L'efficacité du recours pour excès de pouvoir au Sénégal.par Diacarya Coly Université Alioune Diop de Bambey - Master II en droit public, option Administration publique 2020 |
Sigles et abréviationsal. : alinéa B.A.C.E : bulletin des arrêts du conseil d'Etat B.A.C.S : bulletin des arrêts de la cour suprême B.I.C.S : bulletin d'information de la cour suprême C : contre CE : conseil d'Etat CGCL : code général des collectivités locales CS : cour suprême EMA : erreur manifeste d'appréciation IG : intérêt général J.O : Journal officiel N° : numéro p. : page pp. : pages PPP : prérogatives de puissance publique R.A.C.S : rapport annuel de la cour suprême REP : recours pour excès de pouvoir 6 Sommaire
Section 1 : La mise en oeuvre des procédures d'urgence dans le traitement du recours et l'allègement de la charge de la preuve 28 Section 2 : La mise en oeuvre d'un contrôle couvrant l'essentiel des illégalités susceptibles d'affecter un acte administratif 34 Deuxième partie : Les entraves à l'efficacité du REP 44 Chapitre 1 : Les difficultés d'accès au juge et la propension du juge à rejeter les requêtes d'annulation 44 Section 1 : Les difficultés d'accès au juge de l'excès de pouvoir 44 Section 2 : La propension du juge à rejeter les requêtes d'annulation 51 Chapitre 2 : Les limites relatives à la portée de la décision du juge ...57 Section 1 : La restriction de la protection des droits des administrés .57 Section 2 : Les difficultés relatives à la célérité du recours et à l'exécution de la décision d'annulation 63 Conclusion ..70 7 IntroductionDans chaque institution étatique, il apparait deux intérêts antagoniques : l'un se rapporte à l'intérêt général (IG) tandis que l'autre concerne l'intérêt des particuliers. Si la satisfaction des intérêts particuliers nécessite l'intervention de chaque individu pour son propre compte, il n'en va pas ainsi de l'IG dont la mission revient à l'Etat et en particulier son bras séculier à savoir l'administration. Cette dernière dispose des prérogatives de puissance publique(PPP) pour mener à bien sa mission d'IG. Ces prérogatives reflètent une inégalité juridique entre l'administration et les administrés. Inégalité qui se penche assurément en faveur de l'administration. Et malgré toutes ces PPP reconnues à celle-ci, elle n'était pas liée au départ par les textes juridiques. Cette période a coïncidé avec ce qui était convenu d'appeler l'Etat de police. Le propre d'un Etat de police est que l'administration n'est contrainte de se soumettre au respect du droit. De ce fait, ses actes même ceux à l'évidence illégaux peuvent légitimement échapper au contrôle juridictionnel. Cependant, la donne à changer depuis l'avènement de l'Etat de droit. Ainsi, rapporte Ousmane KHOUMA, « dans un Etat de droit, l'administration est tenue au respect des normes juridiques, elle est soumise à la loi et non hors la loi. Pour garantir les droits des citoyens, l'action administrative doit se dérouler selon les règles de référence préétablies et non de façon arbitraire ou selon la volonté de l'administration »1. Le passage de l'Etat de police à l'Etat de droit est dicté par l'impérieuse nécessité de protection des droits et libertés des administrés face à une administration toute puissante qui bénéficie des PPP. L'idée est que l'action administrative n'est pas irréprochable. C'est pourquoi, elle doit être encadrée pour éviter d'éventuelles atteintes aux droits et libertés des administrés. Cet encadrement s'opère par le truchement du contrôle juridictionnel. Ce contrôle apparait comme une nécessité absolue dans tout Etat de droit. Ce dernier revient comme un leitmotiv quasiment dans tous les Etats démocratiques. Le contrôle est si nécessaire qu'il vienne contrecarrer ou encore limiter le phénomène de la 1 KHOUMA (Ousmane), « Le contrôle de légalité externe des actes administratifs unilatéraux par le juge administratif sénégalais, un exemple de transposition de la jurisprudence administrative française », in revue Afrilex, mai 2015, p.3. 8 « maladministration2», pour reprendre l'expression de Prosper WEIL et Dominique POYAUD. Le développement fulgurant des droits de l'homme surtout en ce 21ème siècle requiert un contrôle interne ou/et externe de l'action administrative. Par ailleurs, le contrôle externe semble plus adapté aux exigences démocratiques en ce qu'il nécessite l'intervention d'un organe indépendant. Il est généralement assuré par les pouvoirs judiciaire et législatif et prend respectivement l'appellation de contrôles juridictionnel et parlementaire. Ce contrôle demeure incontestablement une garantie de l'Etat de droit. Ce dernier est défini comme : « un Etat dans lequel l'Etat et les citoyens sont soumis aux mêmes normes juridiques sous le contrôle d'une justice indépendante »3. Classiquement définit comme la soumission de tous au droit, l'Etat de droit vise également la protection des droits et libertés. De la conception formelle, une autre conception dite substantielle est venue s'ajouter. Ainsi, « l'Etat de droit n'évoque plus seulement l'existence d'un ordre juridique hiérarchisé, mais encore un ensemble de droits et libertés inscrits dans des textes de valeur juridique supérieur : par la suite, la hiérarchie des normes devient un moyen de protection de ces droits4 ». L'administration est donc soumise au respect de la légalité. Ce principe dont la base est la hiérarchie des normes est conçu à tel point que la norme inférieure puisse trouver sa validité dans la norme qui lui est immédiatement supérieure. La première doit être conforme ou compatible à la deuxième. Le défaut de compatibilité ou de conformité d'une norme inférieure vis-à-vis d'une norme supérieure constitue une illégalité qui sera sanctionnée d'annulation par le juge de l'excès de pouvoir s'il est saisi à cette fin. Au regard de la conception formelle, l'Etat de droit implique l'existence des voies de droit efficaces auxquelles les administrés peuvent recourir afin d'introduire une requête devant une instance juridictionnelle indépendante chargée de contrôler l'action administrative. Ces voies de droit et plus précisément les recours juridictionnels peuvent épouser plusieurs formes. Néanmoins, « les deux grands groupes de recours, entre lesquels se partagent l'essentiel de l'activité du juge administratif, sont les recours en annulation et les 2 WEIL (Prosper) et POYAUD (Dominique), Droit administratif, PUF, Que sais-je ?, 2008, p.75 3 Le constituant sénégalais a retenu cette définition dans le préambule de la constitution sénégalaise du 22 janvier 2001. 4 CAMARA (Mamadou Badio), allocution prononcée lors du séminaire sur « L'Etat de droit au Sénégal », Dakar, du 10 au 12 mars 2015, p.1. Http// :www.coursuprême.sn. Consulté le 5 janvier 2020. 9 recours de pleine juridiction »5. Ces deux recours relèvent respectivement du contentieux objectif et du contentieux subjectif. L'administré peut utiliser l'un ou l'autre pour contester les abus de l'administration lorsqu'elle prend des actes. Toutefois, seul le recours pour excès de pouvoir (REP) sera retenu dans le cadre de la présente étude. Ce dernier parvient t-il à atteindre son objectif au Sénégal ? Cette interrogation révèle toute l'importance du sujet relatif à l'efficacité du REP au Sénégal. Pour doter le sujet toute sa pertinence, il importe de le situer dans le temps. Ainsi, l'analyse du sujet doit porter sur le Sénégal indépendant6. Dans un souci de clarté, il est nécessaire de procéder à un éclairage conceptuel de tous les termes qui composent le sujet. A cet effet, il importe de préciser dans un premier temps la notion d'efficacité. Cette dernière est beaucoup plus usitée dans le secteur managérial que dans d'autres secteurs. Par ailleurs, vu son importance, elle doit avoir une place prépondérante dans tous les secteurs. Bien sûr que l'efficacité a une importance importante dans tous les secteurs de la vie. Cette importance ne manque également pas en matière juridique. Par efficacité, Jean-Claude TAHITA déclare que c' « est la qualité d'une chose qui produit l'effet attendu »7. Parler l'efficacité d'une chose revient dès lors à mesurer l'impact de cette chose en tenant compte de l'objectif qui lui a été assigné. En matière d'excès de pouvoir, il est loisible de parler d'efficacité à partir du moment que le REP génère des effets utiles à l'égard des administrés. C'est cette notion de REP qu'il sera question de passer en revue dans un second temps. Cette dernière est formée de deux termes essentiels à savoir le recours et l'excès de pouvoir. Le recours est nécessaire que ce soit en excès de pouvoir ou dans d'autres domaines où il faut opérer un contrôle juridictionnel. Il se présente à cet égard comme un préalable au contrôle juridictionnel. Ainsi, définit-on le recours comme : « tout moyen mis par le droit à la disposition d'une personne pour faire redresser une situation par une autorité publique, tout mode de réclamation juridiquement organisé 8». Un recours suppose donc l'existence d'une situation anormale dont il convient généralement de demander à une autorité juridictionnelle ou administrative d'en rétablir. En matière de REP, le 5 WALINE (Jean), Précis de droit administratif, DALLOZ, 27ème édition, 2018, p.642. 