IV-REVUE CRITIQUE DE LA LITTÉRATURE
Introduire une approche historique des faits qui ont eu lieu
il y a un peu plus d'un siècle impose que nous consultions les travaux
de nos devanciers. Dans le but d'atteindre cet objectif, nous avons
trouvé nécessaire de consulter des ouvrages, des thèses,
des articles, des Mémoires liés de près ou de loin avec
cette thématique.
Anthony Guyon auteur de nombreux travaux sur les troupes
coloniales estime dans un article41 que, les tirailleurs
sénégalais ont servi malgré eux les desseins
français et, n'ont pas eu
39 Dans les jeux à somme nulle, ce qu`un
joueur ou un acteur des Relations Internationales gagne, son adversaire le
perd.
40 E. Durkheim, 1898. « Représentations
individuelles et représentations collectives » In, Revue de
Métaphysique et de morale, 6, 273-302. Consulté en ligne le
13-10-2021.
41 A. Guyon, 2014, « Du sauvage au soldat :
les tirailleurs sénégalais dans les imaginaires entre 1914 et
1930 », 14/18 le scandale par les imaginaires, 11e colloque de
Serrée, 26, 27, 28 février 2014.
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en contrepartie la reconnaissance qu'ils auraient dû. En
outre, il estime que l'épanouissement et la prospérité des
sociétés précoloniales africaines ont peu à peu
disparu avec l'implantation des structures coloniales. D'ailleurs, à ce
sujet, l'auteur note que l'une des trames de ces aspiration consistait à
transformer des Africains de façon générale en parfaits
soldats à la solde de la France. Ainsi pour le compte de ce travail cet
article a permis d'appréhender à la fois la dénaturation
des sociétés du fait de la colonisation mais aussi saisir le
sentiment parfois insipide lié à l'imaginaire du tirailleur
sénégalais en Métropole.
Dans sa thèse, Guyon42 met en exergue
l'évolution des tirailleurs sénégalais au sein des forces
supplétives françaises entre 1919 et 1940. Dans cette
étude, l'auteur décrit avec assiduité les conditions de
recrutement et d'incorporation des soldats noirs au sein des troupes
d'infanterie. L'auteur arrive à la conclusion que, la France s'est noire
comme bouclier afin de minimiser les pertes blanches au sein des compagnies
d'infanterie.
En outre, il met un accent sur la formation
supplémentaire des tirailleurs dans les centres de perfectionnement
à l'instar de celui de Fréjus Saint Raphael en métropole
mais, s'attarde également sur les relations colons colonisés dans
le cadre de leur coopération au sein d'une armée commune.
Cependant, pour le compte de notre travail, cette thèse nous a permis de
saisir le contexte lié à la mobilisation et le perfectionnement
des tirailleurs sénégalais. Des activités qui les
occupaient pendant les périodes de stabilisation. Mais, cette
thèse se consacre exclusivement aux tirailleurs sénégalais
déployés en occident sans jamais évoquer leurs faits
d'armes sur leur continent.
Abdou Sow43 dans son ouvrage dresse un tableau des
tirailleurs sénégalais en plein champs de batailles et de leur
ressenti dans le cadre de la Première Guerre mondiale en Afrique et en
Occident. Il estime par ailleurs que, si les instructions militaires
étaient inculquées aux tirailleurs sénégalais en
Afrique lors de leur enroulement au sein des régiments, ceux-ci
ignoraient très majoritairement les arcanes des guerres avec les armes
à feu. En dépit de cela, leur courage et leur abnégation
ont faits plier l'ennemi à maintes reprises malgré des pertes
très importantes dans leur rang.
Dans le cadre de cette étude, cet ouvrage demeure un
récit historique qui, tient plus de la globalité que du
particulier, il nous laisse ainsi un vide sur les méthodes d'enroulement
des
42 A. Guyon, 2017, « De l'indigène au
tirailleur sénégalais : Approche anthropologique et
prosopographique », thèse de Doctorat en Histoire militaire,
Université Paul Valéry Montpellier 3.
43 A. Sow, 2017, Les tirailleurs
sénégalais se racontent, Paris, l'Harmattan.
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tirailleurs et sur les questions de pécules
après leur engagement ou leur réengagent au sein des
différentes régiments.
