I.4. LES THEORIES EN RAPPORT AVEC L'EMPLOI ET LE
FONCTIONNEMENT DU MARCHE DE TRAVAIL
I.4.1. NOTION SUR LE MARCHE DE TRAVAIL
Le marché est un lieu public, en plein air ou couvert,
où l'on vend et où l'on achète des
marchandises45
Le marché est encore défini comme un lieu ou
moyen de rencontre de l'offre et de la demande d'un bien ou d'un service,
où se détermine le prix de cession et les quantités
échangés.
L'expression « passer un marché » indique que
le marché est aussi un contrat comportant vente et achat des biens et
services. Le marché peut être localisé avec
présentation effective des marchandises et présence physique des
acteurs. Le marché est un lieu de rencontre (éventuelles
abstrait) où les offres des vendeurs (offreurs des services) rencontrent
les demandes des acheteurs (demandeurs des services) qui s'ajustent à un
certain prix. Notre cas ici se focalise exclusivement sur le marché des
Services.
Selon cette définition, le marché est donc une
façon de confronter l'offre et la demande afin de réaliser un
échange des sévices ou des capitaux.46
45 SILI M. et JM ALBERTII, lexique d'économie,
7e Edition, Paris, Dalloz, 2002, p 626.
46 GELEDAN et J BREMOND, Dictionnaire économique et
sociale, HATER, Paris 1981, 3e Ed. P 230
28
Figure n° 1 : Le marché et
l'offre
Demande
Offre
Marché
Organiser la rencontre
Prix du marché
Quantités échangées
Ce schéma nous montre comment le marché est
une façon de confronter l'offre à la demande afin de
réaliser un échange des biens et services ou des
capitaux.
Au cours des années quatre-vingt, la conception
collective qui sous entendait le marché de travail suscita des critiques
de plus en plus nourris. Ces critiques ont été
entérinées par le Fond Monétaire International (FMI) dans
le cadre de ses programmes d'Ajustement Structurel (PAS). Le fond a
observé que c'est sur le marché de travail que l'action
réformatrice a été la moins marquée. Par exemple
jusqu'à une époque récente, c'était le code de
travail seul qui réglementait les relations du travail.
Ainsi donc plusieurs théories sont venues appuyer les
textes qui existaient déjà en rapport avec l'emploi et le
fonctionnement du marché de travail.
Trois grands corpus théoriques, la théorie du
capital humain, la théorie du signal et la concurrence pour l'emploi ont
tenté de formaliser le lien de l'inadéquation entre qualification
et emploi.
I.4.1.1. La théorie de capital humain
:47 suppose d'une part que la formation initiale, dont
l'accès est libre, augmente les compétences individuelles
directement mobilisables dans l'emploi et d'autre part que le marché du
travail dans différents secteurs est en situation de concurrence. Dans
cette situation sans chômage, la qualification est alors un
investissement en capital humain et les individus choisissent la durée
de la formation en fonction (le
47 Marie Chantal Doucet, théorie du comportement
humain et configurations sociales, les presse de l'université,
Montréal, 2009, Pp 35-53
48 Gary Becker, Human capital, A
theoretical and empiricalanalysis, withspecialreference to education,
NBER-Columbia Universitypress, 1964, P 187
29
cursus académique jusqu'à être
qualifié ou avoir un grand diplôme) du rendement attendu de la
formation en termes de salaire. La concurrence égalise donc les taux de
rendements (écart entre le rendement salarial de la qualification et
coûts directs et d'opportunité liés à cette
dernière). Le diplôme et la spécialité ne jouent
aucun rôle. Le rendement salarial est en corrélation avec la
durée des études.
Pour expliquer le rôle différencié du
domaine de formation et de la qualification sur le salaire, en respectant les
hypothèses standards de ce corpus, il faut supposer que la qualification
est aussi un investissement de type qualitatif. Les coûts directs et/ou
les coûts d'opportunité de formation dans chaque domaine suivi
à l'université doivent alors être
différenciés. Les plus qualifiés supposés avoir
dépensés des coûts plus élevés doivent donc
des rendements plus importants sur le marché du travail,
conséquence de la libre concurrence sur le marché du travail et
de la qualification. Les différences de salaires reflètent alors
les différences de productivité attachées aux individus.
