II.1. 2 Les causes et
conséquences de la tertiarisation
1. Lescauses
Globalement, selon les recherches effectuées par le
Conseil économique du Canada, l'élément déterminant
de la tertiarisation de l'économie a été l'augmentation de
la demande pour les services qui sont utilisés comme intrants dans la
conception d'un bien ou d'un autre service[Rapport (1996)].
Il est également possible d'identifier un certain
nombre de facteurs particuliers qui ont entraîné le
développement rapide de plusieurs industries tertiaires. Parmi ces
facteurs,C. Klark (1914) note le progrès technologique qui a
joué un rôle important. Il a permit une utilisation accrue du
capital (surtout du matériel informatique) dans le secteur tertiaire et
a rendu possible un accroissement de la productivité [P. Jaccard
(1995)].
Cependant [M. Debonneuil (2017)], note que le recul de
certains types d'emplois a été largement compensé par
l'apparition de nouvelles tâches. Ainsi, la convergence de l'informatique
et des techniques de communication a fait apparaître un nouveau secteur,
celui des technologies de l'information, permettant d'incorporer la technologie
numérique au matériel de télécommunication.
La capacité de traiter et de communiquer rapidement des
grandes quantités des données est maintenant reconnue comme un
instrument de gestion précieux, ce qui, en retour, a engendré une
demande pour des quantités encore plus grandes d'information. De plus en
plus, l'économie prend appui sur l'informatique et les
télécommunications[M. Debonneuil (2017)].
De son coté, [J Fourastié (1963)] fait savoir
que le progrès technologique a également contribué
à la complexification des tâches dans l'ensemble des secteurs
d'activité, obligeant les entreprises à une certaine
spécialisation. Ceci explique en grande partie le développement
spectaculaire des services aux entreprises et du secteur conseil en
particulier.
Ainsi, une partie du déclin du secteur secondaire dans
l'économie serait attribuable selon C. Klark (1914) au transfert d'une
quantité d'emplois des industries productrices des biens vers les
industries de services, sans pour autant causer un effet négatif sur
l'ensemble de l'économie [P. Jaccard (1995)].
Aussi, depuis l'entrée en vigueur de l'Accord de
libre-échange avec les États-Unis en 1989, il se revèle
que les exportations internationales de services ont crû annuellement de
10,1% en moyenne comparativement à 5,4% de 1981 à 1989 [OCED
(1999)]. Comme les services des secteurs traditionnel et non-commercial sont
peu susceptibles d'être exportés, cette accélération
provient selon toute probabilité du tertiaire moteur.
Pour Gadrey, la déréglementation de certains
secteurs a accentué cette tendance, notamment dans les services
financiers et les télécommunications. La hausse de la demande de
services au consommateur a contribué à la tertiarisation de
l'économie alors que la forte progression du niveau de vie a grandement
accru la part de la consommation de services dans le budget des consommateurs
[J. Gadrey (1962)].
A. Les évolutionsliées des gains de
productivité et de la demande
- L'évolution de la demande
Pour Fourastié, l'évolution des activités
des services est caractéristique de notre siècle. Cette
évolution se traduit par la désindustrialisation des
économies le plus avancées [J Fourastié (1963)].
Debonneuil considere que les deux notions sont graduelles mais le tournant des
années 70 marque une rupture lorsque les effectifs de l'industrie
connaissent une baisse absolue et non plus relative comme par le passé
[M. Debonneuil (2012)].
En effet la demande tend à augmenter à long
terme sous l'effet de la progression des revenus et de la saturation
progressive des besoins en biens alimentaires, puis en biens industriels [J.
Gadrey (1962)]. De là, découlent plusieurs implications. D'abord,
le prix relatif des services par rapport à celui des biens industriels
est appelé à augmenter indéfiniment, puisqu'il
reflète à long terme l'écart des gains de
productivité respectifs entre les deux secteurs. En second lieu, la part
des services ne peut qu'augmenter au sein du PIB et surtout au sein de l'emploi
total [D. Cohen (2001)].
- Croissance de la productivité et
déversement des emplois
Les gains de productivité dans le tertiaire sont
généralement faibles ou nuls, et en tout cas négligeables
au regard de ceux de l'industrie et même de l'agriculture [P. Cahuc et M.
