Une note de J-P Dubost dans le chapitre « L'Akropodie
», commente le développement et la construction des propos de
Mirabeau sur la circoncision. J-P Dubost y établit des rapprochements
entre le texte de Mirabeau, le Dictionnaire philosophique de Voltaire,
l'Encyclopédie, et le Dictionnaire de Dom
Calmet1.
La question débattue à cette époque
était de déterminer l'origine de la circoncision et d'identifier
le peuple qui, le premier la pratiqua. En outre, les avis sont partagés
; et Voltaire est du côté de ceux qui veulent prouver que les
Hébreux la tenaient des Égyptiens. Comme Mirabeau ne disserte pas
sur cette question, J-P Dubost estime qu'il a suivi les commentaires du
Dictionnaire de Dom Calmet dont le texte ne traite que
légèrement de l'origine de la circoncision pour restreindre le
propos à l'explication de la pratique chez les Hébreux et chez
d'autres peuples, à la description du rituel juif qui enveloppe cette
pratique, et à sa signification dans l'Écriture. Et il montre
finalement que Mirabeau déplace la question, comme le fait Dom Calmet
dans son Dictionnaire, à la circoncision des femmes. Ainsi, le
texte du Dictionnaire philosophique de Voltaire est
écarté comme possible source directe de « L'Akropodie
», et il ne reste plus qu'à traiter de l'Encyclopédie
dont il se sert pour aborder la pratique de la circoncision chez les
peuples turcs, persans, malgaches et mexicains ; comme il recopie des extraits
de l'article « CIRCONCISION »2, ainsi que le montre J-P
Dubost, il n'y a pas de doute quant à la source de son texte. Ce n'est
toutefois pas le cas pour les textes de Dom Calmet. On retrouve la dissertation
de l'abbé « Sur l'origine de la circoncision » dans les
Dissertation3 , dans lequel il développe toutes les
raisons de penser que les Hébreux étaient les premiers à
pratiquer la circoncision. Comme nous l'avons déjà dit, le
Dictionnaire et les Dissertations de Dom Calmet
présentent un texte similaire, reprenant les mêmes
références, et parfois les mêmes développements
à la virgule près.
Il s'agit donc de voir si Mirabeau a choisi de traiter de la
circoncision des femmes en s'inspirant directement du Dictionnaire de
Dom Calmet et par défaut d'autres textes ne traitant pas de l'origine de
la circoncision, ou - s'il avait aussi les Dissertations avec lui -
par choix littéraire. Le détournement de la question de la
circoncision aux femmes impliquerait une volonté de sortir des carcans
où s'inscrit une littérature savante pour tourner en
dérision cet exercice d'érudition.
1 Idem, note 66, page 130.
2 Encyclopédie ou Dictionnaire
raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une
société de gens de lettres, Paris, Chez Briasson, David, Le
Breton et Durand, 1751-1765, tome III, page 458.
3 Dissertations qui peuvent servir de
Prolégomènes de l'Écriture Sainte, revue,
corrigées, considérablement augmentées, et mises dans un
ordre méthodique, par le R.P. Dom Augustin Calmet, livre I, ed.cit,
1720, page 411. Nous avons annexé les pages concernées des
Dissertations pour notre étude. Voy. l'annexe II : «
Dissertations f...], de Dom Calmet, Tome I ».
74 - Inspirations et ressources
Que ce soit pour le Dictionnaire ou pour les
Dissertations de Dom Calmet, Mirabeau n'y recopie aucun extrait ; il
préfère utiliser leurs éléments argumentatifs et
les exemples qui y sont déployés pour recomposer son texte. Il
est vain de chercher dans l'Erotika Biblion des passages
recopiés sur Dom Calmet ; il n'est donc pas exclu qu'il possédait
les deux ouvrages. En l'occurrence l'ossature argumentative de «
L'Akropodie » présente des similitudes avec le
Dictionnaire. L'enchaînement de certains éléments
se présente comme une lecture suivie de l'article « CIRCONCISION
» du Dictionnaire de Dom Calmet1 que l'on rapporte ici
dans l'ordre :
- L'âge d'Abraham lorsqu'il se fit circoncire :
o « L'Akropodie » ; page 109
(référé à la Genèse. XVII, 24).
o Dictionnaire de Dom Calmet ; page 433, premier
chapitre (référé à la Genèse. XVII,
30).
o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision
» des Dissertations.
- La division des Pères de l'Église sur la
signification de la circoncision :
o « L'Akropodie » ; page 110 (évocation de
St Augustin, St Justin, Tertulien et St
Ambroise, etc.).
o Dictionnaire ; page 434, neuvième chapitre
(évocation de St Augustin, St Justin le Martyr, St
Irenée, St Chrysostome, St Epiphane,
d'Hilare Diacre, St Jérôme, St Jean
Damascène, St Grégoire le Grand, Bède le
Vénérable, St Fulgence, St Prosper,
St Bernard).
o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision
» des Dissertations.
- La circoncision des égyptiennes :
o « L'Akropodie » ; page 111 (annotée par une
citation de Huet sur Origenes).
o Dictionnaire ; page 435, treizième chapitre
(Idem).
o Dissertation ; page 418.
- La cérémonie de la circoncision des apostats
devenant juifs :
o « L'Akropodie » ; pages 111 et 112.
o Dictionnaire ; page 435, quatorzième
chapitre.
o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision
» des Dissertations.
- La pratique des juifs devenant apostats2 :
1 Dictionnaire historique, critique,
chronologique, géographique et littéral de la Bible,
éd. cit, tome I, pages 433
à 436.
2 Il faut noter qu'à cette occasion,
Mirabeau évite d'inverser les peuples juifs et philistins pour
désigner ceux qui se sont fait des prépuces comme il a
pu le faire dans le chapitre « Anagogie » ; toutefois, nous pensons
que ce chapitre est si intimement lié avec « L'Akropodie »
qu'il a dû les écrire ensemble.
1 Voy. les pages 417 et 418 de l'article «
Sur l'origine de la circoncision » de l'annexe II : «
Dissertations f...], de Dom Calmet, Tome I ».
Ressources bibliques - 75
o « L'Akropodie » ; page 112
(référée au Macchab. Liv. I, chap. I, 16).
o Dictionnaire ; pages 435 et 436, quinzième
chapitre (référée au I. Macc. I. 16)
o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision
» des Dissertations.
- La crainte de St Paul devant cette pratique :
o « L'Akropodie » ; page 112
(référée au I. Cor. VII, 18)
o Dictionnaire ; page 436, fin du quinzième
chapitre (référée au I. Cor. VII. 18).
o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision
» des Dissertations.
- L'impossibilité d'effacer la circoncision :
o « L'Akropodie » ; page 112 (évocation de
St Jérôme, Rupert et Haimon).
o Dictionnaire ; page 436, seizième chapitre
(évocation de St Jérôme et annotée par
Rupert
et Haimo [sic]).
o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision
» des Dissertations.
- Les méthodes de Galien, Celse et Buxtorf le fils pour
se défaire de la circoncision :
o « L'Akropodie » ; pages 112 et 113.
o Dictionnaire ; page 436, dix-septième
chapitre.
o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision
» des Dissertations.
Mis à part quelques incohérences de
références au texte biblique et aux Pères de
l'Église, on voit bien que l'argumentation de Mirabeau suit
l'organisation du Dictionnaire de Dom Calmet, et non ses
Dissertation. Un seul élément peut nous amener à
penser que Mirabeau aurait pu aussi détenir le chapitre des
Dissertations : la circoncision égyptienne. Dans ce texte, Dom
Calmet regarde la pratique égyptienne comme un volet de sa
démonstration, puisqu'il s'agit de la détacher des pratiques
juives. Il y décrit donc les raisons de la pratique égyptienne
dans les détails1. Ce qui constitue une grande
différence avec le Dictionnaire où il se contente de la
ramener aux usages et aux raisons naturelles. Or, Mirabeau revient par deux
fois sur la pratique égyptienne de la circoncision afin de la ramener
à une nécessité physique. En premier lieu, il
apparaîtrait que la pratique favoriserait l'éjaculation lorsque le
prépuce est très long [« L'Akropodie » ; page 108] ; et
en second lieu, la circoncision des femmes devait permettre une meilleure
« approche du mâle » [« L'Akropodie » ; page 111]. Il
établit ainsi la reproduction comme la seule bonne raison qu'il y aurait
à circoncire les hommes et les femmes ; et il semble donc donner raison
aux Égyptiens, à l'inverse des peuples qui la pratiquaient
suivant l'observation d'un principe religieux. Bien que les conséquences
physiques
76 - Inspirations et ressources
de la non-circoncision ne se sont pas décrites dans
les Dissertations (elles peuvent être inventées par
Mirabeau), les raisons d'adopter cette pratique composent l'un des volets de
l'argumentation de Dom Calmet dans ses Dissertations ; car cette
différence constitue à ses yeux une preuve que les Hébreux
n'ont pas reçu la circoncision des Égyptiens. Dom Calmet s'y
attache donc à décrire savamment les différents protocoles
de la circoncision, ce qui aurait pu de source à Mirabeau. Il y a aussi
cette citation de Huet sur Origène qui appuie le fait que l'on
circoncisait les Égyptiennes, et que l'on trouve sur les trois textes.
