Partie I
Cadrage et définition du sujet
A. Éléments de contexte (historique,
politique, économique, juridique)
L'origine de la notion de polyamour : cadrage
historique, juridique, ethnographique et politique
Pour débuter notre approche du sujet, il est avant tout
primordial de s'attaquer aux notions que recouvre le terme
«polyamour». «S'il est aisé de décrire la
signification du concept, saisir toute la richesse du phénomène
de cette forme d'amour exigerait une vaste exploration historique, impossible
à aborder dans le cadre d'un mémoire de maîtrise»
(Lévesque, 2019). Nous pouvons néanmoins résumer que son
origine théorique remonterait en 1816, au sein de l'ouvrage
Le Nouveau Monde Amoureux écrit par le
philosophe Charles Fourier, sous l'appellation «d'amour multiple». En
1920 il prendra aussi le nom «d'amour camaraderie» au sein des
mouvements marxistes et libertaires (Kollontaï, 1923), appelant à
se libérer d'une «captivité amoureuse» dictée
par la volonté de concentrer le capital au sein d'une même
famille.
C'est à l'autrice M. G. Zell, fondatrice de la religion
néo-païenne Church of All Worlds qu'est accordée le plus
souvent l'invention du terme. Au sein de son article Bouquet of
Lovers, paru en 1990, elle proposera le terme
«poly-amorous» en réponse à la recherche d'une
alternative au terme de «responsible non-monogamy» (Klesse, 2011;
Anapole, 2010). Ainsi, l'histoire de la naissance du terme
«polyamory» - teintée de néo-paganisme et de
théorie marxiste - aurait influencé l'orientation politique des
communautés polyamoureuses actuelles (Aviram, 2010). La critique de la
monogamie traditionnelle est au coeur de nombreux mouvements progressistes
depuis les années 1960, tels que les mouvements socialistes
anticapitalistes, anarchistes, féministes et LGBT (Anapole, 2010). En
outre, selon les travaux ethnographiques d'Elisabeth Sheff publiés en
2005 sur une communauté polyamoureuse de la côte
ouest-américaine, les polyamoureux sont en grande majorité des
personnes blanches2, diplômées d'université,
appartenant à la classe moyenne ou moyenne supérieure et ayant
entre 30 et 50 ans (Klesse, 2011).
2 Il est néanmoins important de nuancer ces
propos car en effet la plupart de la littérature recensée
«provient des États-Unis et concerne un échantillon de
participant·e·s peu diversifié : la plupart sont
blanc·he·s et ont un niveau d'éducation élevé.
Il serait pertinent d'approfondir ces recherches afin de déterminer si
la pratique du polyamour est plus répandue parmi ces groupes»
(Adam, 2020).
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En France, la popularisation du polyamour coïncide
également avec la dépénalisation progressive de
l'adultère ainsi qu'avec la valorisation progressive de l'affichage des
sentiments. Auparavant «l'association entre pluripartenariat et secret
était cohérente avec le cadre légal des unions à
l'époque où, le mariage étant considéré
comme une institution primordiale, l'adultère était un
délit - plus sévèrement sanctionné pour les
femmes»3. (Combessie, 2013). Ainsi, à la disparition de
l'adultère comme «cause péremptoire de divorce» au sein
du code civil, s'ajouta la montée progressive des courants de
pensées préférant l'écoute et l'introspection au
respect strict des règles.
Progressivement, les théories polyamoureuses se
démocratiseront avec des oeuvres phares, par exemple la parution du
livre manifeste du polyamour, The Ethical Slut, A Guide to Infinite
Sexual Possibilities coécrit par la thérapeute
familiale Dossies Easton et la sexologue Catherine A. Litz, souvent cité
par les communautés polyamoureuses comme étant une des pierres
angulaires du polyamour moderne. En France, une des figures du polyamour est
incarnée par la journaliste Françoise Simpère, autrice de
l'ouvrage Aimer plusieurs hommes (2002) et
Guide des amours plurielles
(2009).
Au coeur de ces ouvrages, le polyamour représenterait
la possibilité de nouer des relations amoureuses avec plusieurs
personnes simultanément et consensuellement. À la
différence d'autres types de relations non-monogames - comme les
relations échangistes ou libertines qui elles se caractérisent
avant tout par «leur permissivité au niveau de la sexualité
récréative» (Adam, 2020) - les personnes polyamoureuses
«mettent de l'avant leur habileté à s'engager
émotionnellement avec plusieurs partenaires, tout en prônant la
communication ouverte et honnête dans ces engagements» (Cook,
2005).
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