A-Les répercussions sur le plan politique
S'il y'a bien une frontière dont la délimitation
a été autant rebondissante, c'est bien celle entre le Tchad et le
Kamerun, car elle a connu de nombreuses mutations dont la fin de la PGM y a
apporté une touche finale.
Ainsi, l'une des conséquences immédiates de la
conquête du Kamerun suite aux déploiements des tirailleurs
sénégalais a été de rétrocéder
l'espace de l'AEF englobé par le Kamerun en 1911. En effet, avant
même que n'ait lieu le partage du Cameroun par les vainqueurs de la
guerre à partir de 1916, la France avait entrepris de
récupérer les milliers des
98
kilomètres de l'AEF qu'elle avait cédé
à l'Allemagne211 et dont les 2.900 Km2 du territoire du Tchad
englobé était de facto concerné.
Cette restitution qu'on doit en partie au RTS-T a
entrainé une série de transformation à la fois politique
mais aussi économique sur ce territoire. Partant de ce constat, il est
question ici de mettre en exergue les répercussions sur le plan
administrative au Tchad suite au déploiement du RTS-T au Kamerun.
1-Le passage d'une gestion militaire à une
administration civile du Tchad
Depuis l'entrée des Français au Tchad en 1889
dans le cadre de l'expansion colonial, ce territoire fut administré
durant les vingt premières années qui ont suivis par des
administrateurs militaires. Il faut cependant attendre 1920 pour voir un
administrateur civil être porté à la tête de ce
territoire212.
En effet, le territoire militaire du Tchad (TMT) qui avait
remplacé les Pays et Protectorats du Tchad (PPT) le 02 Juillet
1902213 marquait la volonté de la France de posséder
une base arrière sur ce territoire carrefour entre l'AEF et l'AOF.
D'ailleurs, il est intéressant de réitérer que cet
emplacement stratégique a été une aubaine pour la France
quant au déploiement du RTS-T au Kamerun. Après la fin de la
guerre au Kamerun, il était désormais question pour la France de
repenser l'utilité de ce territoire autrefois doublement
stratégique dans ses manoeuvres expansionnistes.
Cependant, il convient de rappeler que la gestion
administrative du TMT était confiée à un Gouverneur
militaire qui était nommé par le conseil de Ministre et, ce
dernier représentait le pouvoir exécutif français. En
effet, doter le territoire du Tchad d'une administration militaire permettait
non seulement à la France de faire stationner sur ce territoire un
nombre important de militaires métropolitains et locaux mais,
également de jauger les puissances impérialistes
européennes concurrentes comme l'Allemagne au Kamerun.
Toutefois, durant le passage du TMT à TCT,
l'administration fut parfois mixte c'est-à-dire que, le territoire
était parfois confié à un civil tantôt à un
militaire. Mais, le passage du territoire militaire du Tchad à
territoire civil du Tchad (TCT) en date du 14 Mai 1916214 a pu se
faire grâce à un concours de circonstances. La première
action visait à démilitariser le
211F. Eyelom, 2007, L'impact de la Première
Guerre mondiale au Cameroun, Paris, l'Harmattan, p. 74.
212 Annuaire du Tchad 1902-1920, p. 62.
213 V. Emmanuel Largeau, 1913, p. 16.
214 Annuaire du Tchad 1951-1960, p. 18.
99
territoire, la seconde action annonçait la
volonté de la France d'orienter sa politique gouvernementale vers
d'autres aspects d'activités comme la relance économique.
D'ailleurs, c'est à partir de là que d'importants travaux de
réaménagements s'opèrent. Entre autre, l'administration
colonial dote le territoire étend les voies de communications, met en
place un service de santé mobile, et rattache le territoire du Tchad au
Gouvernement de l'AEF215. Il faut noter en outre que, toutes ces
mutations ont été opérées pour parfaire l'oeuvre
colonial sur ce territoire. C'est dans ce sens qu'on remarque une extension
vers le Nord de ce territoire à partir du passage de TMT à
TCT.
Le passage de territoire militaire à celui de
territoire civil du Tchad marque un tournant dans l'évolution
administrative du Tchad. Certes il fut opéré 15 ans après
le début de la colonisation de cet espace mais, il permet de comprendre
l'impact qu'a eu le déploiement du RTS-T au Kamerun à partir de
1914. Autrement dit, la mutation administrative du territoire du Tchad est due
en parti du rôle qu'a joué le RTS-T durant la Grande Guerre.
Pour nous fais une idée des différents
administrateurs du territoire du Tchad nous avons dressé le tableau
ci-dessous qui, répertorie leur nom, statut et période de
fonction entre 1902 et 1918.
Tableau 7: Liste des militaires ayant servis au
Tchad entre 1900 et 1920
Statut
|
Nom
|
Période de fonction
|
Chef de Bataillon
|
Destenave
|
Octobre 1900-Aout 1902
|
Chef de Bataillon
|
Largeau
|
Aout 1902-Juiellet 1904
|
Chef de Bataillon
|
Gouraud
|
Juillet 1904-Aout 1906
|
Lieutenant-Colonel
|
Largeau
|
Aout 1906-Juin 1908
|
Lieutenant-Colonel
|
Millot
|
Juin 1908- Octobre 1909
|
Lieutenant-Colonel
|
Moll
|
Octobre 1909-Novembre1910
|
Chef de Bataillon
|
Maillard
|
Novembre1910-Mars 1911
|
Général
|
Largeau
|
Mars 1911-Septembre 1912
|
Lieutenant-Colonel
|
Hirtzman
|
Septembre 1912-Décembre 1912
|
Chef de Bataillon
|
Briand
|
Décembre 1912-Aout 1913
|
Général
|
Largeau
|
Septembre 1913- Juillet 1915
|
Lieutenant-Colonel
|
Briand
|
Juillet 1915-Septembre 1916
|
215 Annuaire du Tchad 1910-1930, p. 17.
100
Colonel
|
Martelly
|
Septembre 1916-Janvier 1918
|
Colonel
|
Ducarre
|
Janvier 1918-Avril 1920
|
Gouverneur
|
Lavit
|
A partir de Mai 1920
|
Source : Annuaire du Tchad, 1950-1951. P-30.
Ce tableau nous donne quelques renseignements sur les
administrateurs du territoire du Tchad depuis 1900 jusqu'à 1920. S'il
permet de saisir, l'affectation constant des militaires sur ce territoire pour
des périodes relativement courtes, force est cependant de constater que,
si durant la PGM le territoire fut administrer par un Général, il
a été confié à un administrateur civil en 1920. Ce
soudain changement d'autorité a été conditionné par
une période stable qui a fait fusionner le territoire de ces espaces
antérieurement absorbé en 1911 par le Kamerun.
2-Unification et modification des frontières
à travers la restitution du bec de canard au Tchad en 1919
La Grande Guerre au Kamerun qui, a vu la participation de la
colonne du Nord a été favorisée trois ans plutôt par
un incident diplomatique majeur : le coup d'Agadir qui avait conduit à
la réduction de nombreuses circonscriptions du Tchad en 1911 au profit
du Kamerun soit un peu plus de 16.555Km2216.
Cet incident qui, fut l'un des mobiles du déclanchement
de la Première Guerre mondiale au Kamerun nous amène à
qualifier ce conflit de guerre de « reconquête ». En effet,
l'espace « tchadien » octroyé à l'Allemagne avant le
début de la PGM au Kamerun devint l'un des objectifs qui animait le
Gouvernement de l'AEF sous la directive de Martial Merlin. Il faut toutefois
noter que la volonté de récupérer ces territoires
cédés à contrecoeur était devenue un des objectifs
du déploiement du RTS-T.
Cependant, il se posait alors le double problème de la
rétrocession d'une partie du « bec de canard » au Tchad :
d'une part comment serait-il administré ? Et d'autre part, comment la
France s'en elle-t-elle prise pour calmer les revendications des autres
puissances à l'instar de l'Angleterre qui entendait aussi s'adjuger le
territoire nouvellement conquis ?
De ce fait, pour ce qui est du premier problème,
l'administration coloniale française décida dans un premier temps
de gérer de façon autonome les zones ayant fait partie de l'AEF
avant le 11 Novembre 1911. A cet effet, elle décidait d'organiser de
façon provisoire la justice,
216 B. Lanne, 1992, « Le Tchad allemand », In Tchad
et culture, n°129, p. 17.
101
le commerce et l'autorité de ces zones217.
