La référence aux Philistins circoncis est
annotée par Mirabeau. Sa note évoque le premier Livre des
Maccabées, chapitre I, verset 16, pour décrire les actions
des Philistins : « Et fecerunt sibi proeputiae. » [«
Anagogie », note 1, page 7]. À noter qu'il s'agit en
réalité du verset 15, non du 16, et que la Congrégation
fait aussi une erreur en mentionnant le verset 122. Toutefois, dans
aucune version de la Bible, les Philistins ne sont
évoqués par ces versets, car ils ont disparu longtemps avant le
début des Livres des Maccabées qui traitent de
l'invasion d'Alexandre le Grand.
La note de Mirabeau présente pourtant cinq traductions
différentes attestant la citation : la traduction initiale en latin,
celle des Septante, celle de Isaac Lemaistre de Sacy3, celle de
Isaac-Joseph
1 L'édition de référence pour
notre travail, Errotika Biblion, `Åí
?áéñ? ??ÜôÞñïí,
Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII.
Cote Enfer 1286 de la Bibliothèque Nationale de France, présente
la note « Rois, liv. VII, chap. VI, v. 17 ». Comme il n'existe pas 17
livres des Rois, il s'agit probablement d'une erreur d'impression. Dans le
doute, nous renvoyons à la note retranscrite par J-P. Dubost sur le
manuscrit. Voy. Erotika Biblion, édition critique par
Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 27.
2 Voy. « Errotika Biblion », Amadieu
Jean-Baptiste et Mace Laurence, Les Mises à l'Index des
Lumières françaises au XVIIIe siècle
dans La Lettre clandestine, n°25, dirigée par
Pierre-François Moreau et Susana Maria Seguin, éd. cit, page
28.
3 Il s'agit probablement de la version revue par
Pierre Thomas Du Fossé et Henri-Charles Beaubrun ; avant eux, la
traduction de Sacy ne concernait pas l'Ancien Testament. Voy. La
Sainte Bible traduite en françois, le latin de la vulgate à
côté, avec de courtes notes tirées des saints pères
& des meilleurs interprètes [...], trad. Isaac Lemaistre de
Sacy, établie en liaison avec les Messieurs de Port-Royal, revues
après sa mort en 1684 par Pierre Thomas Du Fossé et Henri-Charles
Beaubrun notamment, à Liège, chez Jean-François Broncart,
1701.
60 - Inspirations et ressources
Berruyer', et celle de Martin Luther2. En plus de
ces traductions, Mirabeau présente une querelle autour du terme
proeputiae, engageant, en plus des traducteurs ci-nommés, les
jansénistes et les jésuites ; au total, la note fait dialoguer
sept acteurs autour du terme « prépuces »3 . Comme
le souligne la Congrégation4, il ne peut pas s'agir des
Philistins qui n'existaient déjà plus en tant que nation lors des
conquêtes d'Alexandre le Grand, mais d'une nouvelle
génération juive qui, à l'orée de la période
hellénistique, se soumet à l'envahisseur et se défait des
marques de l'Alliance. L'Écriture la présente comme des ennemis
mauvais et malsains pour avoir renié la foi, tels que sont
présentés d'ailleurs les Philistins dans le Livre des
Rois. On peut toujours imaginer qu'il y ait eu des erreurs d'impression
dans les sept sources citées par Mirabeau, mais il est fort peu probable
qu'elles concernent toutes des inversions des termes « Philistins »
et « Israélites ».
S'il s'agit d'une erreur de mémoire, on peut excuser
facilement l'incohérence des dates, l'approximation des versets, ou
l'amalgame Philistins-Israélites. Mais l'impertinence d'une erreur qui
regarde Alexandre Le Grand, personnage extrêmement célèbre,
est consternant pour quelqu'un qui disposerait d'une si vaste culture biblique
et qui lirait la Bible en quatre langues différentes. Il s'agit
plus probablement d'une erreur colportée dans une édition de la
Bible disposant de commentaires qui relatent plusieurs versions de
l'Écriture. Vu les références mobilisées par
Mirabeau, on pourrait situer un commentaire publié après 1701,
c'est-à-dire après la Bible de Sacy. Nous
écartons volontairement l'ouvrage d'Isaac-Joseph Berruyer de cette
datation parce qu'il s'agit en vérité d'un roman adapté de
l'Histoire biblique et écrit selon les goûts de l'époque.
Ce roman a d'ailleurs suscité beaucoup d'indignation tant de la part du
monde clérical, que du monde laïque ; et vu son énorme
succès, il se pouvait très bien que Mirabeau l'ait en sa
possession ou qu'il en ait retenu ce passage. D'ailleurs, il ne l'évoque
qu'à cet endroit en l'écrivant « père Berrhuyer
»5 [« Anagogie », page 7] avec une faute qu'il
n'aurait pas faite s'il avait eu le nom écrit sous les yeux.
Avant d'écarter définitivement la
possibilité que Mirabeau ait retenu de mémoire les citations de
la Bible, il nous reste à observer son exacte maîtrise
des langues qu'il cite des différentes versions de la Bible ;
à savoir, le grec, le latin et l'allemand. En ce qui concerne le latin,
nous avons déjà montré qu'il le maîtrisait
parfaitement de par ses traductions de Tibulle. Et en ce qui concerne
l'allemand, il a fait quelques excursions en Allemagne avant sa
détention, et s'est vu chargé par Talleyrand en 1786
' Histoire du peuple de Dieu depuis son origine
jusqu'à la venue du Messie, par Isaac-Joseph Berruyer, Paris, 7.
Vol, 1728.
2 Biblia : das ist : die gantze Heilige
Schrifft : Deudsch Auffs New zugericht, D. Mart. Luth, Gedrueckt zu
Wittemberg Durch Hans Lufft. M. D. XLI.
3 Voy. notre retranscription des «
Évocations et allusions à un intertexte foisonnant », annexe
I.
4 La Lettre clandestine, n°25,
dirigée par Pierre-François Moreau et Susana Maria Seguin,
ibid.
5 Il fallait écrire « Berruyer ».
Ce n'est pas une erreur d'impression, puisqu'on retrouve la même faute
dans le manuscrit trouvé par J-P Dubost. Cf, Erotika Biblion,
édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 27.
Ressources bibliques - 61
d'une mission secrète à Berlin consistant
à lui rapporter toutes sortes d'informations ; suite à ses
rapports, et n'obtenant pas de vrai poste diplomatique, Mirabeau publie un
pamphlet révélant la consistance des intrigues
berlinoises1. Si ces faits ne permettent pas d'établir
sûrement une parfaite maîtrise de l'allemand, il s'avère que
Philippe Roudié relève son multilinguisme en établissant
Mirabeau dans le rôle de médiateur entre les Lumières
françaises et allemandes2 . Le latin et l'allemand peuvent
être considérés comme deux langues qu'il maîtrisait
très bien ; il nous reste donc à examiner sa maîtrise du
grec.