Etude des parcours de vie polyamoureuxpar Clémence Gay Université d'Evry - Maîtrise de sociologie parcours Image et Société: documentaire et sciences sociales 0000 |
B. Cadrage sociologique et statistique Les sources quantitativesÀ l'origine de ce mémoire, ma question était la suivante : «comment devient-on polyamoureux ?» voir dans une dimension plus qualitative : «quand commence-t-on à se décrire comme étant polyamoureux ?». Nous verrons au cours de ce document que cette question de départ s'est précisée à mesure de l'étude de ces recherches et du cadrage de ce mémoire. 3 «Dans le code pénal français, jusqu'en 1975, les femmes encouraient jusqu'à deux ans de prison pour une relation qui pouvait se produire n'importe où, alors que les hommes n'encouraient qu'une peine d'amende et n'étaient considérés comme en situation d'adultère que si l'acte avait été commis au domicile conjugal.» (Combessie, 2013). 8 Au cours de mes recherches, j'ai pu trouver différentes sources quantitatives mobilisables pour ce mémoire. Elles me furent utiles dans la conception de ma problématique, le cadrage de mon champ de recherche, ainsi que dans l'élaboration de mes hypothèses. Il est possible de regrouper les sources quantitatives exploitées en deux grandes catégories. La première a trait à une de mes hypothèses traitant du thème de l'infidélité, la deuxième s'attache à faire une estimation du nombre de personnes polyamoureuses au sein de nos sociétés. Selon Sébastien Schehr, l'infidélité se rapporte directement à la trahison en ce sens qu'elle implique une «violation de la confiance et de la loyauté escomptées dans toutes les relations ou liens qui constituent le Nous». Dans le cadre de ce mémoire, nous pouvons également parler d'infidélité conjugale, voire d'adultère, soit le fait qu'un individu entretienne des relations sexuelles avec une personne autre que son conjoint envers qui il a affirmé le serment de fidélité. Dans la plupart des enquêtes qualitatives, il est noté que le polyamour est considéré comme un moyen de répondre à un problème d'infidélité au sein de son couple (Lévesque, 2019). Mon objectif était de voir ici s'il y avait une corrélation entre le profil des personnes infidèles et le profil des personnes polyamoureuses. Pour ce faire, je me suis appuyée sur trois enquêtes. La première est issue d'un article de Blow, A.J. & Hartnett, K. paru en 2005 et ayant pour titre «Infidelity in Committed Relationships II: A Substantive Review». Contexte : issu du Journal of Marital and Family Therapy, une revue académique qui couvre et analyse les sciences sociales et politiques, cet article résume en soi les difficultés méthodologiques rencontrées au cours de mes recherches. En effet, il s'accompagne d'un avertissement précisant que les données présentées doivent être interprétées à la lumière des critiques portées sur les problèmes méthodologiques dont souffrent la plupart des recherches sur l'infidélité. Les auteurs précisent néanmoins que leurs données sont une méta-analyse de différentes études empiriques. L'infidélité, comme le polyamour, souffre d'un problème de définition. La deuxième source est issue d'une enquête quantitative réalisée par YouGov, une société internationale d'étude de marché dont le siège se situe au Royaume-Uni. Cette enquête fut publiée sur leur site sous le nom de «Young Americans are less wedded to monogamy than their elders». Contexte : Les répondants, choisis via le principe de l'opt-in4, étaient tous membres du panel YouGov. Un échantillon aléatoire (stratifié par sexe, âge, ethnicité, éducation, l'idéologie politique, identification du parti, région géographique et inscription des électeurs) fut sélectionné à partir d'une l'étude communautaire américaine datant de 2014. Toutes les données furent recueillies via des entretiens en ligne menés auprès des 1000 participants. 4 Se dit d'un fichier de données personnelles dans lequel un internaute ne peut être inscrit que s'il exprime explicitement son consentement. ( legifrance.gouv.fr) 9 La troisième source, elle, traite de la notion de la Serial Infidelity à travers une enquête menée par Kayla Knopp aux États-Unis et dont l'article, «Once a Cheater, Always a Cheater? Serial Infidelity Across Subsequent Relationships», a été publié au sein du journal officiel de l'Académie internationale de recherche sur la sexualité «Archives of Sexual Behavior». Contexte : Cette étude s'intéresse ici à la question de «l'infidélité dans une relation antérieure comme un facteur de risque d'infidélité dans une relation ultérieure». Ici, c'est 484 adultes américains, sélectionnés à travers une série d'échantillonnages ciblés, qui ont été suivis à travers une étude longitudinale d'au moins deux relations amoureuses. Ils devaient signaler leur «propre implication sexuelle extradyadique (ou ESI, c'est-à-dire avoir des relations sexuelles avec quelqu'un d'autre que leur partenaire). Les participants devaient avoir vécu des relations amoureuses non mariées pendant au moins deux mois au départ [...]