L'impact de la numérisation sur la filière audiovisuelle et sur les pratiques des spectateurs. Le cas de Netflix et des séries tv en France( Télécharger le fichier original )par Sarra GADIRI CELSA - Master 2 Professionnel Médias et Numérique 2016 |
1.2.2. Apparition du câble premium et de HBO18 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.52. 19 Source : « Has Married...With Children been muzzled? », Entertainment Weekly, [disponible en ligne : http://www.ew.com/article/1990/02/16/has-marriedwith-children-been-muzzled], publié le 16 février 1990, consulté le 10 mars 2016. 20 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.44. 17 D'après Brett Martin et Jaques Mousseau, la télévision par câble est née en 1948 dans la petite ville de Manahoy City en Pennsylvanie pour améliorer la qualité de l'image audiovisuelle et de la transmission dans cette région montagneuse 21 . Jacques Mousseau distingue trois périodes successives dans l'histoire du câble. La première correspond à l'installation d'une antenne communautaire dans cette petite ville de Pennsylvanie pour acheminer les images des réseaux hertziens par câble dans les foyers, moyennant un abonnement. Un service nouveau mais qui restera pendant près d'une décennie une affaire technique et locale. La deuxième phase débute lorsque, devant l'exigence des abonnés pour un service qu'ils paient « des entrepreneurs imaginent une segmentation locale des audiences en fonction des programmes 22 ». Ils proposent alors 10 à 15 programmes différents contre un abonnement de 10 dollars environ. Le système du basic cable est né. Enfin, la troisième phase, qui nous intéresse particulièrement et qui a fait du câble une industrie à forte croissance commence en 1975 lorsque le câble est associé au satellite23. C'est également à cette période que la chaîne HBO fait ses débuts. Au début des années 1970, Charles Dolan24 est le premier à envisager l'idée du câble premium25. Il loue alors un canal sur le satellite lancé par la société de télécommunication RCA et propose des programmes aux différents « cable distributors » du pays. Sous forme d'un service d'abonnement axé, initialement, sur le sport et les films, « The Green Channel » voit le jour et change rapidement de nom pour devenir la Home Box Office. Pendant cette première décennie, la programmation de HBO repose essentiellement sur la diffusion de rencontres sportives. Regarder les événements sportifs nationaux en direct est un luxe pour l'époque car la diffusion, qui est le monopole des réseaux, reste souvent affectée par des pannes de transmission dans certaines régions du pays. Les programmes de HBO ont également la particularité de contenir quasiment tous une scène de nudité 21 BRETT Martin, Des hommes tourmentés : Le nouvel âge d'or des séries : des Soprano et The Wire à Mad Men et Breaking Bad, Paris, Editions de La Martinière pour la traduction française, 2013, p. 79. 22 MOUSSEAU Jacques, La télévision aux USA, Communication et Langages n°63, 1er trimestre 1985, [Disponible en ligne : http://www.persee.fr/doc/colan 0336-1500 1985 num 63 1 1667], p.11. 23 Ibid, p. 12. 24 Charles Dolan est un billionnaire Américain, fondateur de Cablevision et de HBO. Source : « Charles Dolan Net Worth », The Richest, [disponible en ligne : http://www.therichest.com/celebnetworth/celebrity-business/men/charles-dolan-net-worth/], consulté le 10 mars 2016. 