Debonneuil (2004)]. L'exemple favori de Fourastié est celui de la
coupe de cheveux. Le coiffeur d'aujourd'hui ne tond pas plus vite qu'il y a un
siècle et le coiffeur de Chicago n'est pas plus productif que celui de
Calcutta [J Fourastié (1963)].
La création d'emplois dans chacun des secteurs
dépend des évolutions conjointes de la demande et des gains de
productivité. Selon la relation établie par Jean Fourastié
l'évolution de l'emploi dans un secteur est égale à
l'évolution de la production moins l'évolution de la
productivité du travail dans ce secteur [J Fourastié (1963)].
Autrement dit, la relative saturation de certains besoins
entraîne une destruction d'emplois dans le secteur concerné. Par
exemple, le déclin constant de l'emploi agricole est à mettre en
relation avec celui des dépenses alimentaires dans le budget des
ménages.
[P. Cahuc et M. Debonneuil (2004)] font savoir que le secteur
des services qui connaît la plus forte hausse de la demande et de faibles
gains de productivité est le secteur qui crée le plus d'emplois
depuis les années 50. Inversement, la forte croissance des gains de
productivité dans le secteur primaire associée à une
baisse relative de la demande en biens agricoles a contribué au
transfert d'une partie de la main d'oeuvre dans le secteur primaire.
B. L'aboutissement du processus de
développement
- Développement économique et
montée des services
Les changements dans la nature des besoins à
satisfaire, au fur et à mesure que le revenu augmente, ont toujours
confirmé les observations d'Ernst Engel en 1857, à propos du lien
entre dépenses d'alimentation et niveau de vie. A l'instar des
motivations humaines étudiées par Abraham Maslow, la satisfaction
des besoins physiologiques est la condition requise pour que d'autres formes de
besoins se développent [J Fourastié (1963)].
Debonneuil remarquera que 60 % des emplois continuent
d'être consacrés à la production d'objets et à
l'intermédiation nécessaire à leur commercialisation [M.
Debonneuil (2017)]. Par contre La tertiairisation des emplois n'est donc que la
substitution entre les emplois agricoles, c'est-à-dire de «
production des hommes par la terre » et les emplois tertiaires,
c'est-à-dire de la « production des hommes par l'homme » [C.
Gallouj et F. Djellal (2004)]
Pour Debonneuil la tertiarisation est le pendant de la marche
« vers la société post industrielle » dans laquelle les
éléments immatériels dominent l'organisation de la
société telle que la décrivait le sociologue
américain Daniel Bell [M. Debonneuil (2012)].
- Le rôle des dépenses publiques dans le
développement des services
Selon Cohen, la croissance économique entraîne
une augmentation des dépenses de santé ou d'éducation.
Elle entraîne aussi une société plus urbanisée
où les besoins en services collectifs sont croissants. La demande de
biens supérieurs qui augmente donc avec le niveau de vie
général est satisfaite par un financement public (Education
Nationale, secteur public hospitalier, etc.) [D. Cohen (2001)].
C'est aussi le constat de l'économiste Adolphe Wagner
dès 1876 comme nous fait savoir Fourastié quand il écrit
« des comparaisons dans l'histoire et dans l'espace montrent chez les
peuples civilisés en voie de progrès un développement
régulier de l'activité de l'Etat et de l'activité publique
» [J Fourastié (1963)].
2.2 Les conséquenses
A. Le risque de sous-productivité
- Tertiarisation de l'économie et crainte d'une
stagnation de l'activité
La thèse d'un épuisement des sources de la
croissance avec la tertiarisation des économies est relativement
ancienne. L'approche néoclassique est au coeur de ces conclusions. En
1987, Le prix Nobel américain Robert Solow déclarait que
« les ordinateurs sont partout dans les statistiques de la
productivité » [P. Cahuc et M. Debonneuil (2004)].
En stigmatisant ainsi les nouvelles technologies, il
réactivait en réalité une crainte ancienne,
présente dès les débuts de la science économique,
en particulier chez la plupart des économistes classiques. Pour Adam
Smith, en effet, les services sont improductifs parce qu'ils correspondent
à une dépense et non à une avance [B. Bertran (2009)].
Smith (1776) écrit « il y a une sorte de
travail qui ajoute à la valeur de l'objet sur lequel il s'exerce ;
il y en a une autre qui n'a pas le même effet. Le premier, produisant une
valeur, peut être appelé travail productif, le dernier, travail
non productif » [B. Bertran (2009)]. L'idée est que la
richesse suppose une accumulation de biens, par nature impossible selon lui
dans l'activité tertiaire.
