c. Une ressource humaine médicale
insuffisante
Comme je l'ai évoqué précédemment,
l'insuffisance de médecins tels que les anesthésistes et les
gynécologues est à origine de nombreuses fermetures des
maternités. Ce manque de médecin peut s'expliquer par plusieurs
faits : les jeunes médecins préfèrent travailler en
équipe dans des grandes structures, mais également car le
numerus clausus est jugé trop faible, le nombre de
départ en retraite élevé, les risques
médico-légaux très élevés dans des
professions comme les anesthésistes, et les espaces dits de «
campagnes » qui n'attirent pas de médecins.
La difficulté pour recruter des professionnels de la
santé a été plusieurs fois évoquée dans mes
entretiens. D'après un gynécologue48, les petites
maternités n'arrivent pas à recruter des praticiens qui aient le
niveau de compétence suffisant pour les faire tourner. Selon lui, c'est
parce que les professions les plus difficiles à recruter sont les «
pédiatres et surtout des anesthésistes » et une
maternité ne peut pas tourner sans ces médecins. Cette
pénurie serait due au « numerus clausus qui n'a pas était
anticipé concernant le recrutement à la fac de médecine,
et c'est un métier qui fait peur ». Ces métiers font peur
car le métier de gynécologue et d'anesthésiste sont des
métiers où les risques médicaux-légaux sont
très élevés comme je l'ai évoqué
précédemment. Ces « deux choses-là ont probablement
participé à la situation de pénurie » d'après
la sage-femme du CPP de Vire, Madame Anfray.
L'autre difficulté pour recruter, est que les villes de
taille moyenne n'arrivent pas à attirer les médecins. En effet,
le maire de Falaise explique que les praticiens « vont plutôt
s'installer sur la ville de Caen, et dans le privé, que dans le public,
là où ça bouge ». Cela s'explique par «
l'attractivité, on va dire géographique » selon une
sage-femme de Falaise,
48 Entretien avec le Docteur Labbé,
gynécologue à la Clinique de Vire.
68
« les jeunes ne sont pas tellement
intéressés par les hôpitaux de petites villes et c'est
devenu problématique ». Pour le maire de Vire c'est seulement
« là où il y'a des grosses structures qu'on arrive à
avoir plus de professionnels parce qu'ils travaillent en équipe, il y a
une dynamique qui se créée, avec un certain nombre de
médecins », et dans les grandes structures les gardes sont moins
fréquentes étant donné le nombre de médecin
présent.
Enfin, le maire de Falaise évoque une difficulté
liée à la médecine actuelle. Car avec les nouvelles
techniques de soins « la médecine ne s'exerce plus comme elle
s'exerçait avant, et il y a moins de médecins, donc il faut
trouver le juste-milieu dans l'adaptation de l'offre de soins aux territoires
». Mais pour d'autres, le problème vient de l'absence de
volonté des chefs de service pour recruter des praticiens : « on a
absolument rien fait pour recruter des gynécologues. On a même
peut-être même orchestré le fait de les faire fuir »
selon Madame Anfray, sage-femme du CPP de Vire. Le discours de la
présidente du collectif de Vire indique également que lorsqu'on
« ne veut pas qu'un service vive et bien il coule ». Au final, selon
ces acteurs, le manque de médecins et le manque de volonté de la
direction n'a pas facilité le recrutement des praticiens à la
maternité de Vire nottament, et l'a vouée à la
fermeture.
L'insuffisance de ressources humaines médicales
complétée par une baisse de la démographie et le
déficit des hôpitaux ont eu raison des fermetures des petites
maternités. Ces situations fonctionnent comme un `cercle vicieux'. De
plus, la fermeture d'une maternité est un service en moins, une offre de
service en moins sur le territoire (Eric Macé, le maire de Falaise). Au
final, les problèmes s'enchaînent, Emmanuel Labbé
(gynécologue à Vire) note qu'à « partir du moment
où vous avez une pénurie de médecins, ce n'est pas
forcément très bon, les gens vont imposer un peu leurs
règles », comme le salaire ou le choix des patientes. En effet, les
gynécologues de Flers n'acceptent de consulter au CPP de Vire
exclusivement les femmes qui accoucheront à Flers. Les femmes
69
qui souhaitent accoucher autre part se redirigent donc vers le
gynécologue libéral de Vire, ou des sages-femmes
libérales, voire les gynécologues des maternités de leurs
choix. La pénurie de gynécologues a eu comme conséquence
« l'élargissement des compétences » des sages-femmes
selon Madame Lefebvre, sage-femme de Falaise, tel que je l'ai expliqué
auparavant dans mon mémoire.