25 Source : « Charles Dolan », Wikipédia, [disponible en ligne : https://en.wikipedia.org/wiki/Charles Dolan ], consulté le 10 mars 2016 18 gratuite ou du langage obscène : son statut premium lui faisant profiter de l'absence de contrôle de la FCC26. Pour justifier un abonnement plus élevé que le basic cable, les programmes de HBO ne sont pas interrompus par des coupures publicitaires. La réclame est placée au début et à la fin des programmes, celui séduit les téléspectateurs américains qui utilisent déjà le zapping comme un moyen d'échapper à la publicité. L'offre de HBO fonctionne. En 1981, elle couvre déjà le pays entier grâce à un millier de systèmes de câblodistribution locaux et ses abonnés s'élèvent à près de quatre millions27. Mais ce développement prospère est vu d'un mauvais oeil par les studios hollywoodiens et les autres chaînes. En se spécialisant dans le cinéma, HBO s'attire l'hostilité de certains studios qui tentent de se liguer contre elle : en 1980, 20th Century Fox, Universal, Paramount et Columbia créent ensemble leur propre chaîne payante, la Premiere Channel. Cependant, celle-ci est déclarée illicite par la justice lorsque HBO dépose un dossier fédéral d'antitrust28. La raison est que ce projet d'arrangement vise directement à restreindre la concurrence pour bénéficier d'un monopole, ce qui est contraire à la législation américaine. Du côté des chaînes, elles répondent à la menace que représente HBO en créant de nouvelles chaînes comme ShowTime et The Movie Channel29 qui aspirent à la concurrencer sur son propre terrain. Ayant acquis une manne financière impressionnante de la vente d'abonnements, la chaîne commence à produire des programmes dès la fin des années 1980 à travers sa filiale HBOIP. Ces programmes (documentaires, fictions et comédies) sont conçus pour être diffusé sur HBO mais certains alimentent même la programmation de la Fox30. C'est en 1990 que l'identité de la chaîne commence à changer avec l'arrivée à la tête du service de programmation de Chris Albercht31. La chaîne passe alors de la diffusion de rencontres sportives, de films et d'émissions érotiques à la production de 26 BRETT Martin, Des hommes tourmentés : Le nouvel âge d'or des séries : des Soprano et The Wire à Mad Men et Breaking Bad, Paris, Editions de La Martinière pour la traduction française, 2013, p. 81. 27 Ibid. p. 82. 28 Ibid. 29 Ibid 30 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris Armand Colin, 2010, p.58. 31 Chris Albercht arrive à la tête de la programmation originale chez HBO en 1985 et est aujourd'hui CEO de la chaîne du câble Starz. Source : « Chris Albercht », Wikipédia, [disponible en ligne : https://en.wikipedia.org/wiki/Chris Albrecht], consulté le 10 mars 2016. 19 séries télévisées haut de gamme, à direction de ses abonnés, un public aisé et éduqué32. En effet, ces fictions originales visent « les valeurs culturelles que la [chaîne] croit que ses souscripteurs valorisent33 ». En se positionnant sur des critères culturels la chaîne crée sa propre audience au lieu d'effectuer une segmentation classique par genre et tranches d'âge. Ce changement de politique et de positionnement apparaît comme un moyen pour les décideurs de la chaîne d'ériger des barrières de coûts et qualité contre une concurrence acharnée. Nombre d'auteurs qui ont traité de la télévision américaine et des séries télévisées s'accordent pour dire que les années 1990 marquent un tournant dans l'histoire des séries télévisées34 et nous avons tendance à penser que les changements dont il est question se sont fait sous l'influence de HBO qui, en imposant un standard de qualité meilleure aux fictions télévisuelles, a contribué à transformer le genre et à le faire évoluer. N'étant pas dépendante des annonceurs, HBO n'a pas à s'inquiéter de les faire fuir, ce qui donne une grande liberté créative aux scénaristes que la chaîne engage. « Les séries que la chaîne produit dès les années 1990 peuvent donc briser les tabous (le sexe, les insultes, la mort) et imposent le `politiquement incorrect' 35». De plus, le fait que les programmes ne soient pas soumis aux coupures publicitaires permet de penser à des formats d'une durée plus longue : 30 minutes pour les comédies et près de 55 minutes pour les fictions de type drama36. HBO s'offre également des créateurs plus libéraux et davantage sensibles à littérature européenne, à l'image de Tom Fontana, créateur de la première série dramatique originale diffusée sur HBO, la série carcérale Oz37. L'une des principales innovations de cette série parue en 1997 passe par la narration. En effet, son déroulement est rythmé par la présence d'un personnage en fauteuil roulant, une sorte de narrateur, qui introduit les différentes scènes, ouvre et 32 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.40. 