2.3 Les enjeux de la
tertiarisation d'une économie
a) Epuisement de la croissance et crainte d'une
stagnation de l'activité économique
Selon l'approche néoclassique [B. Bertran, (2009)], la
tertiarisation d'une économie conduit à la thèse d'un
épuisement des sources de la croissance, en plaçant au centre de
l'analyse la dynamique sectorielle des gains de productivité.
Cette vision est celle de Fourastié, qui
évoquent « l'envahissement » de l'économie par le
tertiaire et dénoncent comme une erreur toute notion d'un
développement fondé sur le tertiaire tout en admettent sans
difficulté que « l'absorption par les services d'une part
croissante de la main-d'oeuvre freine nécessairement la
productivité et la croissance globales » [J. Fourastié,
(1962)]
Ce modèle est commun à celui de Bomaul [P.
Petit, (1994)] qui repose sur deux bases. D'abord les gains de
productivité dans le secteur tertiaire sont faibles ou nuls, et en tout
cas négligeables au regard de ceux de l'industrie et même de
l'agriculture.
L'exemple favori de Fourastié est celui de la coupe de
cheveux. Le coiffeur d'aujourd'hui ne tond pas plus vite qu'il y a un
siècle, et le coiffeur de Chicago n'est pas plus productif que celui de
Calcutta [J. Fourastié, (1962)]. Ensuite la demande de services tend
à augmenter à long terme, sous l'effet de la progression des
revenus et de la saturation progressive des besoins en biens alimentaires, puis
en biens industriels[C. Mara et Harvey, (2000)].
De là découlent plusieurs implications
majeures[J. Geours, (1982)]. D'abord, le prix relatif des services par rapport
à celui des biens industriels est appelé à augmenter
indéfiniment, puisqu'il reflète à long terme
l'écart des gains de productivité respectifs entre les deux
secteurs [P. Jaccard, (1995)].En second lieu, la part des services ne peut
qu'augmenter au sein du PIB et surtout au sein de l'emploi total [P. Jaccard,
(1995)]. Enfin, l'alourdissement du poids relatif des services ne peut que
freiner le rythme de la croissance globale par un effet de structure [M.
Polèse, (1988)].
Il convient néanmoins pour[A. Bracet et J. Bonamy,
(1988)] de prendre en compte deux objections à ce modèle. La
première concerne une omission grave: il ne tient pas compte de l'effet
de freinage qu'exerce sur la consommation des services la hausse de leur prix
relatif. La seconde c'est dans la mesure où biens matériels et
services sont substituables pour répondre aux mêmes besoins, les
biens sont appelés à prendre le pas sur les services: c'est la
thèse des partisans de l'économie de self-service (l'ordinateur
remplace les services de la secrétaire, devenus trop coûteux...).
[C. Mara et Harvey, (2000)] notent par ailleurs que toute
généralisation de ce type conduit à des
exagérations inverses des précédentes. Dans la
réalité, estime [B. Bertran, (2009)], consommation de biens et
consommation de services mesurés en volume, et non plus en valeur
augmentent à peu près au même rythme: une sorte de match
nul, chacune des deux composantes garde toute son importance.
b) la faible contribution des services aux
échanges internationaux
- Des représentations sur le dynamisme des
services
Selon l'étude faite sur l'économie
Française, il existe une conviction très répandue que les
exportations françaises de services connaissent un essor sans
précédent [A. Screiber et A. Vicard, (2008)]. Cette vision
affirme [J. Dayan, (2014)] s'appuie notamment sur les bonnes performances de la
France en ce domaine, qui se place souvent ces dernières années
au 2e rang mondial des exportateurs de services.
[C. Tertre et P. Ughetto, (2000)] fait état de la part
croissante des services avec l'émergence très visible de quelques
« multinationales » dans le total mondial des investissements directs
à l'étranger.[M. Debonneuil, (2017)] pense à la
percée récente des échanges de services nouveaux, issus de
la révolution informatique, s'adressant pour la plupart aux entreprises,
et quelquefois aux particuliers.
