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Etudes littéraires sur l’Erotika Biblion. Quand l’ironie sème le doute.


par Sylvain Haure
UNIVERSITE PAUL VALERY, Montpellier III - MASTER II Littérature française et comparée 2019
  

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Examen de la culture religieuse de Mirabeau

Pour observer la culture religieuse de Mirabeau, il nous faut chercher ce que l'auteur paraît dégager de lui-même de la Bible sans avoir recours à une note, à un ouvrage ou à un auteur. Comme nous l'avons vu, il tient toujours à annoter ses citations, même si celles-ci sont incomplètes, fausses, et sans moyens pour le vérifier. Toutes les citations annotées de la Bible écartées, il ne reste plus que trois passages où Mirabeau livre une citation de la Bible, dans le corps du texte, pour la commenter et pour développer ses observations2.

Ces trois passages concernent le même texte, la Genèse. Les deux premières occurrences concernent le chapitre « L'Anélytroïde » dans lequel il commente la physique de la Bible lorsqu'elle traite de la Création, puis l'ordre (en vérité, il s'agit plus d'une proposition) de Dieu concernant la propagation : « Croissez et multipliez ». Dans ces deux cas, ces commentaires ne se bornent qu'à démontrer que la physique de la Genèse est en réalité assujettie à l'état de savoir de celui qui rapporte

1984, note A, page 504.

' Idem, page 453.

2 Voy. « Évocations et allusions à un texte foisonnant », annexe I pour chercher les références bibliques rapportées [sans ref].

1 Se référer à notre texte de référence, « L'Ischa », page 43, Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII. Cote Enfer 1286 de la Bibliothèque Nationale de France.

Ressources bibliques - 65

la parole divine et qui devait adapter le récit de Dieu aux représentations scientifiques des peuples contemporains. Quant à l'ordre divin, il le commente de façon à démontrer que cette parole est toute puissante, et qu'elle détermine toute espèce vivante à procréer, même celles qui sont en apparence privées d'organe géniteur, telle que se présente l'anélytroïde, cette femme pouvant procréer par la parte poste. La dernière occurrence se trouve dans le chapitre « L'Ischa », et elle se démarque des deux autres, car son commentaire s'aventure plus loin qu'une lecture littérale de la Bible. Il procède d'une démonstration en chaîne très élaborée de l'androgynie primitive et originale d'Adam. Son commentaire cherche à établir la filiation entre Adam androgyne et un Dieu androgyne ; le créateur qui ne peut créer que ce qui lui est semblable.

Faisons l'homme, dit-il. Il est évident que Dieu parle à lui-même. C'est une chose inouïe dans toute la Bible qu'aucun autre que Dieu ait parlé de lui-même en nombre pluriel : Faisons. Dans toute l'Écriture, Dieu ne parle ainsi que deux ou trois fois ; et ce langage extraordinaire ne commence à paraître que lorsqu'il s'agit de l'homme. [« L'Ischa », page 42]

Son raisonnement se tient si l'on admet que Dieu ne parle de lui au pluriel que lors de la Création de l'homme. Adam serait donc un être double jusqu'à ce qu'il soit divisé par l'opération rapportée dans Le Banquet de Platon. La femme serait tirée de l'essence la plus pure de l'homme ; elle représente l'acte de création le plus parfait car son avènement achève l'ouvrage de Dieu. Il s'agit du fondement philosophique duquel Mirabeau tire les déterminations naturelles de chaque espèce : la reproduction. L'homme et la femme sont faits pour être ensembles et se reproduire. Mirabeau rapporte l'amour que la femme inspire, à une détermination divine faisant que la femme doit éduquer l'homme à se comporter vertueusement. Cela l'amène à penser que la reproduction entraine la vertu ; de facto, l'acte sexuel ne peut jamais être qualifié d'amoral ou d'immoral. Nous développons ces points, étapes par étapes dans le reste de note travail.