33 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris Armand Colin, 2010, p.58. 34 BOUTET Marjolaine, ESQUENAZI Jean-Pierre, BRETT Martin. 35 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.40. 36 « Un drama désigne une série dramatique, en opposition aux séries de comédie. Cette distinction est très présente dans les pays anglo-saxons où les dramas ont une durée d'épisode égale ou supérieure à 40 minutes et où les épisodes de comédies ne dépassent pas généralement les 30 minutes ». Source : « Glossaire des séries TV », Arte, [disponible en ligne : http://www.arte.tv/sites/dimension-series/glossaire-des-series-tv/ ], consulté le 05 janvier 2016. 37 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.42. 20 clôture chaque épisode par un monologue. Ce traitement ne va pas sans rappeler la tragédie grecque où le coryphée, en chef d'orchestre de la pièce, scande son déroulement et accompagne le spectateur. Les moyens déployés pour la création de cette série sont également surprenants pour l'époque : un bâtiment entier a été acheté pour abriter les décors de la série et son administration. Sur le fond, la série reflète totalement l'état d'esprit de HBO : « Farouchement `artsy', chargée de violence irrévérencieuse et d'une homosexualité latente, menée par un personnage qui se trouvait être un psychopathe néonazi et gay38 » Une autre innovation apportée par les séries HBO est le nombre d'épisodes par saison. Au lieu des vingt-quatre épisodes traditionnels, les séries HBO sont courtes (douze à quinze épisodes)39. Dans le cas de la série Oz, les saisons se limitent à 8 épisodes. Ce nouveau type de structure n'est pas sans impact sur l'écriture scénaristique et la conception des intrigues. Pour le journaliste Martin Brett, auteur de l'ouvrage « Des Hommes Tourmentés » où il brosse le portrait croisé d'auteurs de séries à succès et de showrunners célèbres dont Tom Fontana, ce raccourcissement a eu pour résultat « une architecture narrative qui s'apparente à un ensemble de colonnes. Chaque épisode est un pilier puissant, solide et substantiel à lui seul, appartenant de surcroît à l'arc que constitue une saison, qui à son tour reliée aux autres saisons, forme une oeuvre d'art aussi cohérente qu'autonome40 ». Nous nous pencherons davantage sur l'architecture narrative des néo-séries ainsi que les innovations qu'elles apportent au genre dans le prochain chapitre. Le succès critique et populaire de la série Oz, suivi par celui de The Sopranos (récompensée aux Golden Globes dans la catégorie meilleure série télévisée en 1999) fait de HBO une référence télévisuelle dont le modèle de production et les procédés sont convoités et imités. Ainsi, des chaînes premium comme Showtime et la FX commencent à produire des séries sur le « modèle HBO » et même les networks se mettent à privilégier les séries ambitieuses au contenu audacieux. Commence alors une course vers la qualité qui donnera naissance à bon nombre de chefs-d`oeuvres du petit écran : des séries d'auteurs au réalisme poignant qui 38 BRETT Martin, Des hommes tourmentés : Le nouvel âge d'or des séries : des Soprano et The Wire à Mad Men et Breaking Bad, Paris, Editions de La Martinière pour la traduction française, 2013, p. 96. 39 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris Armand Colin, 2010, p.58. 40 BRETT Martin, Des hommes tourmentés : Le nouvel âge d'or des séries : des Soprano et The Wire à Mad Men et Breaking Bad, Paris, Editions de La Martinière pour la traduction française, 2013, p. 19. 21 brossent, chacune à leur manière, le portrait de la société américaine et son évolution, jusque dans ces côtés les plus ténébreux. |
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