rue des Fontaines. La grande majorité des trente-huit professes, partagées en quatre classes, se prononcent pour la sortie du monastère : des douze professes de la classe des pénitentes appelées les Madeleines, toutes sauf une désirent sortir. Cependant, c'est un couvent de repenties, de pénitentes et de pécheresses, d'autre part, à la suite de la confiscation de leurs revenus, elles vivaient dans une grande précarité et l'enquête montre qu'elles attendaient d'avoir touché leur pension pour partir233(*). Ces particularités expliquent donc le départ des religieuses : il s'agit d'une exception alors que les religieuses de la Congrégation de Notre-Dame font partie de la grande majorité de professes souhaitant conserver leur mode de vie.

XI Depuis 1792 : après la fermeture du couvent

XI.A De l'automne 1792 à l'été 1794 : la vie en communauté illégale

Les couvents de femmes sont fermés le 1er octobre 1792 par le décret du 4 août et les religieuses sont dispersées. L'arrêté de la commune du 13 août ordonne l'évacuation des couvents dans les trois jours, délai prolongé de quelques jours par la tolérance du ministre de l'intérieur Roland mais les massacres dans les prisons du 2 ou 6 septembre accélèrent la dispersion des religieuses. Ainsi, les Carmélites de la rue de Grenelle partent le 14 septembre et celles du Faubourg Saint-Jacques le 29 septembre234(*).
La date exacte et les conditions de l'évacuation du couvent de la Congrégation de Notre-Dame ne sont pas connues mais un dossier du Tribunal révolutionnaire235(*) permet de suivre le parcours d'un groupe de religieuses soupçonnées « d'avoir voulu ramener l'ancien régime par fanatisme » à Rungis alors que cette ville, jugée pas assez révolutionnaire, était particulièrement surveillée236(*). Ce dossier présente une suite de perquisitions et d'interrogatoires faisant suite à des dénonciations. Il permet d'établir une chronologie des événements237(*).
Gwenaël Murphy répertorie quatre comportements de résistance aux décrets qui ont mis fin aux couvents : la vie en communauté alors que les rassemblements de plus de trois ex-religieuses sont interdits, la participation à des réseaux locaux de protection de réfractaires, l'assistance à des messes clandestines et la tenue de classes interdites238(*). La chronologie des événements permet de retrouver certains de ces éléments.

