Section 2 : Les
analyses désagrégées du secteur tertiaire
La plupart des recherches présentées
récusent, à certains égards, la vision conventionnelle de
l'avenir des économies développées. L'examen de vingt-cinq
ans de modifications de l'emploi et des modèles de consommation au
Royaume- Uni a révélé non pas l'émergence graduelle
d'une économie de services, mais le contraire [CFDT (1980)].
Au lieu de trouver une hausse considérable de la
consommation des services, on assiste à la baisse remarquable de leur
consommation en valeur relative [J. Gadrey (1992 )]. Au lieu d'acheter des
services, les ménages semblent acheter de façon croissante des
biens durables qui leur permettent de produire des services pour
eux-mêmes. Cela correspond à ce que J. Gershuny appelle
«self-service economy» [J. Gadrey (1992)]. Une grande part de
l'emploi tertiaire sur la période peut s'expliquer non par la
consommation des services, mais par le besoin de l'activité
manufacturière en techniciens, gestionnaires, vendeurs pour la
production effective de biens de consommation [C. Gallouj et F. Djellal
(2004)].
On a toutes les raisons de penser en croire [B. Coriat (1989)]
que cette tendance se poursuivra dans la mesure où elle est
expliquée par deux processus économiques dont la direction ne
peut pas varier: l'innovation technique et le renchérissement des
coûts salariaux. On est donc loin de la thèse de la
désindustrialisation des économies, martèle-t-il.
D'autres travaux corroborent ces résultats. Comme le
démontre [O. Furrer (1997)] la seule croissance relative des services
semblerait être celle des services peu ou pas substituables à des
biens comme, par exemple, les services médicaux et les assurances. Pour
[M. Polèse (1988)], l'explication semble résider dans une
substitution continue au cours du temps de biens aux services, notamment de
biens durables.
Ainsi, un certain nombre de fonctions peuvent être
remplies indifféremment par un bien ou un service et on peut remarquer
que les biens fournissent également des services [J. Chevallier (1997)].
Ceci étant, si la demande de services ne semble pas avoir le
caractère massif qui lui est généralement attribué,
il reste à démontrer pourquoi l'emploi tertiaire a crû de
telle façon [M. Polèse (1988)].
Vincent-Thomas (1980) cité par [C. Linchtenstein
(1993)] indique que cela peut s'expliquer en partie par une mise en oeuvre de
politiques d'inspiration keynésienne ayant entraîné le
gonflement des dépenses publiques, notamment en matière de
couverture sociale et d'éducation, ainsi qu'en partie par une
élévation des niveaux de vie. Les services du secteur public,
tels que l'enseignement et la recherche, sont ceux qui croissent le plus
rapidement ; s'y ajoutent les services au producteur, essentiellement parce
qu'une part plus importante des ressources est consacrée à
l'ingénierie, la recherche-développement et à la direction
et au développement de la firme [M. Braibant (1982)]
2.1. Les analyse des liens entre
biens et services
Partant de la constatation du[Rapport, (1996)] ; le
secteur des services n'a souvent été étudié
qu'occasionnellement en profondeur et essentiellement pour ce qui concerne les
services au consommateur, une monographie centrée sur les services au
producteur a permis d'en révéler l'évolution.
En effet la division entre les biens et les services avance
[O. Furrer (1997)], n'est pas précise et il est tenté d'appliquer
aux services la vision dichotomique producteur-consommateur qui est
appliquée aux biens, telle qu'elle a été avancée
par S. Kuznets (1966). Ce dernier a en effet présenté un
schéma de classification des biens en créant une double division
de base entre les «producer goods » et les « consumer goods
» comportant chacune trois subdivisions : périssable, semi-durable
et durable [C. Gallouj et F. Djellal (2004)].
Les biens destinés aux consommateurs sont ceux
définis comme satisfaisant la demande finale, ceux destinés aux
producteurs, comme ceux entrant dans la production intermédiaire [J.
Gadrey (1992)]. De même, les services au consommateur satisfont la
demande finale et les services au producteur, la consommation
intermédiaire [O. Furrer (1997)]. Un avis que ne partage pas [CFDT
(1980)] lorsqu'il estime que cette classification de biens et services n'est
pas définitive; bon nombre d'entre eux sont difficiles à classer
et des décisions arbitraires doivent occasionnellement intervenir.
[C. GALLOUJ et F. DJELLAL, (2004)], notent le
parallélisme entre bien et service, et le fait que les services peuvent
être analysés en des termes qui autrefois étaient
exclusivement réservés aux biens. Partant de là, il
devient possible de raisonner en termes de stocks, d'obsolescence, de
financement. L'une des plus importantes applications de la durabilité
des services révèle [OCED, (2015)] se trouve dans l'analyse des
fluctuations de la demande dans le cycle des affaires.
[OCED, (2015)]soutient que cette approche représente un
premier pas vers une meilleure compréhension du rôle des services
dans le processus économique, et il est intéressant de souligner
le rôle du capital immatériel dans le processus de production.
