Il faut rappeler la nature des Saturniens : ce sont des
êtres aériens dont la description ne tourne
1 Erotika Biblion, édition critique
par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 9.
2 Nous évaluons dans notre partie suivante
l'exacte maîtrise des textes sacrés et les connaissances
théologiques de Mirabeau. Cette assertion est appuyée par de
nombreux faits relevés par nos études.
1 Nous invitons le lecteur à relire le
passage de « Anagogie », de la page 18 à 22 ; cf. Errotika
Biblion, `Åí ?áéñ?
??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À
Rome, de l'imprimerie du Vatican, ed. cit.
52 - Au commencement était le Verbe
qu'autour de leurs facultés sensitives1 car
Shackerley est dépossédé de ses mots quand il essaye de
les peindre. La sensibilité qui les définit est ramenée
à un dialogue de molécule sensible que le récit compare
à aux jouissances des amants d'Alphée et d'Aréthuse
à travers la métaphore de la fontaine et du fleuve.
Cette cohésion vive et presque infinie de tant de
molécules sensibles, produisoit nécessairement dans ces
êtres un esprit de vie que Shackerley exprime par un mot mozarabe, que
l'académie des Innamorati a traduit par le mot
électrique, quoique les phénomènes de
l'électricité ne fussent point connus dans ces temps
reculés. [« Anagogie » ; page 20]
Il faut noter l'embarras de l'académie italienne
devant la traduction de ce mot mozarabe qui n'est d'ailleurs pas donné
dans le texte. Mirabeau parle de cohésion qu'il qualifie de vive et de
presque infinie pour les ramener à un phénomène
électrique. Et justement, Shackerley précise bien que ces
molécules ont besoin des émanations des corps pour se propager et
communiquer, formant ainsi « une atmosphère toujours agissante
à des distances considérables » [« Anagogie » ;
page 19].
Toutefois, le récit indique aussi que ces
émanations « sont en pure pertes sur la Terre »
[Ibid] ; et il s'agit de comprendre cette phrase. Il n'y a qu'une
seule autre occurrence du syntagme en pure perte dans l'Erotika
Biblion. Il est attribué à la liqueur lymphatique qui
séjourne autour du gland en contact avec le prépuce et qui
lubrifie le phallus lors de l'accouplement. On trouve ce syntagme dans le
chapitre « Le Thalaba », il est utilisé pour décrire le
tempérament de ceux qui ont le gland découvert quelque en soit la
raison : la vieillesse, un prépuce naturellement plus court ou la
circoncision.
Ceux [les hommes] qui avec du tempérament savent se
contenir et ont le gland recouvert, conservent une salacité digne des
anciens satyres : la raison en est simple ; le gland qui forme le siège
de la volupté, s'entretient dans un état de sensibilité
exquise, par le séjour continuel de la liqueur lymphatique qui le
lubrifie, au lieu qu'il devient dur et calleux avec l'âge chez ceux qui
l'ont découvert, qu'on a circoncis ou qui ont naturellement le
prépuce plus court ; car chez eux cette liqueur préparatoire qui
s'échappe existe en pure perte. [« Le Thalaba » ; page 77]
Si les émanations saturniennes renvoient à la
liqueur lymphatique terrienne, il serait inutile d'en recomposer l'image, et
une reconstruction cérébrale suffira amplement : l'anneau de
Saturne serait le contenant des émanations ; il tient en son centre la
planète échauffée et mal formée de Saturne. Par
ailleurs, l'anneau de Saturne est qualifié de « mince et
plutôt attiédi » [« Anagogie » ; page 10] et de
« bien situé » ; [page 12] ; et l'orbe de Saturne est «
immense », « point encore tranquille », parsemé de «
tremblements de terre presque continuels », de « débordements
», etc... [pages 9 et 12].
La Métaphore coïtale - 53
Toutes ces précisions sont dues à des
mouvements qui témoignent d'une certaine sensibilité. Les
Saturniens qui séjournent dans l'anneau au contact des rayonnements de
la planète sont tous semblables, ont une sensibilité
exacerbée, et communiquent par la pensée, justement grâce
à cette atmosphère agissante. On peut très bien les
comprendre comme concourant au système nerveux, qui n'est rien d'autre
que le phénomène de la pensée dans les thèses
sensualistes ; et ils sont d'ailleurs décrits comme relevant d'un
phénomène électrique. Par ailleurs, les Saturniens sont
tantôt ramenés à des formes, tantôt des
pensées, tantôt des sensations.