XI.A.1 La continuation illégale de la vie en communauté à Rungis

C'est tout d'abord la vie en communauté qui a entraîné la première perquisition en alertant sur la présence à Rungis d'une maison « habitée par plusieurs ci-devant religieuses de la ci-devant Congrégation de Notre-Dame, rue Neuve-Saint-Etienne-du-Mont ».
La supérieure Marie-Elisabeth-Cécile Pellier a réuni autour d'elle douze autres religieuses que la perquisition de mai 1793 nomme : sasoeur Anne-Victoire Pellier, Louise-Madeleine Berain (assistante), Marie-Marguerite Ménage, Marguerite-Angélique Spitallier dite Rosier, Louise-Jeanne Pigalle, Marguerite-Thérèse Cheval-de-Saint-Hubert, Marie-Julie Quetin, Barbe Chauvelot, Jeanne Cornu, Marie-Françoise-Honorée Morand et Marie-Françoise Louis originaire de la Congrégation de Notre-Dame de Nemours, Marie-Madeleine ou Louise Lenoir, probablement de la Congrégation de Notre-Dame de Corbeil (cette religieuse n'est en revanche pas nommée lors de la perquisition de juillet 1794 et ce départ n'est pas justifié ). Nous savons, grâce aux contrats de dotation, que cinq de ces religieuses sont originaires de Paris239(*). La proportion de parisiennes de naissance est probablement supérieure à la moitié de ce groupe. En revanche, bien que fille d'un aubergiste parisien, Marie-Elisabeth-Cécile Pellier est quant à elle née à Melun240(*).
La supérieure de la communauté déclare également héberger le jardinier Etienne Bernard et son frère Michel Pellier. En revanche, le supérieur du couvent, Antoine-Augustin-Lambert Gayet de Sansale ne suit pas les religieuses, il disparaît des sources à partir de 1792. Les religieuses semblent donc se réunir à Rungis à l'initiative et sous la direction de la supérieure Marie-Elisabeth-Cécile Pellier de façon autonome par rapport à l'autorité de leur supérieur et même d'une autorité masculine, en effet, bien que Michel Pellier reçoive les officiers municipaux lors du second jour de perquisition, il ne semble pas être à la tête du regroupement.
Cette vie en communauté ne semble pourtant pas illégale au premier abord puisqu 'elles auraient obtenu un certificat de résidence qui leur est délivré sans difficulté et est même affiché à la porte de la chambre commune. Ce regroupement de religieuses est donc connu. Elles assisteraient d'ailleurs ouvertement, en 1793, aux offices religieux célébrés par le curé de Rungis Besnard241(*). Cela prouve une certaine complicité de la commune de Rungis et de ses habitants, ce qui a pu renforcé l'idée que cette ville n'était pas assez révolutionnaire.
Lors de cette première perquisition, en mai 1793, les religieuses prouvent qu'elles ont prêté le serment de Liberté-Egalité selon le décret du 15 août 1792 qui est exigé de tous ceux qui recevaient un traitement ou une pension (décret du 14 août) et de tous les fonctionnaires publics (décret du 15 août). Ce décret ne semblait pas concerner les femmes mais il est probable que les autorités l'aient exigé des religieuses pensionnées avant les décrets d'octobre et décembre 1793. Par exemple, en Mayenne, on considère les ecclésiastiques et les religieuses comme des fonctionnaires publics et on exige donc d'eux le serment selon le décret du 15 août 1792242(*). D'autre part, après la journée du 10 août, face aux risques d'émeute, des communautés étaient prêtes à prêter ce serment afin de donner une preuve de civisme243(*). Ainsi de nombreuses religieuses se présentent aux comités de section à Paris ou à la municipalité pour les provinciales pour prêter le serment et se faire délivrer un certificat de civisme, garantie de sécurité. Certaines religieuses vivaient encore dans leur couvent quand elles ont accompli cette démarche comme les Ursuline d'Argenteuil ou les Bénédictines de Notre-Dame de la Conception à Conflans où la soeur économe fait le serment le 10 septembre244(*). Malgré ce serment prêté par les religieuses de la Congrégation de Notre-Dame, à une date et dans des circonstances qui ne sont pas connues, leur regroupement à Rungis reste suspect.
Ce cas de communauté clandestine n'est pas isolé, bien que le phénomène soit minimisé car seules sont comptabilisées les communautés repérées par les autorités245(*). Ainsi les religieuses de la Congrégation de Notre-Dame de Versailles forment deux groupes fin septembre 1792 : un groupe de douze religieuses se réfugie à Fontainebleau, le second groupe de neuf femmes reste à Versailles. De même, un groupe de dix bénédictines de Sainte-Croix de Poitiers est arrêté le 23 septembre 1793. Le 10 mars 1796, la municipalité de Poitiers recense dix-neuf groupes d'ex-religieuses246(*). Les Carmélites de Compiègne se dispersent de même dans trois maisons en 1792247(*). Les religieuses du Carmel de la rue de Grenelle se dispersent en six groupes dans Paris : un groupe composé de la prieure et de cinq autres religieuses établi rue du Regard, un deuxième groupe rue Mouffetard composé de six femmes, quatre soeurs habitent rue Cassette, quatre autres professes rue Coppeau et deux autres groupes se partagent le reste des religieuses. Elles déménagent en 1793 pour échapper aux arrestations. Plusieurs religieuses de Notre-Dame de Charité se regroupent autour de leur supérieure près de la barrière du Maine. Dix d'entre elles s'abritent avec la supérieure à Saint-Denis le 20 janvier 1793. Les religieuses de la Visitation se dispersent également dans Paris, par groupes de deux ou trois en tentant de vivre selon la règle de leur ordre et en gardant le contact avec leur supérieure. Une dizaine de femmes du couvent de la Visitation, rue Saint-Jacques, partent pour Ivry où le monastère possède une maison de campagne. Elles sont arrêtées le 20 novembre 1793 avec d'autres religieuses venant d'autres couvents et une Carmélite infirme logée chez sa soeur, soit seize religieuses arrêtées car elles sont jugées suspectes. Les Carmélites de Saint-Denis, outre les religieuses étrangères retournées dans leur pays, se dispersent en trois groupes à Saint-Denis, Paris et Saint-Germain-en-Laye. Les Franciscaines de Sainte-Elisabeth du Temple sont recueillies par Mme de Gourgues dans son hôtel particulier du Marais alors que d'autres habitent rue Saint-Joseph en 1793. Les dominicaines de la Croix de la rue de Charonne forment trois groupes : la prieure et sept soeurs logent rue de la Cerisaie, un groupe de huit femmes dont la sous-prieure se réfugient rue de la Roquette et la plupart des converses résident dans une ferme rue de Charonne248(*). Au début de 1793, l'abbesse de l'abbaye de Montmartre logeait avec sept de ses religieuses chez Belleville, ancien procureur-syndic de Saint-Denis249(*). En revanche, les Carmélites du faubourg Saint-Jacques sont tolérées par la section : elles peuvent se loger dans leur ancien quartier sans être inquiétées. Cependant, une grande majorité des 3 125 religieuses de l'ancien diocèse de Paris vivent dans l'isolement et la précarité. Beaucoup d'entre elles se réfugient dans leur pays natal, leur famille ou la campagne d'Ile-de-France250(*) ce qui est probablement le cas des religieuses de la Congrégation de Notre-Dame à Paris qui ne se sont pas réfugiées à Rungis.

