SECTION 2. DES DOCTRINES ET CONCEPTIONS MODERNES DES
DROITS DE L'HOMME
Il n'y a pas une méthode universellement admise, Pour
appréhender les Droits de l'Homme, vu qu'il est très difficile de
les circonscrire dans une catégorie théorique
déterminée. En effet, les définitions qu'on leur attribue
font toujours l'objet de bon nombre de mésententes paradigmatiques. Et
cela est aussi dû au fait qu'ils comportent une forte dimension de
transversalité et de complexité. Ainsi, selon une
définition qu'offre PNUD, les Droits de l'Homme : « sont des
droits dont disposent toutes les personnes, en vertu de leur condition humaine,
pour vivre libres et dans la dignité. Ces droits confèrent
à chacun des créances morales sur le comportement des autres
individus, ainsi que sur la structure des dispositifs sociaux. Ils sont
universels, inaliénables et indivisibles28 ». Cette
définition est loin de pouvoir calmer les esprits. Car il y a d'autres
théories qui essayent, bien avant cela, de les définir. Ces
théories résultent de la philosophie du droit. Celle-ci se porte,
d'abord sur l'opposition de deux courants théoriques : les
théories du droit naturel et celles du positivisme, qui se
résument en ce qu'on appelle les doctrines des Droits de l'Homme. Et
ensuite, elle concerne les conceptions fondamentales modernes des Droits de
l'Homme.
A- Les doctrines des Droits de l'Homme
Les doctrines des Droits de l'Homme mettent en évidence
ce que l'on appelle généralement la philosophie du droit. Et
c'est cette dernière qui, à son tour, fait appel à deux
grandes tendances ou deux théories : théories du droit naturel et
théories du positivisme, qu'il faut, de toute évidence, mettre en
exergue. Cela répond, d'ailleurs, à souci de compartimentation
épistémologique.
1- Les théories du droit naturel
Les théories du droit naturel ne sont pas
tombées du ciel comme de la manne. Elles correspondent à une
longue étape de la pensée juridico-philosophique de
l'antiquité. Plus concrètement, la question du droit naturel tire
son titre de noblesse, à bien des égards, dans l'Antigone de
Sophocle en avançant que, pour justifier sa désobéissance
à l'égard de l'édit de Créon pour avoir
donné à son frère une sépulture : « Je ne
pensais pas qu'il eût assez de force, ton édit, pour donner
à un être mortel le pouvoir de violer les divines lois non
écrites que personne ne peut ébranler. Elles ne sont pas
28 Patrice Meyer-BISCH, Présentation
systémiquue des droits de l'homme, s. e, s. I, s. d, p. 13.
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Approche des droits sociaux en Haïti au regard de
la constitution haïtienne de 1987 et des conventions internationales et
leurs applications effectives de 1988 à nos jours.
d'aujourd'hui, ni d'hier, mais elles sont
éternelles, et personne ne sait quel est leur auteur passé
profond29.» Cicéron ( res-publica ). Par ailleurs,
la réflexion de Socrate, un grand personnage de la philosophie grecque,
a irrigué cette philosophie du droit naturel en opposition au
matérialisme positiviste des sophistes. D'ailleurs, cette
réaction allait lui coûter la vie. D'autres disciples de Socrate
(Platon, Aristote) ont pu emboîter le pas en interprétant sa
pensée dans de sens différents. Entre ces deux piliers de la
philosophie antique, il y a une cloison étanche. En effet, Aristote
considère que la nature, oeuvre d'un Dieu créateur, obéit
à un ordre rationnel. En ce sens, il doit exister une harmonie entre la
loi et la nature. Ainsi la loi doit-elle découler, non d'un sentiment
intérieur, mais d'une observation intelligente de l'ordre naturel,
supposé rationnel. Cette approche sera reprise par saint Thomas d'Aquin
dont la conception est que : « La loi naturelle est le reflet de la
loi divine 30». De là se dégage
l'idée de droit naturel positif.
Cependant, il y a d'autres philosophes dont Platon, qui
semblent ne pas vouloir s'adhérer à cette approche. Pour lui, la
loi vient de la nature de l'homme. Elle lui est édictée par la
droite raison, c'est-à-dire parce qu'il y a de divin en chaque individu.
Supérieure à l'homme, elle ne lui est pas
étrangère. Se mêlant à d'autres dont le
stoïcisme, la philosophie platonicienne aura non seulement une très
grande diffusion dans le monde antique, mais aussi, influencera Cicéron
lorsqu'il a précisé que « une loi vraie, c'est la droite
raison, conforme à la nature, répandue dans tous les
êtres. » D'où le droit naturel subjectif.
