Police de circulation routière et tranquillité publique. regard sur les accidents et les embouteillages à lubumbashipar Mead Mesongolo Université de Lubumbashi - Graduation 2020 |
III.1.2 PRATIQUES INFORMELLES DE LA CIRCULATION ROUTIERE A LUBUMBASHIA l'instar de toutes les unités de police et de l'ensemble de l'administration publique en RDC, la PCR fonctionne dans un contexte caractérisé par l'incapacité de l'État à prendre en charge de ses services. Cette situation ne date bien évidemment pas d'aujourd'hui. Selon la plupart des agents et officiers qui ont évolué au sein de cette unité, anciennement appelée « brigade routière », il faut remonter à la première décennie du régime de Joseph Mobutu (de 1965 à 1975) pour retrouver les traces d'un gouvernement en mesure de répondre à leurs attentes : « À cette époque, on considérait la solde comme l'argent que l'État mettait à la disposition du gendarme, qu'on appelle maintenant «policier», après avoir pris en charge toutes les dépenses liées à sa survie». En effet, la profonde crise socio-économique que traversait déjà le pays, après une période de relatif dynamisme économique, l'économie de la RDC a subi une sévère dépression entre le milieu des années 1980 et le milieu des années 2000, liée aux guerres civiles qui ont ravagé le pays. Avec une croissance économique de 8,2 % en 2008 et de 2,7 % en 2009, la RDC a ensuite été l'un des pays d'Afrique les plus touchés par la crise de 2008-200940(*). Entre 2010 et 2015, le pays a connu une croissance moyenne de 7,9 % avec un pic de 9,2 % en 2014 et une inflation largement maîtrisée. Avec la chute du prix des matières premières et la crise politique en 2016, le taux de croissance n'était plus que de 2,4 % avant de remonter à 3,4 % en 2017 et la montée soudaine du taux de dollars américains qui en 2017, 1 dollar américain était équivalent à 1720 francs congolais et qu'aujourd'hui 1USD vaut 2010 francs congolais. L'État congolais fortement affaibli par des crises successives s'est ainsi retrouvé dans l'incapacité d'honorer ses engagements à l'égard de ses propres agents, lesquels doivent se débrouiller non seulement pour survivre, mais aussi pour trouver les moyens d'assurer un minimum de services publics. Suite à cette défaillance, la PCR se voit livrer à une petite corruption pour subvenir à leurs besoins tant logistique que du personnel. En complicité avec leurs commandants, les agents de la police ont ainsi développé à grande échelle une économie informelle bien organisée. Aux maigres salaires de l'État viennent s'ajouter d'importantes sources informelles de revenus bien classifiées selon les bénéficiaires. À partir des états-majors de la PCR, les colonels commandant de cette unité imposent des « rapports » aux commandants subalternes. Ce terme n'a rien à voir avec un compte rendu administratif au sens classique. Il s'agit plutôt des rétrocessions informelles hebdomadaires et ascendantes. Il faut alors tout faire pour satisfaire la hiérarchie, laquelle donne d'ailleurs libre cours à ces commandants subalternes pour imposer également des « rapports » en nature aux « roulages». En effet, chaque jour, les policiers qui sont sur la voie publique ont une quantité bien déterminée de véhicules à arrêter et à acheminer au bureau de la PCR de manière à permettre aux majors, capitaines et lieutenants d'avoir une trésorerie aisée. Comme l'affirme cet entretien réalisé par Albert MALUKISA avec un capitaine de la PCR qui estime, « En tant que commandant de cette section, j'ai trois carrefours que je contrôle. Chaque jour, c'est douze agents qui sont sur le terrain, et chacun d'eux doit me ramener deux véhicules. J'ai deux OPJ au bureau qui perçoivent l'argent par rapport aux tarifs que je leur ai communiqués. Au minimum, c'est 20 000 FC (10 USD) que je demande par véhicule»41(*). Pour inciter les agents à respecter cette norme pratique, les commandants font appel à leur pouvoir discrétionnaire d'affectation. Un policier défaillant perd sa place au carrefour pour se retrouver au bureau de la PCR, où sa survie est tout simplement compromise du fait qu'il est privé de tout contact avec les usagers. Pour cette raison, la priorité des priorités, pour tous les policiers, consiste à acheminer au bureau le nombre de véhicules attendus par les commandants. Dès que cette obligation est remplie, les agents peuvent calmement travailler pour leurs propres comptes en misant notamment sur des sources de revenu qui découlent d'un processus d'instrumentalisation de la redevabilité à l'égard de sa