Lors de l'interrogatoire du 17 juillet 1794, Marie-Elisabeth-Cécile Pellier, Anne-Victoire Pellier et Marie-Françoise-Honorée Morand justifient leur vie en communauté par « l'amitié » et « les détails du ménage ». En revanche, lorsqu'il leur est demandé leur opinion sur la suppression des cloîtres, Marie-Elisabeth-Cécile répond qu'elle a « pris son état par goût et par choix et qu'elle ne peut être satisfaite sans le cloître qu'elle regrettoit de tout son coeur ». Sa soeur a déclaré que « l'État est libre de souffrir ou de ne pas souffrir de cloîtres, qu'à son égard, elle en est sorti puisqu'il a fallu en sortir » ce qui sous-entend que ce n'était pas une volonté personnelle. Marie-Françoise-Honorée Morand a quand à elle répondu que « la première année, ça lui a fait beaucoup de peine mais qu'elle s'est soumise aux lois et qu'elle n'y pense plus ». Ces réponses, bien que prudentes quant aux lois, témoignent de leur attachement à la vie en communauté mais aussi de leur vocation pour la vie religieuse. De même, une des quatre ex-calvairiennes de Poitiers vivant en communauté prétend, lors d'une visite de la police le 14 mai 1796, qu'elles vivent ensemble pour « nous soutenir les unes les autres et mettre nos maigres pensions en commun »251(*). Les religieuses mettent donc en avant les difficultés financières pour justifier leur vie en communauté mais leurs réponses sous-entendent également une peur de la solitude, accentuée si aucune famille ne les attend à la sortie du cloître. Par exemple, parmi les réfugiées à Rungis se trouve Louise-Madeleine Berain, âgée de 82 ou 83 ans en 1794. Lors de l'interrogatoire du 17 juillet 1794, Marie-Françoise-Honorée Morand explique qu'elle n'a pu se rendre à la fête de l'Être suprême car elle devait soigner une vieille religieuse, probablement Louise-Madeleine Berain. Pour cette dernière, la vie en communauté lui est nécessaire à cause des infirmités liées à son âge. On peut également imaginer que de nombreuses années de cloître l'ont éloignée de toute famille pouvant la prendre en charge. L'âge n'est cependant pas un facteur systématiquement déterminant dans la poursuite de la vie en communauté durant les années 1790. Par exemple, Augustine Mougenot quitte la Congrégation de Notre-Dame de Versailles pour s'installer chez sa nièce à Nancy avant de rejoindre les religieuses réfugiées à Fontainebleau. Elle décède parmi sa communauté le 8 décembre 1801 à l'âge de 90 ans252(*). Malgré son âge avancé, elle avait une famille capable de l'accueillir et c'est donc par choix qu'elle retrouve ses compagnes du cloître.

D'autre part, les perquisitions cherchent à constater si elles ont rétabli un mode de vie conventuel et notamment en constatant un aménagement de l'habitation en cellules. Ainsi, il est demandé à Marie-Elisabeth-Cécile Pellier, Anne-Victoire Pellier et Marie-Françoise-Honorée Morand, lors de l'interrogatoire du 21 août 1794, si elles ont modifié la maison de Rungis pour qu'elle ressemble à un couvent. Les soeurs Pellier admettent la construction d'une, voire même quelques cloisons et chambres par commodité alors que leur compagne nie ces transformations. Le souci de conserver leur mode de vie est également présent chez les Carmélites de Compiègne. Elles tentent en effet de conserver l'esprit les règles de leur ordre dans les trois maisons où elles se sont réfugiées253(*).