6 Le Sénégal a pris son indépendance le 26 août 1960. 7 TAHITA (Jean-Claude), « L'efficacité de la sanction contractuelle civile », in revue Afrilex, février 2015, p.2. 8 WALINE, (Jean), Précis de droit administratif, op. cit, p.758. 10 recours est porté devant la cours suprême qui est la seule instance juridictionnelle compétente. Il vise à sanctionner l'excès de pouvoir dont un acte administratif serait entaché. Que faut-il réellement comprendre par l'expression excès de pouvoir. La définition a été donnée par Jean WALINE lorsqu'il précise que : « son nom ne doit pas faire d'illusion : l'excès de pouvoir n'est rien d'autre que la non-conformité au droit 9». Tout acte émis par une autorité administrative doit être conforme au principe de légalité, faute de quoi il sera entaché d'illégalité ou d'excès de pouvoir. De part son caractère objectif, le REP ne peut être introduit que contre un acte administratif. C'est pourquoi, on dit que c'est « un procès fait à un acte » et non entre les parties. La seule question demandée au juge de l'excès de pouvoir est l'annulation de l'acte administratif illégal. Partant de ce fait, le recours pour excès de pouvoir peut être défini comme « l'action par laquelle toute personne y ayant intérêt peut provoquer l'annulation d'une décision exécutoire par le juge compétent en raison de l'illégalité de cette décision 10». Cette définition donnée par le professeur Demba SY mérite quelques précisions. D'emblé, il faut dire que le REP est introduit par une personne qu'elle soit physique ou morale. Toujours est-il que pour intenter un tel recours, la personne doit avoir un intérêt à agir car dit-on : « pas d'intérêt, pas d'action». Également, aucune personne ne peut agir au nom d'une autre personne sans mandat spécial. En matière d'excès de pouvoir, le requérant doit en principe contester la légalité des seuls actes administratifs unilatéraux. Toutefois, on constate aujourd'hui une extension du REP en matière contractuelle11. Les actes contestables en excès de pouvoir sont ceux édictés par une autorité administrative. En revanche, les actes législatifs, les actes juridictionnels etc. ne peuvent être contrôlés par le juge de l'excès de pouvoir. L'identification de ces actes s'avère très délicate du fait que la notion d'administration est difficile à saisir même dans le domaine juridique. Pour comprendre la signification de la notion d'administration telle que visée dans la présente étude, deux critères seront pris en compte. Il s'agit du critère organique et du critère fonctionnel. Dans le premier cas, « l'administration est un ensemble d'organes ayant en commun de relever de personnes 9Ibidem. p.638. 10 SY (Demba), Droit administratif : 2ème édition revue, corrigée et augmentée 2014, Sénégal, HARMATTAN-CREDILA, 2017, p113. 11 Voir infra, p.17, 19 et 20 11 morales, au sein desquelles agissent des personnes physiques »12. L'administration est ainsi constituée d'organes administratifs soumis au régime de droit public et d'organismes privés bénéficiant d'une délégation de compétence de la part d'une autorité administrative. Dans le second cas, « l'administration est considérée comme un ensemble d'activités qui se caractérisent à la fois par leurs finalités et par leurs modalités d'exercice »13. Celle-ci poursuit un objectif bien déterminé et se donne des moyens pour y parvenir. Ainsi, l'administration peut être perçue comme l'ensemble des personnes morales de droit public et des organismes privés bénéficiant d'une délégation de pouvoir dont le but est de mettre en oeuvre l'intérêt général. Ce sont les actes pris par de telles autorités qui sont considérés comme des actes administratifs et, par ricochet, attaquables en excès de pouvoir. Le requérant doit également viser dans sa demande la seule annulation de l'acte administratif illégal. Cette annulation n'est pas systématique puisque le juge saisi à l'occasion du REP peut rejeter la demande d'annulation de l'acte si celui-ci est légal, en cas de désistement de la part du requérant ou encore lorsqu'il n'a pas rempli les conditions d'introduction du recours. En outre, la demande doit viser une décision