Pour l'heure, il s'agit de voir comment Mirabeau qualifie l'acte de Création de Dieu. Et justement, il semble être partagé entre l'évidence et l'étonnement devant ce court passage ; on peut d'ailleurs préciser que ce sont les prémisses de la philosophie. En huit lignes, il répète deux fois l'injonction « Faisons », nomme par trois fois « Dieu », et utilise quatre termes renvoyant à la parole1. Ce qui donne l'impression qu'il fait une découverte stupéfiante et obsédante en même temps qu'il commente l'extrait. S'il s'agit vraiment pour lui d'une découverte, cela en dirait long sur sa propre culture religieuse ; car la pluralité de Dieu est une notion inculquée dès les débuts des études sur la Bible. C'est d'ailleurs ce que rappelle Voltaire lorsqu'il commente la Genèse dans son Dictionnaire

66 - Inspirations et ressources

philosophique portatif.

« Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. » C'est ainsi qu'on a traduit ; mais la traduction n'est pas exacte. Il n'y a point d'homme un peu instruit qui ne sache que le texte porte : « Au commencement, les dieux firent ou les dieux fit le ciel et la terre. » Cette leçon d'ailleurs est conforme à l'ancienne idée des Phéniciens, qui avaient imaginé que Dieu employa des dieux inférieurs pour débrouiller le chaos, le chautereb.1

Mirabeau n'aurait donc pas suivi l'enseignement religieux dont ont bénéficié Voltaire et bien d'autres. L'Erotika Biblion n'est donc pas seulement une recherche dans la Bible des matières scabreuses, c'est un apprentissage. On pourrait même penser que son ouvrage n'est pas le fruit d'une pensée mûre et réfléchie, mais plutôt un commentaire fait pas à pas selon les découvertes du jour. Dévoiler les textes sur lesquels Mirabeau découvrait ces notions n'est alors plus facultatif, puisqu'ils nous permettraient de retracer le cheminement intellectuel de l'ouvrage.

Nous avons montré qu'il est probable que Mirabeau ait eu avec lui une Bible, ou un commentaire qui proposait plusieurs traductions en différentes langues ; il est exclu qu'il ait eu avec lui, un seul texte source car il n'a pas eu le loisir de vérifier ses propres références. Peu d'études ont été rondement menées pour établir une liste de ces textes. Toutefois, de nombreux critiques de l'Erotika Biblion pensent qu'il s'agirait principalement des oeuvres d'Augustin Dom Calmet [16721757] : un savant abbé bénédictin qui a parfait son érudition en visitant les bibliothèques des prieurés de France. Les productions de cet abbé étaient très populaires ; parmi sa grande production d'écrits, les plus lus sont notamment son Dictionnaire2 et ses Dissertations3. Il existerait plusieurs intitulés de ces fameuses dissertations. On trouve dans La vue du très-révérend père D. Augustin Calmet, Abbé de Senones4, un mémoire écrit par son neveu et successeur, Augustin Fangé, les principaux titres désignant l'ouvrage :

- Dissertations qui peuvent servir de prolégomènes sur l'écriture sainte, revues, corrigées & considérablement augmentées, & mises dans un ordre méthodique, 1720 à l'initiative d'un libraire voyant là de quoi assurer sa fortune, mais qui ne répondent pas aux vues de Dom Calmet sur son travail.

- Nouvelles dissertations sur plusieurs questions importantes & curieuses, qui n'ont point été traitées dans le commentaire littéral sur tous les livres de l'ancien & du nouveau testament, chez le même

1 Article « Genèse », Dictionnaire philosophique portatif, Voltaire, Londres, 1764.

2 Dictionnaire historique, critique, chronologique, géographique et littéral de la Bible, enrichi de plus de trois cents Figures en taille-douce, qui représentent les Antiquitez Judaïques, Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée, Augustin Dom Calmet, 4 volumes, À Paris, Chez Emery, Saugrain et Pierre Martin, M. DCCXXX.

3 Dissertations qui peuvent servir de Prolégomènes de l'Écriture Sainte, revue, corrigées, considérablement augmentées, et mises dans un ordre méthodique, par le R.P. Dom Augustin Calmet, 3 volumes, Paris, chez Emery, Saugrain et Pierre Martin, 1720.

4 La Vie du très-révérend père D. Augustin Calmet, Augustin Fange, Abbé de Senones, Senones, chez Joseph Pariset, 1742.

Ressources bibliques - 67

éditeur, 1722. Cette fois, Dom Calmet est à l'origine de la recomposition de son travail et en profite pour l'augmenter de plusieurs dissertations.

- Trésor d'antiquité sacrées & profanes, tirées des commentaires du R.P Augustin Calmet sur l'écriture sainte, par un certain Geoffroi Clairmont, prédicateur français à Amsterdam, pour le moment sans date.

Même si on ne retrouve pas les Dissertations dans le catalogue de la bibliothèque de Mirabeau vendue à sa mort, cette bibliothèque a été constituée après sa détention au donjon de Vincennes, avec une ambition neuve1 qui n'était peut-être pas dans sans ses vues lorsqu'il composait l'Erotika Biblion. Qui plus est, il est fort probable qu'il ne détenait que quelques feuillets arrachés d'oeuvres ici et là ; il n'avait jamais d'oeuvre complète, d'où le fait que ces titres n'apparaissent pas dans sa bibliothèque. Enfin, ajoutons à ceci le fait qu'une première édition en 1715 est relevée par Augustin Fangé, par « un libraire d'Avignon, dans l'espérance d'un gain considérable, [qui] s'était avisé d'imprimer séparément les dissertations de D. Calmet »2 ; l'édition, in-8° en cinq volumes, format discret et facilement transportable, aurait pu se retrouver dans ses biens à Vincennes. Avignon et le fief de Mirabeau se trouvent d'ailleurs très proches géographiquement. Malgré nos recherches, nous n'avons pas pu retrouver cet ouvrage ; nos analyses concernent la première version, Dissertations qui peuvent servir de Prolégomènes de l'Écriture Sainte, dont les Nouvelles dissertations sur plusieurs questions importantes & curieuses, qui n'ont point été traitées dans le commentaire littéral sur tous les livres de l'ancien & du nouveau testament ont été tirées. Quant au dictionnaire, c'est un ouvrage volumineux composé de quatre volumes in-folio et référençant plus de 5450 entrées. Au bas mot, chaque volume fait plus de 800 pages. Comme Mirabeau définit son ouvrage comme une recherche des sujet scabreux contenus dans la Bible3, on suppose que son travail a été méthodique : il lisait en premier lieu les commentaires et dissertations des savants, puis il allait vérifier les références données en note de bas de page (quand il le pouvait) pour les réinjecter dans son commentaire. Dans ce cas, les allusions au texte d'autrui qui ne contiennent ni référence, ni citation peuvent s'expliquer par l'absence des dites références dans le texte source et simplement parce qu'il n'avait pas le livre appelé en note à sa disposition.

Pour savoir si Mirabeau a bien trouvé de l'inspiration chez Dom Calmet, il s'agit de vérifier, non pas la teneur du propos du bénédictin et leur visée morale et intellectuelle, mais d'étudier

1 Ce sont les dires du catalogue que l'on retrouve dès les premières pages d'introduction. Cf, Catalogue des Livres de la bibliothèque de feu M. Mirabeau l'ainé, Paris, Rozet et Belin, 1791.

2 La Vie du très-révérend père D. Augustin Calmet, Abbé de Senones, par Augustin Fangé, éd. cit, page 341.

3 Déjà cité : « Croirais-tu que l'on pourrait faire dans la Bible et l'antiquité des recherches sur l'onanisme, la tribaderie, etc. etc. enfin sur les matières les plus scabreuses qu'aient traité [sic] les casuistes, et rendre tout cela lisible, même au collet le plus monté, et parsemé d'idées assez philosophiques ? ». Cf. Lettre à Sophie, le 21 octobre 1780, dans Lettres originales, écrites du donjon de Vincennes, pendant les années 1777, 78, 79 et 80, recueillies par P. Manuel, T. IV, Paris, Chez J. B. Garnery, 1792, page 298.

68 - Inspirations et ressources

l'organisation de ses ouvrages, de lister les références sur lesquelles il s'appuyait, et finalement de se tenir à tous les indices référentiels qui se trouveraient à la fois dans le texte de Mirabeau et dans ceux d'Augustin Dom Calmet. Nous restreignons l'étude à deux ouvrages de Dom Calmet, son Dictionnaire et ses Dissertations qui sont déjà deux productions littéraires d'envergure ; et nous la relevons à travers deux thèmes qui ont été particulièrement traités par Mirabeau : l'obscénité des peuples antiques et la circoncision.

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