XI.A.2 La recherche d'un engagement politique et d'un lien avec un émigré

Cependant, les perquisitions ont pour but la recherche d'un engagement politique, notamment en examinant les livres, brochures et autres écrits présents dans la maison. Dès la première visite, deux brochures suspectes ont été découvertes et confisquées : Adresse de cent cinquante communes de Normandie à la Convention nationale sur le jugement de Louis Seize, roi de France, trouvée dans une pièce communeet Instruction donnée par M. l'évêque de Langres aux curés, vicaires et autres ecclésiastiques de son diocèse qui n'ont pas prêté le serment ordonné par l'assemblée nationale avec l'adoption qu'en a faite M. l'évêque de Clermont pour son diocèse, trouvée dans la chambre d'Anne-Victoire Pellier. La première brochure a été déchirée sur place par la supérieure de la communauté, rendant ainsi la communauté plus suspecte. D'autre part, la visite du 19 mai 1793 permet de découvrir un « renouvellement de profession religieuse entre les mains de Léon Leclerc de Juigné » du 15 août 1791 et signé par Marie-Françoise-Honorée Morand alors que Juigné était émigré à cette date. Lors de l'interrogatoire du 21 août 1794, elle confirme l'existence de ce document mais elle ajoute que « c'est une pièce qu'elle s'est amusée à transcrire, comme elle transcriroit [des] chansons et autres choses semblables »254(*). Or les liens avec les émigrés sont un mode de contestation de la Révolution pouvant entraîner la peine capitale comme cela a été le cas de la bénédictine Benoîte de Nantiat et de la frontevriste Aimée de James, condamnées à mort par le Tribunal révolutionnaire de Paris255(*). Les Carmélites de Compiègne sont également accusées d'entretenir une correspondance avec des émigrés après la découverte à leurs domiciles de lettres de prêtres déportés256(*).

Au-delà des faits dont elles sont suspectées, les interrogatoires des trois religieuses considérées les plus suspectes tentent de sonder leurs opinions sur la Révolution et les événements de leur temps. Par exemple, le 3 juillet 1794, quand Rousseville invite les soeurs Pellier à le suivre au Comité de surveillance de Rungis, ils échangent en chemin sur « la mort du tyran, sur le Pape, sur les prêtres et le fanatisme », le compte-rendu précise « qu'elles ont répondu en éludant de se prononcer. Elles m'ont dit que je ne pouvais pas connoitre leurs coeurs, qu'elles étoient soumises à la loy, que les religieuses étoient libres ».
L'interrogatoire du 21 août 1794 s'attache notamment à obtenir des précisions des soeurs Pellier et de Morand sur la fête de l'Être suprême, sur la journée du 10 août 1792, sur l'exécution du roi et sur l'invasion du territoire français. Par exemple, la supérieure Marie-Elisabeth-Cécile Pellier répond qu'elle était libre de ne pas assister à la fête de l'Être suprême mais elle prétend ne rien savoir de la journée du 10 août ni de la conduite du roi pour avoir un jugement. Sa soeur Anne-Victoire a en revanche des réponses moins évasives car elle déclare à propos de la fête de l'Être suprême qu'elle « trouve ce décret là bon comme tous ceux que fait la Convention » bien qu'elle ne s'y soit pas rendu. Elle répond également à propos des journées du 10 août 1792 et du 21 janvier 1793 « qu'on a bien fait ».
Il est difficile de faire la part entre les opinions personnelles et les réponses prudentes inspirées par la peur notamment après l'arrestation de ces trois religieuses.

XI.A.3 La reprise de l'activité enseignante

La dénonciation du 3 juillet 1794257(*) s'intéresse à la reprise de l'activité enseignante de ce petitgroupe : les religieuses accueilleraient trois pensionnaires et on aurait trouvé entre les mains des pensionnaires un livre suspect : Abrégé de toutes les sciences à l'usage des enfants qui contient trois chapitres sur les maisons impériales et royales d'Europe et un autre sur le Pape. Les soeurs Pellier sont invitées à se rendre au Comité de surveillance où elles reconnaissent les faits dénoncés. Lors de la perquisition du 19 juin 1793, les religieuses avaient déjà admis accueillir deux pensionnaires mais uniquement « pour le rétablissement de leur santé ». La perquisition qui a lieu le 6 juillet 1794 permet de retrouver des livres républicains dans la chambre des pensionnaires mais les religieuses sont soupçonnées de les y avoir placés en prévision de la visite du Comité de sûreté général et les interrogatoires menés le 8 juillet auprès des employés de la maison tentent de le prouver.
Ces faits témoignent de l'engagement de ces religieuses pour l'éducation mais également de la crainte des autorités : l'enseignement des religieuses pourrait être un moyen de propager des idées anti-révolutionnaires tout comme l'élection d'une religieuse janséniste au poste d'intendante des classes en 1742 pouvait participer à la propagation des idées jansénistes .
Cet engagement pour l'enseignement se retrouve chez les religieuses du même ordre de Versailles. Le groupe de religieuses réfugiées à Fontainebleau réunissent des élèves, externes et pensionnaires, pour les instruire. Les autorités s'en inquiètent également mais sans insister face à l'obstination des religieuses258(*).
L'interrogatoire d'Étienne Bernard, le jardinier, ajoute un élément suspect : sa petite fille qui apprenait à lire auprès des religieuses a été surprise et renvoyée par Anne-Victoire Pellier (confondue avec Marie-Françoise-Honorée Morand mais les interrogatoires ont rectifié cette erreur) avec un livre républicain donné par Besnard, le curé de Rungis. Il s'agit de la seule mention du curé de Rungis dans ces sources.

