2- Rixes éleveurs-agriculteurs
On l'a dit plus haut, les communautés villageoises se
retrouvent de plus en plus souvent privées de leur patrimoine foncier
suite à une mauvaise gestion de la terre. Dans les années
précédentes, les pratiques pastorales dans le pays Massa
n'avaient pas trop d'effets et cet élevage était beaucoup plus
traditionnel. Mais aujourd'hui, les zones qui, dans le passé furent
réservées pour la pratique du Guruna sont devenues des
exploitations agricoles. La transhumance dans cette partie semble difficile et
dans certains villages, l'on enregistre chaque année des conflits
ouverts ou latent et dans d'autres, cette situation semble devenir la cause des
futurs conflits.
Aujourd'hui avec l'accroissement de la population, une
nouvelle forme d'élevage s'est instaurée et apparait comme une
menace à la propriété foncière pour la
société massa surtout dans les cantons Moulkoun, Bongor. C'est l'
« élevage des Généraux53 », des
grands commerçants et autres personnalités installées dans
la région
52 Entretien avec le CB de la sous-préfecture
de Rigaza Perssou Dalbé le samedi 24 juin 2017 à Biliam-oursi
I.
53 L'élevage des Généraux est
ici une nouvelle forme d'élevage extensive pratiquée
essentiellement par les officiers supérieurs de l'armée. Ces
Généraux emploient quelquefois les jeunes soldats sous leur
autorité pour surveiller leurs troupeaux. Ces derniers sont dotés
d'armes pour leur défense. Cette pratique est plus
développée dans le nord du pays.
68
du Mayo-Kebbi. C'est ainsi que l'accès aux ressources
telles que les terres, dont les conditions sont très difficiles dans
cette région, est source de tension sociale. Des conflits existent entre
agriculteurs et pasteurs qui ne se résument pas à une simple
opposition. Ces conflits éclatent quasiment chaque année,
essentiellement entre les éleveurs peuls et les autochtones dans les
villages Witiwitchi, Moulkou, Guézédé et Magao et quelque
fois entre les éleveurs massa et les cultivateurs massa54.
D'autres tensions existent aussi entre les nouveaux propriétaires des
grands espaces transformés en vergers et la population locale. Les
agriculteurs veulent étendre le domaine agricole et font fi de l'usage
ancestral oubliant qu'il existe des limites à ne pas franchir
après la vente d'une quelconque parcelle. Les conflits résultent
aussi de l'entrée des animaux pour pâturer dans des parcelles
cultivées non protégées ou des vergers. À en croire
la structure sociale massa, les agriculteurs sont les premiers à
s'installer bien qu'ils pratiquent un élevage traditionnel. L'ancien
élevage confronté aux nouvelles pratiques s'accompagne de
tensions sociales.
Les migrations issues des aléas climatiques soit des
crises politiques au lendemain des indépendances ont eu pour
conséquence une concentration élevée des populations dans
la région du Mayo-Kebbi. Cette concentration crée un manque
d'espace avec l'évolution de la région sur une durée de
près de 45 ans. L'occupation progressive des terres par les
éleveurs et le non-respect des couloirs de transhumance par ces derniers
sont souvent sources de tension. L'exemple de ce qui se passe dans le Canton
Moulkou, Bongor est illustratif. L'on assiste dans ces Cantons à un
regroupement des troupeaux à cause de leur proximité avec le
Logone mais aussi du Chari. En saison de pluie dans ces Cantons, la stagnation
des eaux empêche les éleveurs d'effectuer leur transhumance.
Aussi, les champs de mil dans ces Cantons occupent presque les terres fermes et
cela rétrécit les pistes de transhumance. Comme l'affirme
Abdouraman Tom : « à l'ancien système de transhumance,
à la fois stable et spécifique, mais lié à des
groupes sociologiques précis (Foulbé et Arabe Choa) s'est
substitué un système caractérisé par des relations
de plus en plus conflictuelles entre
54 Entretien avec Djonyang Laurent, chef de secteur de
l'ANADER, 07 août 2017 à Bongor.
69
agriculteurs et éleveurs et une anthropisation accrue
du milieu »,(Abdouraman cité par Sambo, 2012:201).
Il est difficile dans ce contexte de conduire un troupeau de
boeufs d'un point à un autre endroit. Car les éleveurs
considèrent que les agriculteurs font exprès et les
empêchent de circuler comme ils veulent. Inversement, les agriculteurs
estiment que les éleveurs ne respectent guère les lignes
établies dans le cadre de leur circulation55. Cette situation
est, elle-même la résultante cause des conflits, c'est ainsi que
l'on assiste à des disputes qui se terminent par des bagarres entre les
deux camps56. Le Chef de canton de Bongor estime que les conflits
dans sa circonscription ne relèvent pas de sa compétence du
moment où il n'a pas de mot quand survient un conflit57.
Selon lui, lorsqu'un conflit survient, les éleveurs font appel à
leur maître, les hauts cadres du pays et l'affaire est
réglée à la brigade de recherche de la localité
soit à la justice sans son point de vue.
