Le caractère concurrentiel de la politique
d'intégration de la CEN-SAD se manifeste de deux manières :
d'abord par l'élargissement concurrentiel de son espace communautaire,
ensuite par le développement de ses projets intégrateurs.
1- L'élargissement contre-nature de l'espace
communautaire
Comme stipulé dans le préambule portant
création de la CEN-SAD et exprimé par la dénomination de
l'organisation, l'action de la CEN-SAD vise le développement des pays du
Sahel et du Sahara. L'espace communautaire ainsi dessiné ipso facto
par le traité, fait de la CEN-SAD non pas une organisation
typiquement régionale encore moins sous-régionale mais bien une
organisation
60
Réalisé et soutenu par
MarieBénédicte GABA
La prolifération des organisations
d'intégration régionale en
Afrique:
complémentarité ou concurrence?
sub-régionale. Il est important pour nous de faire une
telle clarification parce qu'en tout état de cause la CEN-SAD ne peut
être assimilée à une organisation continentale comme l'UA
qui a vocation à accueillir tous les Etats du continent. Pour mieux
appréhender cela, il est opportun pour nous de répondre aux
interrogations suivantes : que recouvre le qualificatif «
sahélo-sahariens » ? A quelle partie du continent renvoie-t-il ? Et
enfin quels sont les pays qui par nature y appartiennent ?
D'abord, le sahel. Suivant une définition tirée
du Larousse encyclopédique universel24 le Sahel en Afrique
correspond au rivage situé au Sud du Sahara. C'est en effet, une zone de
transition entre le désert et le domaine tropical humide soudanien.
Selon l'ONU, le Sahel concerne la Mauritanie, le Sénégal, le
Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad auxquels on peut ajouter le
Soudan.
Ensuite, le Sahara. Il est considéré comme le
plus grand désert du monde avec une superficie de plus de huit millions
de km2. Le Sahara couvre à la fois l'Afrique du Nord
méditerranée et l'Afrique noire, l'Atlantique et la mer rouge. Au
nord, « l'Atlas saharien marque la limite septentrionale du
désert qui atteint la mer en Lybie et en Egypte » alors qu'au
sud « la limite méridionale est la bordure sahélienne,
où apparaît le cram-cram graminée qui nécessite des
pluies d'été relativement régulières
».25 Pour ce qui concerne son milieu naturel, de part et
d'autre du tropique du cancer, le Sahara s'étend sur une dizaine de
pays. Politiquement, il est donc partagé entre 10 Etats26
dont 2 sont presque entièrement sahariens : la Lybie et la Mauritanie.
Les autres sont le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, l'Egypte, le Soudan, le
Tchad, le Niger et le Mali. Sur la base de ces éléments
géographiques, on peut aisément dégager les Etats qui
devraient, par nature, appartenir à cette organisation.
Normalement, la carte de l'espace communautaire de la CEN-SAD
découle de l'adjectif « sahélo-saharien » contenu dans
sa dénomination. On y induit principalement la Mauritanie, la Lybie, le
Sénégal, le Mali, le Burkina Faso,
24 Cf. « Sahel », Larousse encyclopédique
universel, Edition du Club France Loisirs, 2001, p. 4903
25 Cf. « Sahara », Larousse encyclopédique
universel, op. cit., p. 4902
26 Cf. « Sahara », Dictionnaire de langue
française, Langue- Encyclopédie- Noms propres, Paris,
hachette, 1988, p. 1134
61
La prolifération des organisations
d'intégration régionale en Afrique:
complémentarité ou concurrence?
le Niger, le Tchad, le Soudan, le Maroc, l'Algérie, la
Tunisie et l'Egypte. Ainsi, la CEN-SAD, devrait être composée
d'au-plus 12 pays appartenant formellement à la géographie du
Sahel et du Sahara.
De cette analyse, il ressort qu'appartiennent aujourd'hui
à l'organisation, plusieurs pays qui ne sont ni du Sahel ni du Sahara.
Il va sans dire que la configuration actuelle de l'espace communautaire de la
CEN-SAD résulte d'une approche d'exception qui a consisté durant
ces dernières années à développer une politique
d'adhésion peu conforme à la génétique et à
la vocation de l'organisation. Dans une étude27
réalisée dans la foulée du 10ème Sommet
des chefs d'Etats et de gouvernement, Christel-Fourrier Donkpegan met en relief
les différents dysfonctionnements de cette organisation. Tout en
déplorant la dénaturation de l'organisation, il explique son
élargissement continu et contre-nature par l'interprétation
lato sensu que fait l'organisation du concept ?d'Etat
sahélo-saharien?28. Cependant, deux autres hypothèses
peuvent aussi concourir à l'explication de l'élargissement
contre-nature de la CEN-SAD aux Etats non sahélo-sahariens.
