L'histoire de nos villes témoigne du lien ontologique
étroit et varié que nourrissent l'urbanisme et la santé.
L'urbanisme est donc le traitement idéal contre les différentes
épidémies rencontrées au cours du XIXème
siècle (peste, choléra) et au début du XXème
siècle (la tuberculose). Ce lien s'est délité
progressivement depuis 1920 et l'articulation entre la médecine et
l'urbanisme ne fonctionne plus. Nous observons deux phénomènes
concomitants qui vont provoquer une rupture entre la santé et
l'urbanisme.44
40 Par Richard_admin, « Urbanisme et
médecine, une brève histoire des rapports »,
Réseau Environnement Santé (blog), 7
janvier 2016,
https://www.reseau-environnement-sante.fr/urbanisme-et-medecine-une-breve-histoire-des-rapports/.
41 Maurice Blanc, « Albert Lévy (coord.),
Ville, urbanisme et santé. Les trois révolutions »,
Revue des sciences sociales, no 52 (16
mars 2015): 159-60,
https://doi.org/10.4000/revss.3306.
42 Albert Lévy, « Sortir de l'impasse du
débat moderne/post-moderne. Pour la recherche d'un nouveau rapport
théorie/pratique en urbanisme », Villes en
parallèle 17, no 1 (1991): 314-23,
https://doi.org/10.3406/vilpa.1991.1150.
43 Cette partie est tirée des travaux de :
M. Blanc, P.Boino (IUL), A. Levy, M.- J. Imbault-Huart , W.Dab, S. Fleuret
etc.
44 PAUL BOINO, « Ville et santé:
Portée et limites d'une construction objectivée des
problèmes publics-M1 Urbanisme et aménagement -Dynamiques
urbaines- 2020- Institut d'Urbanisme de Lyon (IUL) Université Lyon 2- 75
pages » (2020).
Comment l'urbanisme peut-il s'inscrire dans une
démarche préventionnelle pour limiter le tout-médical ?
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Premièrement, les politiques de santé se
sectorisent. Dans cette logique, le Ministère de la Santé a vu le
jour en 1920. Une rationalité médicale s'installe. La
santé est donc abordée et confortée dans une approche
biomédicale, elle n'aborde que les problématiques des maladies
que seul le corps médical peut traiter, grâce à la
médication bien sûr.
En effet, Durant les 30 Glorieuses, l'essor économique
a permis à la médecine de faire un progrès spectaculaire
en matière de recherche biomédicale et biotechnologique. En
effet, cet essor de la connaissance médicale n'a pu être
ajusté « qu'au prix d'une hyperspécialisation
qui conduit le médecin, d'une part à chercher toujours plus de
certitudes dans la seule technologie, d'autre part, à se
désintéresser de l'évolution de la société
dans laquelle il vit et à négliger le poids de l'environnement,
des mentalités et de l'héritage culturel dans l'apparition de la
maladie et de son vécu ».45 Cette
idée du progrès scientifique et cette tendance à faire
appel à la technologie pour tout diagnostic et thérapie, sont
renforcées par le fait que le médecin perd la maîtrise du
progrès médical.46
En effet, la recherche scientifique, notamment celle relative
aux laboratoires pharmaceutiques, associée à celle de l'industrie
évolue principalement sans la participation des médecins, ce qui
est aux antipodes de ce qui se pratiquait au XIXe siècle. Le corps
médical, confronté à une crise importante, doit
gérer une forte transformation qu'il lui est impossible
d'appréhender sereinement de par sa formation très technique.
47
Progrès médical et croissance économique
interagissent continuellement pour permettre aux budgets de santé
d'augmenter. Tous (l'Etat et la société) s'accordent à
considérer la santé comme étant précieuse et
inestimable et que si l'on donne une place importante à la
médecine, la santé n'en sera que meilleure. Aujourd'hui, la
santé n'est pas seulement le fait de vaincre les maladies par des
traitements, c'est aussi le bien-être dans son ensemble. Mais la
médecine actuelle prône la santé par la médication,
la technologie, le biomédical, etc. Elle en oublie la prévention,
essentielle pour éviter certaines maladies et ne laisse que peu de place
à la santé environnementale, très compliquée
à mettre en oeuvre de par les différents
45 Marie-José Imbault-Huart, « Où
va l'histoire de la médecine? », in Pour l'histoire de
la médecine: autour de l'oeuvre de Jacques Léonard: actes de la
journée d'études, Presses universitaires de Rennes,
1994.
46 idem
47 idem
facteurs dont elle dépend : génétique,
psychologique, socio-économique,
Comment l'urbanisme peut-il s'inscrire dans une
démarche préventionnelle pour limiter le tout-médical ?
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environnementaux48
L'évolution technologique et l'industrialisation de la
médicalisation, associée à la spécialisation
croissante de la médecine, au cours du XXème siècle, vont
peu à peu écarter les médecins et les « encelluler
» dans des cabinets. Ces deux éléments vont également
inciter à la « rupture de l'union sacrée entre
santé et urbanisme »49
La médecine scientifique continue de progresser
à grands pas et durant une grande partie du XXème siècle,
elle éclipsera assez largement l'idée de prévention
collective contenue dans l'hygiénisme.50 Le modèle
biomédical centré sur le soin du corps va s'imposer et peu
à peu va se construire «un paradoxe entre le rôle
réel de l'environnement comme facteur de santé et l'importance
relative qui lui est accordée aujourd'hui dans le champ sanitaire
» 51
Deuxièmement, de son côté, l'urbanisme se
sectorise avec la création du ministère de l'équipement.
Il suit son propre chemin, en laissant de côté la question de la
santé qui ne fait plus partie de ses attributions. L'urbanisme va
plutôt se consacrer aux problématiques de fonctionnement de la
ville, aux flux et à la mobilité, à l'esthétique,
à la gestion du foncier, produisant de nouveaux modèles
urbains52. En effet nous observons actuellement un fonctionnement
fermé et en silo des professionnels de la médecine, de
l'environnement et de l'urbanisme. Ils sont réfractaires à une
réflexion intersectorielle et transdisciplinaire ainsi qu'à
l'adoption d'une approche systémique de la santé
nécessaire à la promotion d'un urbanisme53
préventionnel et favorable à la santé.
48 Marie-José Imbault-Huart, «
Histoire de la médecine. Luxe ou nécessité à la fin
du XXe siècle », Histoire, économie et
société 3, no 4 (1984): 629-40,
https://doi.org/10.3406/hes.1984.1382.
49 Fleuret, S-L 'évolution de la santé et la
place de la médecine dans la société- Janvier 2012- ESO
Angers- Espace et société-UMR 6590 CNRS - université
d'Angers
50 idem
51 William Dab, Santé et
environnement, 4e éd. mise à jour, Que sais-je?,
n° 3771 (Paris: Presses universitaires de France, 2012).
52 « Urbanisme et santé : de l'hygiénisme
à l'écologisme - ContreTemps la revue », consulté le
16 novembre 2021,
http://lesdossiers-contretemps.org/2020/03/14/urbanisme-et-sante-de-lhygieniste-a-lecologisme/.
53 Anne Roué Le Gall, « «Agir
pour un urbanisme favorable à la santé, concepts & outils
» ; Guide EHESP/DGS, ROUÉ-LE GALL Anne, LE GALL Judith, POTELON
Jean-Luc et CUZIN Ysaline, 2014. », Guide (EHESP, 2014).