Le modèle urbain fonctionnaliste a
considérablement influencé l'environnement et la santé des
habitants en milieux urbains. En effet, il a été
démontré par des études scientifiques que la pollution de
l'air par l'ozone et autres polluants constitue une source de plusieurs
problèmes sanitaires, environnementaux, sociaux et
économiques100 :
· La santé : les poumons, les fonctions
vitales sont touchées par les pollutions atmosphériques. Dans le
monde, 4.2 millions de morts prématurés sont dus à la
pollution atmosphérique extérieure en 2016, 3.8 millions de morts
pour la pollution intérieure des bâtiments, soit 8 millions de
morts au total. 21% de maladies pulmonaires, 20% d'AVC, 34% de cardiopathies,
7% de cancers. Dans le monde, voici les pays les plus impactés : 2
Millions en Chine, 1 Million en Afrique. En France 9% de
98 EMELINE FERARD, « Aux Etats-Unis, plus de 600
millions d'oiseaux meurent chaque année à cause des gratte-ciels
», GEO, 10 avril 2019,
https://www.geo.fr/environnement/aux-etats-unis-plus-de-600-millions-doiseaux-meurent-chaque-annee-a-cause-des-gratte-ciels-195230.
99 Cette partie relative aux conséquences
multiples est tirée des travaux de : E. Ferard, P. Boino (IUL) A.
BOUTAUD (A. Levy) etc.
100 ADDIN ZOTERO_ITEM CSL_CITATION
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BOINO, « Ville et santé: Portée et limites d'une
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aménagement -Dynamiques urbaines- 2020- Institut d'Urbanisme de Lyon
(IUL) Université Lyon 2- 75 pages » (2020).
Comment l'urbanisme peut-il s'inscrire dans une
démarche préventionnelle pour limiter le tout-médical ?
3 5 | 1 4 8
la mortalité est liée à la pollution
atmosphérique. Du fait de la concentration moyenne des particules fines
dans les zones urbaines de plus de 100.000 habitants, 15 mois
d'espérance de vie à 30 ans sont perdus à cause des PM 2.5
et dans les zones rurales, c'est 9 mois d'espérance de vie perdus.
· Conséquence sur l'environnement
bâti : perte de masse des façades des constructions: elles
perdent leur couleur, s'écroulent, problèmes de transparence du
verre, pour les vitraux anciens. La pollution rend des quartiers invivables,
notamment ceux à proximité des axes routiers. Le coût
global pour la pollution atmosphérique est de 3.4 milliards d'euros en
2000.
· Économie : en 1 an, la pollution
atmosphérique engendre 101.3 milliards d'euros de coûts directs et
indirects, majoritairement des coûts sanitaires (selon le rapport du
Sénat en 2015). Mais la pollution ne reste pas cantonnée aux
seules villes. En effet, les zones rurales sont également
impactées et voient la santé des cultures et des élevages
se dégrader. Il a été scientifiquement prouvé que
la pollution atmosphérique par l'ozone est dangereuse pour nos
écosystèmes. En effet, elle provoque des perturbations de la
photosynthèse et une baisse de production des cultures. Les rendements
peuvent ainsi diminuer de 5 à 20%.
· Les écosystèmes : certains
polluants contaminent les sols et les eaux, acidifient les océans,
attaquent les arbres avec les pluies acides, diminuent la biodiversité,
modifient la zonation des espèces en flore et faune. Nous observons
également des proliférations d'algues vertes sur les plages
bretonnes, la flore des rivières disparait, etc.
· Climat : La pollution provoque une tendance au
réchauffement climatique. Nous observons les effets sur les glaciers,
sur l'augmentation du niveau de la mer, sur la météorologie. Cela
perturbe les mouvements classiques de transferts atmosphériques qui sont
à la base de nos saisons. Nous assistons donc à un
dérèglement climatique qui impacte la vie urbaine.
L'environnement a toujours été
l'élément considérable et primordial dans la santé
des individus. Avec la crise sanitaire, la situation actuelle nous incite
à nous interroger sur les liens entre environnement, santé et
urbanisme. Les pandémies et les maladies que le monde a connues
autrefois avaient eu un fort impact sur les villes et sur leur
évolution. « Avec la Covid-19, nous subissons
aujourd'hui une double épidémie : en fragilisant le
système immunitaire,
Comment l'urbanisme peut-il s'inscrire dans une
démarche préventionnelle pour limiter le tout-médical ?
