Le régiment des tirailleurs sénégalais du tchad (RTS-T) et la consolidation de l'empire colonial francais: de sa création et de son déploiement au Kamerun entre 1910-1918par Samuel Djeguemde Université de Douala - Master 2021 |
B-Repenser la posture du RTS-T face aux enjeux d'après-guerre. 1916-1919Après le départ des Allemands du Kamerun le 6 Mars 1916202, on pourrait bien se questionner sur les nouvelles fonctions des tirailleurs sénégalais restés sur ce territoire particulièrement ceux venus du Tchad. C'est en cela que cette partie entend s'intéresser. Pour ainsi dire, il est question ici dans un premier temps de mettre en lumière la reconversion des effectifs du RTS-T restés au Cameroun entre 1916 et 1918. Et par la suite, aborder les mobiles liés à leur démobilisation. 1-La reconversion du RTS - T Avec la fin de la Première Guerre mondiale au Kamerun, il s'est aussitôt ouvert une nouvelle ère politique sur ce territoire qui a rythmé avec les nouvelles attributions des forces alliés particulièrement celle du RTS-T. Mais, il va s'en dire que, la présence des nouveaux occupants du territoire a été diversement appréciée par les populations locales. En effet, pour certains, s'ils estimaient être sortis du joug allemand ils ne manquaient pas de remarquer également qu'ils n'avaient faits que changé de « maitres203 » ; d'autres par contre étaient restés nostalgiques des Allemands et souhaitaient même le retour de ces derniers204. C'est dans ce contexte que, la France avait trouvée opportun de requalifier l'usage de ses tirailleurs sénégalais mais, aussi attribuer de nouvelles fonctions aux Officiers principalement ceux du RTS-T qui s'étaient distingués dans cette guerre. C'est dans cet élan que, Joseph Gauderique Aymérich a été nommé en qualité de Commissaire du Gouvernement au Cameroun205, Lucien Fourneau avait le mérite d'être nommé Gouverneur dudit territoire et administrait la partie sous domination française, il était assisté dans sa tâche par des officiers ayant pris part à la PGM. Pour ce qui est de la reconversion des tirailleurs sénégalais venus du Tchad, ils ont été appelé à divers fonctions notamment celles de 202 En effet, s'il est reconnu que les hostilités de la Grande Guerre au Kamerun prenne fin le 6 Mars 1916, elle n'est en fait que partielle car, le maintien de deux compagnies du RTS-T durant deux années supplémentaires ne font que confirmer que la guerre était désormais idéologique. 203 L.Sah, 1982, « Les activités allemandes et germanophile au Cameroun (1936-1939) » In, Revue d'Histoire d'Outre -Mer. Consulté en ligne le 18-07-2022. P.12. 204 Il s'agissait notamment des chefs qui bénéficiaient des avantages que leur conférait la présence des Allemands. On peut ici évoquer Nyoya le roi des Bamouns, Charles Atangana, Pierre Mvemba chef des Babouté, 205 G. Aymerich, 1920, p. 195. 90 force de sécurité mais aussi avoir un rôle dans le processus de « dégermanisation » du Cameroun. Ainsi, pour ce qui est de leur reconversion dans le secteur sécuritaire, ils ont été utilisés comme vigiles, goumier, garde forestiers voire des relais de l'administration. En effet à travers une série de clichés laissée par la SPA, on peut les apercevoir postés dans les quais du port de Douala lors des embarquements et des débarquements. Leur reconversion dans ce sens comme agents de sécurité portuaire avait probablement été mis sur pieds dans l'objectif de filtrer la mobilité dans ce qui constituait jadis la porte d'entrée du Cameroun. Par ailleurs, en agissant de la sorte, l'Etat-major français et leur alliées avaient mis du même coup un terme à l'existence de la polizeitruppe206qui, avant le début de la guerre occupait cette fonction de sécurité interne du territoire. En outre, les tirailleurs du RTS-T ont également joué le rôle de sentinelle devant les résidences publiques et privée des officiers métropolitains, C'est dans ce sens qu'ont pouvaient les retrouver devant l'Hôtel français de Douala ou encore devant la résidence du Gouverneur du