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Accès à  la terre et conflit au tchad: cas du <> (XXe au XXIe siècle).


par Dieudonné Kingué Kampété
Université de Maroua - Master II en Histoire Politique et des Relations Internationales  2016
  

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2- Rixes éleveurs-agriculteurs

On l'a dit plus haut, les communautés villageoises se retrouvent de plus en plus souvent privées de leur patrimoine foncier suite à une mauvaise gestion de la terre. Dans les années précédentes, les pratiques pastorales dans le pays Massa n'avaient pas trop d'effets et cet élevage était beaucoup plus traditionnel. Mais aujourd'hui, les zones qui, dans le passé furent réservées pour la pratique du Guruna sont devenues des exploitations agricoles. La transhumance dans cette partie semble difficile et dans certains villages, l'on enregistre chaque année des conflits ouverts ou latent et dans d'autres, cette situation semble devenir la cause des futurs conflits.

Aujourd'hui avec l'accroissement de la population, une nouvelle forme d'élevage s'est instaurée et apparait comme une menace à la propriété foncière pour la société massa surtout dans les cantons Moulkoun, Bongor. C'est l' « élevage des Généraux53 », des grands commerçants et autres personnalités installées dans la région

52 Entretien avec le CB de la sous-préfecture de Rigaza Perssou Dalbé le samedi 24 juin 2017 à Biliam-oursi I.

53 L'élevage des Généraux est ici une nouvelle forme d'élevage extensive pratiquée essentiellement par les officiers supérieurs de l'armée. Ces Généraux emploient quelquefois les jeunes soldats sous leur autorité pour surveiller leurs troupeaux. Ces derniers sont dotés d'armes pour leur défense. Cette pratique est plus développée dans le nord du pays.

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du Mayo-Kebbi. C'est ainsi que l'accès aux ressources telles que les terres, dont les conditions sont très difficiles dans cette région, est source de tension sociale. Des conflits existent entre agriculteurs et pasteurs qui ne se résument pas à une simple opposition. Ces conflits éclatent quasiment chaque année, essentiellement entre les éleveurs peuls et les autochtones dans les villages Witiwitchi, Moulkou, Guézédé et Magao et quelque fois entre les éleveurs massa et les cultivateurs massa54. D'autres tensions existent aussi entre les nouveaux propriétaires des grands espaces transformés en vergers et la population locale. Les agriculteurs veulent étendre le domaine agricole et font fi de l'usage ancestral oubliant qu'il existe des limites à ne pas franchir après la vente d'une quelconque parcelle. Les conflits résultent aussi de l'entrée des animaux pour pâturer dans des parcelles cultivées non protégées ou des vergers. À en croire la structure sociale massa, les agriculteurs sont les premiers à s'installer bien qu'ils pratiquent un élevage traditionnel. L'ancien élevage confronté aux nouvelles pratiques s'accompagne de tensions sociales.

Les migrations issues des aléas climatiques soit des crises politiques au lendemain des indépendances ont eu pour conséquence une concentration élevée des populations dans la région du Mayo-Kebbi. Cette concentration crée un manque d'espace avec l'évolution de la région sur une durée de près de 45 ans. L'occupation progressive des terres par les éleveurs et le non-respect des couloirs de transhumance par ces derniers sont souvent sources de tension. L'exemple de ce qui se passe dans le Canton Moulkou, Bongor est illustratif. L'on assiste dans ces Cantons à un regroupement des troupeaux à cause de leur proximité avec le Logone mais aussi du Chari. En saison de pluie dans ces Cantons, la stagnation des eaux empêche les éleveurs d'effectuer leur transhumance. Aussi, les champs de mil dans ces Cantons occupent presque les terres fermes et cela rétrécit les pistes de transhumance. Comme l'affirme Abdouraman Tom : « à l'ancien système de transhumance, à la fois stable et spécifique, mais lié à des groupes sociologiques précis (Foulbé et Arabe Choa) s'est substitué un système caractérisé par des relations de plus en plus conflictuelles entre

54 Entretien avec Djonyang Laurent, chef de secteur de l'ANADER, 07 août 2017 à Bongor.

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agriculteurs et éleveurs et une anthropisation accrue du milieu »,(Abdouraman cité par Sambo, 2012:201).

Il est difficile dans ce contexte de conduire un troupeau de boeufs d'un point à un autre endroit. Car les éleveurs considèrent que les agriculteurs font exprès et les empêchent de circuler comme ils veulent. Inversement, les agriculteurs estiment que les éleveurs ne respectent guère les lignes établies dans le cadre de leur circulation55. Cette situation est, elle-même la résultante cause des conflits, c'est ainsi que l'on assiste à des disputes qui se terminent par des bagarres entre les deux camps56. Le Chef de canton de Bongor estime que les conflits dans sa circonscription ne relèvent pas de sa compétence du moment où il n'a pas de mot quand survient un conflit57. Selon lui, lorsqu'un conflit survient, les éleveurs font appel à leur maître, les hauts cadres du pays et l'affaire est réglée à la brigade de recherche de la localité soit à la justice sans son point de vue.

Les conflits qui opposent les agriculteurs aux éleveurs sont dus aussi à l'occupation des espaces autrefois réservés à la transhumance par les agriculteurs. Cette occupation se justifie en effet par la dégradation du sol. Les terres faisant l'objet des travaux extensifs, ne peuvent subvenir aux besoins de la population58. Au vue de cette situation, les agriculteurs sont contraints quelques fois d'excéder leurs champs en touchant les axes servant de couloir de transhumance. Cette pratique a pour conséquence les conflits ouverts lors de passages de boeufs entre les agriculteurs et éleveurs.

55 Entretien avec Djonyang Laurent, chef de secteur de l'ANADER de Bongor, le lundi 07 août 2017 à Bongor

56 Entretien avec le Chef de Canton de Bongor, Samma Tordina le lundi 26 juin 2017 à Bongor.

57 Ibid.

58 Entretien avec Djonyang Laurent, chef de secteur de l'ANADER de Bongor, le lundi 07 août 2017 à Bongor.

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Photo 8 : Un troupeau de boeufs pâturant près d'un champ.

Cliché :Kampété Dieudonné Kingué, 13 octobre 2017.

Accompagnés souvent des petits enfants, comme c'est le cas sur cette photo, prise dans un village situé à quelques kilomètres de Bongor, ces derniers ne peuvent maitriser les boeufs qui saccagent les champs, entrainant des altercations avec les paysans. C'est ainsi qu'une altercation entre éleveurs peuls et agriculteurs dégénéra en bataille rangée dans la localité de Guézédé, village situé à 15km de Bongor. L'affrontement se soldat par de nombreux blessés parmi les communautés belligérantes59. C'est aussi le cas à Moulkou où en 2015 un conflit éclate entre les éleveurs choa et agriculteurs Massa. Ce conflit se solde par un grand nombre de blessé dans les deux camps et le litige fut réglé chez le chef de canton de Moulkou60.

Alliés aux hommes armés de la région, ces éleveurs sont dotés quelquefois des armes à feu qu'ils utilisent en cas de menace comme le confirme Khamis, l'OPJ de la

59Entretien avec Khamis officié de la police municipale de la brigade de Bongor le lundi 26 juin 2017 à Bongor. 60 Entretien avec le chef de secteur de L'ANADER, Djonyang Laurent le lundi 07 août 2017 à Bongor

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brigade de Bongor61. Ce qui fait que la plupart des conflits entre les deux camps sont meurtriers. Les bergers étant parfois des employés de riches éleveurs musulmans basés en ville, les affrontements connaissent parfois des tournures confessionnelles et une dimension de lutte de classe. C'est ainsi qu'en 2016, comme nous l'explique Djonyang Laurent, chef de secteur de l'ANADER62 de la région de Mayo-Kebbi, une altercation entre bouvier et agriculteur fut saisie par le parquet de Bongor parce que selon lui, les Chefs traditionnels se sont vus dans l'impossibilité de trancher le conflit. D'après ce qu'en rapportent les témoins, un général d'armée a ordonné depuis N'djaména à son bouvier de pénétrer un champ près de son terrain parce que son troupeau est aux abois. Ce dernier s'exécute, provoquant le courroux des agriculteurs. La situation dégénère en conflit ouvert entre les propriétaires dudit champ et le bouvier. Les chefs traditionnels ayant peur de se voir détrôner ont laissé l'affaire entre les mains de la justice63.

Comme mentionné dans le précédent chapitre, les massa sont un peuple qui chaque année pratique le Guruna, sorte de rite qui consiste pour les jeunes de conduire les troupeaux en brousse pour une durée de deux voire trois mois. Cette sorte d'élevage traditionnel est le propre de l'homme massa. Cette pratique est depuis quelques années sources de conflits dont les causes sont liées au non-respect des couloirs de transhumance établis par les hommes massa eux-mêmes.

Avec l'accroissement de la population dans le canton Koumi par exemple, les espaces se sont rétrécis et ce qui était autrefois considéré comme couloir de transhumance est aujourd'hui exploités par les hommes. Ainsi, l'on enregistre chaque année des conflits latents entre les populations locales, depuis les villages Magoa jusqu'à Tior.

De même, le guruna était pratiqué jadis par les jeunes braves et valides. Mais aujourd'hui, cette pratique est désacralisée. Souvent, ce sont les enfants qui s'en

61Entretien avec Khamis, Officier de la Police Judiciaire de la brigade de Bongor, le lundi 26 juin 2017 à Bongor.

62 Acronyme pour désigner l'Agence Nationale d'Appui au Développement Rural, ex ONDER (office national du développement rural).

63 Entretien avec Djonyang Laurent le lundi 07 août 2017 à Bongor.

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occupent et n'ayant pas l'entière maitrise du troupeau, laissent les boeufs dévaster les champs des paysans. C'est le cas notamment à Witiwithi, village situé dans le canton Télémé où un champ de haricot a été dévasté par les boeufs conduit par deux enfants massa.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore