101
6.6 Analyse globale des résultats de
l'observation
Après avoir détaillé dans son ensemble
les résultats de chaque séquence d'activités
de l'IADE de l'ouverture de salle jusqu'à
l'incision, je vais vous présenter ce qui en ressort d'un point
de vue global. Pour rappel, j'ai effectué 45 observations
parmi lesquelles j'ai pu identifier 164 interruptions de
tâche au total.
Dans un premier temps, nous pouvons finalement définir
la séquence la plus exposée aux IT durant mon enquête. Le
graphique ci-dessous, classé en ordre décroissant, nous montre
les périodes d'activités les plus touchées par les IT.
14,64
12
7,32
Induction et finalisation
Surveillance pré-incision
Accueil du patient et analyse du dossier
Ouverture de salle Installation du
patient au bloc opératoire
Répartition totale des interruptions de tâches
selon les 5 séquences d'activités répertoriées
dans la grille d'observation
69
20,73
Nombre d'IT Part en %
80
15,24
34
70
60
50
40
30
20
10
0
25 24
42,07
Graphique 1 : Répartition
totale des interruptions de tâches selon les 5 séquences
d'activités répertoriées dans la grille
d'observation
Il s'agit de la période qui couvre l'induction
jusqu'à la finalisation de l'installation du patient au bloc
opératoire. Ne disposant pas du temps exact qu'elle est
supposée durer, elle enregistre néanmoins une proportion de
42,07% soit 69 IT qui ont été
recensées sur la totalité (164 IT).
Période regroupant pas moins de 8 items, elle reste
parmi les plus pourvues en tâches techniques comme la
pré-oxygénation et l'intubation.
102
Cependant, il semblerait que l'IADE doit faire face à
un grand nombre d'interruptions qui peuvent être gênant dans sa
pratique et donc mettre en danger la sécurité des soins
prodigués au patient. Mais pourquoi existe-il autant d'IT à ce
stade de la prise en charge anesthésique ?
C'est aussi une période qui regroupe un effectif
important en termes de personnels de santé et ce dans un même
endroit. Nous verrons dans la discussion pourquoi cela est-il important de le
soulever. Par comparaison, la séquence « surveillance
pré-incision » qui regroupe 5 items a
été plus impactée par les IT (34 IT soit 20,73%)
que dans la séquence « ouverture de salle
». Elle regroupe pourtant 9 items (25 IT soit
15,24%), soit bien plus que l'autre séquence cité
ci-dessus. Cependant cette dernière (séquence « ouverture de
salle ») n'est pas dotée du même effectif professionnel que
la séquence couvrant la période « surveillance
pré-incision ». Nous pouvons donc nous poser la question si les IT
ne sont pas plus du fait de la présence d'un certain nombre d'individus
dans une même pièce plutôt que le fait que ces
séquences soient plus ou moins longues à effectuer ?
En regardant le tableau suivant, qui regroupe les
tâches les plus impactées de chaque séquence
d'activités par les IT, nous pouvons remarquer que la tâche «
pré-oxygénation/sédation inhalatoire
» est la plus affectée. L'IADE a été
interrompu 27 fois pendant cette tâche, soit une proportion de
16,46%.
Activités/Tâches
|
Nombre d'IT
|
Part en %
|
1 Pré-oxygénation et/ou
sédation inhalatoire
|
27
|
16,46
|
8 Préparation du plateau
d'anesthésie
|
18
|
10,97
|
2 Feuille d'anesthésie
(rédaction) paramètres, etc...
|
18
|
10,97
|
2 Monitorage et oxygénation
|
11
|
6,72
|
2 Recherche et analyse du terrain du
patient
|
5
|
3,05
|
TOTAL
|
79
|
48,17
|
|
Tableau 50 : Les 5 tâches de
l'IADE les plus affectées par les interruptions de l'ouverture de salle
jusqu'à l'incision et par séquences d'activités.
Toujours d'après ces résultats, ce qui est
intéressant de dégager, c'est l'ensemble des items qui ont
enregistré le plus de perturbations dans la pratique de l'IADE. Avec un
total de 79 IT (soit 48,17%), cela signifie que presque
la moitié de ces interruptions, se concentre sur
5 tâches, réparties dans chaque séquence
de la grille d'observation. Non seulement, nous pouvons affirmer que
les IT se manifestent
103
fréquemment de l'ouverture de salle
jusqu'à l'incision mais aussi qu'elles se focalisent sur des points
clés de la prise en charge anesthésique. En effet, nous observons
qu'elles touchent des points sensibles comme la «
préparation du plateau d'anesthésie » et la
« recherche et analyse du terrain du patient ». J'ai
été moi-même exposé à cette
difficulté, ce que je décris dans ma situation d'appel.