Encore, [OCDE, (1999)] rapporte la grande
hétérogénéité des échanges de
services et la dynamique très contrastée qui caractérise
les principaux postes en moyenne et longue périodes : un jugement
objectif ne saurait se fonder exclusivement sur la progression rapide de
quelques services nouveaux souvent très frappante, mais dont le poids
relatif demeure encore assez faible (services d'informatiques et information)
sans prendre en compte le comportement des services plus « traditionnels
» comme les transports.
- La faiblesse relative des exportations de
services
La part des exportations des services dans le total des
exportations françaises oscille autour de 20 % [J. Dayan, (2014)]. Le
rapport des exportations de services à la valeur ajoutée totale
du secteur tertiaire oscille, lui, autour de 8 % sur les vingt dernières
années [V. Hecquet, (2013)]
En effet, l'essor des échanges internationaux de
services a seulement accompagné l'essor (rapide) du commerce
extérieur de marchandises ce qui est déjà beaucoup mieux
[OCDE, (2015)]. Pour sa part, [B. Bertran, (2009)] estime que l'impression
souvent ressentie d'un véritable « envol » récent des
exportations de services comporte une part d'exagération. Quant à
Screiber et Vicard, l'idée reçue selon laquelle l'essentiel des
services « s'échangent peu » (au plan international) reste
globalement vraie: ils avancent que le taux d'ouverture du secteur tertiaire
(rapport des exportations de services à la valeur ajoutée
sectorielle: 8, 2 % en 2001) reste très inférieur à celui
de l'économie nationale (rapport des exportations de biens et services
au PIB: 26,2 % en moyenne pour la France entre 1998 et 2002).[A. Screiber et
A. Vicard, (2008)].
Ceci résulterait selon[C. Mara et Harvey, (2000)]
à un effet de structure dont le processus de tertiarisation à
long terme tend à réduire, toutes choses égales
d'ailleurs, c'est-à-dire indépendamment des évolutions au
sein de chaque secteur, le taux d'ouverture global des économies
nationales, qui constitue un déterminant important (en l'occurrence, un
facteur de freinage) de la dynamique d'ouverture internationale.
Le constat de l'imbrication des activités de services
dans la dynamique des échanges internationaux de biens
manufacturés mais aussi de produits primaires (à travers le
transport et l'innovation notamment) invite à mettre au centre de
l'analyse de l'insertion d'une économie nationale dans les
échanges mondiaux la notion de compétitivité globale
[OCDE, (1999)]. Par cercles concentriques, [B. Bertran, (2009)] pense que les
services participent au développement des échanges (du transport
qui facilite l'ouverture manufacturière, aux services aux entreprises
qui dynamisent l'ensemble des échanges en passant par les
activités de recherche qui orientent les spécialisations).
Dès lors, le solde courant apparaît plus que
jamais central pour apprécier la compétitivité,
compétitivité industrielle, compétitivité des
services désormais indissociablement liées [OCDE, (2015)].
c) L'hétérogénéité
du secteur tertiaire
Il importe selon [B. Bertran, (2009)] de différencier
plusieurs segments entre autres : le tertiaire d'intermédiation, de
luxe et de survie. Letertiaire d'intermédiation (permettant la rencontre
de l'offre et de la demande) s'explique par l'importance des coûts de
transaction, des frais de commercialisation, de stockage et de transport dans
des économies ouvertes et fragmentées en espaces peu
communicants.
Quant au tertiaire de luxe, celui-ci tient à
l'inégale répartition des revenus et au faible prix des revenus
du travail (exemple des domestiques) ou aux rentes de situation (exemple du
tourisme). Enfin, letertiaire de survie concerne certaines des activités
urbaines dites informelles, depuis les petits commerces de micro détail
en passant par les services des rues de restauration ou de transport. Le micro
services tiennent à plusieurs facteurs: le faible coût de travail
comparé aux prix des biens durables et des équipements, l'absence
de prise en charge des non-productifs par des systèmes d'assurance
sociale.
Par ailleurs, certains de ces services sont rendus à
des personnes (services personnels); d'autres, d'entretien et de
réparation, prolongent la durée de vie des biens durables et des
équipements [Rapport, (1996)]. Les micros services s'expliquent par la
pauvreté et par la nécessité de fractionner les produits
pour des clientèles à faible pouvoir d'achat [P. Petit,
(1994)].
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