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Accueil et influence d'a rebours dans la littérature fin-de-siècle


par Nada Arfaoui
Université de Nantes  - 1 ère année de Master de recherche en littérature française et comparée  2018
  

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2- l'élément déclencheur

Dans un récit, l'élément perturbateur est un évènement, qui altère la situation initiale et qui engendre les péripéties. Il est souvent le deuxième élément d'un schéma narratif. Tout comme la situation initiale, Les auteurs décadents ont fait table-rase de ce constituant de base du schéma narratif. En effet, les trois textes partagent un seul élément catalyseur à savoir la maladie psychique. Désormais, la névrose coïncide avec le déclic événementiel.

Dans À Rebours, la maladie psychique surgit dans l'avant-propos: «le duc Jean, un grêle jeune homme de trente ans anémique et nerveux»4. Il est clair que, le récit semble plus centré sur la psychologie du personnage et moins sur les actions. Le héros ne va pas mener une bataille contre des personnages opposants mais bien contre lui-même plus particulièrement contre sa névrose. Dans la même optique, Sixtine fait apparaître la névrose dès le premier chapitre(les feuilles mortes): «depuis huit jours le château de Rabodanges les hospitalisait, parmi quelques malades pleins de distinctions»5. Quoique la maladie demeure imprécise, elle se clarifiera davantage et se déterminera dans les chapitres qui suivent.

' Jean LORRAIN, op.cit, P.50

2 Remy de GOURMONT, op.cit, P.33

3 Ibid.

4 Joris-Karl HUYSMANS, op.cit, P.40

5 Remy de GOURMONT, op.cit, P.33

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Dans l'oeuvre de Lorrain, l'annonce de la maladie psychique diffère des autres ouvrages dans la mesure où la névrose dans Monsieur de Phocas est délicatement suggérée: «les fantaisies du duc de Fréneuse ne se comptaient plus, elles avaient même un histoire légendaire. Mieux, le personnage, l'homme même avait une légende[...] un profond mystère, épaissi comme à plaisir enveloppait sa vie»1. Ce «profond mystère» n'est autre que son obsession pour les émeraudes. Il résulte que la névrose s'impose comme un dénominateur commun entre les trois ouvrages, elle dépasse sa simple conception de maladie psychique et devient le noeud même de l'intrigue. La névropathie est d'ores et déjà placée au coeur de la progression narrative: elle a joué un rôle important dans le développement des conflits intérieurs et la multiplication des expériences menées.

3- Les péripéties

Dans un récit, les péripéties désignent toutes les actions qui opèrent un changement de situation. L'ensemble des péripéties constitue l'intrigue et permet le glissement de la situation initiale à la situation finale. Elles représentent la troisième étape du schéma narratif.

Comme on a un pseudo-élément déclencheur, on aura également des pseudo-péripéties. En effet, les trois personnages maladifs ne s'inscrivent pas dans cette vague d'héroïsme dans le sens où ils sont hors d'accomplir des actions spectaculaires et extraordinaires, ils ne font pas preuve de performances physiques ni de qualités morales, mais se distinguent plutôt par leur perfection dans le mal. Dans son oeuvre, Huysmans est loin de raconter une histoire cohérente, il expose plutôt des fragments narratifs hétéroclites relatant des moments de crise de nerfs et retraçant les caprices de son antihéros.

«C'est enfin un roman qui progresse contre son genre, en perturbe les codes, déplaçant l'action romanesque puisqu'il ne «s'y passe rien» mais aussi celle du héros de roman, s'incarnant pleinement dans un antihéros [...] le texte n'instaure effectivement qu'une seule action, il ne s'agit rien de moins que celle de vivre, et de vivre seul»2

Les expressions de l'écrivaine Maylis de Kerangal confirment cette circularité creuse du roman huysmansien, la succession logique des actions n'est plus de mise. Le début du roman («plus de deux mois s'écoulèrent avant que des Esseintes pût s'immerger dans le silencieux repos de sa maison de Fontenay ; des achats de toute sorte l'obligeait à déambuler encore dans Paris, à battre la ville d'un bout à l'autre»3) et la fin (« des Esseintes tomba, accablé, sur une chaise. --Dans deux jours, je serai à Paris»4 )entrent en résonance. Au début, le duc des Esseintes apparaît dans l'obligation de rester quelques temps à Paris et à la fin il a dû revenir à Paris, si comme si l'histoire aboutissait à une fin plus au moins

1 Jean LORRAIN, op.cit, P.51

2 Daniel GROJNOWSKI, interview «pourquoi aimez-vous à rebours» avec Maylis Kerangal [ Joris-Karl HUYSMANS, À Rebours, Paris, Flammarion,2004]

3 Joris-Karl HUYSMANS, op.cit, P.47

4 Ibid. P.249

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annoncée. Le roman se fait l'écho d'évènements joués d'avance et revient sur lui-même, Huysmans trace un parcours romanesque fermé et non progressif. À Rebours se transforme en un cercle vicieux, étouffant et infernal, il se résume entre ces deux extrêmes antinomiques: une ouverture salutaire et prometteuse et une fermeture infernale et stérile.