Autrement dit, toute la rive gauche du fleuve Logone faisant autrefois partie
du territoire du Tchad fut administrée séparément du
territoire du Cameroun et du Tchad entre 1915 et 1916. Ainsi, la France en
procédant ainsi évitait de se mettre à dos ses
alliés dans cette guerre qui entendait eux-aussi tirer profit de cette
guerre au Kamerun.
De ce fait, plusieurs ordonnances venaient cependant
réguler cette zone à priori « autonome » mais
sous joug de la France. A cet effet, il était par exemple acté
que, la justice serait désormais rendue par les conseils de guerre, par
les justices de paix, par des tribunaux criminels et des tribunaux
indigènes218. De ce fait, les conseils de guerre avaient pour
objectif de trancher les différends d'ordre militaire. Les chefs de
circonscriptions tenaient le rôle de Juge dans les tribunaux et leur
compétence s'arrêtaient dans les circonscriptions
voisines219.
Quant aux activités commerciales, elles étaient
régulées par l'article 4 du même arrêté
précité. Elle stipulait notamment que, les procédures en
matière commerciale reste la même que celle qui est fixée
dans le reste de l'AEF220. Mais, il convient de rappeler que, les
zones concernées étaient les circonscriptions de Fianga,
Léré, Bongor, Pala, Lai, Kélo, Mbaibokoum, Moissala. Il
faut cependant attendre jusqu'au 5 Septembre 1916 pour que ces circonscriptions
précitées soient confié au Gouverneur de l'AEF en
qualité de commissaire de la République221. Cet acte
traduisait fortement la volonté de la France de se maintenir dans ces
zones. Cependant, c'est le décret du 12 Avril 1917 qui permettait de
faire fusionner le territoire du Tchad de ses circonscriptions amputées.
En effet, il entendait rattacher le territoire du Tchad de ses zones
amputées antérieurement à la convention du 11Novembre
1911222.
Toute somme, le rattachement du TMT aux circonscriptions
autrefois octroyées à l'Allemagne marque l'une des
conséquences du déploiement du RTS-T dans la PGM au Kamerun.
Mais, loin d'être la seule conséquence, ce déploiement du
RTS-T a en outre changé
217 JO-AEF, 15 Février 1915, Arrête portant
organisation de la justice dans les territoires du Cameroun qui ont fait partie
de l'Afrique Equatorial Française antérieurement à la
convention du 4 Novembre 1911, article 1 et 3.
218 JO-AEF, 15 Février 1915, Arrête portant
organisation de la justice dans les territoires du Cameroun qui ont fait partie
de l'Afrique Equatorial Française antérieurement à la
convention du 4 Novembre 1911, article 1.
219 JO-AEF, 15 Février 1915, Arrête portant
organisation de la justice dans les territoires du Cameroun qui ont fait partie
de l'Afrique Equatorial Française antérieurement à la
convention du 4 Novembre 1911, article 5. 220JO-AEF, 15
Février 1915, Arrête portant organisation de la justice dans les
territoires du Cameroun qui ont fait partie de l'Afrique Equatorial
Française antérieurement à la convention du 4 Novembre
1911, article 4.
221 Annuaire du Tchad 1910-1920, p. 18.
222 Annuaire du Tchad, 1910-1920, Décret du 12 Avril
rattachant le TMT aux zones amputées en 1911. 1916, p. 18
102
le statut du territoire du Tchad. D'ailleurs, la carte ci-dessous
témoigne à suffisance et magnifie l'unification sur un seul
territoire le Tchad.
Mais, il convient cependant de préciser que, la partie
septentrionale fut rattachée à ce territoire en 1920. Or, la
partie australe notamment la rive gauche du Logone a été
rétrocéder dès 1916. De ce fait, il s'agit d'une carte de
1920.
Photo 14: Carte du territoire du Tchad
après 1920
Source : Ministère de l'Administration du
Territoire du Tchad. Atlas 2012.P.11.
Si, le traité du 28 Juin de Versailles permettait au
territoire du Tchad de s'étendre et, de récupérer les
zones du Sud des circonscriptions du Mayo-Kebbi Ouest et Est, il n'était
pas bien vu par les Allemands qui se sont senti laissés. Mais, ce qui
nous intéresse ici est de constater que, si nous sommes parvenus
à ce résultat, c'est en partie grâce au déploiement
du RTS-T.
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