3 6 | 1 4 8
notamment des personnes âgées, les
maladies chroniques rendent plus vulnérables aux maladies infectieuses
»101 (Alerte Albert Levy).
L'épidémie nous a permis de prendre plus conscience que notre
époque est marquée par la déflagration des maladies
chroniques. Albert Lévy souligne que « Nous vivons
actuellement une véritable transition épidémiologique,
marquée par une explosion des maladies chroniques (...) ce sont les
tendances contemporaines de l'urbanisme qui sont interrogées : la
métropolisation ou croissance illimitée des métropoles,
l'étalement urbain et l'artificialisation des sols, la
périurbanisation excessive, la congestion des centres
sur-densifiés, mais aussi le développement urbain hors-sol, c'est
à dire la déterritorialisation, l'indifférence au lieu...
Toutes ces tendances, qui affectent nos lieux de vie, sont des causes probables
du développement des maladies chroniques »102
Les maladies chroniques sont qualifiées
d'épidémie mondiale par l'OMS : les maladies cardiaques, les
maladies cardio-vasculaires, le cancer, les problèmes respiratoires
chroniques, le diabète, les problèmes de vue ou d'ouïe sont
responsables de plus de 17 millions de décès par an. Elles sont
classées première cause de décès à
l'échelle mondiale103. C'est le cas des décès
prématurés des moins de 65 ans. Ces maladies chroniques sont
liées à l'environnement économique et social des
individus. La grande majorité des décès (plus de 80%) sont
recensés dans des foyers à revenus faibles104. Selon
l'OMS, le taux de ces maladies ne cessera d'augmenter sans que des actions
globales et intégrées, à même de sauver des vies, ne
soient menées.
III.4- Les inégalités sociales de
santé105 (ISS)
Du fait des nombreux risques de santé existants, les
villes souffrent d'une image peu engageante d'un point de vue de la
santé 106 . En plus des maladies liées à la
pollution, s'ajoutent également d'autres phénomènes
relevant de la psychologie et de la psychiatrie : le surmenage, les divorces,
les précarités, l'isolement social, l'éloignement des
équipements, etc.
101 « Que peut l'urbanisme contre les
épidémies? », Demain La Ville - Bouygues
Immobilier (blog), 26 mars 2020,
https://www.demainlaville.com/que-peut-lurbanisme-contre-les-epidemies/.
102 BOUTAUD, Santé & environnement Décryptage
- Tendances - interviews - initiatives Métropole de Lyon-Albert
Lévy, Architecte urbaniste, chercheur associé LAVUE UMR/CNRS
7218, membre du Réseau Environnement Santé (interview du
15/07/2017.
103 «
https://www.who.int/fr/director-general/speeches/detail/launch-of-the-report-on-women-and-health-today-s-evidence-tomorrow-s-agenda
», s. d.
104 Idem, art. déjà cité.
105 Cette partie est tirée des travaux de : D. Fassin, P.
Boino, L. Bourdeau-Lepage, L. Potvin et al
106 Gérard Salem et Alain Vaguet, «
Éditorial », Espace populations
sociétés, no 2006/2-3 (1 décembre
2006): 221-26,
https://doi.org/10.4000/eps.1421.
Comment l'urbanisme peut-il s'inscrire dans une
démarche préventionnelle pour limiter le tout-médical ?
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Les situations socioprofessionnelles, familiales et
culturelles sont considérées comme des éléments
majeurs d'augmentation des risques sanitaires. En effet, certains citadins sont
plus exposés à ces facteurs, ce qui favorise l'augmentation des
inégalités sociales de santé entre eux107.
Elles sont corrélées à une myriade d'indicateurs de
santé englobant ceux relatifs aux risques et aux résultats des
soins. Ce qui produit l'existence de ces inégalités, entre les
groupes sociaux, notamment dans le domaine sanitaire.
En effet, lorsque l'on observe l'évolution urbaine des
villes, on constate que l'approche fonctionnaliste prime sur l'aspect social,
sur l'occupation des espaces par les citadins et sur l'aménagement des
espaces108. Les typologies de discrimination engendrent la
relégation de certaines populations à l'extérieur de la
ville. Dans tous les domaines de la vie socio-urbaine, la discrimination
intègre la société entière, la désunit et la
décompose. Les individus sont dispersés ou relégués
selon leur appartenance sociale, leur ethnie, leur âge, ainsi nait le
phénomène de la ghettoïsation.109 De ce fait,
d'autres phénomènes sociaux se créent : communautarisme,
paupérisation et repli sur soi. En outre, dans d'autres lieux urbains de
la même ville, nous observons des quartiers résidentiels avec tous
les paramètres du bien-être. Cela reflète le
dysfonctionnement urbain du fonctionnalisme qui pèse encore dans la
typo-morphologie de nos villes : les populations ouvrières sont
reléguées loin des centres historiques des villes, dans des
grands ensembles éloignés des équipements et des services,
généralement implantés dans les banlieues et les
périphéries110. À cet effet, «
l'appropriation de la ville leur a été
ôtée, le temps leur échappe
».111 L'industrialisation, comme nous l'avons
exprimée auparavant, a engendré « un
éclatement de la ville traditionnelle, lui imposant une logique de
rentabilité et de productivité qui détruit toute forme de
créativité, de spontanéité et d'échange
jusque dans la vie quotidienne, désormais aliénée et
marquée par une désagrégation de la vie mentale et
sociale».112 D'où la définition des
inégalités sociales de santé selon Anne Guichard :
«[...] toute relation entre la santé et l'appartenance
à une catégorie
107 Lise Bourdeau-Lepage & Virginie Chasles, « Ville et
santé », Métropolitiques, 4 juin
2014,
https://metropolitiques.eu/Ville-et-sante.html.
108 Laurence Costes, « Le Droit à la ville de
Henri Lefebvre : quel héritage politique et scientifique ? »,
Espaces et sociétés 140-141,
no 1 (2010): 177,
https://doi.org/10.3917/esp.140.0177.
109 Costes. Art. déjà cité.
110 Laurence Costes, « Le Droit à la ville de
Henri Lefebvre : quel héritage politique et scientifique ? »,
Espaces et sociétés 140-141,
no 1 (2010): 177,
https://doi.org/10.3917/esp.140.0177.
111 Costes.
112 Idem
Comment l'urbanisme peut-il s'inscrire dans une
démarche préventionnelle pour limiter le tout-médical ?
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sociale »113
à partir de cela, on en déduit que toute organisation
socio-spatiale séparative, associée à un modèle
économique ultralibéral favorisent l'installation des
Inégalités Sociales de Santé en ville.
Les facteurs de ces inégalités de vies ont fait
l'objet d'une myriade de recherches. En effet, celles-ci ont été
réalisées sur les conditions de travail, les conditions et les
modes de vie, les catégories socio-professionnelles, les comportements
à risques, l'âge de la retraite, la politique de l'habitat, les
relations sociales, les politiques distributives à travers la
fiscalité et les aides financières directes. D'autres
études ont plus porté sur les comportements de chaque individu
par rapport à la santé qui sont étroitement liés
avec les facteurs sociaux114. À ces facteurs, on peut bien
évidemment rajouter l'accès aux soins primaires et
également les transports facilitant l`accès aux différents
services urbains, aux lieux de travail, aux lieux d'enseignement et aux espaces
de loisirs. Malheureusement, on constate qu'une grande partie des habitants
sont limités en termes de transports et ne peuvent pas ou peu
accéder à tous ces sites. Les causes de cette limite de
transports sont multiples : économique (prix du transport),
géographique (selon la situation de la résidence et la distance
des arrêts de bus, par exemple) ou physique (une personne à
mobilité réduite, âgée, etc.). Toutes ces causes
découragent certains habitants à se déplacer de
façon active et en particulier les personnes âgées, les
étudiants, les personnes à mobilité réduite ou
ayant un autre handicap, les populations les plus pauvres et les plus
défavorisées. De plus, les difficultés de transport
constituent également des obstacles à l'emploi, ce qui contribue
à installer les personnes les plus démunies dans une situation
précaire durable. Il en découle que le fait de ne pas pouvoir
accéder aux transports est une cause de la pauvreté et de
l'exclusion sociale et pas seulement une conséquence115.
Ces inégalités sociales de santé (ISS)
sont généralement marquées par des écarts
socio-économiques. Elles sont bien évidemment évitables
et/ou modifiables. Elles existent à toutes les échelles : entre
les femmes et les hommes mais également selon les catégories
socioprofessionnelles et les territoires. Les ISS ont une incidence forte sur
la santé des
113 Louise Potvin, Marie-José Moquet, et Catherine Marie
Jones, Réduire les inégalités sociales en
santé, Dossiers santé en action (Saint-Denis:
INPES, 2010).
114 Fassin, De l'inégalité des
vies.
115 François Desbiens, « Mémoire sur la
mobilité durable et la santé -Centre universitaire
intégré de santé et de service sociaux- de la
Capitale-Nationale- Quebec 2017- », s. d.
Comment l'urbanisme peut-il s'inscrire dans une
démarche préventionnelle pour limiter le tout-médical ?
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populations116. En France, les ISS sont
considérées comme étant les plus importantes d'Europe de
l'Ouest. Paradoxalement, son système de soins est évalué
parmi les meilleurs du monde : selon l'OMS, il est au premier rang de son
classement117.
Selon des études faites pour le compte de l'INSEE, ce
progrès sanitaire ne profite pas à tous de manière
équitable. Nous observons que ce progrès a été
profitable pour une minorité de la population, notamment la plus
favorisée. Si l'on compare à aujourd'hui l'espérance de
vie d'un cadre avec celle d'un ouvrier : l'espérance de vie d'un ouvrier
de 35 ans est de 7 ans de moins que celle d'un cadre ou d'un professionnel
libéral - pour les femmes, la différence est de 3
ans118. On peut déduire que l'état de santé et
du bien-être d'un individu est fortement lié à sa position
socio-économique et culturelle. Cependant, ces inégalités
suivent une classification sociale parmi les individus : une catégorie
sociale correspond à un niveau de morbidité ou de
mortalité plus élevé que la catégorie sociale
supérieure119. Par exemple, un habitant à
proximité immédiate du boulevard Bonnevay à Lyon est plus
exposé à des risques relatifs à la pollution qu'un
habitant du boulevard des Belges.
Un autre phénomène émerge de ces
inégalités sociales de santé : du fait de leurs faibles
revenus ou parce qu'elles ne connaissent pas très bien le fonctionnement
du système de santé, de trop nombreuses personnes se voient dans
l'obligation de renoncer aux soins dont elles ont besoin120. En
France, des enquêtes ont démontré qu'« En
2014, une personne sur quatre déclare avoir renoncé à au
moins un soin dans l'année pour des raisons financières. C'est
notamment le cas pour les soins dentaires, les équipements d'optique
médicale et les audioprothèses. En 2014, 17 % des personnes
déclarent avoir renoncé à des soins dentaires pour des
raisons financières, et 5 % à des soins médicaux. Les
dépassements sur les prothèses dentaires ont augmenté de
66 % en 10 ans, et le taux de dépassement moyen des médecins de
secteur 2 s'élève encore en 2016 à plus de 33 % des
honoraires malgré les mesures
116 « Léa-Roback centre de recherche sur les
inégalités sociales de santé de Montréal : LES
INÉGALITÉS SOCIALES DE SANTÉ: QU'EST-CE QUE C'EST?.
», consulté le 17 novembre 2021,
http://centrelearoback.org/coup_d_oeil/.
117 Didier Fassin, « Un aveuglement face aux
inégalités sociales de santé », entretien avec Didier
Fassin, directeur d'études à l'EHESS", OBSERVATOIRE DES
INEGALITES, 8 février 2008,
https://www.inegalites.fr/Un-aveuglement-face-aux-inegalites-sociales-de-sante-entretien-avec-Didier.
118 Marie-José Moquet, « la santé de l'homme
», no 397 (2008),
http://www.inpes.sante.fr/.
119 Idem, art. déjà cité
120 « adsp n° 102 - Reste à charge et
santé », consulté le 7 octobre 2021,
https://www.hcsp.fr/explore.cgi/Adsp?clef=159.
Comment l'urbanisme peut-il s'inscrire dans une
démarche préventionnelle pour limiter le tout-médical ?
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d'encadrement mises en place depuis 2011
».121
À travers l'éclairage apporté par les
différentes études et enquêtes, nous constatons que les
inégalités sociales de santé se sont
catégoriquement aggravées en France depuis les années
1970.122 Elles sont le résultat de différentes
politiques de rigueur menées en France et qui ont engendré une
régression des politiques sociales : baisse des dépenses
publiques, notamment en matière de santé, augmentation des
emplois précaires et baisse du pouvoir d'achat123 , etc.
Nous constatons donc que les politiques publiques sont
généralement responsables de l'aggravation des
inégalités sociales de santé, ainsi D. Fassin explique,
dans une interview : «on constate en France une tendance
structurelle des politiques : d'un côté, on produit davantage
d'inégalités sociales, notamment par les politiques fiscales mais
aussi de l'éducation et de l'emploi, et de l'autre, on s'attaque
à la pauvreté extrême : on se souci moins de la justice
sociale, mais on développe les programmes d'assistance- ce
décalage est caractéristique de toutes politiques
libérales dont on constate qu'elles finissent par se retourner contre
les pauvres, accusés de contribuer à leur propre
misère»124
De plus, dans son rapport de 2010, le Haut Conseil de la
santé publique (HCSP) soulignait qu'en France nous enregistrons les
inégalités sociales de santé les plus
élevées des pays d'Europe. Par ailleurs, elles ne cessent de
s'aggraver au cours de ces dernières décennies. Nous constatons
également d'autres formes d'inégalités : celles qui
concernent les territoires et les régions. Il existe une variation de
l'espérance de vie entre les habitants du Nord et du Sud. En effet, un
homme vivant en Ile de France a une espérance de vie de 77 ans
contrairement à un homme vivant dans le Pas de Calais dont
l'espérance est de seulement 73 ans. Pour les femmes : 84 ans en Ile de
France et 81 ans dans le Pas de Calais125.
Cela réside forcément dans la
temporalité et dans la complexité de la composition
socioéconomique de chaque territoire et régions, par rapport
à d'autres, et se traduit par des politiques de santé publiques
plus au moins favorables au droit à la santé des populations,
ainsi Paul Boino explique dans une interview que « Les
territoires budgétairement riches
121 « adsp n° 102 - Reste à charge et
santé », consulté le 7 octobre 2021,
https://www.hcsp.fr/explore.cgi/Adsp?clef=159.
122 Fassin, De l'inégalité des
vies.
123 Idem, art. déjà cité
124 Fassin, « Un aveuglement face aux
inégalités sociales de santé », entretien avec Didier
Fassin, directeur d'études à l'EHESS".
125 Marie-José Moquet, « Inégalités
sociales de santé : des déterminants multiples -LA SANTÉ
DE L'HOMME - N° 397 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2008 -département
Qualité des pratiques et formation, Ddeset, INPES », s. d.
Comment l'urbanisme peut-il s'inscrire dans une
démarche préventionnelle pour limiter le tout-médical ?
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étaient aussi les territoires socialement
pauvres. Industriels et ouvriers, ils disposaient de ressources plus
importantes mais devaient supporter des charges plus fortes du fait des besoins
en services publics et en services sociaux de leurs administrés.
À l'inverse, d'autres territoires plus résidentiels
étaient sans doute riches socialement mais ils étaient pauvres
budgétairement, car ils n'accueillaient pas beaucoup d'entreprises.
Là aussi, il n'y avait pas de problème en soi : les
inégalités territoriales généraient de la justice
sociale ; les moyens se situaient là où étaient les
besoins. La situation actuelle est sensiblement différente. Certains
territoires se retrouvent tout à la fois socialement et
budgétairement pauvres tandis que d'autres sont simultanément
riches de leur population et de leurs entreprises
»126. En effet, certains territoires pauvres se
voient vidés, progressivement, de leur population et par
conséquent de leur richesse socio-économique.
III.5- La temporalité de la ville : synchronisation des
temps sociaux
L'histoire et l'organisation de nos sociétés
occidentales sont marquées par une approche économique de
l'espace et du temps. Plus précisément, l'organisation sociale du
temps est structurée par la gestion de l'espace en imposant un rythme
aux individus dans une logique d'accumulation de profits qui ne cesse de
progresser depuis la première révolution
industrielle127. Concrètement, au XIXème siècle
notamment, la conception urbaine a été pensée pour
faciliter l'accès aux usines dans une temporalité optimale.
126 PAUL BOINO, LES ENJEUX DE SOLIDARITÉ POUR LE GRAND
LYON.,
https://www.millenaire3.com,
18 décembre 2012,
https://www.millenaire3.com/Interview/2013/les-enjeux-de-solidarite-pour-le-grand-lyon.
127 François Ascher, « Du vivre en juste à
temps au chrono-urbanisme », Les Annales de la recherche
urbaine 77, no 1 (1997): 112-22,
https://doi.org/10.3406/aru.1997.2145.
