L'idée rauwlsienne de justice comme fondement d'un état démocratique.par Honoré Yannick KITSIAKUDI Université de Kinshasa, faculté de lettres - Licence 2016 |
1.4.3. La justice et l'institution
Peut-on parler de la justice pour une institution ? Est-ce que c'est dans sa réalisation concrète ou en tant qu'objet abstrait ? Nous pouvons dire qu'il faudrait parler de la justice ou de l'injustice dans une institution réalisée et administrée effectivement et impartialement ? En effet, selon John Rawls, « l'institution comme objet abstrait est juste ou injuste dans le sens où le serait n'importe laquelle de ses concrétisations. Une institution existe à un certain moment ou en un certain lieu quand les actions qu'elle spécifie se réalisent régulièrement et que cela correspond à l'accord public sur l'obéissance au système de règles qui la définissent »31(*), sachant que ces règles ainsi que l'activité qu'elles définissent sont le résultat d'un accord, qu'elles imposent des exigences à tous les membres d'une institution donnée et qu'elles visent des buts généralement acceptés. Ces règles tracent des limitations réciproques auxquelles les individus doivent s'attendre dans leur conduite et dans les formes d'actions permises. Dans une société bien ordonnée, effectivement dirigée par une conception commune de la justice, est de mise une entente publique sur ce qui est juste et injuste. Ce qui donne à distinguer entre les règles constitutives, d'une part, et les stratégies et les maximes, d'autre part. Alors que les règles constitutives d'une institution ont pour rôle d'établir les différents droits et devoirs des citoyens, les stratégies et les maximes, elles, indiquent les moyens d'utiliser le mieux possible l'institution à des fins particulières. « Les stratégies et les maximes rationnelles sont basées sur une analyse des actions permises que choisiront les individus et le groupe en fonction de leurs intérêts, de leurs croyances et de leurs conjectures sur les projets des autres »32(*), mais elles ne font pas elles-mêmes partie de l'institution. Elles appartiennent plutôt à la théorie de l'institution qui prend en compte les règles constitutives et analyse la façon dont le pouvoir y est réparti, en expliquant comment les participants doivent préalablement profiter des occasions qu'elle offre33(*). Pour ce faire, « les règles devraient être faites de manière à ce que les hommes soient conduits par leurs intérêts prédominants à des actions qui favorisent des buts socialement désirables. Les conduites des individus guidés par leurs projets rationnels devraient être coordonnées autant que possible de façon à atteindre des résultats qui, bien que non intentionnels ou même imprévus pour eux, soient néanmoins les meilleurs du point de vue de la justice sociale »34(*). Aussi faut-il noter qu'une ou plusieurs règles d'une organisation peuvent être injustes sans que l'institution elle-même ne le soit. Pareillement, une institution peut être injuste, bien que le système social dans son ensemble ne le soit pas. Il y a donc possibilité que les règles et les institutions prises isolément ne soient pas suffisamment importantes en elles-mêmes, mais qu'à l'intérieur de la structure d'une institution ou d'un système social il y ait une injustice apparente compensant une autre35(*). Et puisqu'en outre une institution peut encourager ou sembler justifier des attentes qu'une autre peut nier ou ignorer, l'injustice apparait comme la conséquence de la façon dont ces attentes sont combinées ensemble pour former un seul système. Les principes de la justice jouent ici le rôle de la justice, c'est-à-dire ils attribuent les droits et les devoirs fondamentaux et ils déterminent la répartition des avantages de la coopération sociale. S'il faut prendre les institutions comme raisonnablement justes, il est aussi et alors important que les autorités soient impartiales, sans être influencées, dans leur manière de traiter les cas particuliers, par des considérations personnelles, financières ou autres36(*). A ce point donné, la justice revêt le sens et l'aspect de l'activité de l'autorité de la loi soutenant et garantissant des attentes légitimes