B-Plaidoyer pour une valorisation patrimoniale du RTS-T
Dans le cadre de notre étude, l'évènement
est si lointain qu'il y'a plus aucun survivant et, de ce fait, il appartient
à l'Histoire de reconstituer ce passé. C'est en allant dans ce
sens que, Nora affirmait que : « le rapport de l'Histoire à la
mémoire exprime l'inéluctable et transformateur passage du temps
qui est la raison même de l'acte de commémorer ». Cette
réflexion démontre que, la mémoire est le moyen le plus
propice de faire revivre le passé.
Partant de là, cette section entend mettre en
lumière des lieux qui peuvent pérenniser la mémoire du
RTS-T qui semble aujourd'hui disparaitre peu à peu. Ceci doit passer par
une réhabilitation des Foyers des Anciens Combattants et par la
création d'un musée militaire.
1-Réhabiliter les Foyers des Anciens
combattants
La transmission mémorielle et
représentationnelle est le plus souvent une image de la
réalité qui nous entoure. Cependant, lorsqu'il est question de
mettre en évidence le souvenir d'un évènement dont la
mémoire et les traces sont les seules témoins qui permettent de
l'appréhender, la meilleure façon d'y parvenir c'est de la
matérialiser concrètement.
Dans le cadre de la valorisation du RTS-T, on peut
procéder à la réhabilitation des casernes du RTS-T encore
présentes aujourd'hui. Aujourd'hui, il en existe trois 3 au Tchad :
238 Entretien avec Nerade Giscard, Moundou le 18-10-2021.
239 L.Douffet, 2021, p. 35.
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La Maison des Anciens Combattants de N'Djaména (ancien
Fort-Lamy), le Foyer des Anciens combattants de Moundou et, le Foyer des Ancien
combattant de Sarh (ancien Fort-Archambault).
En effet, c'est en présence du présent que le
passé resurgit et la transmission de ce passé se fait à
travers divers sources dont les images. Partant de là, pour donner une
nouvelle dynamique au RTS-T, il faudrait donner peau neuve aux foyers des
Anciens combattants.
Car, ces derniers sont dans un état de
délabrement aggravé du fait de l'usure du temps. Ils
présentent des traces d'abandon. Mais, il faut aussi noter que, les
foyers de Moundou et de N'Djaména ont été reconvertis en
débit de Boissons. A ce propos, le gestionnaire du Foyer de Moundou
Djimrabeye Dayanne nous a confié que c'est le seul moyen d'attirer des
personnes dans cet endroit pourtant chargé d'histoire240.
Quant à Ibrahim Issa en charge de la salubrité à la
Maisons du Combattant de N'Djaména, il estime que la France ne se
souvient de cette caserne qu'à l'approche de la commémoration de
l'appel du 18 Juin241
Photo 16: Commémoration du centenaire
de la PGM au cimetière français de N'Djaména en 2014
Source : (c) Ahmat Haroum. 2019
240 Entretien avec Djimrabeye Dayanne, Moundou le 23-11-2021.
241 Entretien avec Ibrahim Issa, N'Djamena le 03-01-2022.
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Ce cliché permet de mettre en avant la question de la
mémoire de la PGM au Tchad. Certes les tirailleurs ici présents
n'ont pas participé à la PGM au Kamerun mais, ils ont servi dans
la force dénommée régiment de Marche du Tchad. Leurs faits
d'armes ont été mis en avant dans de nombreux pays notamment en
Indochine, au Zaïre et même au Cameroun dans le cadre de la guerre
contre le maquis à partir de 1955. Ce qui fait d'eux les
héritiers directs du RTS-T malgré le temps qui les sépare
de la création de ce corps.
2-Créer un Musée militaire
Dans une étude consacrée à la
mémoire de la seconde Guerre mondiale, François Bédarida
constat l'importance que revêt les commémorations en affirmant
notamment que : « Tous artéfacts matériel ou
immatériel permettent de vaincre et le temps et la mort
242». Cette réflexion entend s'opposer contre
toutes amnésies liées aux évènements historiques
mais aussi affirmer la posture des acteurs de ces évènements dans
l'ancrage de la mémoire collective.
Depuis la fin de la PGM, plusieurs éléments ont
été pensés pour à la fois ancrer et interroger la
mémoire collective sur ce phénomène de
société. Entre la construction de la statue du soldat inconnu, la
commémoration du centenaire de cette guerre, la PGM a su à
travers le temps trouver une place dans certaines sociétés.