XI.A.4 La tenue de messes clandestines

Les interrogatoires s'intéressent donc aux livres présents dans la maison mais aussi à la possibilité que les religieuses aient caché les livres compromettants. L'épisode des livres emportés par la laitière Cadiot pourrait être un exemple d'une volonté de subtiliser des livres suspects. L'interrogatoire de Charles-Jean Pioche et son épouse, soeur de Marie-Françoise-Honorée Morand, chez qui la laitière a déposé le paquet, a permis d'identifier ces livres comme étant un bréviaire en latin, Greviarium Romanum et l'autre livre intitulé : Infesto beate petri forerii confessoris, ce qui est une preuve de conservation d'objets du culte catholique.
Les perquisitions s'attachent donc également à rechercher des objets attestant de la tenue de messes dans la maison. En effet, la loi des suspects du 17 septembre 1793 encourageait la recherche des religieuses ayant recours au service de prêtres réfractaires259(*). Les fouilles donnent peu de résultats excepté le 6 juillet 1794 où des reliquaires et des chapelets sont découverts. La cuisinière prétend cependant, le 8 juillet 1794, qu'elle les a entendu dire l'office. Interrogées à ce sujet le 17 juillet 1794, les soeurs Pellier et Marie-Françoise-Honorée Morand nient le faire bien que cette dernière et Anne-Victoire Pellier avouent s'être rassemblées pour dire l'office dans les premiers mois de leur refuge à Rungis. Elles auraient en revanche assisté ouvertement en 1793 aux offices du curé de Rungis assermenté Besnard260(*). Par contre, une perquisition à Paris chez deux anciennes dominicaines permet de découvrir des ornements de messe mais aussi des preuves de la visite d'un Augustin venant dire la messe aux deux religieuses261(*). Les religieuses de la Congrégation de Notre-Dame de Versailles restées regroupées dans cette ville ont la prudence d'installer un petit sanctuaire dans la pièce la plus reculée de la maison. Elles s'y réunissent pour prier et y accueillir en cachette l'abbé Legris-Duval ou des prêtres réfractaires pour célébrer la messe262(*). C'est la participation à des messes clandestines qui constitue le motif le plus fréquent d'arrestations et de visites. Cependant, peu d'ex-religieuses sont arrêtées pour ce motif. Or ce ne sont pas tant les ex-religieuses qui sont recherchées mais ce sont les prêtres qui sont visés263(*).
En revanche, les sources concernant le groupe de religieuses de la Congrégation de Notre-Dame ne mettent pas évidence la présence d'un prêtre pour dire l'office au domicile des religieuses, elles ne permettent d'ailleurs pas de conclure à des célébrations de messes illégales au moment des perquisitions à Rungis.

XI.B De l'été 1794 à 1807 : de la séparation de la communauté à l'achat de nouveaux bâtiments conventuels