territoire. C'est derniers se sont également vus assurer la protection des déplacements des hautes autorités française. Ces reconversions de forces de défense à force de sécurité interne trouvaient tout leur sens du fait des propagandes germanophiles sans cesse grandissante dans les villes côtières du Cameroun. Car, les Allemands ont toujours entretenu l'idée de revenir récupérer leur ancien protectorat mais, ils étaient contraints de rester hors du Cameroun du fait du maintien des tirailleurs et particulièrement ceux du RTS-T. Car, rappelons-le, lorsque la guerre éclate, le territoire du Kamerun était en « pleine mutation » avec une économie tournée vers l'extérieur, un début de développement des infrastructures de communication, mais aussi une germanisation de l'élite acquis à la cause allemande. Ainsi, avec ces placements, il était difficilement envisageable de penser que, l'Allemagne d'abdiquer aussi facilement. En effet, la reconversion des tirailleurs sénégalais consistait à canaliser les envies pro-allemandes susceptibles de remettre en cause la souveraineté des nouveaux occupants du Cameroun. C'est dans ce sens que, Paul Zang Zang estime que l'autorité coloniale française et anglaise ont procédé à une « dégermanisation » du Cameroun tant sur le plan linguistique, économique que militaire. Donc, le maintien de certains tirailleurs sénégalais dont ceux du 206 Il s'agit du corps de police formé et administrer par les administrateurs coloniaux. 91 RTS-T consistait à enrayer l'influence allemande. Et parfois même en agent de police en remplacement de la poleizeitruppe207. Cette initiative avait pour finalité d'effacer du Cameroun toute trace allemande et cela serait possible avec le maintien hors du Cameroun des garnisons allemandes installées pour la plupart dans la ville de Santa Isabel (actuelle Guinée Equatoriale). Mais, au vu de la continuité de la propagande germanophile, il était clair que cette situation était embarrassante pour les autorités françaises. C'est dans ce sens que Aymerich déclarait que : « le maintien des allemands à proximité du Cameroun constitue une épée de Damoclès suspendu sur la tête de la population208 ». En effet, durant ces trente dernières années d'occupation allemande au Kamerun, ces derniers avaient laissés une trace quasi indélébile tant dans le domaine infrastructurel, économique que politique. De ce fait, ils n'envisageaient aucunement renoncer à leur « joyau » africain. Et pouvait compter sur le soutien de quelques loyaux. Photo 11: Des tirailleurs sénégalais et des porteurs assurant le transport du Gouverneur français Lucien Fourreau le 28 Juin 1918. Source :(c) Frédéric Gadmer. https://www.france24.com/fr/20160130-cameroun-premiere-guerre-mondiale .Consulté en ligne le 11-05-2022. 207 P. Zang Zang, 2010, « La dégermanisation du Cameroun », In Revue électronique de Science du Langage, n°14 Décembre 2010, http://www.sudlangues.sn. p. 6. Consulté en ligne le 16-06-2022 à 14h30. 208G.Aymerich, 1920, p. 207. 92 Cette image renseigne sur les conditions de travail des tirailleurs après l'occupation du Cameroun. Elle met en scène le transport d'un administrateur français et date du 28 Juin 1918 soit 2 ans après le départ des allemands du Cameroun. Ce dernier se fait transporter ainsi que ses bagages par une dizaine de porteurs en arrière et en avant plan de cette photo. Sa sécurité est assurée par trois tirailleurs que nous pouvons apercevoir en avant-plan à droite de cette image. Le rôle sécuritaire des tirailleurs conforte l'idée selon laquelle les alliés ont toujours redouté un retour potentiel des Allemands. En somme, pour véritablement matérialiser le déploiement du RTS-T au Kamerun durant ces 5 années, le tableau ci-dessous répertorie en chiffre la dynamique du déploiement des 10 Bataillons du RTS-T lors de la PGM au Kamerun. Dès lors, il serait important de mettre en évidence ces raisons qui corroborent leur maintien au Cameroun après la guerre. Il s'agissait dans ce sens, principalement de deux raisons : maintenir en alerte les tirailleurs contre un éventuel retour des allemands et contenir les mouvements germanophiles présents même après le départ des Allemands. C'est dans ce sens, qu'on pouvait retrouver des tirailleurs postés sur pratiquement tous les lieux publics à l'instar des hôtels, des administrations, des hôpitaux voir des prisons. Mais, au-delà de ce hard power, l'autre rôle assigné aux tirailleurs consistait en une méthode plus douce dont les résultats se verraient à long terme : le « soft power ». Photo 12: L'Hôtel de France de Douala sécurisée par les tirailleurs sénégalais Source : https://visionscarto.neocities.org/2022-kamerun/Cameroun. Consulté le 22-06-2022. 93 Comme évoqué dans les pages précédentes, le stationnement du RTS-T a consisté à enrailler l'influence allemande au Cameroun. Ici haut on peut voir un hôtel de la ville de Douala fréquenté par des Européens. Le hall d'entrée est sécurisé par des Noirs dont tout porte à croire que ce sont des tirailleurs sénégalais. Car, un rôle aussi délicat n'aurait sans doute pas été confié à n'importe qui. En outre, ce fut l'Hôtel où logeaient les officiers alliés Mais, des démonstrations de forces étaient souvent organisées où, les tirailleurs sénégalais affichaient leur parure mais, l'objectif visé c'était la pacification totale du territoire. D'ailleurs, la mobilisation ci-dessous dans la ville de Yaoundé est un exemple de démonstration allant dans ce sens. Photo 13: Patrouille des tirailleurs sénégalais dans la ville de Yaoundé en 1917 Source : https://visionscarto.neocities.org/2022-kamerun/Cameroun. Consulté le 29-06-2022. Ce cliché illustre à suffisance les nouvelles attributions des tirailleurs parqués au Cameroun après la Guerre. Si effectivement les hostilités avaient pris fin, il était désormais question pour les tirailleurs de parfaire cette initiative de conquête avec une présence intimidante effective 94 Cependant, quand revint la stabilité il était désormais question de procéder à la démobilisation entière des tirailleurs sénégalais venus du Tchad. Mais, cette démobilisation a été conditionnée par de nombreux facteurs qu'il est désormais question de mettre en évidence. 2-Les principes de la démobilisation du RTS-T du Cameroun Plusieurs éléments ont été responsables du rapatriement des deux compagnies du RTS-T restés au Cameroun après la guerre. De façon générale, ils sont de deux ordres : le désir exprimé par les tirailleurs sénégalais de regagner leur bercail mais aussi le plan de la métropole de les utiliser au Tchad209. Pour ce qui est du premier principe, un adage africain stipule qu'on n'est jamais mieux que chez soi. Ainsi, en principe après la fin de la PGM au Kamerun, les tirailleurs sénégalais devaient en principe être rapatriés après leur service comme nous l'avons vu plus haut. Mais, à cause d'une clause glissée dans ce même contrat, ils pouvaient être maintenus au sein des bataillons au gré de leur volonté. Nonobstant de ce constat, le désir de regagner leur colonie d'origine semblait plus fort que toute tentative mise en place la France. En effet, n'oublions pas que de nombreuses familles au Tchad étaient restées dans l'attente du retour de leur homme. C'est dans ce sens que, Dayanne210 estime que le besoin de retrouver les siens après un conflit est plus grand que tout. S'ils n'avaient aucun moyen de pression de faire respecter leur volonté, toujours selon Dayanne ces derniers simulaient des maladies et prenaient prétexte des rites culturels pour manifester leur envie de démobilisation. Mais, le second principe lié à la volonté de la métropole de les redéployé au Tchad dans le cadre de la pacification de l'ensemble du territoire a permis la démobilisation effective de ces derniers du Cameroun. Avec, la signature de l'armistice qui sonnait la fin de la PGM sur tous les fronts, il s'avère que, la France n'avait plus aucun intérêt à maintenir une présence militaire « indigène » au Cameroun. Si, officiellement il avait été acté par le Ministère de la Guerre que, les tirailleurs sénégalais mobilisés pour la PGM devaient être démobilisés en 1919, cela reflétait la réalité des fronts européens. En effet, en Afrique et particulièrement au Tchad, la colonisation n'était pas encore terminé et, de ce fait les deux compagnies stationnées au Cameroun ont été démobilisé le 14 Mar 1918 pour aller supplier les troupes du Tchad. C'est dans ce contexte que, les 209 Entretien avec Dilamkoro Laomaye, N'Djaména le 08-01-2022. 