Les conflits qui opposent les agriculteurs aux éleveurs
sont dus aussi à l'occupation des espaces autrefois
réservés à la transhumance par les agriculteurs. Cette
occupation se justifie en effet par la dégradation du sol. Les terres
faisant l'objet des travaux extensifs, ne peuvent subvenir aux besoins de la
population58. Au vue de cette situation, les agriculteurs sont
contraints quelques fois d'excéder leurs champs en touchant les axes
servant de couloir de transhumance. Cette pratique a pour conséquence
les conflits ouverts lors de passages de boeufs entre les agriculteurs et
éleveurs.
55 Entretien avec Djonyang Laurent, chef de secteur de
l'ANADER de Bongor, le lundi 07 août 2017 à Bongor
56 Entretien avec le Chef de Canton de Bongor, Samma
Tordina le lundi 26 juin 2017 à Bongor.
57 Ibid.
58 Entretien avec Djonyang Laurent, chef de secteur de
l'ANADER de Bongor, le lundi 07 août 2017 à Bongor.
70
Photo 8 : Un troupeau de boeufs pâturant
près d'un champ.
Cliché :Kampété Dieudonné
Kingué, 13 octobre 2017.
Accompagnés souvent des petits enfants, comme c'est le
cas sur cette photo, prise dans un village situé à quelques
kilomètres de Bongor, ces derniers ne peuvent maitriser les boeufs qui
saccagent les champs, entrainant des altercations avec les paysans. C'est ainsi
qu'une altercation entre éleveurs peuls et agriculteurs
dégénéra en bataille rangée dans la localité
de Guézédé, village situé à 15km de Bongor.
L'affrontement se soldat par de nombreux blessés parmi les
communautés belligérantes59. C'est aussi le cas
à Moulkou où en 2015 un conflit éclate entre les
éleveurs choa et agriculteurs Massa. Ce conflit se solde par un grand
nombre de blessé dans les deux camps et le litige fut
réglé chez le chef de canton de Moulkou60.
Alliés aux hommes armés de la région, ces
éleveurs sont dotés quelquefois des armes à feu qu'ils
utilisent en cas de menace comme le confirme Khamis, l'OPJ de la
59Entretien avec Khamis officié de la police
municipale de la brigade de Bongor le lundi 26 juin 2017 à Bongor.
60 Entretien avec le chef de secteur de L'ANADER, Djonyang Laurent
le lundi 07 août 2017 à Bongor
71
brigade de Bongor61. Ce qui fait que la plupart des
conflits entre les deux camps sont meurtriers. Les bergers étant parfois
des employés de riches éleveurs musulmans basés en ville,
les affrontements connaissent parfois des tournures confessionnelles et une
dimension de lutte de classe. C'est ainsi qu'en 2016, comme nous l'explique
Djonyang Laurent, chef de secteur de l'ANADER62 de la région
de Mayo-Kebbi, une altercation entre bouvier et agriculteur fut saisie par le
parquet de Bongor parce que selon lui, les Chefs traditionnels se sont vus dans
l'impossibilité de trancher le conflit. D'après ce qu'en
rapportent les témoins, un général d'armée a
ordonné depuis N'djaména à son bouvier de
pénétrer un champ près de son terrain parce que son
troupeau est aux abois. Ce dernier s'exécute, provoquant le courroux des
agriculteurs. La situation dégénère en conflit ouvert
entre les propriétaires dudit champ et le bouvier. Les chefs
traditionnels ayant peur de se voir détrôner ont laissé
l'affaire entre les mains de la justice63.
Comme mentionné dans le précédent
chapitre, les massa sont un peuple qui chaque année pratique le
Guruna, sorte de rite qui consiste pour les jeunes de conduire les
troupeaux en brousse pour une durée de deux voire trois mois. Cette
sorte d'élevage traditionnel est le propre de l'homme massa. Cette
pratique est depuis quelques années sources de conflits dont les causes
sont liées au non-respect des couloirs de transhumance établis
par les hommes massa eux-mêmes.
Avec l'accroissement de la population dans le canton Koumi par
exemple, les espaces se sont rétrécis et ce qui était
autrefois considéré comme couloir de transhumance est aujourd'hui
exploités par les hommes. Ainsi, l'on enregistre chaque année des
conflits latents entre les populations locales, depuis les villages Magoa
jusqu'à Tior.
De même, le guruna était pratiqué
jadis par les jeunes braves et valides. Mais aujourd'hui, cette pratique est
désacralisée. Souvent, ce sont les enfants qui s'en
61Entretien avec Khamis, Officier de la Police
Judiciaire de la brigade de Bongor, le lundi 26 juin 2017 à Bongor.
62 Acronyme pour désigner l'Agence Nationale
d'Appui au Développement Rural, ex ONDER (office national du
développement rural).
63 Entretien avec Djonyang Laurent le lundi 07
août 2017 à Bongor.
72
occupent et n'ayant pas l'entière maitrise du troupeau,
laissent les boeufs dévaster les champs des paysans. C'est le cas
notamment à Witiwithi, village situé dans le canton
Télémé où un champ de haricot a été
dévasté par les boeufs conduit par deux enfants massa.
|