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La coopération entre le Japon et le Burkina Faso depuis la conférence internationale de Tokyo sur le développement de l'Afrique (TICAD) : 1993-2018.par Eric ZONGO Université Joseph Ki-Zerbo/Burkina Faso - Master en économie, population et relations internationales. 2019 |
Chapitre II : Le cadre de la politique d'aide japonaise en Afrique : le processus de la TICAD : 1993-2018Dans ce chapitre, nous tentons d'analyser la politique d'aide japonaise en Afrique depuis la fin de la guerre froide. L'objectif est de chercher à comprendre les raisons qui ont poussé le Japon à s'intéresser activement au continent africain. Le chapitre explore, explique et analyse donc le processus de la TICAD en se limitant aux six premières conférences. Il est divisé en deux points. Le premier point analyse les trois premières réunions qui se sont tenues entre 1993 et 2003 et couronnées par la déclaration du dixième anniversaire de la TICAD. Le second point examine les trois autres conférences allant de 2008 à 2016. I. De la TICAD I à la TICAD IIILorsque la TICAD se tenait en 1993, la situation du Japon et de l'Afrique était différente. Le Japon demeurait la deuxième puissance économique mondiale et le plus important fournisseur d'APD au monde. L'Afrique, en revanche, luttait pour réduire la pauvreté et cherchait une aide étrangère rapide70(*). I.1. La TICAD I (1993).Selon Shinichi Asazuma, directeur des Affaires africaines au département du ministère des affaires étrangères japonais en 2013, la raison pour laquelle le Japon a commencé la TICAD était de ramener l'attention mondiale sur l'Afrique. En effet, au début des années 1990, l'intérêt général sur l'Afrique s'est relativement estompé après la chute du mur de Berlin en 1989 et la fin de la guerre froide. Pendant la guerre froide, les pays capitalistes et communistes étaient mobilisés pour aider les pays africains afin d'étendre leurs propres blocs et sphères d'influence71(*). Pour Howard Lehman qui cite un autre responsable du Ministry of Foreign Affairs (MOFA) du Japon, la motivation du Japon dans l'organisation de cette conférence s'explique par trois raisons72(*): 1) Le Japon a clairement pris conscience des besoins humanitaires en Afrique et, compte tenu de la richesse économique du pays, s'est rendu compte qu'il pouvait créer un environnement d'aide positive. 2) Le Japon souhaitait avoir une place au soleil et voulait être traité comme une puissance mondiale majeure à la fois par d'autres grandes puissances et par l'ensemble de la communauté internationale. C'est pourquoi Bert Edstrôm souligne que la TICAD a été lancée à la suite et pour contrecarrer ce que Tokyo considérait comme un simple désastre pour sa politique étrangère : l'implication du Japon ou plutôt son absence dans la guerre contre Saddam Hussein. En effet, invoquant des contraintes constitutionnelles, le Japon, au lieu d'envoyer des soldats participés à la guerre contre l'Irak dirigée par les Etats-Unis et autorisée par l'ONU, supportera une importante part du fardeau financier de l'effort de guerre, affectant 13 milliard de dollars américains à la campagne militaire contre l'Irak. A la grande surprise du gouvernement nippon, plutôt que d'avoir des éloges pour sa générosité financière, le Japon s'est vu critiquer de toute part. Les autorités japonaises étaient en colère et en plein désarroi. Le Japon devait donc faire face à une lutte ardue pour recouvrer non seulement le respect international mais aussi la confiance en soi73(*). En tant que dernier venu en Afrique, le Japon avait besoin d'une présence sur le continent pour se présenter comme l'un des principaux donateurs. De plus, selon Bolade Eyinla, la TICAD est un instrument diplomatique, consciemment lancée par le Japon en 1993 pour servir ses intérêts nationaux. Pour lui, en lançant la TICAD, le Japon avait deux principaux objectifs: exploiter les matières premières et les ressources minérales africaines et acquérir à long terme un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU74(*). 3) Dans le cadre de son plan stratégique visant à se positionner comme une puissance asiatique, le Japon a utilisé la TICAD comme une plateforme pour mettre en avant le modèle de développement asiatique. Au cours des années 1980, le Japon commença à critiquer l'impact négatif des Programmes d'ajustement structurel (PAS) en Afrique et les politiques néolibérales. Le point de vue du Japon sur le modèle de développement asiatique offre une alternative aux pays africains. Selon Howard Lehman, le Consensus de Washington a été largement critiqué au Japon comme étant inefficace et injuste dans son application aux pays africains. Pour le Japon, les PAS peuvent être plus efficaces dans des économies à revenu intermédiaire mais ils sont moins efficaces dans des économies à faible revenu comme ceux de la plupart des États africains75(*). Du côté africain, cette période a été celle pendant laquelle la stagnation économique des années 1980 s'est poursuivie76(*). Les réformes économiques demeurent stagnantes. De plus avec