Les usagers des CPP (Centre Périnatal de
Proximité) sont des populations « intermédiaires »
selon Madame Anfray, sage-femme au CPP de Vire. Elle explique que la population
venant au CPP est située entre «une population qui dans ses
automatismes, se dirige vers le libéral », et l'autre population,
en « grande difficulté sociale, accompagnée par les services
de protection maternelle et infantile (PMI), le Conseil Général
». Ils ont « une population militante et qui défend les
services publics, donc ils viennent spontanément à
l'hôpital ». Mais leurs usagers sont également « des
populations qui naturellement, à partir du moment où elles a des
besoins, sollicitent l'hôpital de droit ». Au final, elle explique
que le CPP est un intermédiaire entre les maternités
privées et les maternités publiques » mais également
un intermédiaire entre la maternité à laquelle la femme se
rendra pour son accouchement et son domicile.
![](La-fermeture-des-maternites-en-Basse-Normandie-etat-des-lieux-et-causes-des-fermetures22.png)
70
Figure 20: les hôpitaux et le taux de vacances des
praticiens
Ainsi, la carte ci-dessus, réalisé par Emmanuel
Vigneron (professeur de Géographie à l'Université de
Montpellier), met en évidence que la Basse-Normandie attire
difficilement les médecins. 37,1% des postes sont non pourvus dans les
hôpitaux publics en Basse-Normandie, contre 26,3% pour la moyenne
nationale. En résulte cette carte, la région Basse-Normandie est
la région ayant le plus haut taux de vacances de praticiens hospitaliers
de France Métropolitaine. Elle se situe au même niveau que la
Martinique et Mayotte, le « record » est détenu par la Guyane
avec 54,8%. Selon E. Vigneron, nous assistons à une «
désertification de vastes pans de territoire » et
parallèlement, « l'offre
71
de soins dans les métropoles se renforce et se densifie
». C'est ce qu'il nomme la « France à deux vitesses »,
une France ayant l'accès aux soins car elle se situe près des
grands pôles, et une France isolée. De plus, la proximité
avec la région Ile-de-France fait que la Basse-Normandie fonctionne
comme une périphérie, elle se trouve à l'écart et
est délaissée car elle n'est pas loin de la région
parisienne. Ce n'est pas tant le nombre de médecins qui est
problématique, mais l'attractivité d'une région pour
l'installation des médecins, spécialistes ou
généralistes.
En Basse-Normandie, selon la journaliste de Valognes Sylviane
Luc, le manque de médecin fait que les hôpitaux doivent prendre
des intérimaires payés très cher : « mille euros pour
vingt-quatre heures ou des médecins avec des diplômes
étrangers». C'est cette pénurie de médecin, ce manque
d'attractivité et de volonté politique qui a fermé les
urgences de Valognes en 2015 d'après elle.
Enfin, les causes développées ci-dessus ne sont
pas exhaustives, cependant, elles reflètent les principales causes de
fermetures des maternités en Basse-Normandie ces dix dernières
années. Les problèmes budgétaires des hôpitaux
majoritairement déficitaires en Basse-Normandie, additionnés aux
problèmes de sécurité des actes médicaux, ainsi que
la pénurie de médecins sont autant d'occasions qui ont conduit
à fermer les petites maternités. Ces fermetures de
maternités peuvent entraîner la fermeture d'autres services.
À Falaise par exemple, le service de chirurgie (chirurgie
générale, digestive, et la chirurgie orthopédique et
traumatique) fermait quelques semaines en été, aujourd'hui
l'avenir du bloc n'est pas certain, notamment à cause de l'arrêt
des accouchements. Le bloc n'est plus autant actif qu'avant et il devient moins
rentable. Le scénario possible pour les hôpitaux où les
maternités ont fermé peut-être le même que celui de
Valognes ou
72
d'Aunay-Sur-Odon ; la fermeture de maternité a
entraîné la fermeture du bloc opératoire, puis la fermeture
des urgences 24/24h. Désormais, à Aunay-sur-Odon et Valognes par
exemple, les urgences sont devenus des centres de premiers soins,
c'est-à-dire qu'elles sont ouvertes de 8h30 à 19h30 seulement. La
nuit la population doit se déplacer dans les plus grandes villes pour
accéder aux urgences.
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