Fourastié fait savoir que cette vision pessimiste est
renouvelée par les travaux de Bomaul qui montrent que certains emplois
tertiaires ont pour particularité de connaître une croissance des
salaires supérieure à celle de leur productivité, ce qui
explique d'ailleurs la croissance des dépenses publiques (loi de Bomaul)
[J Fourastié (1963)].
Ce que Cohen reproche à Daniel Bell, pourtant chantre
de la société postindustrielle admet lui aussi que
« l'absorption par les services d'une part croissante de la main
d'oeuvre freine nécessairement la productivité et la croissance
globales » [D. Cohen (1995)]
- La tertiarisation : une nouvelle articulation
entre les secteurs d'activité
La tertiairisation des économies avancées n'est
pourtant pas synonyme d'épuisement de l'innovation, de
productivité stagnante et de fin de la croissance affirme [B. Bertran
(2009)]. Mais de fin de la croissance économique directement mesurable,
sans doute au sens de croissance directement imputable à un secteur
d'activité donnée. Les effets sur la productivité ont lieu
par ailleurs à long terme, encore aujourd'hui comme le souligne[J.
Gadrey (1992 )].
La sous- productivité du tertiaire est aussi
liée à des problèmes de mesure [P. Cahuc et M. Debonneuil
(2004)]. Les complémentarités s'affirment à tous les
niveaux. Dans la phase actuelle, l'importance croissante des activités
de services pour lesquelles la productivité est impossible à
mesurer directement ne signifie pas que l'on doive renoncer à toute
mesure globale de la productivité de l'économie dans son ensemble
[J Fourastié (1963)].
Enfin la croissance des biens matériels peut être
tenue pour représentative de la contribution productive de toutes les
branches de l'économie, y compris les services. Le développement
des services dépend de l'industrieet la tertiarisation apparaît de
plus en plus comme une nouvelle articulation entre les secteurs
d'activité [OCDE (1999)].
B. Tertiarisation et fracture sociale
- « Les désordres du
travail » des sociétés tertiaires
Plusieurs économistes ont signalé dans leurs
travaux l'instabilité et
l'hétérogénéité des emplois de services.
Cette instabilité s'explique par la fragilité des statistiques
qui dépendent des comportements d'externalisation des entreprises, par
nature fluctuants [D. Cohen (1999)].
L'hétérogénéité est
liée, quant à elle, à la nature des services. Azkenasy
démontre que certains emplois de services, sont soumis à de
nouvelles normes de productivité dans le cadre des nouvelles formes
d'organisation du travail (NFOT) [P. Azkenasy (2004)].
Le rythme de travail se trouve standardisé par des
délais à respecter ou par des procédures
formalisées de réalisation des tâches. « Le
stress devient le mode de régulation de la société
post-fordiste » écrit Daniel Cohen et ce que l'on
découvre, c'est « non pas la fin du travail mais le travail
sans fin, parfois jusqu'à l'épuisement psychique » [D.
Cohen (1999)].
Pour Cohen cette évolution est possible en raison de la
fragilité des populations concernées jeunes sans qualification,
femmes - sans tradition syndicale et sans possibilités d'action
collective [D. Cohen (2001)].
- Tertiarisation et dualisme social
[D. Cohen (1995)] rappelle les analyses de Robert Reich qui
montre que les sociétés postindustrielles oppose de plus en plus
les « manipulateurs de symboles » (professions
intellectuelles au travail valorisé dans une
« économie de la connaissance ») et à l'autre
extrémité de l'échelle sociale, les
« travailleurs routiniers », travailleurs peu
qualifiés des services ou de l'industrie (call center, livreurs, ...).
André Gortz s'interrogeait déjà sur les
nouveaux valets de la société salariale en
dénonçant dans un article du Monde diplomatique « les
petits boulots » du tertiaire [M. Debonneuil (2012)].
De ce fait, le poids croissant des services dans une
économie de plus en plus mondialisée modifie les
sociétés salariales dans une dynamique de plus en plus
inégalitaire. C'est l'exemple de la dactylo donné par D Cohen
dans son ouvrage : trois leçons sur la société
postindustrielle. Et ses conclusions sur les formes que prend la question
sociale à travers la montée des inégalités [D.
Cohen (2001)].
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