Une lettre du 27 juillet 1794 provenant de la Conciergerie et adressée au représentant du peuple Crassous accuse les religieuses d'avoir « recomposé un couvent dans la commune de Rungis, que la Morand a renouvelé ses voeux entre les mains de l'émigré Juigné depuis la destruction des voeux, qu'elles sont prévenues d'avoir conspiré contre le Peuple en voulant rétablir l'ancien Régime par le fanatisme ». La lettre approuve la décision du district de disperser les religieuses ainsi que de brûler ce qui alimente le fanatisme. Elle confirme également que les soeurs Pellier et Marie-Françoise-Honorée Morand seront traduites devant le Tribunal révolutionnaire, ce qui conduit à l'interrogatoire de ces trois femmes mené le 21 août 1794 et déjà évoqué précédemment.
Les documents consultés ne donnent pas d'indications sur le sort des trois religieuses arrêtées cependant, Gwenaël Murphy dénombre 187 religieuses exécutées en France pendant la Terreur, aucune d'entre elles appartenait à la Congrégation de Notre-Dame ce qui semble donc prouver qu'elles ont été épargnées. Si Marie-Françoise-Honorée Morand disparaît totalement des sources, les soeurs Pellier apparaissent sur l'acte de décès de leur frère le 14 septembre 1799 à Rungis264(*) ce qui confirme qu'elles ont survécu à la Terreur.

D'après Patrick Delepaut dans son histoire de Rungis sous la Révolution, les religieuses auraient quitté Rungis entre août et novembre 1794. Jeanne Cornu serait partie à Bondy, Madeleine Berain et Marie-Thérèse Cheval-de-Saint-Hubert à Saint-Mandé. Les autres religieuses seraient retournées à Paris265(*).
Après l'été 1794, les religieuses font moins l'objet de surveillance pour leurs actes de résistance266(*) et donc les sources se raréfient.
Comme les professes de la Congrégation de Notre-Dame, les Carmélites de Compiègne sont soupçonnées de complot royaliste et de fanatisme. Cependant, selon une pratique des amalgames, elles se sont retrouvées accusées de complicité avec dix-huit autres accusés dont dix-sept leur étaient inconnues et toutes les accusations individuelles ont été reprochées à tout le groupe. Contrairement aux religieuses de la Congrégation de Notre-Dame qui semblent avoir été épargnées, les Carmélites sont déclarées coupables, avec l'ensemble des accusés, de conspiration contre la République et exécutées267(*).
Sept Carmélites de la rue de Grenelle sont arrêtées avec une Visitandine vivant avec elles le 29 novembre 1793. Les huit religieuses comparaissent devant le Tribunal révolutionnaire le 9 février 1794. Elles restent huit mois dans les cachots de la Force à la Salpêtrière puis six semaines à Bicêtre avant d'être transférées le 12 novembre 1794 dans le couvent des Augustines anglaises, rue des Fossés-Saint-Victor. Ces dernières sont incarcérées dans leur propre couvent avec les Bénédictines anglaises de la rue du Champ-de-l'Alouette et les Soeurs anglaises de l'Immaculé Conception de la rue de Charenton. Les Carmélites sont libérées en mars 1795268(*) comme l'ont été les soeurs Pellier à une date inconnue.

En 1797, des religieuses de la Congrégation, dont la supérieure Marie-Elisabeth-Cécile Pellier, toujours présentes à Rungis doivent quitter cet endroit pour revenir à Paris où elles habitent dans des logements de fortune. En 1799, elles vivent rue d'Enfer, dans l'hôtel de Chaulnes qu'elles louent pour vivre dans la partie la plus délabrée tout en en sous-louant la partie en meilleur état. Elles y aménagent une chapelle où le Père Brun vient servir. Elles vivent dans une grande précarité, obligeant même les converses à mendier dans les moments de plus grande pauvreté. A la Toussaint 1801, Marie-Elisabeth-Cécile Pellier institue à l'hôtel de Chaulnes l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement auquel elle était particulièrement attachée269(*).
Enfin, Marie-Elisabeth-Cécile Pellier apparaît encore en 1807 sur l'acte d'achat270(*) des bâtiments de l'Abbaye-aux-Bois qui serviront à héberger un nouveau couvent de la Congrégation de Notre-Dame avec son pensionnat.

XI.C Une trajectoire individuelle : la converse Angélique Boufflers dite de Sainte-Agathe

C'est à travers les mémoires de Madame Roland et les informations collectées par Claude Perroud que la trajectoire d'une converse nous est connue. Madame Roland s'est liée d'amitié avec cette religieuse lors de son passage au couvent en 1765 et 1766. Ensuite, elles ont correspondu entre les visites que Mme Roland rendait dans un appartement du couvent jusqu'à sa fermeture. A sa sortie du monastère, Angélique Boufflers s'installe entre le Panthéon et le Jardin des Plantes, près de la prison de Sainte-Pélagie où Madame Roland est détenue : « Sortie de cet asile lorsque l'âge et les infirmités le lui rendaient nécessaire, réduite à la médiocre pension qui lui est assignée, elle végète non loin des lieux de notre ancienne demeure et de ceux où je suis prisonnière »271(*). Elle sert d'intermédiaire à la correspondance entre Madame Roland et François Buzot, son amant alors fugitif : cela doit être plus considéré comme un acte d'amitié envers Madame Roland qu'un engagement politique. La religieuse serait décédée le 14 avril 1797 vers l'âge de 56 ans272(*).