Ces différences sont le résultat d'investissements distincts en
formation en termes de durée des études et de choix de la
spécialité ou du domaine suivi.
I.4.1.2. La théorie du signal :
48A la différence de la précédente
théorie, la théorie du signal suppose que le marché du
travail n'est pas doté d'une information pure et parfaite. En
particulier, l'employeur ne connaît pas la productivité future du
travailleur qu'il embauche. La formation initiale (niveau, durée ou
diplôme) est pour lui la seule mesure des capacités productives
potentielles dont il dispose. Le rôle du fait d'être
qualifié est de « filtrer » la population active afin de
signaler aux employeurs les capacités productives des individus. Dans la
version stricte du signal, la qualification ne fait que signaler des
capacités préexistantes sans les modifier ou les augmenter. Ces
capacités sont les aptitudes innées et éventuellement
augmentées par l'influence du milieu familial ou social. Les plus aptes
poursuivent davantage leurs études pour être plus qualifiés
car les coûts de formation supportés par les individus sont
d'autant plus faibles que les capacités préexistantes des
individus sont élevées. Les spécialités de
formation peuvent aussi jouer un rôle dans ce cadre théorique. En
effet, si les domaines de formation reposent sur des processus de
sélection et de signaux différenciés (certaines
spécialités sont plus difficiles à suivre et demandent
donc plus de capacités cognitives et non cognitives) alors la valeur sur
le marché du travail du signal de chaque spécialité de
formation sera aussi différenciée.
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La théorie du capital humain et du signal ne sont pas
opposées et sont souvent supposées complémentaires
puisqu'elles reposent sur des hypothèses différentes. De plus,
dans les deux cas, la vérification empirique lie le salaire au niveau
d'études et ne permet pas aisément de trancher empiriquement
entre les deux hypothèses. Ainsi, le rôle de signalement des
compétences productives ne s'oppose pas à l'hypothèse
selon laquelle les études augmentent les capacités productives
des individus. Il suffit que les coûts d'obtention d'une qualification
quelconque dans un ou tel autre domaine à haut rendement salarial soient
les plus élevés et soient négativement
corrélés aux capacités préexistantes.
En revanche, ces deux théories dans leur forme simple
ne sont pas en mesure d'expliquer le rendement de l'adéquation entre
qualification d'emploi. En effet, elles ne font aucun lien entre les
capacités individuelles et le contenu réel des emplois. Elles ne
permettent donc pas d'expliquer le rendement de l'adéquation. La
qualification transforme et signale ces productivités individuelles qui
sont ensuite valorisées sur le marché du travail. Le salaire ne
dépend que de ces productivités et non pas du poste
occupé. Comment alors expliquer que deux individus identiques du point
de vue de leur formation n'ont pas le même salaire selon qu'ils occupent
un emploi en adéquation avec la spécialité de formation ou
non ? Il faut pour cela faire l'hypothèse que les capacités
productives sont de deux types. Les capacités appartenant au premier
type se valorisent sur l'ensemble des emplois. Il s'agit de compétences
générales. Les capacités de deuxième type ne se
valorisent que sur un nombre restreint d'emplois. Il s'agit de
compétences plus spécifiques. Ces compétences sont
à distinguer du capital humain spécifique du modèle de
base Gary Becker. Ce dernier est spécifique à chaque entreprise
et ne s'accumule qu'avec l'ancienneté dans l'entreprise. Il ne peut
être valorisé à l'extérieur de l'entreprise. Les
compétences spécifiques définies ici sont
caractérisées par le fait qu'elles se valorisent sur un sous
ensemble d'emploi (les emplois appartenant à une même
spécialité professionnelle). On rejoint ici l'idée de
« marchés professionnels » spécifiques à
certaines formations.49 Ces capacités spécifiques
peuvent être signalées ou acquises par le niveau de qualification.