exécutoire. La notion de décision exécutoire est une notion polysémique. Trois sens lui sont généralement attribués. D'abord, elle est conçue comme une décision visant à modifier ou non l'ordonnancement juridique. Cette décision signifie ainsi une manifestation de volontés émises par une autorité administrative en vue de produire des effets de droit sur les administrés. Ensuite, elle peut signifier l'entrée en vigueur d'une décision administrative. C'est le sens souvent retenu par le code général des collectivités locales (CGCL) et la loi organique de 2017 sur la cour suprême. Enfin, la décision exécutoire traduit la force exécutoire qui trouve son expression la plus achevée dans l'application du principe du privilège du préalable. Ces trois significations ont été retenues par Charles DEBBASCH et Jean Claude RICCI. Pour ces derniers, « cela signifie en premier lieu que l'acte attaqué doit être un acte juridique. Et en deuxième lieu l'acte doit avoir force 12 CHRETIEN (Patrice), CHIFFLOT (Nicolas) et TOURBE (Maxime), Droit administratif, Dalloz, 1ère édition, SIREY-LMD, 2018, p.9. 13 Ibidem, p.5 12 obligatoire et être opposable aux administrés'4(...) ». Les trois significations données à la notion de décision exécutoire bien que distinctes ne s'excluent pourtant pas. Toutefois, la décision exécutoire telle que visée dans cette définition se rapporte au premier sens du terme à savoir une manifestation de volontés émises par une autorité administrative en vue de produire des effets de droits sur les administrés. Pour éviter toute confusion pouvant résulter de l'usage de la notion de décision exécutoire, il est préférable d'utiliser l'expression d'« acte décisoire ». L'exigence d'introduction du REP contre un acte décisoire permet d'exclure de son champ d'application certaines catégories d'actes. C'est le cas par exemple des avis, des circulaires interprétatives, des directives, des actes préparatoires etc. De même, le recours en annulation doit être porté contre un acte juridique. Sont donc exclus de son champ d'application, les actes matériels qui ne visent pas à modifier l'ordonnancement juridique. Enfin, le recours doit être intenté devant un juge compétent qui doit statuer sur le sort à donner l'acte querellé. En matière de REP, la compétence est exclusivement réservée à la cour suprême. C'est ce que dispose l'article premier de la loi organique sur la cour suprême. Aux termes dudit article : « la cour suprême est juge, en premier et dernier ressort, de l'excès de pouvoir des autorités administratives ainsi que de la légalité des actes des collectivités locales '5». Toute saisine d'une juridiction autre que la cour suprême est irrecevable. Les actes des autorités administratives susceptibles de REP, selon l'échelon ou se trouve l'autorité, peuvent être répartis en deux grandes catégories : les uns constituent les actes administratifs des autorités centrales pris dans le cadre de leurs fonctions alors que d'autres sont des actes pris par les autorités locales dans le cadre de leurs compétences. Dans le deuxième cas, il appartient aux représentants de l'Etat de déférer l'acte à la cour suprême pour annulation s'il estime que l'acte en cause est illégal. On est ainsi en présence du déféré16qui est considéré par la doctrine comme une sorte de 14 DEBBASCH (Charles) et RICCI (Jean Claude), Précis de contentieux administratif, DALLOZ, cinquième édition, p.743. 15 Article premier de la loi N° 2017-09 du 17 janvier 2017 abrogeant et remplaçant la loi organique N°2008-35 du 08 Août 2008 sur la cour suprême, J.O N° 6986 du mercredi 18 janvier 2017. 16 Il existe deux types de déférés : le déféré spontané et le déféré provoqué. Le déféré spontané ou simple relève de l'initiative du représentant de l'Etat tandis que le déféré provoqué est introduit par le représentant de l'Etat suite à la demande d'un requérant. 