Dans le [Rapport, (1996)] on note d'ailleurs que, dès le début
des années 50, des recherches avaient reconnu les améliorations
dans les méthodes et le savoir-faire comme un type distinct de
dépense en capital.
Le fait est, que les travailleurs dans les services sont aussi
importants dans le processus productif que ceux qui se consacrent à la
fabrication[C. Linchtenstein (1993)]. D'autres travaux confirment les liens
entre les biens et les services nés de complémentarités,
notamment de la demande[( A. Barcet et J. Bonamy(1987)] . Couplée
à cette complémentarité de la demande, Bandt et Petit
ajoute qu'il y a possibilité de substitution de biens aux services quand
les tendances de coûts et de prix des services sont défavorables.
Une telle substitution restreint donc le changement brusque d'une
économie de biens vers une économie de services.
Dans les travaux de T.M. Stanback, cité par [C. Tertre
et P. Ughetto (2000)], il se révèle que les activités
communément décrites comme des services ont des
caractéristiques différentes. Tout d'abord, il y a trois types de
services : les services destinés au producteur, ceux destinés au
consommateur et les services publics. En réalité, pour Chevallier
cette différenciation n'est pas parfaite dans la mesure où une
même firme peut produire à la fois des services au producteur et
au consommateur, comme elle peut produire des biens de production et des biens
de consommation [J. Chevallier,(1997)]. De leur coté [C. Tertre et P.
Ughetto (2000)], avancent que ce sont essentiellement les sources de la
demande qui diffèrent et qui, par conséquent, justifient cette
différenciation.
De plus, pour[O. Furrer (1997)], certains services ont une
forte intensité en travail, d'autres en capital, et il existe de grandes
différences en ce qui concerne la taille des entreprises. Par contre [C.
Linchtenstein (1993)]estime que si l'on admet que la production de biens a pour
résultat un produit matériel, stockable et transportable et que
celle des services a pour résultat un output non stockable
requérant habituellement une interaction directe avec le consommateur,
cette distinction signifie que les biens peuvent être produits plus
facilement que les services sous des conditions qui revêtent l'avantage
d'une production standardisée et des économies d'échelle.
Ce phénomène résulte à la fois,
conclut [M. Polèse, (1988)] des différences dans la localisation
des firmes et dans leur capacité à utiliser des modes de
production à forte intensité capitalistique. Partant de ce
postulat, Coriat estime que les services sont moins standardisés et les
firmes qui les produisent tendent à être localisées
près des marchés sur lesquels elles traitent, souvent dans des
régions trop peuplées, ce qui n'est pas sans avoir de
conséquences sur leurs coûts de production [B. Coriat, (1989)]
Le problème soulevé par Stanback martelle [C.
Linchtenstein (1993)], est de savoir comment définir les services en
excluant les activités qui sont les plus proches des biens,
c'est-à-dire avec une forte intensité capitalistique et des modes
de production à grande échelle. En conséquence, la
solution consisterait pour [CFDT, (1980)] à restreindre la
définition des services et exclure (comme dans les travaux de V.R.
Fuchs)[O. Furrer (1997)], les transports, les communications et les services
publics, activités alors reportées dans l'industrie.
Au demeurent, [C. Linchtenstein (1993)] pense que ces
remarques mettent en évidence les forts liens entre biens et services
nés de complémentarités de la demande. Au niveau de la
consommation, ajoute [B. Bertran, (2009)] ces complémentarités
sont largement issues de leur usage commun, en particulier, le besoin de
distribuer et d'entretenir les biens. Quant au niveau de la production, elles
sont de façon croissante le résultat de la complexité
accrue de la gestion qui crée de nouvelles exigences et de l'utilisation
croissante d'entreprises de services [B. Bertran, (2009)].
[C. Linchtenstein (1993)] de concert avec [B. Coriat, (1989)]
convergent tous dans le même ordre d'idée lorsqu'il rappellent que
couplée à cette complémentarité, il y a la
possibilité toujours présente de la substitution de biens aux
services qui restreint la possibilité du passage d'une économie
de biens à une économie de services.D'autres travaux comme ceux
de Momigliano(1980) et Siniscalco(1982) évoqué par [C.
Linchtenstein (1993)] ont contribué à la démonstration de
l'interaction services-industrie, à partir d'une méthodologie
originale
Se basent sur les travaux de Momigliano (1980) et Sinscalco
(1982) [J. Geours, (1982)] laissent entendre que leurs hypothèses
reposent sur le fait que, d'une part, la croissance relative et absolue de
l'emploi tertiaire est due en grande partie à l'augmentation de
l'intégration des services dans le système productif et que,
d'autre part, le plus grand degré d'intégration peut être
spécifiquement attribué à la croissance des services pour
l'industrie et plus généralement à la production de
biens.
Selon ces hypothèses, estime [C. Linchtenstein (1993)],
la croissance relative et absolue de l'emploi des services provient largement
d'une utilisation accrue des activités classées dans le
tertiaire, mais intégrées dans le système productif et
dans l'industrie en particulier. Si elles sont acceptables, cela signifie bien
que les changements en cours ne correspondent pas à une transition vers
une économie de services ou vers une société
postindustrielle.
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