La première a rapport au positionnement diplomatique
prééminent de la Lybie en Afrique29. Car c'est
à cette posture que se rapporte le choix de la « Grande Jamahiriya
» et de son « guide » d'affirmer son leadership en Afrique et
dans le monde au moyen d'une organisation ouverte, aussi large et aussi
représentative du continent que l'Union Africaine30.
27 Cf. Donkpegan (Ch.-F), la CEN-SAD en dix ans d'existence :
problèmes et perspectives, Mémoire de fin du
2ème cycle, Diplomatie et Relations Internationales,
ENAM-Bénin, Cotonou, Septembre 2008, p. 51
28 Donkpegan (Ch.-F.), op. cit., p 33
29 Cf. Otayek (R.), La politique africaine de la
Libye, Paris, Karthala, 1986, p. 215 ; «Hottinger (A.), « l
»expansionnisme libyen : Marchrek, Maghreb et Afrique noire »,
Politique Etrangère, 1981, Vol. 46, n°1, pp. 137-149.
30 A la veille du Sommet de la CEN-SAD tenu en juin 2008
à Cotonou, François Soudan livre une analyse critique du tropisme
africain de la Libye. Il y soutient que l'intérêt subit de la
Lybie pour l'Union africaine mais surtout pour l'Afrique subsaharienne est
« fragile et réversible » et que « la
politique africaine de la Libye ne procède pas d'un choix mais d'un
échec ». de même, la remobilisation de l'Afrique,
à travers la CEN-SAD, est considéré par M. Soudan comme
« le dernier avatar d'une volonté aussi brouillonne
qu'obstinée de recherche, de conservation et d'extension de l'influence
libyenne au sud du Sahara » Cf. Soudan (F.), « Kadhafi et
l'Afrique. Le retour du parrain », Jeune Afrique, n°2474 du
8 au 14 juin 2008, pp. 22-25.
62
Réalisé et soutenu par
MarieBénédicte GABA
La prolifération des organisations
d'intégration régionale en Afrique:
complémentarité ou concurrence?
La seconde hypothèse qui nous paraît tout autant
plausible que la première, est celle qui tente de justifier
l'attractivité de la CEN-SAD par la volonté des Etats qui y
adhèrent de bénéficier des apports financiers de la Lybie.
La CEN-SAD est, aujourd'hui, l'une des organisations régionales dont la
participation est supposée plus rentable. Avant elle, aucune
organisation africaine ne s'est agrandie aussi vite et n'a suscité
autant d'empressement chez les Etats. Il semble dès lors évident
de soutenir ainsi que le fait M. Donkpegan que les Etats sont plus attentifs
à la générosité légendaire31 du
guide libyen et adhèrent à la CEN-SAD « plus pour
bénéficier des pétro-dinars libyens que pour s'y investir
en vue de la réalisation des objectifs de la communauté
»32.
2- Des projets de coopération
parallèles
A l'instar de toute organisation d'intégration, la
CEN-SAD a défini des projets d'intérêt communautaire dont
les uns sont principaux et les autres secondaires. Douze ans après sa
création, la politique de l'organisation tarde à prendre corps.
Les projets élaborés existent. Mais ils sont encore à
l'étape de conception. Cependant malgré
l'immatérialité de l'action de la CEN-SAD, on peut, tout de
même, en ressortir les principaux traits.
En dehors de la multiplication infructueuse de projets, c'est
leur caractère concurrentiel qui saute à l'analyse. Alors qu'elle
est censée prolonger au plan régional les efforts de l'Union
Africaine, l'action de la CEN-SAD, telle qu'elle est énoncée dans
ses projets majeurs, apparaît concurrentielle.
Au lieu d'être le continuateur sous-régional de
l'UA, la CEN-SAD apparaît plutôt comme un acteur concurrentiel dont
les dirigeants défendent parfois des positions très hostiles
à l'organisation continentale. Plusieurs éléments de
comparaison existent.
31 A ce propos, lire l'analyse aussi exhaustive
qu'édifiante parue dans l'hebdomadaire panafricain Jeune
Afrique. Meyer (J.-M.), Lejal(F.), « a coups de pétrodinards
», Jeune Afrique, n°2474 du 8 au 14 juin 2008, p. 25-28.
32 Donkpegan, op. cit., p. 33.