B-La « mise en valeur » du territoire du
Tchad
L'interrogation que l'on pourrait se poser ici est celle de
savoir comment le déploiement du RTS-T au Kamerun entre 1914 et 1918 a
précipité la fin de la colonisation du Tchad et orienté la
politique de la France vers des secteurs plus lucratives ? Partant de cette
question, il faut rappeler que la colonisation du territoire du Tchad
amorcée en 1889 fut brusquement interrompue à cause de la PGM au
Kamerun dès 1914 avant de reprendre en 1918.
Lorsque la guerre s'estompa en 1916, il était
désormais question pour la France de relancer l'économie de ce
territoire avec la « mise en valeur » des activités
économiques. C'est dans cette mouvance que dès 1920, la France
introduit la culture du coton avec sa filiale de Coton franc dont la production
fut rendu obligatoire à l'ensemble du territoire223. C'est en
allant dans le sens de cette mise en valeur du territoire conditionnée
par le travail forcé qu'il nous a paru nécessaire de mettre en
évidence le rôle du coton comme levier de l'économie du
territoire.
1-Le développement d'une monoculture de rente : le
Coton premier levier de l'économie du Tchad en 1920
N'étant pas un territoire possédant un climat
tropical favorable au développement des produit tels que : le cacao, le
café, la banana ou encore palmier à huile, le territoire du Tchad
a pu néanmoins s'ouvrir à l'international exportant le Coton
après la PGM en Europe et au Kamerun.
Ainsi, le déploiement du RTS-T lors de la PGM au
Kamerun a été un catalyseur dans la relance de l'économie
de ce territoire. En effet, la culture cotonnière comme l'affirme Goni
Ousmane a su traverser les changements et les troubles
politiques224. Mais, il convient de rappeler que, cette culture
destinée à l'exportation a légitimé très
souvent les violences dont étaient victimes les populations car ; il
était pressant de parvenir à des résultats.
D'ailleurs, le RTS-T a joué un rôle quant
à l'accélération de cette culture dès son
introduction sur le territoire. En effet, l'administration coloniale l'avait
confié le rôle de police et, avait légitimé les
sanctions dont elle exerçait sur ceux qui, ne trouvaient aucun
intérêts à s'adonner à cette culture. D'ailleurs,
à ce propos Ulrich Sturzinger estime que, les sanctions
223 E. Kimitene, 2008, « Stratégies paysannes en
zones cotonnières du Tchad. Discours et représentations actions
des habitants de Komé à Doba ». Mémoire de Master 2
en Histoire économique, Université de Rouen, p. 26.
224 G. Ousmane, 2010, p. 68.
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pouvaient aller du châtiment corporel à
l'obligation d'exercer les travaux forcés225. En outre, il
est intéressant de constater avec René Dupont que :
la culture du coton était imposée par voie
d'autorité : chaque adulte devait faire une corde, soit entre 35 et 40
ares. Le produit porté sur la tête à des points d'achat
fixes plus ou moins éloignés du lieu de la culture, était
parfois pesé sur des bascules parfois fausses et payés aux seuls
chefs de villages qui, pouvaient garder pour eux seul la totalité de la
rémunération226
Mais, au de-là de tout ceci, cette section du travail
entend démontrer le rôle du RTS-T dans l'évolution de la
culture du coton au Tchad après la PGM au Kamerun.
Si, au début de sa colonisation, le territoire du Tchad
a semblé quelque peu mis en retrait par rapport aux autres colonies du
fait de son sol peu exploitable, il est par contre fort intéressant de
constater qu'il connait un regain d'intérêt à partir de
1920 avec la création de la Cotonfranc227. Cette entreprise
publique française spécialisée dans l'exportation du
coton, implantée au Tchad a favorisée cette culture industrielle
au détriment des cultures vivrières. Ainsi, le déploiement
du RTS-T au Kamerun entre 1914 et 1918 qui a permis de rétrocéder
au Tchad une partie des zones du Mayo-Kebbi Est et Ouest, et une partie du
Logone ; ces zones se sont avérée être parmi les plus
propices quant au développement de la culture cotonnière.