L'existence de ces capacités spécifiques explique le rendement
positif de l'adéquation entre qualification et emploi. Ainsi, un
système de formation qui sélectionne les individus selon leurs
capacités générales et spécifiques (acquises et
signalées) permet d'expliquer le rôle différencié de
la spécialité dans le gain salarial, ce qui est différent
dans les sociétés de gardiennage en ville de Goma.
49 Henri Lepage, Demain le capitalisme, livre de
poche, 1977
31
I.4.1.3. La théorie de concurrence :
Le modèle de concurrence pour l'emploi de JP Jarousse50
apporte un éclairage sur la relation entre qualification et salaire mais
aussi sur la probabilité de réaliser l'adéquation. Il est
supposé ici que le marché du travail n'est pas en concurrence et
que la productivité et donc le salaire dépendent de l'emploi. Il
est fixé par des éléments institutionnels dont la
régulation ne dépend pas des forces du marché. Sur le
marché du travail, l'emploi est donc rationné et il existe un
chômage durable et involontaire. L'employeur ne pouvant ajuster le
salaire en fonction des caractéristiques de l'individu, choisi le
candidat qui rejoindra le plus rapidement la norme de productivité. La
qualification joue donc le rôle d'une carte d'entrée pour
l'emploi. Et il n'y a pas de relation directe entre le domaine poursuivi
à l'université et la productivité dans l'emploi. La
théorie de la concurrence pour l'emploi permet donc de comprendre le
rôle de la qualification dans le parcours d'insertion et dans la
probabilité d'embauche et d'adéquation. En effet, c'est
l'employabilité plutôt que la productivité qui est
recherché par les employeurs. L'employabilité est alors une
notion complexe et multidimensionnelle qui peut faire appel aussi à
d'autres signaux ou indices comme la spécialité. Les estimations
économétriques ne peuvent distinguer la théorie du signal
de la théorie de la concurrence pour l'emploi par les différences
salariales entre individus occupant des postes différents, notamment
parce que l'employabilité est liée aux capacités
individuelles préexistantes. 51Ces deux cadres
théoriques apparaissent donc largement complémentaires.
La théorie de la concurrence pour l'emploi peut aussi
permettre d'expliquer les différences salariales entre qualification et
emploi. Si certains domaines conduisent les jeunes à acquérir des
capacités d'adaptation supérieures aux autres acquis, alors ils
auront accès à des emplois mieux
rémunérés.52L'adéquation entre
qualification et emploi joue alors un rôle dans le classement des
individus dans la file d'attente. Pour aller plus loin, on peut supposer que
les compétences générales acquises permettent
d'acquérir ensuite à moindre coût des compétences
spécifiques nécessaires pour occuper l'emploi correspondant
à sa qualification.53 Sous cette hypothèse, les
individus ayant un niveau de compétences générales
élevées valorisent mieux
50 Jean Pierre Jarousse, Formation et
critères : contribution de la théorie du capital humain à
l'analyse du fonctionnement du marché du travail, Presse de
l'université de Bourgogne, Dijon, 1971
51 Michel Fourmy, Ressources Humaines,
stratégie et création des valeurs, vers une économie du
capital humain, Edition Maxima 2012
52FRIEDMANN, G. ET NAVILLE,
P., cité par J.D MUKENDI KADIMA, Traité de
sociologie du travail, Edit. Armand colin, Paris, 1962, P.
235.
53SALAIS, R. et Alii,
cité par J.D MUKENDI KADIMA, l'intervention du chômage, histoire
et Transformation d'une catégorie en France des années 1890 aux
années 1980, PUF, Paris, 1986, P.4.
32
leurs compétences spécifiques. Ce qui peut donc
amener à un rendement différencié de l'adéquation
selon la qualification. Chose qui ne se passe dans la ville de Goma,
spécialement dans les sociétés de gardiennage.
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