Brice Douffet44 dans sa thèse met en exergue
la représentation sociale du soldat 14-18. Il analyse la perception
globale de ce dernier dans la mémoire collective particulièrement
du « poilu » ou soldat métropolitain. Il y développe
l'idée selon laquelle la matérialisation de
l'évènement est un pont qui permet de quitter du passé
pour le présent. Mais, comme nous l'avons souligné, cette
étude ne prend en compte que le souvenir du soldat métropolitain
de la PGM par ricochet, omet le souvenir lié aux tirailleurs
sénégalais qui ont pourtant été des acteurs majeurs
dans ce conflit.
Dans son étude consacrée aux Anciens
combattants, Antoine Prost45 pose les bases de toute histoire de la
commémoration de la Première Guerre mondiale. Dans une section de
son travail intitulé « Mentalités et idéologies
» il soulève la problématique lié aux manifestations
collectives des Anciens Combattants et aux commémorations des morts de
la guerre, avec le souci de déchiffrer comme un langage symbolique
auquel communient les participants. Ce travail nous a permis d'orienter notre
quatrième chapitre sur les questions mémorielles et des enjeux
qu'elles impliquent.
Antoine Champeaux46 revient sur la formation du
premier régiment de tirailleurs sénégalais du Tchad et de
son legs patrimonial aux forces actuelles. Il affirme que, le Régiment
de marche du Tchad (RMT) qui fut mis sur pied par le Général
Leclerc au sur le territoire du Tchad et ayant pris part à la
Deuxième Guerre Mondiale (DGM) est l'héritier direct du RTS-T. La
confirmation de ces propos selon l'auteur est apercevable sur le fanion du RMT
sur lequel sont marqués leurs principaux faits d'armes. Dans le cadre de
ce thème, il nous renseigne sur l`influence qu`a eu le RTS-T sur le
RMT.
Zakinet Dangbet47, dans une partie de sa
thèse, scrute les enjeux de la conquête du territoire du Tchad et
les étapes de celle-ci. Il estime que, l'entité administrative du
Tchad est une création coloniale à l'instar de la
quasi-totalité des pays du continent.
44 B. Douffet, 2021, « Le souvenir s'en
va-t'en guerre : mémoires et représentations sociales du soldat
de 14-18 » thèse de Doctorat Phd en psychologie, Université
de Lyon.
45 A. Prost, 1977, « Les anciens combattants
et la société française (1914-1939), Paris, Presses de la
Fondation nationale des sciences politiques.
46 A. Champeaux, 2013, « Le patrimoine de
tradition des troupes indigènes ». Open Edition.
47 Z. Dangbet, 2015, « Des transhumants entre
alliances et conflits, les Arabes du Batha (Tchad) 1965-2012 »,
thèse de doctorat, Aix- Marseille université.
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En effet, l'existence d'homogénéité
territoriale administrative étant absente, les sociétés du
Tchad précoloniale évoluaient de façon disparate. Il, note
en outre que, Jules Ferry, partisan ardent de la colonisation faisait partie de
ceux qui estimaient que l'expansion coloniale de la France en Afrique,
même dans des zones jusque-là inconnu était vitale pour
cette dernière. Le discours de ce dernier en 1885 est resté
célèbre car, il pensait que les colonies serviraient comme lieux
d'approvionnement, d'abris, de ports de défenses pour la
métropole. Il estimait par-dessus tout que, la grandeur de la France
devait passer par la grandeur de son domaine colonial.
Concernant notre sujet, son travail nous a permis d'avoir une
idée assez globale sur le Tchad précoloniale et des
différentes mutations administratives qu'il a connu entre 1889 et 1920.
Il nous a en plus permis, de comprendre l'intérêt que la France
avait pour ce pays pourtant doublement enclavé au coeur du
continent48.
British Jacques49, dans son ouvrage soulève
l'importance stratégique du territoire du Tchad aux yeux de la France.
L'auteur s'appesantit notamment sur la position centrale de ce territoire qui,
permet à la fois de côtoyer l'Afrique Occidentale, l'Afrique
Equatoriale et le Kamerun. Dans le cadre de notre travail, cet ouvrage permet
de comprendre la facilité avec laquelle la France a pu déployer
sur le territoire du Kamerun ces régiments de tirailleurs
particulièrement le RTS-T à partir du front Nord.
Engelberg Mveng50 analyse le Kamerun sous
domination étrangère avant, pendant et après la Grande
Guerre. Il scrute les 30 années durant lesquelles les allemands ont
administré le territoire après avoir délimiter ses
frontières longues de 478.000 km2. Frontières qui
s'élargissent à 750.000km2 après la crise
marocaine d'Agadir. Mveng renseigne également sur la composition des
troupes Alliés ayant été déployées au
Kamerun et, dont celles du RTS-T ou de la colonne du Nord. Mais, l'auteur a une
approche globale et ne fait guère mention des différentes phases
de déploiement de ces troupes engagées dans cette guerre ni
même du contexte lié à leur démobilisation.