Vu le titre du chapitre « Anagogie » qui consiste
en une révélation métaphysique et le fait que la liqueur
lymphatique et les émanations seraient deux substances liquides, on
pourrait comprendre que l'âme et la corporalité des Saturniens
sont réduits de même, à l'état de liquide ; il
s'agit justement d'un mythe ancien qui ramène l'âme à un
liquide que les dieux puisaient dans une fontaine pour l'insérer dans le
vase féminin. Dom Calmet et Voltaire ont d'ailleurs disserté sur
cette question. Dans ce cas, pourquoi choisir Saturne plutôt qu'une
planète lambda ? Parce que Saturne présente la
particularité de posséder un anneau, et surtout parce que Saturne
est une divinité pour laquelle certains peuples, comme les
Phéniciens se circoncisaient. Il est possible que Mirabeau ait lu
quelques passages des Dissertations de Dom Calmet lorsqu'il disserte
sur la circoncision dans le chapitre « Akropodie »1 ; et
il n'y a aucune difficulté à concevoir qu'il ait rapproché
Saturne des prépuces, et que, par extension, il en ait fait un rapport
coïtal. Et par la même occasion, on pourrait mieux comprendre la
raison de son amalgame entre les peuples philistins et israélites pour
désigner ceux qui se sont fait des prépuces au début de
« Anagogie » comme nous avons vu l'exemple dans le dernier
chapitre2.
Dans cette lecture de « Anagogie », l'anatomie des
Saturniens ne s'inscrit pas comme une nécessité pour une
société idéale. Elle apparaît plutôt comme
l'expression de la vivacité organique parfaite,
prépondérante et fertile qui se déroule lors de
l'accouplement. Le suivi de la métaphore fait que l'on se
représente bien mieux la consistance de l'exercice anagogique de Jeremy
Shackerley ; ce qui peut nous éclairer sur la raison pour laquelle ce
dernier soit effectivement dépossédé de ces mots pour
décrire la nature de ces êtres. La position première de ce
chapitre n'est pas un hasard, il donne le ton de l'ouvrage, et c'est le seul
qui soit écrit intégralement de la main de Mirabeau. On peut
aussi
1 Nous en proposons une étude
détaillée dans le chapitre suivant. Pour l'heure, nous avons
annexé ces pages, et celle dont nous parlons se trouve à la page
419 du chapitre « Sur l'origine de la circoncision » du Tome I des
Dissertations qui peuvent servir de Prolégomènes de
l'Écriture Sainte, revue, corrigées, considérablement
augmentées, et mises dans un ordre méthodique, par le R.P.
Dom Augustin Calmet, 3 volumes, Paris, chez Emery, Saugrain et Pierre Martin,
1720. Voy. l'annexe II : « Dissertations f...], de Dom Calmet,
Tome I ».
2 Il s'agit d'une erreur car les Philistins n'ont
jamais été un peuple circoncis. Il est d'ailleurs curieux que
cette erreur soit seulement présente dans le chapitre « Anagogie
» et qu'il évite de la commettre dans « L'Akropodie ».
Nous développons une analyse autour des erreurs de Mirabeau dans le
chapitre suivant.
54 - Au commencement était le Verbe
y noter une subtilité : Mirabeau pense qu'il n'y a que
les circoncis qui ne profitent pas des bienfaisances du liquide lymphatique ;
ceux-là ne peuvent donc pas interpréter et encore moins
révéler l'Écriture par un exercice anagogique. Vu la
teneur de son matérialisme, il pouvait tout à fait croire que les
circoncis ne comprendraient rien au chapitre « Anagogie » et qu'il en
abandonnerait très vite la lecture ; ce premier chapitre pouvait, dans
cette conception des choses, faire office de garde-fou et de repoussoir aux
lecteurs indésirables.
Après avoir étudié la cohérence
et l'unité stylistique de l'oeuvre, il est temps de s'intéresser
aux inspirations et aux ressources de Mirabeau afin d'éclairer l'ouvrage
dans une étude élargie aux documents ayant servi à sa
conception. Autant que possible, nous dévoilons les méthodes de
nos recherches intertextuelles ; et si quelques références se
trouvent déjà dans l'édition de Jean-Pierre Dubost, nous
l'indiquons, mais bien d'autres nous sont apparues grâce à un
travail minutieux. Loin de prétendre à une présentation
exhaustive de la bibliographie de l'Erotika Biblion, la partie
suivante de notre travail vérifie la crédibilité de ses
sources, afin de relever la cohérence et l'unité de l'ouvrage aux
vues de ces références éclectiques ; il s'agit surtout de
nous donner les moyens d'apprécier au mieux l'exacte maîtrise des
textes commentés et investis par Mirabeau après les avoir
identifiés.
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