Que cela signifie-t-il ? Existe-t-il d'autres facteurs
déterminant la survenue de tels risques pendant ces tâches ? Quels
sont-ils ?
Dans un troisième temps, nous pouvons aussi clarifier
la localisation où se manifeste le plus d'IT ainsi que le type. Sans
surprise, la « salle d'opération »
comptabilise 95,12% des interruptions enregistrées
pendant l'enquête.
180
160
156
Répartition totale des interruptions de tâche selon
le lieu où elles se produisent
5 3,05 3 1,83 0 0
1 Salle d'opération 3 Couloir 2 Salle d'accueil 4
Autres
Nombre d'IT Part en %
95,12
140
120
100
80
60
40
20
0
Graphique 2 : Répartition
totale des interruptions de tâche selon le lieu où elles se
produisent.
Véritable plateforme pluridisciplinaire
pour les acteurs du bloc opératoire, il est intéressant
de retrouver une telle proportion puisque la « salle
d'opération » est le théâtre des
activités de chaque professionnel de santé qui s'y affère.
Regroupant pas moins de 5 individus en général
(Chirurgien, MAR, IBODE, IADE, IDE, etc...), la salle
d'opération est l'endroit qualifié le plus exposé
aux itinérantes interruptions de tâche.
104
Dans un quatrième temps, le graphique suivant montre la
répartition totale des IT selon le type d'IT :
Répartition totale des interruptions de tâche
selon le type d'interruption
19 16
11,59 9,76 6 3,66 1 0,6
140
122
120
100 80 60 40 20 0
74,39
2 Physique (contact humain, discussion avec l'iade)
|
4 Bruit 3 Alarmes 1 Téléphone,
smartphone
|
5 Autres
|
|
Nombre d'IT Part en %
Graphique 3 : Répartition
totale des interruptions de tâche selon le type d'interruption.
Avec une proportion proche des 75% (74,39%),
le « contact humain » qui est afférent au
type « physique » d'IT, domine de loin dans cette
catégorie. En effet, tout au long de mes observations, j'ai pu remarquer
que le travail d'équipe qui est le « ciment »
du bon fonctionnement d'un bloc pouvait être aussi la principale
cause des IT. Dans un système aussi hiérarchisé
où circulent et se croisent en permanence, les professionnels de
santé, les interruptions peuvent être démultipliées
en fonction du nombre de personnes qui y travaillent. Ce n'est pas un hasard si
un des impératifs de l'IBODE est de se préoccuper, entre autres,
de l'effectif circulant et nécessaire pour une intervention. Au
même titre que le risque infectieux, plus il y a d'individus dans une
même salle, plus le risque de véhiculer des IT est important. Une
étude qualitative pour évaluer cette hypothèse pourrait
certainement nous éclairer pour infirmer ou confirmer cela.
Dans un cinquième temps, concernant l'origine des IT,
les professionnels de santé seraient les plus à même
d'être la source. Ils représentent 71,95% des IT
rencontrées lors de mon enquête, soit 118 interruptions
sur 164. Qu'est ce qui pourrait justifier un tel résultat ? La
pluralité disciplinaire serait-il en cause ? Le BO serait-il un lieu
hospitalier favorisant les IT ?
120
4
2,44
2 Patient, famille
1 Professionnel de santé 3 Soi-même 4 Autres
(respi, scope,
etc...)
Nombre d'IT Part en %
Répartition totale des interruptions de tâche
selon
l'origine
118
18
14,63 10,98
24
140
71,95
100
80
60
40
20
0
105
Graphique 4 : Répartition
totale des interruptions de tâche selon l'origine.
En ce qui concerne les « auto » interruptions,
l'IADE mobilise 14,63% des IT. Ce qui pourrait
démontrer une certaine concentration sur ce qu'il fait. Les machines
« qui font du bruit » et les patients sont aussi peu
représentatifs des origines des IT, ce qui montre que l'IADE reste peu
perturbé par l'individu qu'il prend en charge et son environnement
technologique.