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démarche préventionnelle pour limiter le tout-médical ?
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Le temps n'est pas une notion unique.128 En effet,
il correspond à plusieurs réalités sociales comme
personnelles. Ainsi, le temps est différencié par rapport
à des caractéristiques fonctionnelles ou sociales. Il existe donc
quatre temps principaux rythmant le quotidien. Le premier temps est
physiologique, à savoir les rythmes de repas, de sommeil, de bain etc.
Le deuxième temps relève de la vie professionnelle et
estudiantine et est donc structuré par les horaires de travail et de
cours. Le troisième est consacré aux travaux domestiques et
comprend également le temps consacré à l'éducation
des enfants. Enfin, le dernier temps est celui des loisirs privés
(lecture chez soi par exemple) comme à l'extérieur (aller au
cinéma, au théâtre, au sport etc.). Les quatre temps
présentés ne peuvent être réalisés en dehors
d'un cadre social. L'ensemble de ces activités sont donc
elles-mêmes des produits sociaux. En cela, nous pouvons
déjà penser ces temps comme des temps sociaux en tant que partie
prenante des activités de la société. Nous ne nous
limitons à cette définition. Plus que partie prenante, nous
définissons le temps social comme produit de la diversité des
activités sociales qu'il organise et qu'il
rythme129. Cette notion n'est pas nouvelle, elle est
empruntée aux travaux de Durkheim130 (Durkheim,1912). Nous
l'adoptons car nous adhérons au point de vue que la
société constitue une unité qui structure les vies des
individus. En revanche, nous adoptons le point de vue de temps sociaux
multiples. En effet, toute pratique sociale amène à la production
d'un temps social. Par exemple, aller au marché, à
l'école, au travail, constitue un certain temps d'activité
quotidienne pour un individu. Ces temps se coordonnent et s'organisent entre
eux. Par exemple, un certain temps passé au marché sera au
sacrifice d'une autre activité, aller à la bibliothèque.
De même, le temps passé dans les transports indique les
activités possiblement réalisables131.
Par la suite, nous faisons l'hypothèse que les temps
sociaux sont majoritairement structurés en ville. Ceci est une
assomption raisonnable car comme nous l'avons montré le mouvement
historique est celui d'un exode rural vers la ville et aujourd'hui plus d'un
individu sur deux vit en ville dans le monde 132. Nous pouvons donc
négliger l'étude des campagnes concernant les
128 Joseph Moreau, « Le Temps selon Aristote (à
suivre) », Revue Philosophique de Louvain 46,
no 9 (1948): 57-84,
https://doi.org/10.3406/phlou.1948.4129.
129 Roger Sue, « La sociologie des temps sociaux : une voie
de recherche en éducation », Revue française de
pédagogie 104, no 1 (1993): 61-72,
https://doi.org/10.3406/rfp.1993.1289.
130 Igor Martinache, « Emile Durkheim, Les formes
élémentaires de la vie religieuse »,
Lectures, 20 février 2009,
https://doi.org/10.4000/lectures.726.
131 Sue, « La sociologie des temps sociaux ».art.
déjà cité
132 Jacques Véron, « La moitié de la
population mondiale vit en ville », Population &
Sociétés 435, no 6 (2007):
1-4.
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démarche préventionnelle pour limiter le tout-médical ?
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temps sociaux133. Les différents temps
sociaux en ville se matérialisent dans des espaces (les bâtiments
d'administration, les entreprises, les écoles, les parcs, les centres
commerciaux etc.). De fait, les emplois des espaces urbains sont liés
aux emplois du temps. Ce principe s'appelle « chronotopie
»134. L'approche par ce principe permet de définir les
chronotopes comme «lieux de confluence de la dimension
spatiale et de la dimension temporelle» 135.