Mirabeau en recopie une partie en latin dans sa note I de la page 111. Or, sa
note comporte une précision en grec, ô?ò
íõìö?ò (de la jeune fille) ; et ce terme
grec ne se trouve que dans les Dissertations1, et non pas
dans le Dictionnaire. Il serait étonnant que Mirabeau ait
ajouté ce terme selon son bon plaisir ; il devait avoir sous les yeux
cette citation comportant ce terme, et donc il devait avoir ce chapitre des
Dissertations. Comme l'inspiration directe du Dictionnaire
n'est plus à prouver, il aurait donc fait le choix de ne pas
traiter de l'origine de la circoncision s'il possédait effectivement les
deux textes.
Au reste, un dernier élément de «
L'Akropodie » est encore à traiter. J-P Dubost relève une
phrase raturée dans le manuscrit qui n'apparaît dans aucune
édition de l'Erotika Biblion. Elle indique un début de
phrase tronquée à la page 111 que nous mettons en italique :
« Cette pratique subsiste même encore aujourd'hui s'il faut en
croire l'histoire de l'église d'Alexandrie par le père Van Sleb :
on leur coupe une partie du clitoris qui nuirait à l'approche du
mâle [...] »2. L'indication de la
prospérité de la circoncision en Égypte n'est
rapportée que dans le Dictionnaire de Dom Calmet3,
et non pas dans les Dissertations. Toutefois, Dom Calmet ne donne
aucune référence, et il faut que Mirabeau ait trouvé
quelque part l'ouvrage de Johann Michael Wansleb4. Ce qui nous fait
penser qu'il avait avec lui d'autres ouvrages où il tirait des
références ; peut-être notamment, l'article « Effets
de la circoncision » du tome III des Dissertations que nous
n'avons pas pu consulter, mais qui pourrait contenir l'ossature argumentative
du Dictionnaire, en plus de la description des conséquences
physiques qui résulteraient de la non-circoncision exposées par
Mirabeau. Toujours est-il qu'il paraît évident que Mirabeau se
soit inspiré de Dom Calmet et que le déplacement de la question
de l'origine de la circoncision à la circoncision des femmes est
dû à un choix de l'auteur. On peut donc penser que Mirabeau
souhaite ridiculiser non seulement la pratique de la circoncision et la culture
érudite qui s'exerce autour de son origine, mais aussi la signification
sacrée que lui donne le peuple élu. L'alliance avec Dieu lui
apparaît comme l'obéissance à l'ordre primitif qui consiste
à croître à se
1 Idem, note (d), page 418.
2 Cf. Erotika Biblion, édition
critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 74.
3 Dictionnaire historique, critique,
chronologique, géographique et littéral de la Bible,
éd. cit, tome I, pages 435.
4 Histoire de l'Église d'Alexandrie
fondée par S. Marc, que nous appelons celle des Jacobites
d'Égypte, écrite au Caire même en 1672 et en 1673, par le
P.J.M. Vansleb, à Paris, chez la Vve Clousier, 1677.
Ressources bibliques - 77
multiplier ; c'est l'injonction de la procréation, et
à ce titre, la circoncision n'est nécessaire que lorsqu'elle
empêche l'accouplement.
À travers les différents exemples que nous
avons soulevés, il nous a été possible de délimiter
le corpus sur lequel Mirabeau aurait pu s'appuyer pour écrire
l'Erotika Biblion. Son appareil biblique apparaît en grande
partie redevable à un commentateur, Dom Calmet, qui lui fournissait non
seulement de la culture biblique, mais aussi de la matière à
réflexion. On ne peut toutefois pas dire que Mirabeau a écrit un
ouvrage pieux et respectueux des dogmes chrétiens. Il y a ajouté
beaucoup d'anecdotes et de détails provenant de la culture profane ou
païenne pour construire son discours. Il s'agit alors de retrouver toutes
ces ressources afin de compléter la définition de son corpus et
de dessiner sa compréhension de la spiritualité.