Comme nous l'avons indiqué précédemment,
« L'Anoscopie » contient la dernière occurrence d'une
intervention directe de la Compagnie de Jésus dans la
démonstration. Cette anecdote, qui prend la forme d'un poème en
vers, est introduite par le bref exposé des charlatans rapportés
par la Bible, qui se serviraient de la superstition pour tromper le
peuple et faire en sorte que leur parole soit assimilée à celle
de Dieu. Mirabeau rapproche donc les jésuites des charlatans par le fait
qu'ils croient tous sincèrement être des élus de Dieu
qu'une foi aveugle protège du mauvais sort par des miracles et que leurs
mensonges, qu'ils en soient conscients ou non, ne sont pas condamnables s'ils
servent l'oeuvre de Dieu. On aurait aussi l'impression que ce n'est plus
l'opinion commune, les bonnes moeurs, que Mirabeau cherche ici à
atteindre. Ce chapitre ridiculise les jésuites par deux anecdotes :
l'étrange baromètre jésuite, et l'élévation
d'un novice jésuite pour avoir forniqué avec un Juif dans le but
de le convertir. Il faut donc que Mirabeau estime que ces histoires ont un
rapport avec la correction des bonnes moeurs ; et c'est dans l'influence dont
dispose la Compagnie de Jésus que se trouve l'articulation philosophique
permettant de lier les deux.
1 Erotika Biblion, édition
critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 131, page 139. Nous
proposons aussi au lecteur de regarder à l'article « ARUSPICE
» à titre purement informatif.
Une Spiritualité indéterminée -
87
effectivement déroulés. Il faut noter que
Mirabeau a dû s'inspirer en grande partie sur l'article « CLYSTERE
» de l'Encyclopédie, comme l'a souligné J-P Dubost
dans un rapide commentaire1. Cette affaire tournait autour du choix
du mot qu'il fallait employer pour désigner le traitement contre les
problèmes intestinaux, et notamment les hémorroïdes. On
désignait en général ces maladies sous le nom de
cristalline dont nous avons déjà dit un mot
précédemment.
Les Jésuites qui voyaient que le mot ignoble de
lavement avait succédé à celui de
clystère, gagnèrent l'abbé de S. Cyran, et
employèrent leur crédit auprès de Louis XIV, pour obtenir
que le mot lavement soit mis au nombre des expressions
déshonnêtes [...]. On substitua donc le mot remède
à celui de lavement. Remède comme
équivoque parut plus honnête, et c'est bien là notre genre
de chasteté. [« L'Anoscopie » ; page 167]
Par la consistance du mot remède, Mirabeau
analyse la chasteté de la langue comme autant d'écarts à
la réalité pouvant tromper le peuple. L'équivoque qui
permettrait de voiler la réalité, apparaît comme la
ressource de ceux qui cherchent à tromper les autres et eux-mêmes
pour renforcer la foi. Plus le mot est équivoque et obscur, plus la
tromperie serait grande. Et les bonnes moeurs en seraient affectées
parce que l'habitude de se tromper et de tromper serait contenue dans le
langage utilisé de tous. Là aussi Mirabeau guérirait le
mal par le mal. Que ce soit par le dispositif éditorial - que nous avons
déjà étudié - qui prête faussement
l'édition de l'ouvrage à l'Imprimerie du Vatican, le titre des
chapitres entretenant un jeu herméneutique sur les langues anciennes, ou
tout simplement, ses inventions qui cherchent la tonalité de la
véracité sans pouvoir prétendre être
crédibles, l'équivoque est entretenue tout au long du texte.
Seulement, Mirabeau utilise des codes littéraires bien connus des
lecteurs d'alors pour masquer la fictionnalité : les fausses
références d'édition étaient une pratique
très répandue et les topoi du manuscrit trouvé
sont tous présents dans le chapitre « Anagogie », etc... Sa
tromperie est donc elle-même prise en dérision, et ce, juste pour
montrer qu'il y a eu tromperie ; ce paradoxe renforce ses réflexions sur
la clarté et la transparence du langage jusqu'à rendre
l'Erotika Biblion plus honnête que les paroles des
jésuites. Il n'y a plus qu'un pas pour ajouter l'exigence de
clarté à une bonne interprétation de la Bible :
plus l'interprétation serait simple et honnête, et plus elle
serait dans la vérité.
Dans « le Mensonge des mots », nous avons
soulevé brièvement la réflexion de Mirabeau sur
l'articulation de l'équivocité du langage avec la corruption des
moeurs. Or, il n'existe que deux chapitres de l'Erotika Biblion
où le langage est étudié ; l'étude du langage
des Saturniens dans le premier chapitre « Anagogie », et
l'étude du langage en tant que témoin du
dérèglement des moeurs
88 - Inspirations et ressources
dans le dernier chapitre « La Linguanmanie ». Jean
Pierre Dubost considère que le premier chapitre constitue une utopie
dont la réflexion sémiologique permet de révéler
une cohérence philosophique dans l'Erotika Biblion avec les
thèses métamorphistes. Nous proposons donc à la suite de
notre étude sur la spiritualité, une réflexion sur
l'importance que Mirabeau accorde au langage dans sa réflexion sur les
moeurs.