. Ceux qui étaient admissibles et intéressés pour s'inscrire (N = 1 294) ont rempli des sondages par la poste tous les quatre à six mois pour onze vagues de collecte de données, s'étalant sur environ 5 années. Les sondages duraient 75 minutes et les participants gagnaient 40 $ par sondage rempli. L'échantillon de la présente étude (N = 484) était composé de tous les participants qui ont répondu à des questions sur au moins deux relations amoureuses différentes au cours de l'étude.» (Knopp, 2017) Les autres ressources mobilisées pour ce mémoire sont ici relatives à la proportion du nombre de personnes polyamoureuses dans une société. Malheureusement, aucune étude statistique fiable n'a été réalisée en France à ce jour. Parmi les différentes sources que j'ai pu trouver, j'ai retenu ici une étude américaine (que je détaillerai plus bas), et une étude canadienne : «Perceptions of Polyamory in Canada: Preliminary Data». Elle fut menée en 2016 par John-Paul Boyd et Alysia Wright appartenant au CRILF (Canadian Research Institute for Law and the Family) et en partenariat avec la Canadian Polyamory Advocacy Association pour la Canadian Research Institute for Law and the Family, institution affiliée à l'University of Calgary. Contexte: cette étude visait à mener une enquête publique sur 3 mois, afin de recueillir des données sur les visions du polyamour par les Canadiens. Au total 547 personnes répondirent à l'enquête en détaillant leur mode de vie ainsi que leur perception du polyamour. Il s'agit à ce jour de l'étude la plus récente et la plus complète à laquelle j'ai pu accéder sur internet. La deuxième étude américaine se nomme «Counting polyamorists who count: Prevalence and definitions of an under-researched form of consensual nonmonogamy». Cette enquête visait à définir en premier lieu une définition plurielle du polyamour afin de pouvoir par la suite interroger la population sur «les différents styles de relations que les gens ont». Contexte : Au cours de l'été 2013 ce sont 972 participants qui furent interrogés via la plateforme web de crowdsourcing Amazon's Mechanical Turk (MTurk). Pour cette enquête d'une durée de 10 minutes, ils furent payés 0.75$. Il est intéressant de noter les différentes justifications employées par l'auteur pour utiliser de MTurk comme source de données : bien que non représentatif de la population américaine, sa population est démographiquement diversifiée et les échantillons peuvent être pondérés pour se rapprocher d'un échantillon 10 représentatif. En plus de cela, cette plateforme est «rentable» selon l'auteur, permettant de mener une enquête à grande échelle pour un moindre coût. Enfin, le fait d'avoir des données anonymisées est un gage de qualité non négligeable, d'autant plus lorsqu'il s'agit d'interroger une population stigmatisée (ce qui est le cas des personnes polyamoureuses). Résultat des sources A la lumière de toutes ces enquêtes, plusieurs pistes d'études peuvent-être identifiées. Une des premières pistes s'interroge sur l'existence d'une corrélation entre les origines de l'infidélité avec la configuration des couples polyamoureux. Une autre raison de mon interrogation sur l'infidélité est qu'elle nous fait poser la question de la construction de la fidélité traditionnelle en tant que norme structurante du couple. Il s'agit d'un des piliers que remet en question le polyamour de par sa redéfinition de l'exclusivité et de la hiérarchie relationnelle (Lévesque, 2019, p.75). Résultat : à la lecture de ces enquêtes, on remarque qu'il y a bien corrélation au niveau de l'âge : l'enquête du CRILF menée par Jean-Paul Boyd indique qu'il y a une surreprésentation des polyamoureux chez les plus jeunes par rapport à la population globale du pays, 75% d'entre eux ayant entre 25 et 44 ans (voir la Figure 2.1 en annexe). Cette donnée se retrouve aussi chez les personnes infidèles, car plus une personne est jeune lorsqu'elle se met en couple, plus elle sera susceptible d'avoir des comportements ou expériences infidèles (Amato & Rogers, 1997; Atkins, Baucom, & Jacobson, 2001). Le niveau d'étude a aussi un impact sur les comportements polyamoureux et infidèles. En effet, il existe une relation directe et positive entre le niveau d'éducation et l'infidélité (Atkins, Baucom & Jacobson, 2001). En parallèle de cela, Boyd indique dans son enquête qu'il y a une surreprésentation des personnes ayant un haut niveau d'étude vis-à-vis de la population globale : 37% des répondants ayant un diplôme universitaire de premier cycle, contre 17% de la population canadienne globale (voir Figure 3.1). Cela suggérerait que l'enseignement supérieur pourrait être associé à des attitudes plus libérales à l'égard de sa sexualité (Forste and Tanfer, 1996). Après avoir brossé un tableau très succinct de ces enquêtes, nous pouvons néanmoins souligner qu'en définitive, il nous est pour le moment impossible de dire s'il existe une réelle corrélation entre ces différentes données. Pour l'heure, aucune étude quantitative n'a fait de lien direct entre les origines de l'infidélité et du polyamour. Cependant la redondance des données amène à se questionner sur ce potentiel travail d'analyse. D'autant plus que la vision de la fidélité change et pas uniquement chez les personnes polyamoureuses. En effet l'étude menée par YouGov montre (entre autres) que les jeunes sont davantage enclins à avoir des relations extra conjugales avec le consentement de leur partenaire (17% chez les moins de 45 ans contre 3% chez les plus de 65 ans). Les catégories de moins de 30 ans sont les moins enclines à avoir des relations totalement monogames (voir tableau 2) et à les envisager en temps que relation idéalisée (voir tableau 1). Les enquêtés de moins de 45 ans seraient 11 également moins réfractaires à ce que leur partenaire ait des relations extraconjugales (voir tableau 5). Ainsi, les nouvelles générations seraient plus enclines à repenser la structure traditionnelle du couple monogame exclusif. Enfin, une dernière source quantitative que je compte mobiliser pour ce mémoire se trouve au sein de l'enquête «Counting polyamorists who count: Prevalence and definitions of an under-researched form of consensual nonmonogamy». Cette enquête, au-delà du fait qu'elle a fait un travail d'élaboration d'une donnée quantitative sur le nombre de polyamoureux aux États-Unis (qui serait ici de 1,44 million en 2014), permet aussi et surtout de donner différentes définitions du polyamour5. Ce qui sera très utile étant donné qu'un des objets d'étude de ce mémoire cherche à définir le moment où une personne se «définit» comme polyamoureuse. |
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