En effet, le droit naturel subjectif postule l'idée,
dans un sens restreint, d'un ensemble de règles qui se trouvent
inscrites dans la nature humaine, c'est-à-dire qu'elles font
entièrement partie du patrimoine génétique de
l'humanité tout entière et sont inscrites aussi sur la carte
chromosomique de tout être humain ; et donc, de toute évidence,
méritent d'être prises en considération ces règles.
Autrement dit, il s'agit des droits qui existent indépendamment de toute
intervention des acteurs juridiques, des droits qui découlent
directement de l'ordre du cosmos ou de la nature humaine. Les droits naturels
sont des droits qui dérivent de la nature de l'homme sans prendre en
considération sa race, sa position sociale, sa nationalité et son
ethnie. Cela semble, d'ailleurs, se résumer dans les trois
préceptes d'Ulpien, jurisconsulte de la Rome impériale, à
savoir : Hon este viviere (vivre dans la dignité) ;
29- Cité par Jean Carbonnier in Droit civil.
Introduction, PUF, Paris, 1955, p.85.
30- Ibid.
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la constitution haïtienne de 1987 et des conventions internationales et
leurs applications effectives de 1988 à nos jours.
nemi nem laedere (ne faire de tort à personne, c'est le
principe de la personnalité) ; suum cuique tribuere (à chacun le
sien, respecter les droits individuels31).
A part cela, d'autres formulations du concept de droit
naturel, sur le plan d'idées, viennent de l'école de Salamanque,
et ont ensuite été reprises et reformulées par d'autres
philosophes tels que : Thomas Hobbes, John Locke, Jean Jacques Rousseau, etc.
D'où la position théorique qui prédomine dans le domaine
des Droits de l'Homme. Toute la question des Droits de l'Homme gravite autour
d'elle, à savoir une compréhension subjectiviste de la
théorie du droit naturel.
Outre cela, le droit naturel étant supposé
exister partout même s'il n'est pas effectivement appliqué et
sanctionné, il n'est donc pas nécessairement un droit opposable;
étant fondé sur la nature humaine et non sur la
réalité sociale dans laquelle vit chaque individu, le droit
naturel est réputé universellement valable même dans les
lieux et aux époques où il n'existait aucun moyen concret de le
faire respecter. Cette universalité s'inscrit dans une dynamique de
reconnaissance de manière réelle et non discriminatoire de la
dignité inhérente à tout être humain. D'ailleurs,
cette universalité des Droits de l'Homme constitue la véritable
boussole des Nations Unies.
Historiquement, cette conception théorique du droit est
l'émanation de la pensée de la civilisation occidentale moderne.
Il y a plusieurs auteurs qui sont à la base de la mise en
évidence de cette conception du droit. Parmi lesquels se trouve le
philosophe néerlandais Hugo Grotius (1583-1645). Il est souvent
considéré comme l'un des fondateurs du droit naturel moderne. Il
est aussi le premier philosophe à avoir étudié cette
question en rapport avec le droit international et le droit du commerce,
à une époque où le commerce maritime se développait
considérablement. Il y a un philosophe, très influencé par
Grotius, qui s'est penché sur cette question : Samuel Von Pufendorf.
Toutefois, malgré toute l'importance de la conception
du droit naturel subjectif, elle a été fortement
critiquée. Généralement, les critiques qui lui sont
administrées sont au nombre de trois. D'abord, des doctrinaires comme
Kelsen et Carré de Malberg pensent que cette conception correspond
à une vision métaphasique du droit. Et cette vision serait
incompatible, voire une entrave à une approche scientifique de ce
dernier. Ensuite, on lui a adressé également une critique
ontologique qui s'inscrit dans une logique de rejet de la question
d'universalité des droits de l'homme. Ceux-ci ne sont pas universels,
dans la mesure où il faut prendre en compte le contexte social, culturel
et historique de
31- Ibid.
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Approche des droits sociaux en Haïti au regard de
la constitution haïtienne de 1987 et des conventions internationales et
leurs applications effectives de 1988 à nos jours.
l'homme du pays dans lequel ils sont appelés à
être appliqués. De l'avis de Marx particulièrement, la
notion de nature humaine est jugée très problématique.
Enfin, la dernière critique, elle est de nature
épistémologique. La question qui la résume est la suivante
: à supposer même que les droits naturels existent, comment
peut-on les connaître ? C'est une critique formulée par Pascal
contre Hobbes: la raison ne peut servir à nous indiquer des lois
naturelles universelles. Cette objection se rapproche du non-cognitivisme
éthique, qui s'oppose à une sorte de réalisme moral. Elle
est reprise par Jeremy Bentham, qui insiste sur l'équivocité,
c'est-à-dire l'ambiguïté entourant la notion de droits
naturels dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de
1789. Il essaie alors de construire une vision utilitariste des Droits de
l'Homme.
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