* 201 MURPHY Gwénaël, Les religieuses dans la Révolution française, Paris, Bayard, 2005, p. 36.

* 202 Ibid., p. 39.

* 203 A.N., G9151, 1784-1786, commission des réguliers et des secours, dossier n°23.

* 204 DUVIGNACQ-GLESSGEN Marie-Ange, L'Ordre de la Visitation à Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles, op. cit., p. 165.

* 205 S4639, 9 mars 1790, déclaration, Congrégation de Notre-Dame à Paris.

* 206 Enquête prescrite par le décret du 13 février 1790.

* 207 BOUSSOULADE Jean, Moniales et hospitalières dans la tourmente révolutionnaire: les communautés de religieuses de l'ancien diocèse de Paris de 1789 à 1801, Paris, France, Letouzey & Ané, 1962, p. 66.

* 208 BERTOUT Anne, Les ursulines de Paris sous l'Ancien Régime, op. cit., p. 151-152.

* 209 Ibid., p. 159.

* 210 BOUSSOULADE Jean, Moniales et hospitalières dans la tourmente révolutionnaire, op. cit., p. 69-70.

* 211 Ibid., p. 59.

* 212 Ibid., p. 88-89.

* 213 Ibid., p. 68.

* 214 A.N., LL1636, 1742-1792, registre des élections.

* 215 BOUSSOULADE Jean, Moniales et hospitalières dans la tourmente révolutionnaire, op. cit., p. 68-69.

* 216 A.N., S4639, XVIIe-XVIIIe siècles, documents divers, Congrégation de Notre-Dame à Paris.

* 217 A.N., LL1636, 1742-1792, registre des élections.

* 218 BOUSSOULADE Jean, Moniales et hospitalières dans la tourmente révolutionnaire, op. cit., p. 58.

* 219 Ibid., p. 60.

* 220 A.N., S4639, XVIIe-XVIIIe siècles, documents divers, Congrégation de Notre-Dame à Paris.

* 221 MURPHY Gwénaël, Les religieuses dans la Révolution française, op. cit., p. 92.

* 222 BOUSSOULADE Jean, Moniales et hospitalières dans la tourmente révolutionnaire, op. cit., p. 62.

* 223 Ibid., p. 60.

* 224 MURPHY Gwénaël, Les religieuses dans la Révolution française, op. cit., p. 91.

* 225 DINET Dominique, « Les communautés religieuses féminines de Bourgogne et de Champagne face à la Révolution », op. cit., p. 477.

* 226 BOUSSOULADE Jean, Moniales et hospitalières dans la tourmente révolutionnaire, op. cit., p. 63-64.

* 227 A.N., LL1636, 1742-1792, registre des élections.

* 228 TIHON Marie-Claire, Le couvent de la reine, op. cit., p. 153.

* 229 BOUSSOULADE Jean, Moniales et hospitalières dans la tourmente révolutionnaire, op. cit., p. 62.

* 230 PISANI Paul (1852-1933), L'église de Paris et la Révolution. II, 1792-1796, Paris, A. Picard et fils, 1908, p. 134.

* 231 MELLOT Jean-Dominique, Histoire du Carmel de Pontoise, op. cit., p. 231.

* 232 DINET Dominique, « Les communautés religieuses féminines de Bourgogne et de Champagne face à la Révolution », in Pratiques religieuses, mentalités et spiritualités, dans l'Europe révolutionnaire, 1770-1820: actes du colloque, Chantilly, 27-29 novembre 1986, Turnhout, Brepols, 1988, p. 476.

* 233 BOUSSOULADE Jean, Moniales et hospitalières dans la tourmente révolutionnaire, op. cit., p. 64-65.

* 234 Ibid., p. 115.

* 235 A.N., W52, dossier n° 3368, 1793-1794, Tribunal révolutionnaire, le représentant du peuple Crassous contre Anne-Victoire Pellier, Marie-Elisabeth-Cécile Pellier, Marie-Françoise-Honorée Morand.

* 236 PISANI Paul (1852-1933), L'église de Paris et la Révolution. II, 1792-1796, op. cit., p. 123.

* 237 Tableau 26, Chronologie des événements concernant un groupe de religieuses réfugiées à Rungis reconstituée à partir du dossier du Tribunal révolutionnaire, p. 111.