La ville concrétise donc des rythmes coexistant et
interagissant entre eux. Il s'agit alors de s'intéresser
concrètement à cette polyrythmie afin de comprendre les
problématiques et enjeux qu'elle engendre. Cette polyrythmie est prise
en compte à partir de trois formes principales, à savoir, les
temps sociaux multiples, l'utilisation multiple simultanée (polychronie)
des lieux ou l'utilisation différée (polyvalence
séquentielle) des espaces. L'absence de vision globale intégrant
ces trois problématiques empêche l'avènement d'un urbanisme
pensé par le rythme. Ainsi, la vision urbanistique majoritaire
aujourd'hui ne prend pas suffisamment en compte l'articulation des temps
urbains. La majorité des temps sont standardisés en fonction des
horaires de travail. L'organisation de la ville a concentré les espaces
relatifs à certaines activités entre eux (Zone industrielle, Zone
d'activité, Zone résidentielle etc.) et a calé les
transports en fonction de leurs horaires. Ce manque d'articulation
entraîne une synchronisation trop importante des temps sociaux, ce qui
engendre des congestions sur les routes aux heures de pointe, de la pollution,
de l'anxiété etc.
Depuis une trentaine d'années, nous constatons une
accélération des changements dans notre organisation des temps
journaliers. En effet, plusieurs facteurs conduisent à ces
transformations. Premièrement, nous observons une évolution dans
l'organisation du travail. En France, les temps de travail ont
évolué avec les changements de contrat de travail. Les 35h
hebdomadaires ont engendré du temps libre. Les emplois
intérimaires, l'ubérisation du travail, les contrats de mission,
les CDD courts, les temps partiels ainsi que l'augmentation du chômage
conduisent également à du temps libre et à une
transformation des horaires et jours de travail. À cela, il s'ajoute le
développement technologique qui crée une connexion
quasi-permanente à des activités sociales induisant des temps
artificiels. Cela perturbe également les rapports entre individus qui
peuvent se contacter en temps réel. De fait, la temporalité
133 Nous négligeons l'étude des campagnes sans
pour autant dire que cette étude ne mérite pas une attention.
134 Sandra Mallet, « Aménager les rythmes :
politiques temporelles et urbanisme. »,
EspacesTemps.net
Revue électronique des sciences humaines et sociales.,
2013,
https://www.espacestemps.net/articles/amenager-les-rythmes-politiques-temporelles-et-urbanisme/#.
135 Luc Gwiazdzinski, « Chronotopies -
L'événementiel et l'éphémère dans la ville
des 24 heures (Chronotopia - The happening and the ephemeral in the 24 hour
city) », Bulletin de l'Association de géographes
français 86, no 3 (2009): 345-57,
https://doi.org/10.3406/bagf.2009.2679.
entre les moments de travail et de non-travail est poreuse.
De plus, les transports permettent aujourd'hui une accessibilité plus
rapide des lieux. Ainsi, les rythmes sociaux s'accélèrent, et les
activités se concentrent sur des temps de plus en plus courts. Cela a
pour conséquence de créer des sentiments d'urgence, une certaine
pression temporelle, du stress, ainsi qu'une peur de ne plus suivre le
rythme136. L'ensemble de ces évolutions engendre plusieurs
problèmes. Premièrement, des inégalités sociales
naissent du fait qu'en fonction de notre niveau social, l'usage et la
maîtrise du temps diffèrent car l'accessibilité aux
chronotopes n'est pas égale. Ainsi, certaines classes sociales peuvent
suivre l'accélération des rythmes et des besoins engendrés
quand d'autres ne le peuvent pas. Deuxièmement, la pression temporelle
augmente les conflits à divers moments. Enfin,
l'accélération des temps sociaux implique des perturbations des
rythmes biologiques. En effet, notre repos et notre sommeil sont
perturbés, nos temps de repas également, ainsi que notre niveau
de bien-être avec l'augmentation du stress. De ce fait, l'organisation du
temps représente un enjeu d'aménagement urbain capital depuis ces
dernières décennies137. En France, s'inspirant du
modèle italien, les politiques temporelles naissent à la fin des
années 1990. Elles cherchent à influencer des temps journaliers,
des chronotopes et sur l'accessibilité à ces derniers afin que
les divers temps des individus puissent être coordonnés. Cette
volonté a amené à la création en 2001 des Bureaux
des Temps, aussi appelés Espaces des Temps, Maison du Temps, Mission
Temps de la ville138, etc.
Comment l'urbanisme peut-il s'inscrire dans une
démarche préventionnelle pour limiter le tout-médical ?
4 4 | 1 4 8
136 Elodie Wahl, « Hartmut Rosa,
Accélération. Une critique sociale du temps »,
Lectures, 16 avril 2010,
https://doi.org/10.4000/lectures.990.
137 Mallet, « Aménager les rythmes : politiques
temporelles et urbanisme. » art. déjà cité.
138 Idem, art. déjà cité