Parmi ces professionnels de santé, qui obtiennent
néanmoins des scores plutôt équilibrés, les
IBODEs semblent être les principaux professionnels, sources
d'IT. Ils représentent 32,2% (38 IT) parmi l'ensemble
des IT observées chez les professionnels de santé (118
IT). Ce qui constitue ma sixième analyse. Cela peut s'expliquer
par plusieurs paramètres :
§ En effet, il faut noter que les IBODEs effectuent leur
ouverture de salle au même moment que l'IADE. Celui-ci se retrouvant de
façon permanente en contact avec l'IBODE.
§ De plus, ils sont amenés à
échanger davantage sur la prise en charge des patients
car ils partagent des informations cruciales. Là
encore, il serait intéressant de questionner les IADEs sur les
professionnels qu'ils croisent le plus souvent pour confirmer ce constat.
106
§ Ensemble, ils accueillent le patient au bloc
opératoire afin de recueillir les éléments
nécessaires à sa prise en charge et les regrouper dans le dossier
médical. Ils l'accompagnent et l'installent au bloc, en collaboration,
puis le préparent techniquement en même temps.
§ La collaboration continue lorsqu'ils finalisent
l'installation chirurgicale et se poursuivra tout au long de l'intervention
jusqu'à la suivante.
Répartition totale des interruptions de tâche
selon le statut professionnel
30
25,42
|
22
|
|
|
|
|
18,65
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
10,17
8
|
|
|
|
|
|
|
5 4,24
|
3 2,54
|
|
|
|
|
|
MAR Chirurgien IDE de salle IADE
|
AS
|
Autres (interne, manipulateur radio, etc...)
|
|
Nombre d'IT Part en %
35 30 25 20 15 10
5
0
32,2
IBODE
Graphique 5 : Répartition
totale des interruptions de tâche selon le statut professionnel.
Les MAR recueillent 25,42% d'IT, les
chirurgiens 18,65%, les IDE de salle 10,17%,
les IADEs 6,78%, les AS 4,24% et les autres
(internes, manipulateur radio, etc...) 2,54%. Là aussi,
plusieurs facteurs sont à prendre en compte pour comprendre pourquoi les
résultats sont aussi variables comme dans l'hypothèse où
les IT se manifestent en fonction de l'heure d'entrée en salle des
différentes catégories de professionnels. Cela même, en
fonction de leurs implications dans l'intervention.
En effet, de l'ouverture de salle jusqu'à l'incision,
l'IADE rencontre ces différents acteurs à des
moments clés de sa prise en charge. Par exemple, les IBODEs et
les IADEs ouvrent la salle et arrivent donc les premiers. Le
MAR, qui travaille en collaboration avec l'IADE, fait son apparition
quelques instant plus tard, notamment en fin de check-list ou de
reconditionnement pour l'intervention suivante (cf.
107
paragraphe 2.1 « analyse des
résultats pour la période d'ouverture de salle (checklist
anesthésique) », tableau 5 « Nombre
et part des différents professionnels de santé responsables des
interruptions de tâche dans la pratique de l'JADE pendant l'ouverture de
salle. »).
Au moment de l'installation, tous les acteurs du bloc peuvent
être présents avec le chirurgien, les
IDEs de salle (qui sont aussi parfois faisant fonction d'IBODEs et
donc présents dès l'ouverture) ainsi que les
AS.
Cette observation démontre qu'à chaque
étape du déroulement des séquences d'activités de
l'IADE, celui-ci peut se retrouver confronter aux IT en fonction des
interventions de chaque acteur du bloc dans le processus de préparation
du site et de la prise en charge.
Un individu comme l'IBODE qui passe autant de temps au BO que
l'IADE va forcément avoir provoquer des IT. Les IT sont donc
proportionnels au temps partagé avec un autre individu.
Dans un septième temps, nous allons aborder les motifs
d'interruption de tâche. Précédemment décrit dans la
définition de la Haute Autorité de Santé, il existe des
interruptions « justifiées » mais aussi
« non-justifiées ». Celles qui concernent les
IT « justifiées » sont davantage attribuées à un
type collaboratif et coopératif, comme peut
l'être l'IADE avec le MAR ou d'autres professionnels. Pour rappel,
collaborer, c'est appuyer, contribuer, assister aux tâches d'autrui.
Coopérer, c'est aider, participer, échanger.
Même si le graphique suivant montre une part importante
d'IT « non-justifiées » (discussions non
professionnelles, perturbations sonores, etc...), la part de collaboration
représentée par les items « recherche d'information
», « apport d'information » et «
demande de l'aide » restent conséquentes. Elles
cumulent 46,95% des motifs d'IT «
justifiées » vs 53,05% pour les
IT « non-justifiées » (cf. graphique 7, page
99).