13 REP. C'est le cas de Olivier GOHIN, qui, s'intéressant à la question de savoir si le déféré est distinct du REP, disait ceci : « il doit être compris comme un recours pour excès de pouvoir de type particulier 17». De sa part, Birame SENE l'assimile au REP en précisant que le « contrôle de légalité par la voie du déféré, qui est un recours pour excès de pouvoir spécial18(...) ». Le déféré peut être assimilé au REP à quelques différences près. Il demeure ainsi son prolongement en ce qu'il vient ouvrir le REP contre les actes pris par les autorités locales dans le cadre du fonctionnement des services publics locaux. D'origine française, ce recours indispensable pour la protection des droits des administrés a été repris par la plupart des Etats africains de tradition juridique française qui ont hérité le droit administratif français. Son application relève d'une nécessité absolue compte tenu aux abus administratifs qui peuvent survenir lors de la mise en oeuvre de l'IG notamment dans ses Etats nouvellement indépendants. Cependant, la situation à laquelle faisaient face ces Etats ne permettait pas le juge administratif africain saisi aux fins d'annulation d'un acte administratif illégal de sanctionner tous les excès administratifs. En effet, les actes administratifs pris dans le cadre du pouvoir discrétionnaire passaient sous silence sans que le juge s'en préoccupe. Les préoccupations des Etats à cette époque étaient entre autres basées sur l'idée de construction nationale et de développement économique et social19 qu'ils devaient assurer. A cet égard, le droit administratif conçu comme un droit d'équilibre a changé de caractère pour devenir un droit inégalitaire. C'est un droit au service de l'administration. Toutefois, depuis le renouveau démocratique des années quatre vingt 17 GOHIN (Olivier), Précis d'institutions administratives, LGDJ, 3ème édition, novembre 1998, p. 597. 18 SENE (Birame), discours d'usagers prononcé lors de l'audience solennelle des cours et tribunaux portant sur le thème « Collectivités locales et contrôle de légalité », 2015-2016, p.7. Http// :www.coursuprême.sn. Consulté le mercredi 25 décembre 2019. 19 SY (Demba), Droit administratif, revue, corrigée et augmentée 2014, op. cit, p. 44 ; Voir également; ABANE NGOLO (Patrick Edgard), « existe-t-il un droit administratif camerounais ? » in les fondements du droit administratif camerounais : Actes de colloques organisé à l'université de Yaoundé-II, sous la direction de ONDOA (Magloire) et ABANE NGOLO (Patrick Edgard), Harmattan Cameroun, les 3 et 4 novembre 2015, p.234 ; (Demba), « Droit administratif et communicabilité en Afrique », in revue Afrilex, p.34 ; ZONGO (Yabré Gilbert), « le juge administratif et la protection des libertés publiques au Burkina Faso et au Sénégal », in le juge administratif, le juge constitutionnel et le juge communautaire dans la protection des droits et libertés fondamentaux : Regards croisés (Quatrièmes rencontres de Dakar), sous la direction de Demba SY et Alioune Badara FALL, Presses de l'Université Toulouse 1 Capitole, 2019, p.324. 14 dix, le droit administratif a connu une nouvelle reconfiguration grâce au renforcement du contrôle juridictionnel de l'administration. A l'image de certains pays africains, le Sénégal a aussi repris le REP dans son ordonnancement juridique. Depuis son acquisition à la souveraineté internationale, la compétence du REP est réservée au juge administratif suprême du Sénégal. Ce dernier contrôle les excès de pouvoir pouvant être commis par toute autorité administrative agissant par des actes dans le cadre de sa mission d'IG. Cependant, son contrôle était limité durant les trente premières années de l'indépendance du pays. En effet, certains vices de légalité tels que l'erreur manifeste d'appréciation20 et le défaut de motivation de certains actes administratifs 21 (actes individuels défavorables) n'étaient pas sanctionnés par le juge administratif suprême. Les limites de ce contrôle étaient presque les mêmes que celles qui ont prévalu dans les autres pays africains de tradition juridique française. Elles sont relatives aux « impératifs de développement économique et social, auxquels l'administration sénégalaise doit faire face »22. En tant que le seul moteur du développement économique et social, l'administration devait avoir plus de liberté pour mener à bien sa mission d'IG. Tout contrôle relevant du pouvoir discrétionnaire serait enclin à provoquer l'inertie de l'administration et n'était donc pas souhaitable. C'est pourquoi, le juge administratif se gardait de contrôler les actes pris par l'administration dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire. Ainsi, « le droit administratif, dans ces 20 L'erreur manifeste d'appréciation a été appliquée au Sénégal pour la première fois dans l'arrêt C.I.C.R rendu en date du 1993. 21 Le juge n'a étendu l'exigence de motivation de certains actes administratifs qu'à partir de 1993. 