* 238 MURPHY Gwénaël, Les religieuses dans la Révolution française, op. cit., p. 142.

* 239 Tableau 9, Origine sociale et lien de parenté des personnes présentant la religieuse au couvent (à partir des contrats de profession), p. 54.

* 240 A.N., MC/ET/XXIX/724, 1er juin 1808, testament de Marie-Elisabeth-Cécile Pellier.

* 241 DELEPAUT Patrick, Rungis sous la Révolution, 1789-1800, Rungis, Société historique et archéologique de Rungis, 1990, p. 156.

* 242 BOUSSOULADE Jean, Moniales et hospitalières dans la tourmente révolutionnaire, op. cit., p. 115-117.

* 243 Ibid., p. 119.

* 244 Ibid., p. 122.

* 245 MURPHY Gwénaël, Les religieuses dans la Révolution française, op. cit., p. 142.

* 246 Ibid., p. 143.

* 247 PISANI Paul (1852-1933), L'église de Paris et la Révolution. II, 1792-1796, op. cit., p. 134.

* 248 BOUSSOULADE Jean, Moniales et hospitalières dans la tourmente révolutionnaire, op. cit., p. 129-134.

* 249 Ibid., p. 173-174.

* 250 Ibid., p. 176.

* 251 MURPHY Gwénaël, Les religieuses dans la Révolution française, op. cit., p. 145.

* 252 TIHON Marie-Claire, Le couvent de la reine, op. cit., p. 160.

* 253 PISANI Paul (1852-1933), L'église de Paris et la Révolution. II, 1792-1796, op. cit., p. 134.

* 254 A.N., W52, dossier 3368, 15 messidor an II (3 juillet1794), Tribunal révolutionnaire, papiers du Parquet, interrogatoire de Marie-Elisabeth-Cécile Pellier, Anne-Victoire Pellier et Marie-Françoise-Honorée Morand.

* 255 MURPHY Gwénaël, Les religieuses dans la Révolution française, op. cit., p. 164.

* 256 PISANI Paul (1852-1933), L'église de Paris et la Révolution. II, 1792-1796, op. cit., p. 134.

* 257 A.N., W52, dossier 3368, 3 juillet 1794, Tribunal révolutionnaire, papiers du Parquet, dénonciation de Rousseville.

* 258 TIHON Marie-Claire, Le couvent de la reine, op. cit., p. 160.

* 259 BOUSSOULADE Jean, Moniales et hospitalières dans la tourmente révolutionnaire, op. cit., p. 135.

* 260 DELEPAUT Patrick, Rungis sous la Révolution, 1789-1800, op. cit., p. 156.

* 261 PISANI Paul (1852-1933), L'église de Paris et la Révolution. II, 1792-1796, op. cit., p. 133.

* 262 TIHON Marie-Claire, Le couvent de la reine, op. cit., p. 161.

* 263 MURPHY Gwénaël, Les religieuses dans la Révolution française, op. cit., p. 151-152.

* 264 AD94, 14 septembre 1799, acte de décès de Michel Pellier, http://archives.valdemarne.fr/archives-en-ligne/img-viewer/etat-civil/94065/1MI_000478/viewer.html?ns=FRAD094_1MI_000478_0107.jpg (consulté le 30 janvier 2018).

* 265 DELEPAUT Patrick, Rungis sous la Révolution, 1789-1800, op. cit., p. 157.

* 266 MURPHY Gwénaël, Les religieuses dans la Révolution française, op. cit., p. 166-167.

* 267 PISANI Paul (1852-1933), L'église de Paris et la Révolution. II, 1792-1796, op. cit., p. 135.

* 268 BOUSSOULADE Jean, Moniales et hospitalières dans la tourmente révolutionnaire, op. cit., p. 154-159.

* 269 Ibid., p. 188-189.

* 270 A.N., MC/ET/XXIX/718, 30 novembre 1807, vente immobilière, Charles-Pierre Delespine, Marie-Elisabeth-Cécile Pellier, Marie-Julie Quetin, Marie-Louise-Charlotte Poullot de Navarre.

* 271 ROLAND DE LA PLATIÈREManon, PERROUD Claude(éd.), Mémoires de Madame Roland, op. cit., p. 55.

* 272 ROLAND DE LA PLATIÈREManon, PERROUD Claude(éd.), Lettres de Madame Roland, 1788-1793, Paris, France, Imprimerie nationale, t. 2, 1902, p. 787.

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