210 Entretien avec Dayanne, Moundou le 16-12-2021. 95 principes de la démobilisation du RTS-T a pu s'opérer. En réalité, elle a plus relevé des ambitions liées à l'extension du domaine colonial français que de l'envier d'accorder du répit aux tirailleurs « tchadiens » encagé dans cette guerre loin de leur famille. Cependant, si leur redéploiement dans leur colonie a été de l'avantage de la France, il a surtout laissé de nombreuses conséquences dans leur territoire. C'est d'ailleurs ses répercussions qui, constituent le dernier chapitre de ce travail. Il a été question dans ce troisième chapitre de mettre en évidence les différentes phases du déploiement du RTS-T pendant et après la Grande Guerre au Kamerun. Il en ressort que la dynamique de déploiement de cette colonne venue du Nord fut diverse et variée et peut se résumer en deux principales phases. Ainsi, si l'extrémité du Nord et le Nord de ce territoire ont été très tôt au début des hostilités entre Allemands et le RTS-T, elle a été la première phase du déploiement du RTS-T. Cependant, elle mobilisa un contingent du RTS-T fort d'environ 300 à 450 Tirailleurs et près de 2000 porteurs et pris fin après l'occupation de Ngaoundéré le 15 Juin 1915. La seconde phase de ce déploiement quant à elle a consisté en la progression de cette force en direction principalement du Sud et d'un stationnement de deux ans sur l'étendue du territoire après le départ des Allemands le 6 Mars 1916. Cependant, ce maintien de deux compagnies du RTS-T n'était pas anodin et contrastait avec un probable retour des Allemands au Kamerun. Cette idée d'un éventuel retour fut propagée par des pro-allemands nostalgiques de ces trente années d'occupation allemande. Mais, il est question à présent dans le chapitre finale, d'aborder la question liée aux répercussions du déploiement du RTS-T au Kamerun et évoquer sa patrimonialisation. 96 CHAPITRE IV : LES CONSEQUENCES DU
DEPLOIEMENT DU RTS-T 97 La mise en place du RTS-T puis, son déploiement au Kamerun lors de la PGM a entrainé au Tchad des répercussions à la fois sur le plan politique et économique. En effet, la fin de ce conflit a occasionné un réajustement frontalier entre le territoire du Tchad et du Cameroun, changé le statut juridique du Tchad et, booster le développement d'une culture de rente : celle du coton. Autrement dit, la mobilisation et le déploiement des tirailleurs sénégalais du Tchad a permis de nombreuses mutations qui ont laissées des traces indélébiles sur ce territoire. En plus de ces mutations dont la PGM a été un catalyseur, ce dernier chapitre entend également se pencher sur une analyse du legs mémoriel au Tchad du RTS-T. Autrement dit, il est question de questionner ces faits d'armes au Kamerun. Ainsi, il serait question dans un premier temps de mettre en évidence l'impact du déploiement du RTS-T sur le plan politique et économique au Tchad. Ensuite, nous intéresser à la question de sa patrimonialisation I- LES CONSEQUENCES DU DEPLOIEMENT DU RTS-T DANS LA GRANDE GUERRE AU KAMERUN ENTRE 1914 ET 1918 Si, le déploiement du RTS-T au Kamerun entre 1914 et 1918 a permis d'évincer les Allemands de ce territoire et de consolider la présence de nouveaux « maitres » il faut cependant remarquer que, cet acte a également eu des répercussions sur le territoire du Tchad. Partant de là, il est question ici d'évoquer cette répercussion sur le plan politique ; ce qui sous-entend d'évoquer la rétrocession de l'espace « tchadien » antérieurement absorbé par le Kamerun, et des mutations ayant suivis sur ce territoire. |
|