Mais, si la cotonfranc a pu dynamiser la culture du coton qui
n'arrangeait en rien la situation des colonisés, elle devait sa
réussite aux bataillons du RTS-T qui, en plus d'assurer la
sécurité du territoire a été aussi utilisé
dans la contrainte qu'imposait l'exploitation agricole.
2-Une économie tournée vers
l'extérieur : le rôle de la transéquatoriale
L'une des conséquences de la participation du RTS-T
à la PGM au Kamerun a été comme nous l'avons vu de mettre
en évidence au profit de la France l'exportation d'une matière
première : le coton. Mais, cette initiative en a entrainé une
autre, celle du développement des infrastructures de communication qui
ont permis d'orienter cette économie vers l'extérieur et
marqué par la même occasion le début du commerce
extérieur de ce territoire.
Ainsi, il est question dans cette section du travail de mettre
en lumière le développement de certains infrastructures
résultant du développement du coton qui, lui-même doit sa
mise en évidence au rôle joué par le RTS-T lors de la PGM
au Kamerun. De ce fait, il faut rappeler
225 U. Sturzinger, 1983, Tchad : mise en valeur, « coton et
développement », Tiers monde, n°95,
Juillet-Septembre, pp. 643-651.
226 R. Dumont, 1962, L'Afrique noire est mal partie,
Paris, Cop, pp. 72-74.
227 A. Kassambara, 2010, p. 53.
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que, l'industrie cotonnière magnifiée par
l'implantation de la cotonfranc a toujours oeuvré pour l'exportation de
cet « or blanc ».
En outre, la quasi inexistence de moyen de transformation sur
place a favorisé l'exportation de cette culture. Cependant, pour y
parvenir, la France avait l'obligation de se doter des moyens d'acheminer ce
produit à destination des côtes africaines et afin de
procéder à leur embarquement en direction de la métropole.
De ce fait, la création des voies de communication s'imposaient afin de
désenclaver le territoire. C'est dans cette mouvance que, de nombreux
travaux ont permis de créer des voies de communication fluviale et
routier qui ont été confié à l'Agence
transéquatoriale de communication228.
S'agissant de la voie fluviale, la priorité fut d'abord
de rendre praticable cette voie. C'est ainsi qu'a été mis en
évidence la voie fluviale de la Bénoué. Longue de
près de 2000Km, cette voie de communication permettait d'acheminer les
ballots de coton de la Bénoué jusqu'au fleuve Niger en passant
par Garoua ou était enfin acheminé par voie terrestre jusqu'au
port nigérian de Port Harcourt229. Cependant, il convient de
rappeler que, cette voie n'est empruntable que 4 mois de juillet à
Octobre lorsque les cours d'eaux sont abondants. Et, la sécurité
des navires pour éviter les pillages et la perte des ballots de coton
est assurée par les tirailleurs qui, se relaient à des points
déterminés.
La crue de la Bénoué pendant la saison
sèche a naturellement conduit le transéquatoriale a
diversifié les voies de désenclavement. C'est dans ce sens que,
la mise en évidence des voies terrestres devenait prioritaire afin de
relier le territoire au reste de l'AEF. Ainsi, la circonscription de
Fort-Archambault fut sollicitée pour relier le territoire aux cotes de
Pointe Noire au Moyen-Congo. De ce fait, un long tronçon d'à peu
près 1500km permettait d'acheminer le coton du territoire du Tchad vers
l'Oubangui-Chari ; une fois là-bas, il était acheminé au
port de Pointe Noire.
Ces voies de communications traditionnelles ont permis
d'ouvrir le territoire du Tchad à la confédération de
l'AEF mais, il permet surtout de comprendre que, ces investissements
tournés vers l'extérieur ont permis de saisir les réels
desseins de la France quant à la mise en valeur du territoire du
Tchad.
228 G. Sautter, 1959, « Les liaisons entre le Tchad et la
mer : essai d'analyse géographique d'une situation concurrence dans le
domaine des transports », In, Bulletin de l'Association des
géographes français, n° 286 -287, pp. 9-11.
229 Ibid., p. 15.
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