Partant de ce constat, cette partie entend interroger la manière dont
l'image du tirailleur sénégalais de la PGM est
appréhendée, pensée dans la société
tchadienne. Autrement dit, il s'agit ici d'interroger la représentation
sociale du RTS-T et leurs faits d'armes lors de la PGM au Kamerun.
On serait tenté de dire qu'aucune action ne fut
concrètement mise sur pieds par les pouvoirs publics tchadiens pour
vulgariser le souvenir lié au RTS-T. Mais, il nous a paru
nécessaire de mettre en évidence des éléments qui
pourraient participer à la construction sociale des souvenirs
liés à ce régiment.
Si pour Brice Douffet, les commémorations sont
liés aux enjeux politiques243, il faut cependant reconnaitre
que les hommages mémoriaux vont aux delà des simples fait
politique et questionne aussi bien des secteurs sociaux que économique.
Eu égards de cela quelques fois relayée au second plan l'image du
tirailleur sénégalais.
242 F. Bédarida, 1986, Commémoration et
mémoire collective : la Mémoire des Français. Quarante ans
de commémorations de la Seconde Guerre mondiale, Paris, Editions du
CNRS, p. 13.
243 B. Douffet, 2021, p. 2.
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Certes, cet acte est significatif et témoigne d'un
évènement historique qui s'inscrit dans un cadre se
référant à une identité sociale mais, il faut aussi
noter que l'ancrage dans la mémoire collective du tirailleur
sénégalais ne peut se faire que par des méthodes de
vulgarisation endogènes à l'instar de la création d'un
Musée militaire. En effet, ce cadre dédié à la
mémoire des tirailleurs sénégalais pourrait aider à
personnifier le tirailleur sénégalais du Tchad et rabattre en
brèche les clichées et stéréotypes autour de sa
personne qui ont fait de lui un être diversement
apprécié.
Partant de ces constats, et étant donné que les
souvenir des tirailleurs s'amenuisent au fil du temps, il est question au
travers de cet acte mémoriel de redonner une seconde vie à cette
mémoire autour du tirailleur. A ce sujet, il est intéressant de
constater avec Bergson que : « le rôle des Musées
consiste en la sauvegarde de la survivance des images du
passé244 ». Ainsi, ceci permettrait d'une part de
consolider et de perpétuer la mémoire des tirailleurs du Tchad
mais aussi créer un lieu où l'image de ces tirailleurs et de tous
les militaires ayant marqué l'histoire du Tchad sauraient être
exposée.
Ainsi, partant d'une réflexion de Lucien Febvre
centrée sur la patrimonialisation de la mémoire de
l'évènement à l'instar de celle de la PGM, ce dernier
soulevait la problématique liée au rôle de l'Histoire pour
ce qui est de la conservation de la mémoire. Il déclarait
notamment que :
Il est évident que, cette réflexion nous rappel
à bien d'égards le rôle « important » de
l'historien dans le temps. Elle questionne surtout le devenir des Hommes et
leur accomplissements qui est censé être un repère tant
pour les générations actuelles que futur. Mais, au-delà de
tout ceci, nous souhaitons à partir de cette pensée soutenir
l'hypothèse que, la représentation sociétale du tirailleur
sénégalais spécialement celui venu du territoire du Tchad
saurait jouer un rôle dans la transmission de la mémoire
collective de leur participation à la PGM au Kamerun.
De ce fait, dans le souci d'apporter notre pierre à
l'édifice sur ce pan de recherche, ce dernier chapitre entend donner un
gabe dans ce sens.
Ce dernier chapitre centré sur l'impact du
déploiement du RTS-T lors de la Grande Guerre au Kamerun et sur les
questions liées à la patrimonialisation de ce régiment au
Tchad nous a donné un avis singulier sur ces questions. D'emblée,
il a été constaté que, les
244 H. Bergson, 2008, Matière et mémoire, essai
sur la relation du corps à l'esprit, Paris, PUF, p. 68.
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répercussions de ce déploiement du RTS-T a
à la fois eu permis au Tchad de recouvrer sa superficie d'avant-guerre
et, lui donner une nouvelle orientation politique. Ces mutations ont par
ailleurs ouvert le Tchad à ses premières exportations notamment
celle de la culture du Coton qui, a été un lévrier de son
économie.
Cependant, malgré ces constatations relevant du
l'impact du RTS-T dans la Grande Guerre au Kamerun, il faut cependant remarquer
une disparition progressive de du RTS-T dans la mémoire collective. Or,
cet atout militaire de la période coloniale pourrait amener le Tchad
à revendiquer ce patrimoine ayant autant marqué son histoire.
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