la fin de la guerre froide, les pays de l'Union européenne (UE) se sont mis à apporter leur aide financière aux anciens pays de l'Est plutôt qu'à l'Afrique, d'où s'ensuivit une tendance à la diminution de l'aide financière pour l'Afrique77(*). Les pays africains s'inquiétaient d'être marginalisés car l'intérêt de la communauté internationale envers leur développement avait baissé. La TICAD est organisée dans le but de soutenir les réformes politiques et économiques en Afrique. La TICAD I s'est tenue du 5 au 6 octobre 1993 à Tokyo et coorganisée par le Japon, l'Organisation des Nations-Unies (ONU) et la Coalition mondiale pour l'Afrique (CMA). Elle a connu la participation de quarante-huit pays africains, 13 organisations internationales et de nombreux observateurs78(*). La conférence a adopté la « Déclaration de Tokyo sur le développement de l'Afrique : vers le XXIe siècle », une ligne directrice pour le développement de l'Afrique qui soulignait l'importance de l'entraide ainsi que la nécessité d'un soutien international pour l'Afrique. Le Japon exprima également son appui au développement de l'Afrique et demanda à l'Afrique de procéder à la mise en place de leur propre initiative de développement, à la réforme économique et à la bonne gouvernance. Le modèle de développement asiatique a été inséré dans le document. La déclaration de Tokyo stipule qu'à partir « des exemples réussis d'expérience en matière de développement en Asie, le succès du développement repose sur la combinaison d'un engagement fort des dirigeants et des citoyens à l'égard de la prospérité économique et d'un développement approprié à long terme »79(*). Les grands axes de la déclaration sont: Ø le nouveau partenariat basé sur les propres efforts du côté africain et le soutien actif des partenaires de développement africain ; Ø la poursuite et le renforcement des réformes politiques et économiques ; Ø le développement économique au travers des activités du secteur privé ; Ø la coopération et l'intégration régionale pour encourager le commerce et les investissements régionaux ; Ø la pertinence de l'expérience asiatique pour le développement africain et le renforcement de la coopération Sud-Sud ; Ø la prévention, la préparation et la gestion des désastres humains et naturels et le renforcement de la sécurité alimentaire. En termes de résultats, la TICAD I a eu un bilan mitigé car ses résultats ont été plus symboliques que substantiels. En effet, des initiatives efficaces axées sur des résultats n'ont ni été lancées par la communauté internationale, ni par la communauté africaine80(*). Malgré tout, la TICAD I a obtenu quelques résultats surtout sur le plan diplomatique. La dynamique de développement initiée par la TICAD a conduit à la promotion du dialogue afro-asiatique. En 1994, un premier forum Asie-Afrique (FAAI) s'est tenu en Indonésie. L'objectif de ce forum était de permettre un dialogue direct et des échanges entre les décideurs africains et asiatiques, mais aussi dans le but d'identifier les domaines spécifiques où les Africains pourraient tirer des enseignements de l'expérience asiatique. Il en résulta l'adoption du « Cadre de Bandung pour la coopération Asie-Afrique ». Le Japon a organisé en 1997, un FAA II dont l'objet est d'évaluer les progrès effectués depuis le FAA I et de préparer les bases de la deuxième TICAD. * 70JUN Hongo, 2013, «TICAD to redefine Japan aid to Africa» in Japan Times disponible sur www.japantimes.co.jp/news/2013/05/09/national/ticad-to-redefine-japan-aid-to-africa/&.XFijqhi2w0M consulté le 4 février 2019. * 71 Cité par MINORU, Matsutani 2013, «The evolution of TICAD since its inception in 1993», in Japan Times,www.japantimes.co.jp/news/2013/06/01/world/the-evolution-of-ticad-since-its-inception-in-1993/&.XFijMRi2w0M, consulté le 4 février 2019. * 72LEHMAN Howard, 2005,«Japan's foreign aid policy to Africa since the Tokyo International Conference on African Development», PacificAffairs, volume 78, n° 3, Columbia, University of British, page 427. * 73 EDSTROM Bert, 2010, «Japan and the TICAD process », in Asia Paper, Stockholm, Institute for Security & Development Policy, pp. 12-13. * 74 EYINLA Bolade, 2018, « Promoting Japan's national interest in Africa : a review of TICAD», in Africa Development, volume XLIII, n°3, CODESRIA, page 108-109. * 75 LEHMAN P. Howard, 2007, « Japan's national economic identity and African development: an analysis of TICAD», in Research Paper, n° 61, Helsinki, World institute for development economics research (WIDER), page 3. * 76 JICA and Mitsubishi UFJ Reasearch and consuling, 2013, op.cit., page21. * 77JICA and Mitsubishi UFJ Reasearch and consuling, 2013, Idem page 22. * 78 Site web du ministère des Affaires étrangères du Japon: www.mofa.go.jp/region/africa/ticad/outline.htlm; consulté le 23 mars 2019. * 79 Déclaration de Tokyo sur le développement de l'Afrique : vers le XXIe siècle, disponible sur www.mofa.go.jp/region/africa/ticad2/ticad22.htlm, consulté le 23 mars 2019. * 80 LEHMAN Howard, 2005, op.cit. p. 429. |
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