Michael Growder51 analyse les stratégies
mise en place par les protagonistes et les moyens par lesquels les troupes
étaient levées. Il estime par ailleurs que ce sont les soldats
48 Le territoire du Tchad est dit doublement
enclavé pour deux principales raisons : la première est
liée à son inaccessibilité à la mer et la seconde
raison relève du retard en matière du développement des
voies de communication censées le connecter au monde
extérieur.
49 B. Jacques, 1989, La mission Fourreau Lamy
et l'arrivée des français au Tchad, 1898-1900, Paris,
l'Harmattan.
50 E. Mveng, 1985.
51 M. Growder, 1987, « La première
guerre mondiale et ses conséquence », In A. Du Boahen,
Histoire générale de l'Afrique. Tome VII. L'Afrique sous
domination coloniale. 1880-1935, Paris, UNESCO.
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Africains qui ont été au coeur de la campagne
militaire au Cameroun. Le document nous montre également les moyens par
lesquels les troupes étaient levées. Il s'agissait du
volontariat, de la conscription et des recrutements forcés.
L'ouvrage, dans l'élaboration de ce travail, nous livre
les mobiles pour lesquelles les Alliés ont dès le début
des hostilités neutralisés les principaux ports d'Afrique. Il
nous permet aussi de comprendre pourquoi l'Allemagne a opté pour une
guerre défensive en Afrique et au Kamerun en particulier.
Néanmoins, le document ne fait guère mention de la structuration
des régiments des tirailleurs sénégalais ni même de
leur matériau de guerre.
Dans leur ouvrage collectif, Emmanuel Tchumtchoua, Albert
François Dikoumé et Jean Baptiste Nzogue52 relatent
certains aspects occultés de la Grande Guerre au Kamerun. Dans
le cadre de notre étude, ils nous renseignent sur le rôle
joué par les milliers de porteurs qui assuraient la logistique et
particulièrement sur les 4000 porteurs permanent du RTS-T. En outre, ils
renseignent également sur la longue durée des hostilités
dues en partie aux aléas climatiques et à la résistance
farouche des Allemands. Mais, force est de constater que l'ouvrage
détaille très peu les conditions dans lesquelles étaient
levés les troupes dit indigènes ou encore sur la formation qui
leur était assigné.
Charles Mangin53 lui, soutiens l'idée selon
laquelle si la France eu recours aux Africains pour faire face à
l'Allemagne, c'était pour trois principales raisons: la crise
démographique, les prédispositions naturelles qui
caractérisaient les Noirs et enfin la dette que les Africains avaient
vis à vis de la métropole.
Déjà, il mettait en avant le fait que la
métropole accusait un retard démographique par rapport aux autres
grandes puissances d'Europe telles que l'Allemagne ou encore la
Grande-Bretagne. L'autre raison qu'il avançait, c'est qu'il
considérait que le Noir disposait des aptitudes physiques
nécessaires pour être enroulé dans des corps
expéditionnaires afin de servir la métropole. Et enfin, il estime
que la France qui a généreusement octroyé la civilisation
aux Noirs, ces derniers avaient le devoir de la servir.
Ces raisons avancées par un administrateur colonial
nous permettent de comprendre l'acharnement de la France à vouloir
recruter des hommes dans ses colonies. Cependant, Mangin occulte le fait que
ces tirailleurs étaient engagés en première ligne dans les
différents
52 E. Tchumtchoua, A. F. Dikoume, J. B, Nzogue,
2019, Douala et le Cameroun dans la grande guerre, Histoire, mémoire
et héritages, Yaoundé, Clé.
53 C. Mangin, 1910, La force noire, Paris,
Hachette.
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théâtres d'opérations. Son ouvrage occulte
également le rôle assez important qu'ont joué les porteurs
dans la Grande Guerre en Afrique.
Marc Michel54 met en avant dans son ouvrage les
conditions de recrutement des tirailleurs sénégalais et leur
armement. Dans le cadre de notre travail, il nous a permis d'avoir une
idée précise sur les uniformes des tirailleurs constitués
d'un ensemble bleu ou Kaki et coiffé d'une chechia55.
Cependant, l'ouvrage ne soulève pas l'impact sur le plan administratif
des colonies africaines après la guerre. Ni dans les colonies où
a eu lieu la guerre ni même encore sur les territoires impliqués
dans ce conflit comme le Tchad.
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