22 KHOUMA (Ousmane), « Le contrôle de légalité externe des actes administratifs unilatéraux par le juge sénégalais, un exemple de transposition de la jurisprudence administrative française », op.cit, p.39 ; Voir KANTE(Babacar), Unité de juridiction et droit administratif : l'exemple du Sénégal, Doctorat d'Etat de droit public, Orléans, soutenu le 12 juillet 1983, p.296 ; KHOUMA (Ousmane), « la démocratie administrative au Sénégal, A la recherche d'un couple improbable », in revue Afrilex, mai 2017, p.3 et 14; ; KPENONHNOUN (Césaire), « Hommages à l'artisan de l'unité de juridiction en Afrique noire d'expression française : 1983-2016 », in mélanges en l'honneur de Babacar Kanté, actualité de droit public et de la science politique en Afrique ,sous la direction de SALL(Alioune) et FALL (Ismaila madior) , Harmattan-Sénégal, 2017, p.765 ; SY (Demba), Droit administratif, revue, corrigée et augmentée, op.cit, p.44 ; SY (Papa Mamour), « le conseil d'Etat sénégalais et le contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation , commentaire de l'arrêt du conseil d'Etat de la république du Sénégal du 27 octobre 1993, le comité international de la croix rouge(C.I.C.R) et l'Etat du Sénégal (arrêt N°14) », p.181. Http:// www.sunulex.sn. Consulté le mercredi 25 décembre 2019. 15 conditions, ne peut être un droit neutre : il est au service de cet objectif, il devient un droit engagé au service de l'Etat puisque c'est ce dernier qui est responsable du développement économique et social. C'est pourquoi d'ailleurs, on parle du droit administratif du développement 23». Un contrôle des actes administratifs était toutefois assuré pour limiter l'arbitraire dans la mise en oeuvre de l'IG. Ce contrôle n'était pas imaginable dans le cadre du pouvoir discrétionnaire. Il était plutôt exercé dans le cadre de la compétence liée de l'administration. L'étude du sujet relatif à l'efficacité du REP au Sénégal présente beaucoup d'intérêts. Sur le plan théorique, l'intérêt est bien certain en ce sens que le REP n'a pas fait l'objet de critiques au Sénégal comme ce fut le cas en France24. Au contraire, ce recours a été bien apprécié par la doctrine sénégalaise. C'est le cas de Papa Mamour SY qui a précisé qu' « au Sénégal on note des réformes, des innovations susceptibles de contribuer au renforcement de l'institution du recours pour excès de pouvoir »25. Ce renforcement est encore perceptible depuis l'institution de la loi organique de 2017 sur la cour suprême. Sur le plan idéologique, le REP se profile ainsi comme une manifestation incontestable de l'Etat de droit. Le passage de l'Etat de police à l'Etat de droit est tout aussi important qu'il révèle une volonté sans cesse renouvelée et éprouvée par les Etats modernes qui veulent se départir d'une forme de gouvernance anarchique laquelle n'accorde aucune importance aux droits et libertés des administrés pour se pencher vers une nouvelle forme de gouvernance à caractère démocratique dans laquelle les droits de l'homme ont acquis un caractère sacré et inviolable. Avec cette nouvelle forme de gouvernance, l'administré n'est plus un « sujet » dépourvu de droits mais bien entendu 23 SY. (Demba), Droit administratif : revue, corrigée et augmentée 2014, op.cit, p. 44 ; KHOUMA (Ousmane), « Le contrôle de légalité externe des actes administratifs unilatéraux par le juge sénégalais, un exemple de transposition de la jurisprudence administrative française », op. cit, p.39 24 A propos des critiques sur l'institution du REP en France, voir : SY (Papa Mamour), « Quelques remarques sur l'institution du recours pour excès de pouvoir au Sénégal depuis la création du conseil d'Etat », In revue Afrilex (Droit sénégalais N°1), septembre 2002, p.36. Pour plus de détaille concernant le débat sur l'utilité du REP en France voir KHOUMA (Ousmane), « Le contrôle de légalité externe des actes administratifs unilatéraux par le juge sénégalais, un exemple de transposition de la jurisprudence administrative française », op. cit, p.7 25 SY (Papa Mamour), « Quelques remarques sur l'institution du recours pour excès de pouvoir au Sénégal depuis la création du conseil d'Etat », op.cit, p.35 16 un citoyen auquel on reconnait des droits et libertés dont l'administration doit nécessairement respecter. Par ailleurs, ce sujet, comme tout sujet de droit laisse nécessairement entrevoir une importance pratique. A cet effet, il importe de mentionner que le REP joue au moins un double rôle. Dans un premier temps, il assure un rôle préventif en ce sens qu'il se présente comme un