hiérarchie : les taxes des commandants étant plus élevées que les leurs, il faut brandir la menace de conduire l'usager au bureau pour trouver un bon compromis avec lui. Dans cette pratique informelle les chauffeurs des taxis-Bus ont également leurs rôles a joué et ce dernier, Les chauffeurs de transport en commun sont tenus de verser quotidiennement et par nombre des tours effectuer un montant bien déterminé (de 500 à 1000 FC) aux agents de la PCR pour ne pas faire l'objet d'une interpellation. À Lubumbashi, c'est toujours le terme « rapport » qui est utilisé pour désigner cette pratique, mais à Kinshasa, on parle de mboteyalikasu, expression qui se traduit littéralement par « poignée de main accompagnée d'une noix de cola ». Pour certains grands consommateurs de bière, ils se partagent cette noix qui aurait, selon le commun des mortels, la propriété d'atténuer les effets de l'alcool. En d'autres termes, c'est par ce geste que les chauffeurs neutralisent les agents de la PCR en remplaçant la noix de cola par le billet de banque. Aussi, les autres catégories d'automobilistes font des contributions volontaires sporadiques. À l'occasion du lancement de la campagne de civisme sur la route du 7 avril 2013, l'ancien ministre des Transports, Justin KALUMBA, avait comparé le fonctionnement de la PCR à une société commerciale. Selon lui, « les commandants PCR sont des directeurs généraux qui fixent à leur guise le taux des amendes, les OPJ verbalisant font office de gérants et les agents déployés sur le terrain, des agents commerciaux, dont la mission et l'efficacité s'apprécient en fonction du butin à ramener etc. Les usagers de la route se retrouvent ainsi transformés en «vaches à lait» à traire absolument, et ce, jusqu'à la dernière goutte»42(*). Comme il en est récemment, Le gouverneur de la province du Haut-Katanga, Jacques KYABULA KATWE a ordonné l'arrestation de 3 policiers de circulation routière surpris en train de tracasser une dame à Lubumbashi. Une dame en possession de tous ses documents de bord a été interceptée par 3 agents de la Police de Circulation Routière en plein centre-ville. Tracassée par ces 3 éléments de régulation routière, la dame va s'en sortir de justesse grâce à l'intervention du gouverneur Jacques KYABULA qui était passé par là. Après s'être enquérir de la situation, l'exécutif provincial a ordonné l'arrestation de ces 3 policiers43(*). De tout point de vue, il ne fait aucun doute que le point fort de l'usager constitue le point faible de l'agent de l'ordre et vice versa. Le premier a l'argent, mais il ne trouve aucun intérêt à se mettre en règle ; le second dispose du pouvoir de répression, mais l'argent lui fait défaut. D'où la nécessité de « coopérer », de trouver des arrangements particuliers. Cela apparaît clairement dans certaines expressions que les automobilistes utilisent de temps à autre pour traduire la perception qu'ils ont des agents de la PCR. À Lubumbashi, tukoba bibi na babwana 44(*)signifie que « les deux acteurs sont unis comme époux et épouse ». De la même manière, c'est-à-dire « les deux parties sont liées par une relation de «mariage» ». En cas d'interpellation, il est courant d'entendre de part et d'autre l'invocation de certaines autres expressions telles que boma moto et solola bien, ce qui se traduit littéralement par « éteindre le feu » et « engager une bonne discussion », devant déboucher sur un compromis financier satisfaisant pour toutes les parties. En d'autres termes, il faut bien négocier. Ceci constitue toute une norme pratique en Afrique subsaharienne dans les relations entre les agents de l'État et les usagers. La conduite à tenir et les termes de référence sont bien connus des parties prenantes tenues d'observer la règle d'or de la modération, les tracasseries et la corruption ont un seuil de tolérance dont le non-respect entraîne la rupture des ententes entre policiers et conducteurs. * 40 Abcdefghijkmnlop et Colette BRAECKMAN, le Congo et ses amis chinois, le Monde diplomatique, septembre 2009. * 41 Albert MALUKISA NKUKU, Entretien du 7 août 2018 avec un capitaine de la PCR Kinshasa. * 42 Ministère des Transports et Voies de communication, campagne de civisme sur la route : dix fléaux à éviter par la Police de circulation routière. Discours tenu le 7 avril 2013 à Kinshasa. * 43 HAUT-KATANGA : 3 policiers de circulation routière arrêtés pour tracasseries à Lubumbashi, 7sur7.CD. * 44 Entretien du 04 mars 2020 avec un taximan, place de la Poste, Lubumbashi. |
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