10 CONCLUSION
Pour aborder le thème des interruptions de tâche,
j'ai dû m'intéresser à tous les mécanismes qui
décrivaient entre autres les concepts de gestion des risques et de
« faillibilité humaine » pour reprendre les termes de la Haute
Autorité de Santé. J'ai pu comprendre ainsi, d'après
certaines études, que ce phénomène touchait
particulièrement les professionnels de santé et notamment les
infirmiers qui étaient interrompus 6 à 7 fois par heure en
moyenne lors de la préparation des médicaments. Des
résultats, d'après ces mêmes études, mettaient en
avant le lien étroit entre les interruptions et le fait que
l'équipe soignante, avec qui les IDEs collaborent, était une
source importante d'IT. Lorsque j'ai traité la notion de travail
d'équipe dans mon cadre conceptuel, je me suis aperçu qu'il
n'était pas aisé de faire le rapprochement entre facteur humain
et interruptions car cet « esprit » d'équipe est indispensable
dans nos établissements de santé, surtout au bloc
opératoire. Cependant j'ai appris, malgré tout, qu'il pouvait y
avoir un grand nombre d'évènements indésirables en lien
avec les IT provoquées par les professionnels de santé en
général. Avec mon expérience en tant qu'étudiant,
il m'a semblé intéressant de pouvoir faire l'analyse de ces
interruptions de tâche dans la pratique de l'IADE.
Rédiger ce mémoire professionnel fût
très enrichissant tant d'un point de vue personnel mais aussi en tant
que futur professionnel. En effet, j'ai pu acquérir de vraies
connaissances sur le sujet des interruptions de tâche mais il m'importe
davantage de pouvoir le partager, plus tard, avec mes futurs collègues,
car c'est une notion qui tend à être observée et
évaluée de plus en plus par nos sociétés savantes.
La Haute Autorité de Santé en a déjà publié
un fascicule numérique en 2016. J'ai appris entre autres que des
formations sur les erreurs médicamenteuses (fortement impactées
par les IT) étaient aussi dispensées aux IDEs de l'île de
La Réunion depuis peu, ce qui renforce l'idée que ce thème
est très actuel.
Les cours et les rendez-vous pédagogiques que j'ai
suivi à l'Institut Régionale de formation des Infirmiers
Anesthésistes Diplômés d'État de Saint-Pierre
(IRIADE) m'ont permis de mieux cibler les études et les documents dont
j'avais besoin pour construire mon travail de recherche de fin
d'étude.
La situation d'appel dans laquelle j'explique les raisons de
ce choix pour ce thème m'ont amené finalement à me poser
cette question de départ :
Les interruptions de tâche sont-elles
fréquentes au bloc opératoire et de quelles manières se
manifestent-elles dans la pratique IADE de l'ouverture de salle (ouverture de
site en début de journée et entre chaque intervention)
jusqu'à l'incision ?
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Pour répondre à cette question, j'ai donc fait
le choix, d'une enquête observationnelle en utilisant une grille
d'évaluation élaboré par la Haute Autorité de
Santé qui a fait ses preuves lors d'une précédente
étude sur le phénomène des IT. J'ai néanmoins
dû la modifier pour l'adapter à ma recherche dans le cadre de la
pratique IADE. Elle a été séquencée en cinq
domaines d'activités, eux-mêmes détaillés par les
différentes tâches que l'IADE effectue pendant ces
périodes.
Cette enquête, comprenant 45
observations, m'a apporté des réponses essentielles et
m'a permis d'affiner mon approche et de comprendre précisément
qu'il existait un grand nombre d'IT, de différents types, motifs et pour
des raisons assez diverses. J'ai surtout appris, en observant les
réactions des IADEs, qu'elles n'étaient pas toutes
gérées de la même façon.
D'après mes résultats, sur 164 IT
identifiées, les interruptions se manifestent
spontanément pendant la période de l'induction jusqu'à
l'installation chirurgicale finale avant l'incision. L'IADE, en collaboration
avec le MAR, est interrompu majoritairement lors de la
pré-oxygénation. L'équipe (IBODE, MAR, chirurgien, IDE de
salle) au complet à ce moment précis de la PEC pourrait
être une des raisons pour laquelle l'IADE est si souvent interrompu
durant cette tâche. Cependant, ces motifs d'IT sont pour la plupart
« justifiés ». Il a été également
relevé que les cinq tâches les plus interrompues,
dans chaque séquence, regroupent à elles seules presque la
moitié des IT qui peuvent être responsables
d'évènements indésirables évitables. Des solutions
existent mais sont-elles adaptées à la pratique IADE et à
l'organisation complexe du BO ? Comment discerner, à l'échelle
des professionnels les IT « justifiées » et
celles « non-justifiées » ? Nous pouvons
certainement cibler nos efforts sur ces cinq tâches ou la séquence
couvrant la période de l'induction jusqu'à la finalisation de
l'installation pour diminuer significativement les IT. Cependant, de nouvelles
études plus qualitatives et un travail collectif de sensibilisation (qui
concernerait tous les acteurs du BO) semblent être nécessaires
afin de mettre en lumière les véritables axes
d'amélioration que nous pourrions élaborer. Lutter
contre les IT « non-justifiées » ne
doit pas entraver l'ambiance qui peut régner dans une équipe du
BO mais peut faire l'objet d'une collaboration interdisciplinaire afin de faire
émerger une communication adaptée en fonction des tâches de
chacun dans une démarche commune de sécurisation des soins.