des citoyens. Ne pas s'en tenir aux règles adéquates ou à leurs interprétations, lorsqu'il est question d'arbitrer les revendications est ressenti par contre comme une forme d'injustice. Et là où les lois et les institutions sont injustes, écrit John Rawls37(*), le mieux serait qu'elles soient appliquées de manière conséquente, de sorte que ceux qui leur sont soumis sachent au moins ce qui est exigé et essayent de s'en protéger eux-mêmes. Cependant, « il y a encore plus d'injustice si ceux qui sont déjà désavantagés sont aussi traités arbitrairement dans les cas particuliers, là où les règles pourraient leur donner une certaine sécurité »38(*). La force des revendications de justice formelle, l'obéissance au système dépend clairement de la justice réelle des institutions et des possibilités de les reformer. Là où l'on trouve la justice formelle, l'autorité de la loi et le respect des attentes légitimes, l'on a des chances de trouver aussi la justice réelle39(*). Par ailleurs, suivre des règles de manière impartiale et conséquente, traiter des cas semblables de manière semblable ou accepter les conséquences de l'application des normes publiques implique ou appelle le désir et l'intention de reconnaitre les droits et les libertés des autres, et de partager équitablement les avantages et les charges de la coopération sociale40(*). Et puisqu'il est question des normes publiques et donc des lois, Platon, à son temps, avait déjà écrit que « les hommes doivent nécessairement établir des lois et vivre selon des lois, sinon rien ne permet de les distinguer des bêtes les plus sauvages à tous égards. La raison en est la suivante : aucun être humain ne possède, en vertu de sa nature, le don de connaitre ce qui est le plus profitable aux hommes en tant que citoyens ; et même s'il le connaissait, il ne serait pas toujours en mesure de vouloir faire le meilleur »41(*). Pour lui donc, le véritable art politique doit se soucier non pas de l'intérêt particulier, mais de l'intérêt général qui apporte aux cités une cohésion que l'intérêt particulier fait voler aux éclats42(*). La justice, dans une institution, demande que celui qui occupe une position publique ait des obligations vis-à-vis des citoyens dont il a cherché la confiance et avec lesquels il coopère pour faire fonctionner une société démocratique. Cela doit se faire en conformité avec les règles en vigueur qui définissent la justice comme régularité. Car, « un système de lois est un système coercitif de règles publiques qui s'adressent à des personnes rationnelles pour régler leur conduite et fournir le cadre de coopération sociale »43(*). Justes, ces règles établissent une base pour des attentes légitimes, constituant des raisons pour la confiance mutuelle et justifiantipso facto les objections quand ces attentes ne sont pas comblées. Justes ou équitables, ces règles permettent que les hommes participent à une organisation et acceptent les avantages qui en résultent. Les obligations qui en découlent sont une base pour des attentes légitimes. Par contre, si les déviations par rapport à la justice comme régularité sont trop nombreuses, l'on peut se poser la question de l'existence d'un système légal. Pour ce faire, « les législateurs et les juges, ainsi que les autres autorités du système, doivent être convaincus qu'il est possible d'obéir aux lois ; et ils doivent admettre que tous les ordres donnés, quels qu'ils soient, peuvent être exécutés. En outre, les autorités doivent non seulement agir en toute bonne foi, mais celle-ci doit être reconnue par ceux qui sont soumis à leurs règlements »44(*). Ainsi, les lois et les ordres doivent être acceptés en tant que tels seulement si l'opinion publique pense qu'on peut y obéir et les exécuter. * 31 J. RAWLS, Théorie de la justice, p.86. * 32 J. RAWLS, Théorie de la justice, p.87. * 33 Cf. Ibid., p.87. * 34Ibid., p.87-88. * 35 Cf. Ibid., p.88. * 36 Cf. J. RAWLS, Théorie de la justice, p.90. * 37 Cf. Ibid., p.90. * 38Ibidem * 39Cf. Ibid., p.90-91. * 40 Cf. Ibid., p.91. * 41 PLATON, Les Lois, Paris, Gallimard, 1997, p.195-196. * 42 Cf. Ibid., p.196. * 43 J. RAWLS, Théorie de la justice, p.272. * 44Ibid., p.272. |
|