recours visant à dissuader les comportements malveillants de l'administration. Le juge de l'excès de pouvoir demeure incontournable puisque c'est à lui qu'il revient le pouvoir d'annuler l'acte illégal. Ainsi que l'écrit Charles DEBBASCH, « la seule existence de tribunaux susceptibles d'être saisis est un garde-fou aux abus : l'administration hésite à commettre des illégalités dès lors qu'elle sait que son comportement peut être sanctionné en justice 26». L'administration est donc avertie de ne pas commettre d'illégalités susceptibles de la décrédibiliser. L'audace qu'il fait preuve dans certains domaines amènerait l'administration à plus de sens de responsabilité dans la mise en oeuvre de l'IG. Dans un second temps, le REP est mis en oeuvre pour sanctionner toute illégalité dont un acte administratif serait entaché. Lorsqu'intervient l'illégalité, le juge doit nécessairement prononcer l'annulation si les conditions sont réunies. L'importance d'une telle fonction du REP n'est plus à démontrer puisque les administrés brandissent souvent comme moyen devant le juge de l'excès de pouvoir la violation de la légalité par l'administration et, fort heureusement, ils obtiennent parfois satisfaction. L'analyse du thème portant sur l'efficacité du REP nécessite a priori une étude de l'importance de tous les acteurs qui peuvent intervenir dans le cadre de ce recours. Parmi ces acteurs, vient d'abord l'administration qui est l'organe compétent pour édicter des actes dont l'administré pourrait contester la légalité par l'entremise du REP. Ensuite, intervient le législateur qui joue également un rôle essentiel d'encadrement de l'action administrative par les lois qu'il édicte. Puis, joue sa partition, l'administré qui est censé introduire la requête en annulation contre un acte illégal qui porte atteinte à ces droits. C'est le cas aussi de l'avocat, à la seule condition que le requérant le sollicite pour lui représenter. Le juge intervient en dernier lieu pour statuer sur la requête en annulation et, s'il estime après examen que l'acte est illégal, il doit prononcer son annulation. Cette fonction juridictionnelle du juge est aussi accompagnée de sa fonction 26 DEBBASCH (Charles) et RICCI (Jean Claude), Précis de contentieux administratif, op.cit., p.2 17 jurisprudentielle par laquelle, il peut édicter des normes qui peuvent s'imposer à l'administration. Le rôle de tous ces acteurs permettra d'évaluer l'efficacité du REP au Sénégal. Par ailleurs, il est nécessaire a priori de connaitre l'objectif de ce recours avant de se pencher sur la question de son efficacité. Selon le professeur Demba SY, « le recours pour excès de pouvoir a pour objectif d'assurer le respect de la légalité et la protection des droits des administrés »27. Ce recours présente un double objectif mais qui restent intimement liés. Il a pour objet d'annuler un acte administratif qui méconnait la légalité et qui par la même occasion porte atteinte aux droits et libertés des administrés. Si ce recours a été institué pour atteindre des résultats spécifiques alors sommes-nous en droit de se poser les questions suivantes : Est-il possible de parler d'efficacité du REP au Sénégal ? Si oui, cette efficacité est-elle absolue ? Ne connait-elle pas des limites ? Ces différentes interrogations nous amène enfin à se poser la question suivante : le recours pour excès de pouvoir a-t-il réellement atteint l'objectif pour lequel il a été institué au Sénégal ? L'efficacité du REP est bien réelle au Sénégal. Elle peut s'apprécier tant du point de vue de la largesse de l'ouverture du recours que du point de vue de l'examen du recours fait par le juge. Néanmoins, cette efficacité connait des limites qui sont liées à l'accès au prétoire du juge de l'excès de pouvoir et à la propension du juge à rejeter les requêtes en annulation. La portée de la décision de la décision reste aussi limitée. Ainsi, pour mieux cerner l'étude du sujet nous allons étudier dans un premier temps l'emphase de l'efficacité du REP (Première partie) puis dans un second temps les entraves (Deuxième partie). 27 SY (Demba), « Un demi-siècle de jurisprudence administrative au Sénégal : De l'émergence à la maturation », in Mélanges en l'honneur de Babacar Kanté : Actualités du droit public et de la science politique en Afrique, sous la direction de SALL (Alioune) et FALL (Ismaila Madior), Harmattan-Sénégal, 2017, p.622. 18 |
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