70
60
50
64
39,02
36
25
21,95
Répartition totale des interruptions de tâche selon
les
motifs
40
16 14
9,76 8,54 9 5,49
15,24
0
Nombre d'IT Part en %
30
20
10
108
Graphique 6 : Répartition
totale des interruptions de tâche selon les motifs.
77
Part des motifs "justifiés" et "non-justifiés"
"JUSTIFIÉS" "NON-JUSTIFIÉS"
46,95
Nombre d'IT Part en %
87
53,05
Graphique 7 : Part des IT «
justifiées » et « non-justifiées » dans la
pratique de l'IADE au bloc opératoire.
109
Avec l'objectif et le souci permanent de
sécuriser sa pratique, la prise en charge et
l'environnement du patient, l'IADE montre une
résistance particulièrement efficace
face aux IT de façon générale. Pour près
de la moitié des IT relevées dans cette enquête
observationnelle, l'IADE « ne se laisse pas interrompre
» tout en restant attentif aux informations qu'on lui donne. Il
enregistre un score de 51,22% (soit 84 IT), ce qui est
remarquable (cf. graphique 8, page 100).
Répartition totale des interruptions de tâche
selon les réactions de l'IADE face aux IT
90 84
51,22
42
34
20,73
80 70 60 50
40
30 20 10
0
3 1,83 1 0,61
25,61
2 Ne se laisse pas interrompre (écoute mais
poursuit sa tâche)
3 Stop la tâche initiale, débute
la tâche secondaire
puis reprend la
tâche initiale
|
1 Stop puis reprend la tâche
initiale (s'interrompt, fait face à son interlocuteur
et reprend sa tâche)
|
4 Stop la tâche initiale, débute
la tâche secondaire, mais ne reprend pas la tâche
initiale (oubli)
|
5 Autres (ex : relais pris par le MAR)
|
|
Nombre d'IT Part en %
Graphique 8 : Répartition
totale des interruptions de tâche selon les réactions de l'IADE
face aux IT.
Professionnel « multitâche
», l'IADE, de par sa formation, développe
des compétences et une pratique
sécurisée. La rigueur et
l'organisation ordonnées de son site
d'anesthésie font partie intégrante des responsabilités
qui le conduiront vers des prises en charge optimales laissant
peu de place à la survenue de risque pré, per et
post-opératoire. Il doit anticiper en permanence, afin
de garantir une maitrise de des risques liés à la
chirurgie, à l'anesthésie et au terrain du patient.
Cependant, il lui arrive malgré tout de suspendre sa
tâche initiale pour en débuter une autre avant de reprendre
celle-ci là où il l'avait stoppé
(25,61%). Faut-il y voir un défaut d'expérience
ou de sensibilisation à ce phénomène pour expliquer cela ?
Est-ce que les tâches secondaires étaient-elles plus importantes
que celles
110
initialement effectuées ? Je ne peux, malheureusement
pas apporter de réponse là-dessus car je n'ai pas pris en compte
cette subtilité.
3 IT mentionnant un « oubli
» de la part de l'IADE ont été observées
dans l'ensemble de mon enquête, ce qui représente peu et
démontre que l'on peut être « multitâche » et
concentré sur sa pratique en même temps.
Enfin, dans un huitième temps, le graphique exposant
la part des IT en fonction de leur durée, pourrait appuyer l'idée
qu'une interruption n'excédant pas une minute, permettrait à
l'IADE de plus facilement se prémunir face aux IT par rapport à
une perturbation qui serait plus longue.
Répartition totale des interruptions de tâche
selon leur
durée
180
|
|
|
|
153
160
|
|
|
|
140
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
100
|
|
|
|
|
|
80
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
40
|
|
|
|
|
20
|
|
6,71
|
|
|
0
|
|
|
0
|
0
|
|
|
|
|
|
1 Moins de 1 minute 2 De 1 min à 5 minutes 3 + de 5
minutes
Nombre d'IT Part en %
Graphique 9 : Répartition
totale des interruptions de tâche selon leur durée.
Avec une proportion équivalente à
93,29% (153 IT), les interruptions de tâche sont
majoritairement inférieures à une minute. Nous pouvons donc
penser qu'elles ne mobilisent pas toute l'attention de l'IADE car elles sont
relativement courtes, ce qui lui permet de ne pas perdre complètement le
fil conducteur de ses actes et ainsi de pouvoir remobiliser ces facultés
cognitives plus aisément.
|