1- Conflits inter-claniques
Les formes et modes de propriété des terres sont
souvent la source de conflits. La gestion des terres ancestrales chez les Massa
constitue une source d'incompréhension majeure entre villages. En effet,
ce conflit est l'un des plus meurtriers de la région. La
problématique du droit d'accès à la terre se pose avec
acuité dans un contexte où le nombre de la population va de
manière croissante. Depuis plus d'une décennie, le canton Koumi,
connaît des situations dramatiques. Ce Canton se compose principalement
de trois entités claniques : le groupe Beiga dans le nord, les Rigaza et
Nollaye dans le sud. Il faut signaler que ces trois entités claniques
vivent en harmonie depuis des siècles. Au départ, le village de
Biliam-oursi I et Biliam-oursi II vivaient en harmonie. Les conflits les
opposaient au clan Koumi. Les antagonismes commencent quand un des Biliam-oursi
II rend l'âme suite à une bagarre entre ces derniers et un fils de
Biliam-oursi I. cette situation interrompt les relations qui existaient entre
ces deux clans. À partir de cet instant, les Biliam-oursi se rallient au
Koumi, clan qui, au départ était leur ennemi.
Les premiers heurts commencèrent en 1998, quand les
paysans de Dongui-Baha, village voisin de biliam-oursi I, investissent un
terrain de 10 hectares exploité depuis fort longtemps par le village de
Biliam-oursi I. Ils prétextent que ce Champ leur appartient. À la
suite de cette revendication, une bataille éclate et se solde par deux
morts dans le camp biliam-oursi I. Après jugement39 en faveur
de biliam-oursi I, le verdict est contesté par le village de Dongui-Baha
et ce, jusqu'aujourd'hui bien que le champ appartient juridiquement au village
biliam-oursi I40.
De ce qui précède, un décret
présidentiel érige les cantons Toura, Magoua et Koumi en
sous-préfecture dénommé Rigaza41. Avec une
Sous-préfecture portant le nom de leur ancêtre, les Rigaza
commencent par imposer leur dicta. À partir de ce moment la question
d'autochtonie se pose. En d'autres termes, qui n'est pas Rigaza n'est pas de
Koumi, et par conséquent n'a pas accès à la terre. C'est
dans ce contexte
39 Entretien avec le chef de canton Sampil Dapsia, le
vendredi 23 juin 2017 à Nolay.
40 Ibid.
41 Cf. Décret n°354/PR/MISD/99 du premier
septembre 1999 portant création de la sous-préfecture de
Rigaza
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que le clan Rigaza interdit les biliam-oursi I de labourer 34
hectares de riz. Alors que ce champ est la propriété de
biliam-oursi I bien avant sa mise en valeur en 1953, date de la création
du casier A de Biliam-oursi42. Suite à ces
événements, le tribunal de 1re Instance de Bongor a rendu un
jugement en faveur de Biliam-oursi I43. Ce jugement est mal
accepté par le clan Rigaza qui attaque les forces de l'ordre, blessant
un gendarme grièvement. Les gendarmes ripostent en blessant plusieurs
personnes dans le camp Rigaza dont un mortellement. Pour se venger, les Rigaza
s'abattent sur Biliam-oursi I. Ils détruisirent les habitations et
pillèrent le village ennemi44.
Dans un contexte de rixe violent, en juin 2014, les membres du
clan Rigaza du Canton Magao, sous-préfecture de Moulkou empêchent
le village de Biliam-oursi Beiga d'exploiter un champ appartenant à ce
dernier. Ils arrachent les plants, s'en prennent violemment aux cultivateurs.
Quelques bottes sont amenées comme preuves par les gendarmes de Bongor.
Quelques mois après, de la même année, les exploitants
agricoles de la rizière de Biliam-oursi I sont attaqués par
quelques individus du Clan Rigaza. Il s'agit cette fois-ci de tous les villages
de Rigaza du Canton Koumi et de quelques villages du Canton Magao,
sous-préfecture de Moulkou45. Ils investissent tous les
villages Biliam-beiga. Les hostilités durent trois jours et le bilan est
de 12 morts, soit 9 du côté des Beiga et 4 du côté
Rigaza. Ce conflit voit dans le cadre de sa résolution la
présence de l'ex premier Ministre Tchadien et du gouverneur,
accompagné des forces de l'ordre. Ainsi, 54 personnes sont
arrêtées par les forces de l'ordre. Elles se trouvaient soit au
lieu de deuil, soit au champ du mil, soit au sortie d'une
église46, transférées à N'djaména
et après à Korotoro, une prison située dans le
djourab47.
42 Entretien avec Malamssou, cultivateur, le 23 juin
2017 à Ours I.
43 Cf. pièce n°3 : extrait du jugement
civil du 27 avril 2011.
44 Entretien avec Malamssou, cultivateur, le jeudi 23
juin 2017 à Oursi I.
45 Entretien avec le sous-préfet Moussa
Kallibokori le 24 juin 2017 à Oursi I.
46 Entretien avec Dom Djaldi, cultivateur, le vendredi
23 juin 2017 à Oursi I.
47 Désert dans la partie nord-est du Tchad.
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Aujourd'hui, ces conflits se manifestent chaque année
à l'approche de la saison de pluie mais souvent latents. Ayant pris une
connotation politique48, il ressort des analyses sur le terrain que
le fait que les biliam-béiga soient reconnus comme propriétaires
dudit terrain faisant l'objet de tensions, et de tous les conflits futurs.
Ainsi la « Rigazatitude49 » prônée
par les Rigaza, apparaît comme une idéologie dont il faut se
prévaloir pour exclure certains groupes.
Il convient de souligner que les tensions violentes et souvent
moins violentes dans le Canton Koumi s'explique par une croissance
démographique rapide ; un camp voulant s'accaparer d'autres espaces pour
assurer la survie de son village. L'autre camp moins peuplé revendique
la propriété des champs, arguant qu'il l'exploitait avant sa mise
en valeur par le casier A à Biliam-oursi.
Outre ces conflits violents dans le Canton Koumi, il existe
des conflits moins sanglants souvent tranchés sur le coup. Il s'agit par
exemple du litige qui oppose le village Kouhlou au village Malam50.
Ce dernier voudrait mettre en valeur un espace de plusieurs hectares sous
pression d'une démographie galopante. Ce différend fut
réglé à l'amiable par les chefs de village et de
canton.
Contrairement au Canton Koumi où l'on enregistre le
plus des conflits ouverts et souvent violents entre les différents
clans, le Canton Bongor fait l'objet des conflits latents et quelques fois
ouverts. C'est ainsi qu'un litige opposa en 2015 le village de Djarabou,
situé à 15km de Bongor, aux villages Tchinvogo et Gollo. Ces deux
villages se disputaient un terrain de plusieurs hectares à la
frontière qui les sépare. Toutefois, il n'y pas eu d'affrontement
direct. Le litige a été tranché à l'amiable, le
chef de village ayant été l'arbitre : « En principe la norme
voudrait à ce qu'ils me consultent avant de labourer sur mon territoire
»51.
48 Nous parlons de la connotation politique ici parce
que la notion de Rigazatitude est soulevée afin de bannir certains
groupes de la société.
49 Nom qui renvoie à l'ancêtre Rigaza qui
est pour le clan une fierté.
50 Entretien avec le chef de village Kouhlou Issa
Kampété le samedi 24 juin à Beiga-kouhlou.
51 Entretien avec la Chef de village Djarabou Oumar
Mahamat, le mardi 27 juin 2017 à Djarabou.
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Les autorités administratives signalent aussi les
conflits domaniaux dans les villages Goum-Bougoudan et Malam-Wayanga : «
C'est une population tellement violente, une erreur pouvant dans ces
sociétés vous conduire à la mort. C'est
généralement les parents qui, arrivés à un certain
niveau croient pouvoir dompter les autres, incitent les enfants à
occuper les champs d'autres personnes ».52 Cette occupation
illégale des terrains est mal acceptée par les
propriétaires qui revendique leurs terrains y compris par la force.
C'est ainsi que l'on enregistre chaque année des cas de conflit sur
l'ensemble du territoire massa.
Aujourd'hui, le dans le canton Koumi, la majorité des
conflits inter-clans ou familles quels qu'ils soient, sont des conflits dont le
fondement est lié au sol. Les conflits éclatent quasiment chaque
année entre les différents groupes avec des conséquences
fâcheuses.
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