Les IADEs qui ont été observés, se
laissent peu interrompre dans la majorité des cas et parviennent
même à poursuivre leurs tâches, malgré les
interruptions auxquels ils sont confrontés. Ce qui confirme
l'hypothèse, développer dans mon cadre conceptuel, que l'IADE
semblerait « s'immuniser » contre ce phénomène
grâce à une technique de résistance mentale qui lui permet
de faire plusieurs choses en même temps tout en restant concentré
et sécuritaire dans sa pratique. Habitué à partager et
collaborer avec tous les acteurs du BO, l'IADE semblerait se prémunir de
manière
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efficace car d'après mes observations, peu
d'interruptions ont perturbé sa pratique de manière durable. De
par sa formation, j'ai pu mettre en avant que celui-ci pouvait jouer un
rôle important dans la gestion du facteur humain au bloc
opératoire et donc qu'il participe activement à la culture de
sécurité qui est primordial au BO. Cependant est ce que cela est
véritablement perçu de façon formelle par les IADEs et les
autres membres de l'équipe du BO et surtout applicable
préventivement ? Dans une période où l'ambulatoire semble
se développer à grande vitesse, pourrions-nous continuellement
« banaliser » ce phénomène alors que l'on tend vers des
interventions de plus en plus courtes et rapides ?
Mêmes si ces IT ont une durée moyenne
inférieure à 1 minute et se déroulent
généralement au sein de la salle d'opération, car la
plupart des tâches de l'IADE s'y effectuant, elles ne doivent pas
être sous-estimées.
Cette enquête observationnelle a su
révéler les différentes facettes des IT (localisation,
types, origines, motifs, durée) que j'ai rencontré au bloc
opératoire des deux CHU de l'île de La Réunion.
C'est pourquoi, dans l'objectif d'une
amélioration de la sécurité des soins, une
sensibilisation sur ce phénomène est
nécessaire. En effet, ce type de pratique de plus en
plus « banalisé » et présent dans
notre organisation de travail, mériterait d'être mis en
lumière au sein de nos établissements de santé afin de
promouvoir une meilleure gestion des risques
et une plus grande efficience dans la
prévention des évènements
indésirables.
D'après un projet de recherche mené par une
équipe du groupe QualiREL santé
(structure régionale d'appui à la qualité et à la
sécurité des soins des Pays De La Loire) qui cherche à
« mesurer l'impact interventionnel portant sur les
interactions entre professionnels d'une équipe de soins sur
l'évolution des caractéristiques des IT évitables
», celui-ci conclu : « Les
conséquences des IT sont largement démontrées sur la
sécurité des soins : altération de la prise de
décision, retard, oubli d'information, erreur humaine, charges mentales
et psychiques des professionnels. Renforcer le travail en équipe, pour
permettre d'augmenter la performance, la satisfaction du travail et diminuer
les omissions dans les soins, est un enjeu majeur de réflexion pour la
gestion des IT évitables ».
Plusieurs ouvertures sont alors possibles et peuvent
être soulevées après avoir été
sensibilisé sur les IT. Cependant, une a particulièrement retenu
mon attention.
En effet, à travers la recherche que j'ai essayé
d'apporter à ce mémoire pour éclairer sur le fond de mon
contenu et mes observations sur le terrain, je me suis souvent interrogé
sur la manière dont les IADEs s'adaptaient face aux IT.
Même
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s'ils suivent la même formation, j'ai pu
découvrir néanmoins que chaque individu ne réagissait pas
de la même façon. L'expérience peut-elle répondre
efficacement aux IT ? Un outil, tel qu'un questionnaire destiné aux
IADEs, aurait pu nous donner une partie de la réponse à cette
question. Est-ce une question d'habitude ? Existe-il un modèle de
résistance « individualisé » aux
phénomènes des IT ? Le concept de résilience est-il un
outil neurocognitif parlant pour les IADEs et si oui est-il utilisé de
façon naturelle, étudié en formation ou encore appris de
manière autodidacte ? La priorisation des actes peut-elle renforcer le
sentiment d'être moins vulnérable aux risques inhérents du
BO ? Autant de question qui m'amène à croire sur la
nécessité de poursuivre cette enquête sous un autre angle,
en privilégiant cette fois-ci le vécu, l'expérience et les
capacités propres misent en oeuvre pour lutter contre ce
phénomène. Laisser s'exprimer les l'IADE ainsi que les autres
membres de l'équipe pluridisciplinaire du BO pourrait être un
complément d'enquête utile pour déterminer de nouveaux axes
de compréhension sur les IT.
« Le progrès fait rage, le futur ne
manque pas d'avenir... » (Philippe MEYER, écrivain et
journaliste sur France Inter).
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