L'auteur se joue de la construction romanesque à la manière des crises nerveuses de son héros, qui reviennent, défont, refont et se répètent jusqu'à l'infini. L'incohérence du roman n'est que la métaphore de la perte psychique de Jean des Esseintes.

De la même manière, les péripéties dans l'oeuvre de Gourmont sont mises à rude épreuve. Bien que le roman expose une vaine histoire d'amour entre le héros et la veuve Sixtine, on n'assiste pas à une évolution de la trame narrative. En effet, cette amourette n'est qu'un prétexte, en vrai, l'intrigue est réduite à sa simple expression: l'antihéros. «Entragues, de son côté, fut au moment de confesser à la jeune femme [Sixtine]qu'elle aveuglait son imagination, mais il eût fallu dire en même temps l'origine, trop fantastique pour n'être pas futile, de cette blessure, et il craignit d'avoir l'air d' inventer une histoire»1. L'auteur ainsi que son personnage semblent «inventer une histoire» rien que pour exhiber l'intériorité d'un être névrosé. D'ailleurs, ce détournement se saisit bien dans le titre du roman même: l'intitulé Sixtine qui renvoie à un nom féminin laisse deviner une histoire d'amour et un roman rose alors que le sous -titre du roman («roman de la vie cérébrale») vient rectifier cette hypothèse. Le roman de Gourmont est plus une attention portée aux névrosés intellectuels et une tentative d'analyser leurs conflits psychiques qu'un traitement ordinaire et simple de la thématique de l'amour.

La forme circulaire de Sixtine se décèle à travers un effet de bouclage. En fait, dans le premier chapitre du roman on lit:

«on en ferait de quasi évangéliques paraboles. Si je ne suis pas mon propre juge, qui me jugera? et si je me déplais à moi-même, que m'importe de plaire à autrui ! [....] nous sommes libres! Libres, mais seuls, seuls dans l'effroyable solitude où nous naissons, où nous vivons, où nous mourrons»2.

Puis au dernier chapitre, on constate que Hubert reprend le même discours élogieux de la solitude muni de la même dimension religieuse: «j'aime déjà beaucoup la grâce de tes saints, car ils furent seuls, délicieusement seuls : «... Souvent, ô mon seigneur, je considère que si quelque chose peut faire supporter la vie[...] c'est la solitude»3. Cette reprise des mêmes notations semble anéantir toute notion d'évènementiel: aucun changement n'a été opéré entre le début et la fin, aucune conscience nouvelle n'a surgi.

La circularité de l'ouvrage de Gourmont correspond à l'enfermement de Hubert dans un monde dépourvu de sens: «les trains ont un but ; la vie n'en a pas [...] l'originalité de la vie de n'en a pas avoir, de but . Parfois je lui trouve, ainsi qu'à une vieille dentelle, le charme

1 Remy de GOURMONT, op.cit. P.34

2 Ibid. P.38-39

3 Ibid. P.311

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même de l'inutilité»1. Il appert que, le vide existentiel du personnage affecte la structure même de l'oeuvre dans le sens où Sixtine se fait à l'image du cercle infernal qui enveloppe Hubert.

Dans Monsieur de Phocas, les péripéties ne sont pas complètement absentes. Il est évident que le roman de Lorrain, à l'instar des deux autres ouvrages, se caractérise par une linéarité événementielle: le récit fait un effet de zoom sur la figure du duc de Fréneuse. Cependant, Lorrain rompt plus au moins avec cette constance du récit par le biais de la figure de Claudius. Le personnage du peintre anglais apparaît à la fin du chapitre VII ( L'effroi du masque): «un autre homme a la même obsession que moi, un autre homme a la hantise des masques[...] cet homme est un grand peintre, un artiste anglais connu de toute l'Europe[...] : Claudius Ethal»2. L'insinuation de ce personnage participe en partie à élaborer l'arc narratif. En effet, dans les six premiers chapitres, Lorrain s'attarde à décrire méticuleusement l'obsession de son personnage ainsi que ses tourments psychiques. La forme circulaire de ces premiers chapitres se perçoit dans leur aptitude à se résumer en un seul : Lorrain ne fait que réitérer ce que c'était déjà dit dès la première section. Par contre, lorsque Claudius émerge, la linéarité cède la place aux actions, néanmoins ces dernières demeurent extrêmement restreintes surtout que dans la globalité du texte on qu'une seule action remarquable: le meurtre.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld